Textes festival 2017

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Du city marketing au lobbying : les villes acteurs dinfluence

Prof. Olivier Arifon, consultant at Protocol International,
research fellow at Universite libre de Bruxelles

Email : olivier.arifon@ulb.ac.be



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Le concept de city branding, soit, pour une ville, le choix d’un positionnement, puis d’une marque est une branche relativement récente des sciences de la communication. Proche du city marketing, il est d’origine britannique et se développe à partir de 1996 sous l’impulsion de Simon Anholt, consultant, éditeur du journal « Place branding and public diplomacy ». Le City branding tire ses concepts, méthodes et approches du marketing des produits et services. Un point important est la divergence entre « ce qui (nous) rapproche », la construction d’un lien et « ce qui (nous) est unique », facteur de division symbolique. Souvent, le City branding s’adresse à des cibles externes à la ville en insistant sur la valorisation touristique, l’attractivité économique et la créativité, premières étapes d’une politique d’influence.

Les villes, ici essentiellement les métropoles pour des raisons d’analyse[1], sont devenues des acteurs d’influence en développant des actions de lobbying et, concrètement, en installant des bureaux à Bruxelles. A l’échelle de l’Union, les actions de lobbying visent à obtenir de l’information et défendre les intérêts des métropoles. Cet article présente le city branding puis explique comment les villes, devenues en vingt ans des acteurs qui comptent dans l’Union, développent des logiques d’influence et de lobbying à Bruxelles. Cette influence se place à côté des États et non contre, car les villes sont devenues des acteurs à part entière du jeu politique.

 

  • City branding et complexité

Le city branding, appelé en France marketing urbain, utilise les techniques du marketing des produits pour la promotion (le cas d’un logo) et pour la valorisation des villes, lors d’une politique plus globale. 

 

Ceci repose sur l’idée qu’un territoire peut devenir une marque, avec une identité et des valeurs propres (Anhlot, 2010). C’est mettre l’ensemble du territoire en cohérence afin de toucher certains publics, des entreprises ou de valoriser la ville à travers des événements. Le city branding (et son corollaire pour les États, le nation branding) contribue à structurer la diversité et les composants culturels et économiques d’un territoire en un récit capable de convaincre les publics locaux et extérieurs. « Vivre la marque » par les citoyens et par les autres publics de la ville est le résultat souhaité par les professionnels du marketing. Ceci pose plusieurs questions : la marque peut-elle opérer comme un parapluie et couvrir la diversité des acteurs et partenaires ? Les citoyens et visiteurs peuvent-ils développer un sentiment de relation ou une affiliation, avec la marque, questions traitées par (Meyronin, 2015). Au-delà d’un discours parfois uniquement performatif, le city branding pose plusieurs questions :

  • La ville est multidimensionnelle et complexe,
  • Un accord sur ce qui doit être promu est difficile à trouver et à délimiter entre les multiples acteurs,
  • La fabrique de la ville est le fait de ses habitants et des visiteurs, processus éloigné de celui du marketing des produits et services,
  • Le service marketing (d’une ville) peut difficilement contrôler le contenu et les résultats des acteurs,
  • Une pression existe pour associer tous les acteurs, ce qui est souvent complexe et contre-productif,
  • Les acteurs du marketing sont souvent sous forte pression politique,

Le marketing des villes est souvent éloigné de la culture des acteurs locaux, certains d’entre eux y voient une démarche commerciale. (Inspiré de Moilanen, 2015, p. 221).

 

  • Des compétitions internationales et régionales

En vingt ans, une compétition nationale et internationale se sont imposées aux villes sur un espace international est la suivante. Les années 1990 et 2000 voient émerger des villes plus autonomes par rapport aux États nations, eux-mêmes construction du 19e siècle. Dans le contexte de mondialisation et, en Europe, du soutien de la Commission aux Régions et territoires, les villes développent des activités internationales, construisent des réseaux et partagent des bonnes pratiques (Beal, Pinson, 2014). Distinguer les métropoles, villes capitales et villes internationales, souvent les plus actives est important. Les villes internationales - ou global cities – se caractérisent par leur capital humain, les idées ou encore lorsque les villes sont des nœuds dans un système économique (Sassen, 2007). Une ville internationale est un lieu où le capital, l’information, les idées et les biens et services et les personnes peuvent circuler et interagir.[2]

Figure 1  - Exemple du classement des villes internationales du Global Power City Index, Mori fondation, 2016.

(Pinson, Vion, 2000) propose une analyse centrée sur les formes et perceptions de la ville et non sur les flux et les nœuds. Une ville internationale se perçoit comme un produit lorsque la ville se dote de « signes extérieurs de l’internationalité », à savoir équipements et bâtiments par des architectes souvent renommés. Ce que confirme Cynthia Ghorra Gobin (2015, p. 89) : « la métropole du 21e siècle participe d’un local inséré dans le territoire national et d’un espace inter métropolitain opérant à l’échelle mondiale ».

 

Figure 2 - La capitainerie du port d’Anvers, par Zaha Hadid, 2016, signe d’internationalité – Source : www.lalibre.be.

La ville, considérée pour ses qualités organisationnelles devient une entité capable de consensus afin de développer des projets, tournois sportifs, événements culturels, festivals… Enfin, la ville apparait comme un espace doté d’avantages compétitifs. Ce sont les clusters et pôles d’excellence, par exemple Dijon et la gastronomie, Grenoble et les nanotechnologies. Bien entendu, les moments peuvent se chevaucher selon les contextes locaux. (Pinson, Vion, 2000, p. 98) indiquent « combien les logiques d’internationalisation des villes et leurs politiques empruntent à des dynamiques proprement locales », les pouvoirs des maires contribuant à la perception des actions de promotion par les acteurs internes et externes. Fortes de ces dimensions, les villes se sont également orientées vers des actions d’influence et de lobbying.

 

  • Le lobbying, une activité 100 % différente du city branding

Les métropoles sont devenues des acteurs d’influence, développant des actions de lobbying, concrètement pour l’échelle européenne en installant des bureaux à Bruxelles. Ceci est devenu possible suite aux modifications des périmètres d’actions des États et au soutien de l’Union européenne (UE) aux régions et villes, considérées comme des acteurs d’efficacité sur les politiques de cohésion. En 1992, le traité de Maastricht a conduit à la création du comité des régions et en 2004, le traité de l’Union européenne reconnaît comme interlocuteurs les régions (Goergen, 2004 : 132-136).

Les nombreuses définitions de l’influence et du lobbying font référence aux processus envers les décisionnaires en vue de servir des intérêts. Le lobbying est une activité officielle, du moins dans l’Union européenne, qui vise à influencer les processus de décisions. En 2011, le Parlement européen définit les activités des représentants d’intérêts comme : « Toutes activités (…) menées pour influencer directement ou indirectement la formulation ou l’implémentation des politiques et les processus de décisions des institutions européennes, quel que soit le canal ou le média utilisé (…)[3]. »

 

  • Que font les villes avec un bureau à Bruxelles ?

Rappelons d’abord les trois organes politiques de l’UE : le Conseil de l’UE, la Commission et le Parlement. Le premier est souvent hors d’atteinte pour les villes, car les États ont peu de raison de dialoguer avec leurs métropoles. Le deuxième, la Commission européenne permet aux élus des villes (et des régions) de discuter avec les fonctionnaires de la Commission sur les applications des directives et des politiques, notamment la politique de cohésion. Le Parlement européen permet un lien entre membres du Parlement et les villes et un lieu d’influence dont les contours sont incertains.

Les villes (et les régions), environ 40 d’après notre enquête, ont à Bruxelles un triple enjeu : « s’affirmer sur la scène européenne pour mieux s’imposer au niveau local, ou encore renforcer (leurs) position (s) par rapport aux États centraux. C’est aussi dans la perspective du développement de l’activité même du lobbying à Bruxelles, le moyen de venir directement influencer les politiques dessinées dans la capitale belge, mais qui seront demain à mettre en œuvre sur les territoires locaux. » (Payre, 2012.)

La première activité d’un bureau installé à Bruxelles est généralement la veille sur les directives, règlements et projets offrant des possibilités de financement.

La deuxième activité est l’adhésion à un ou plusieurs réseaux, dont un est central, Eurocities fondé en 1989, compte au 3 mars 2017, 186 membres[4]. Une des fonctions des villes et de ce réseau consiste à mettre l’urbain à l’agenda européen, selon une logique de « raising awareness » et dans une démarche de coproduction de l’action publique. Pour en savoir plus, nous avons obtenu trois entretiens avec les villes de Stockholm et de Strasbourg et Vienne.

Un entretien avec M. Gustaf Lundgren est révélateur[5]. La ville de Stockholm et 26 municipalités de sa région sont à Bruxelles depuis 1994[6]. Au départ, installée dans le but d’attirer des touristes, puis des investissements, la ville a évolué vers une activité plus large : une action de représentation d’intérêts. Selon M. Lundgren : « influencer les politiques de l’Union. » La promotion des réalisations en matière de réduction de bruit, de politique de l’air ou de qualité de vie est une des actions majeures. En d’autres termes, l’action de Stockholm vise à incarner et à matérialiser les politiques de l’EU en matière de développement local et de cohésion auprès des fonctionnaires

de la Commission. Les contacts avec le Conseil sont menés par la représentation permanente, car la dimension politique nationale est du ressort de l’ambassade. Les Directions générales les plus visitées sont les DG recherche, environnement, Regio et Connect. Stockholm Region est membre de Eurocities et de la Conférence des Régions Périphériques Maritimes.

Les relations avec le Parlement sont limitées. Les parlementaires suédois, cible naturelle du bureau de Stockholm à Bruxelles, sont membres de commissions souvent éloignées des problématiques locales de la ville. Déjeuners et contacts sont toutefois organisés.

 

Le deuxième entretien s’est déroulé avec Mme Michaela Kauer, de la ville de Vienne qui a ouvert un bureau en 1996[7]. Il analyse les politiques de l’Union, organise des rencontres avec des experts, favorise les contacts, prépare des visites et des formations pour les acteurs viennois et agit comme ambassadeur de la culture et de la qualité de vie de la capitale. La ville est membre de Eurocities et d’environ 20 autres réseaux, de l’espace germanique, européen et international. L’Autriche est, comme la République fédérale d’Allemagne, composée de Länders dont les représentants peuvent participer aux travaux du Conseil. De plus, l’État autrichien peut être lié par une position commune des Länders.

Un lobbying en direction de la Commission est également en place. Vienne souligne son implication dans l’agenda urbain de l’Union[8]. Les actions en direction du Parlement se font durant les phases préparatoires des textes, en essayant d’être très proactives.

Le troisième entretien avec M. Cédric Virciglio permet de voir la stratégie de Strasbourg et de la région Alsace[9]. Installé à Bruxelles depuis 1990, le bureau Alsace Europe regroupe dix entités politiques du territoire alsacien, dont Strasbourg, Colmar, Mulhouse, l’université de Strasbourg et les chambres de commerce. Le bureau emploie cinq personnes et se définit comme un outil politique au service du territoire. Les missions sont au nombre de six :

  1. Information et veille.
  2. Lobbying législatif et financier,
  3. Ingénierie de projets, réponses aux projets européens,
  4. Formation des élus et des fonctionnaires de la région aux logiques de l’UE.
  5. Accueil et organisation de délégations, afin de présenter aux Institutions des projets en développement,
  6. Coordination des dix partenaires du bureau auprès de l’UE.

Strasbourg (et non le bureau) est membre de Eurocities, du réseau des villes onusiennes et de ERRIN.

Les contacts avec le Conseil de L’Union sont nuls et du ressort de la Représentation permanente. La Commission est la cible prioritaire et le bureau organise des rendez-vous avec les fonctionnaires et commissaires.

Enfin, les relations avec le Parlement sont régulières, avec un accent sur les députés français et, territoire frontalier oblige, avec les députés allemands. Une des particularités du bureau Alsace Europe est l’habitude de travailler et la proximité culturelle avec les structures allemandes.

Enfin, le bureau peut également apporter son soutien lorsque le territoire, ici souvent Strasbourg, est candidat pour accueillir un grand événement qui valorise ses spécialités. Ainsi la réunion ERTICO, l’association des acteurs du transport intelligent se tient à Strasbourg en juin 2017. Or, l’un des pôles de compétitivité de la région traite le véhicule du futur.

En conclusion, les actions de ces villes s’inscrivent bien dans le phénomène de rééchelonnement des États (rescaling states, Brenner, 2004) qui touche tous les pays. L’État, en phase de réorganisation, et non de décomposition, permet des nouvelles interactions des territoires. « Les métropoles sont devenues des acteurs hybrides » selon Cynthia Ghorra-Gobin. Le local, indissociable du global numérisé et connecté, dispose de marges de manœuvre nouvelles. Et si les habitants vivent en même temps l’ici et l’ailleurs, les hommes politiques et les villes se cherchent.

 
 

[1] Ville principale d’un pays ou d’une région : ville globale à l’international, métropole à l’échelle nationale. Source : dictionnaire d’Antidote.


[2] Le cas d’Amsterdam est intéressant. Avec 800 000 habitants, la ville se classe 8e dans le GPCI. (Voir Arifon, O. (2017) https://theconversation.com/rescaling-through-city-branding-the-case-of-...).

[3] www.europarl.europa.eu.


[5] Policy Manager, Stockholm Region EU Office, 6 mars 2017, Bruxelles

[6] www.stockholmregion.org

[7] Directrice du bureau de liaison de Vienne, 15 mars 2017, Bruxelles

[8] https://ec.europa.eu/futurium/en/urban-agenda, site spécialisé de l’Union.

[9] Directeur du Bureau Alsace Europe, 8 mars 2017, Bruxelles

Références

ANHOLT, Simon, Places : Identity, Image and Reputation. Basingstoke: Palgrave Macmillan, 2010.

BEAL, Vincent, PINSON Gilles, « When Mayors Go Global: International Strategies, Urban Governance and Leadership ». International Journal of Urban and Regional Research 38 (1): 302‑17, 2014.

BRENNER, Neil, New states spaces, urban government and the rescaling of statehood, Oxford University Press, Oxford, 2004, 384 p.

GOERGEN, Pascal, Le Lobbying Des Villes et Des Régions Auprès de l’Union Européenne, 2004, 224 pages.

GHORRA-GOBIN, Cynthia, La métropolisation en question. Vol. 1re éd. Paris : Presses universitaires de France, 2015.

MEYRONIN, Benoit, GAYET, Jacques & COLLOMB, Gérard, Marketing territorial : eneux et pratiques, Paris, Vuibert, 2015.

MOILANEN, Tuevo, Challenges of city branding: A comparative study of 10 European cities. Place Branding and Public Diplomacy, 11(3), 216–225, 2015.

PAYRE, Renaud, SPAHIC, Mili, « Le tout petit monde des politiques urbaines européennes. Réseaux de villes et métiers urbains de l’Europe : le cas du CCRE et d’Eurocities ». Pôle Sud, no 37 (janvier) : 117‑37, 2013.

SASSEN, Saksia, A Sociology of Globalization (Contemporary Societies), W.W. Norton, 2007.

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Intervention : « Espaces urbains et développement de la criminalité en Afrique de l’Ouest »

Introduction sur la transition démographique urbaine crisogène

Mamadou BADJI - Faculté de Droit - Université de Dakar

Saliou FAYE, Chercheur - Faculté de Droit - Université de Dakar

Voir la conférence

Sur une superficie de 6 140 178km2, soit environ un cinquième du continent africain, l’Afrique de l’Ouest se caractérise aussi par sa croissance démographique. Depuis les indépendances, la plupart des pays de la région ont doublé leurs populations entre 20 et 30 ans, et triplé celle-ci dans l’espace temporel de 30 à 45 ans. Aujourd’hui, sa population avoisine les 320 millions d’habitants, soit 30% de la population du continent.  

Cette forte croissance démographique s’accompagne d’un mouvement d’urbanisation rapide[1], dont l’histoire est relativement récente[2]. L’auteure Coquery-Vidrovitch la retrace en mettant l’accent sur les processus économiques et sociaux et révèle que l’urbanisation est passée entre 1920 et 1960 de moins de 5% à près de 15%[3]. Rurale à 95% au cours du premier tiers du XXe siècle, la population urbaine de l’Afrique de l’Ouest est passée à 14% au lendemain de la seconde guerre mondiale, à environ 50 millions en 1980 (34% de la population), 80 millions en 1990 (41% de la population)  et à 124 millions à l'horizon 2020 (selon les estimations). Cette dynamique d’urbanisation dans la région présente toutefois des variations dans le temps et entre les Etats. Si en 1960, le Sénégal, le Ghana et la Centrafrique avec respectivement 28%, 23% et 21% d’urbanisation se classaient parmi les pays les plus urbanisés, le Nigéria, aujourd’hui leader, ne comptait que 15% d’urbains tandis que le Niger, le Tchad, le Mali, la Gambie, la Guinée Bissau et la Mauritanie présentaient un taux d’urbanisation de moins de 10%. C’est à partir des années 2000 qu’un nouvel ordre s’est établi avec le Nigéria qui compte près de 58% d’urbains et la Gambie qui a connu la plus forte croissance, passant de 6% d’urbanisation en 1960 à près de 40% en 2000, multipliant son taux d’urbanisation par près de 7. Cette dynamique se poursuit avec le Tchad et la Mauritanie qui passent respectivement de 6% et 9% d’urbanisation en 1960 à 30% et 50% en 2000, multipliant par 5 leur taux d’urbanisation. Il en est de même de la côte d’Ivoire qui a affiché 54% d’urbains en 2000.

Une des tendances lourdes de l’urbanisation en Afrique de l’Ouest est donc son caractère accéléré et déstructuré, dans un contexte de disproportionnalité multiple, variée et chaotique. Le défi de la maitrise de la population urbaine se pose par conséquent avec acuité. En effet, la « bidonvillisation », en forte progression, donne une nouvelle configuration à la plupart des villes suscitant parfois la reconstitution des « villages dans les villes »[4], et génère des lieux de la « débrouillardise »[5] et des « petits métiers »[6]. A ce titre, les villes africaines de façon générale ont pendant longtemps été considérées comme étant « des ensembles urbains mal fagotés » et « bricolés à la hâte »[7].

C’est dans ce contexte global que se développe la criminalité en Afrique de l’ouest. Cette intervention à la 9e édition du Festival de Géopolitique de Grenoble, entend mettre la lumière sur un paradoxe : l’urbanisation qui, en principe, devrait contribuer à réduire la criminalité, est, dans la plupart des villes d’Afrique de l’Ouest, un espace crisogène débouchant sur l’accentuation de la criminalité. Elle met en exergue, d’une part, l’évolution et les transformations de la criminalité (I) et, de l’autre, les facteurs incitatifs et les facteurs d’attraction (II).

 

  1. Les linéaments de la criminalité urbaine en Afrique de l’Ouest

La criminalité urbaine en Afrique de l’Ouest et sa problématisation sont relativement récentes. La période coloniale était surtout marquée par la perpétration d’infractions mineures de déviance, sanctionnées par la loi et la population carcérale était souvent mobilisée dans les grands chantiers[8]. La criminalité urbaine violente et organisée était limitée à cette époque à quelques pays (dont le Nigeria -surtout-, le Sénégal et la Côte d’Ivoire) abritant des villes à fortes opportunités économiques ou peuplées de sociétés belligènes. Elle concernait aussi bien les populations autochtones que celles allochtones. L’implantation des villes coloniales dans les territoires « utiles » et à fortes potentialités expliquait dans une certaine mesure l’enchérissement des enjeux débouchant à la commission d’actes criminels.

La criminalité urbaine pendant cette période présentait aussi une coloration politique liée à l’émergence de leaders noirs, conscients des enjeux et très engagés politiquement. Le Sénégal qui a une tradition électorale ancienne (1848) a connu très tôt la criminalité urbaine liée à des motifs politiques. Celle-ci prenait à cette époque les contours d’une forme de rejet de l’ordre politique et social établi par le colonisateur. Le banditisme criminel n’est apparu réellement qu’à la veille des indépendances. C’est dans les années 1950 que des malfaiteurs tels que « Yadikoon » et les groupes de « Fack men » (dénomination souvent attribuée aux enfants de la rue devenus adultes et hors la loi) ont forgé une réputation remettant en cause la sûreté urbaine.

Au Nigéria, les préoccupations urbanistique et policière ont émergé concomitamment, notamment dans les deux plus grandes villes, Lagos et Ibadan. C’est à partir des années 1930 que la problématique de la criminalité urbaine est inscrite au cœur des politiques publiques locales grâce à l’effet d’agenda joué par la presse sur fond d’une sérieuse préoccupation policière. L’auteur Laurent Fourchard retrace l’histoire de certaines bandes de jeunes organisées dans les villes du Sud-Ouest nigérian[9]. Leur modus operandi était classique et les personnes peu familiarisées avec la ville constituées les cibles privilégiées. Si jusqu’aux années 1950, la criminalité ne concernait principalement que les villes à forte concentration économique, celle-ci a touché d’autres régions avec la progression de l’urbanisation. Les jeunes des quartiers périphériques défavorisés, les communautés de migrants et enfants de la rue, exclus du système, étaient catégorisées parmi les populations les plus pourvoyeuses de criminels. Les zones de perpétration, initialement réduites aux localités les moins bien protégées, se sont par la suite étendues à l'ensemble de la ville touchant les quartiers d’affaires, les quartiers résidentiels, les zones industrielles, les principaux axes routiers, etc. Le phénomène de la criminalité urbaine au Nigéria a pris de l’ampleur au XXIe siècle quand les chefs de guerre locaux recouraient à l’assassinat commandité dans les Cités Etats Yoruba[10].

Par ailleurs, les centres urbains précoloniaux qui se sont développés dans la région hors des littoraux et des fleuves tels que Ouagadougou (Burkina Faso), Kano (Nigéria), Kumasi au pays des Ashantis (Ghana), Tombouctou (Mali), très importants en termes d’échanges commerciales et culturelles, étaient moins concernés par la criminalité du fait des modes de gouvernance locale et des mécanismes traditionnels de règlement des conflits assez performants.

Un autre aspect du développement de la criminalité urbaine concerne sa récente dimension genre. Si pendant longtemps les femmes n’étaient que des victimes de la criminalité urbaine, elles sont devenues, avec la montée de l’extrémisme violent et de la radicalisation débouchant sur le terrorisme, des actrices à part entière. Elles sont de plus en plus impliquées dans les organisations de criminalité transnationale organisée et les organisations terroristes, qui recrutement essentiellement en Afrique de l’Ouest dans les communautés souffrant des exclusions sociales, économiques et politiques (Mali, Bassin du Lac Tchad, Burkina Faso, Mauritanie, etc.), lesquelles se concentrent principalement dans les bidonvilles et les banlieues proches et lointaines des grandes villes et celles transfrontalières. La dimension genre du développement de la criminalité en Afrique de l’Ouest concerne aussi des phénomènes d’urbanité avec la fréquence des cas de viol suivi d’assassinat, d’infanticide, etc. Au Sénégal, beaucoup de jeunes filles « enceintées » hors mariage préfèrent donner la mort à leur nouveau-né plutôt que de subir la honte de la communauté. On peut donner l’exemple des femmes issues de l’exode rural qui sont peu préparées aux réalités de la vie en milieu urbain et qui sont souvent bernées et enceintées.

Les évolutions les plus récentes de la criminalité urbaine sont liées à l’introduction récente des TICs en Afrique. Il s’agit principalement de la cybercriminalité. Partie du Nigeria avec la « fraude 419 », elle touche aujourd’hui la majorité des pays de l’Afrique de l’Ouest. Des « brouteurs » (surnom local des cyberescrocs) des cybercafés d’Abidjan aux « Sakawa Boys » du Ghana qui affirment recourir à des rituels ancestraux de magie noire pour gagner la confiance de leurs victimes dans les pièges du « Love chat », en passant par les « gai-men » béninois avec l’arnaque de la petite annonce, la région est devenue le lit de l’ingénierie de la cybercriminalité.

Au total, l’espace urbain est devenu en Afrique de l’Ouest plus que jamais crisogène, où s’engouffrent les auteurs de toutes les formes de criminalité. Il convient alors de chercher les facteurs incitatifs et les facteurs d’attraction qui y favorisent le développement de la criminalité.

 

  1. Les facteurs incitatifs et les facteurs d’attraction du développement de la criminalité urbaine en Afrique de l’Ouest

La problématique de la criminalité en milieu urbain interpelle plusieurs disciplines. Si les géographes, les urbanistes et les anthropologues abordent la question sous l’angle de l'aménagement urbain, des politiques de logement et de santé sans jamais évoquer les liens avec les éventuelles pratiques criminelles locales, les historiens, les politistes, les juristes l’appréhendent sans la relier à la géographie de la ville. A l’analyse, des facteurs incitatifs et d’attraction ressortent des différentes approches.

D’abord, le premier facteur du développement de la criminalité urbaine en Afrique de l’Ouest est l’ « exit option », au sens de Albert O. Hirschman[11]. L’explosion démographique des centres urbains entraine des conséquences importantes en termes d’infrastructures d’accueil et de délivrance de services publics sociaux de base. Or les politiques publiques urbaines sont, dans la majorité des cas, largement insuffisantes pour apporter des réponses vigoureuses et efficaces aux demandes (voir la crise de la faim en 2007 ; la crise de l’énergie et la crise de l’eau à Dakar ; le taux de déperdition scolaire, etc.) Cette situation favorise et nourrie des exclusions sociales, accentue l’injustice sociale et la ségrégation spatiale, etc. La « voice option », étant encore globalement timide et peu efficace dans un contexte de démocratisation encore fragile et de défaillance des institutions politiques et administratives, la situation crée des fenêtres de criminalité - exit option - où s’engouffrent certaines catégories de la population. S’y ajoute, dans le cas des pays qui ont opté une urbanisation par le haut tels que le Sénégal, l’érection de certaines localités rurales en zones urbaines pour des raisons essentiellement politiques. Le découpage administratif effectué dans ce sens répond à des préoccupations électorales. Or l’on constate que la plupart des localités en question sont très faiblement dotées de ressources suffisamment nécessaires pour impulser leur propre développement, tandis que les « nouveaux » citadins portent de nouvelles revendications sociales. L’euphorie de l’érection de leur localité en ville est très rapidement estompée par une grande désillusion, d’où la conflictualité observée à plusieurs niveaux.

Ensuite, l’hypertrophie des mégalopoles, la pression urbaine favorisant une « économie de survie » qui impose aux populations de trouver de nouvelles formes d’activités (pour la plupart du temps liée à l’économie informelle) et l’image plutôt glamour de certaines villes, parmi lesquelles les villes capitales et celles littorales les plus exposées car présentant plus d’opportunités économiques, suscitent chez certaines populations, surtout la population citadine jeune et celle issue de la migration, de la déviance dans un premier, puis de la criminalité dans certains cas. En Côte d’Ivoire, comme dans la plupart des pays de la région d’ailleurs, l’inégale distribution des richesses nationales constitue un facteur répulsif. La recrudescence de la criminalité urbaine s’observe dans les villes telles que Abidjan, capitale administrative et poumon économique du pays, lieu de convergence du phénomène migratoire ; Bouaké, deuxième centre économique, ville carrefour par excellence, point de passage et lieu de régulation du flux migratoire tant en provenance du reste du pays qu’en provenance des pays voisins. Il en est de même des « agrovilles » ivoiriennes telles que Abengourou, Agboville, Daloa, Gagnoa, Korhogo, Man, etc. Le développement de la criminalité suit donc l’axe des réseaux urbains à fortes opportunités économiques. Dans d’autres pays tels que la Mauritanie, le Niger, le Tchad, les avancées de la désertification et les effets du changement climatique ont entrainé la migration d’importantes populations rurales vers les villes, à la recherche de meilleurs moyens de subside.

En outre, la croissance de la population urbaine en Afrique de l’Ouest est accompagnée d’un développement de l’anonymat. Les préoccupations urbanistiques et policières en termes d’identification des personnes ne sont pas pour la plupart du temps prises en compte. Les cités récentes avec une forte concentration humaine venant d’horizons divers sont les plus concernées par ce cas de figure. Par ailleurs, certains espaces urbains sont victimes de leur immensité territoriale. Ce qui ne milite pas en faveur d’une distribution efficace et effective des institutions politiques et administratives et est propice à la création de zones de non droit alimentées par des trafics illicites de tout genre : contrebandes, prise d’otage, trafics d’armes légers, de drogues, cellules djihadistes, etc. Cette situation est observée au Mali, en Mauritanie, au Niger, au Tchad, pour ne citer que ces pays. Ainsi, une croissance démographique soutenue, aggravée par une urbanisation rapide et extravertie, tonifie le développement de la criminalité urbaine en lui fournissant une base humaine large et anonyme.

Aussi, les traditions d’occupation de l’espace observées dans certaines sociétés telles que les lébous du Sénégal, sont favorables au développement de la criminalité. Les règles minima de l’urbanisation sont presque absentes. L’habitat y est anarchique et les quartiers concernés sont de vrais villages sociologiquement. Les conséquences sont majeures : à titre d’exemple, les forces de la police nationale ou de la gendarmerie ne peuvent pas se déployer aisément (avec leurs voitures) dans ces milieux pour faire leur travail convenablement. Cette même morphologie des espaces urbains érigés de façon sauvage est également observée dans les bidonvilles de la plus part des villes capitales et celles littorales ou autres villes présentant de fortes opportunités économiques. Au Sénégal, on peut citer l’exemple des quartiers « Bèye deuk » (Défriches et tu habites). Ce sont des périphéries qui accueillent en premier lieu, à côté des banlieues proches et lointaines, les populations issues de l’exode rural et autres migrants, dont certaines, n’étant pas réellement capacités pour la vie en milieu urbain et n’ayant pas les moyens de subside, versent facilement dans la déviance, exercent des activités informelles avant de tourner définitivement, pour une part, dans la criminalité. Elles constituent des zones d’expérience pour tous les « starts up » de la criminalité. Concernant les exclusions sociales et politiques, les exemples des Haritines en Mauritanie, des Haoussa et des peuls foulani ou Bororos dans les pays du Lac Tchad (Tchad, Niger, Nigéria, Cameroun et Bénin), des peuls, des halpoulaar et des Manding (Socés-Soninkés-Malinkés) de la sénégambie méridionale « Sénégal, Gambie et Guinée », etc. illustrent bien cette situation.

L’accès au foncier urbain, de plus en plus difficile, est devenu aussi une source de criminalité dans la plus part des pays d’Afrique de l’Ouest. Pour certains, la ville africaine est dévoreuse d’espaces, et sa morphologie se caractérise par un éclatement spatial. L’étalement urbain « dévore » les terres cultivables et fait naitre des problèmes liés à l’insécurité foncière ou au titre de propriété. Nombre d’auteurs sont d’avis que la ville africaine est à la fois prédatrice et dépendante. On y observe une présence d’espaces et d’activités agricoles. Cette symbiose urbanité/ruralité fait des villes africaines, des « villes rurales ». Des auteurs parlent même de « villagisation » stratégique des villes[12]. Enfin, les localités urbaines qui abritent une ou des universités - Dakar, N’Djaména, etc. - sont aussi des localités crisogènes, où les confrontations entre étudiants et forces de l’ordre deviennent de plus en plus meurtrières.

En conclusion

Il serait inexact de dire que la criminalité est systématiquement liée aux problèmes sociaux vécus par une part importante de la population urbaine en Afrique de l’Ouest. En revanche, il est clair que la ségrégation sociale, économique et spatiale induit à la criminalité. En effet, « la ville ‘générique’ veut se débarrasser des comportements anomiques ou les rendre invisibles. Mais, les violences s’adaptent aux formes spécifiques des territoires urbains et la forme de la ville détermine leur substance ; c’est pourquoi, les violences devraient être interprétées comme des réactions engendrées par l’organisation sociétale. L’avènement de l’urbanisme sécuritaire, loin de réduire les violences urbaines, les territorialisent. A la géographie de la sécurité correspond une géographie de la violence. Les sociétés, en passant de la gouvernementalité à la gouvernance de la sécurité, sont passées de la fragmentation à la ségrégation croissante des territoires urbains. »[13]

 

[1] Si dans certains pays l’unité urbaine est définie sur une base purement administrative (Sénégal, Burkina Faso, Guinée, etc.), d’autres pays ont choisi de fonder le statut urbain à partir d’un seuil quantitatif de la population locale (Ghana, Sierra Leone, Libéria, Nigeria, etc.).

[2] Hormis les « villes comptoirs » et d’autres encore plus anciennes telles que Tombouctou qui étaient déjà de grands centres urbains et lieux d’attraction du fait des réseaux de commerce, d’échanges culturelles et de salons du savoir, seul le Nigeria avait une tradition urbaine en Afrique de l’Ouest pendant la période précoloniale avec les cités Yorubas.

[3] Cf. Catherine Coquery-Vidrovitch, Histoire urbaine africaine : bilan, New York, Cambridge, University Press, 2008.

[4] M.Young et P. Willmott, Le village dans la ville, Paris, Centre de création industrielle, 1983.

[5] Jean-Marc Ela, Innovations sociales et renaissance en Afrique noire. Les défis du monde d’en bas, Paris, LHarmattan, 1998.

[6] Kengne Fodouop, Les petits métiers de rue et l’emploi. Le cas de Yaoundé, Yaoundé, Sopecam, 1991.

[7] Yves Pedrazzini et al. « Recherche sur l’espace public africain : des ‘brazzavilles noires’ à l’urban studio of Abidjan », in Jérôme Chenal et al., Quelques rues d’Afrique. Observations et gestion de l’espace public à Abidjan, Dakar et Nouakchott, (Ecole Polytechnique de Lausanne –EPFL-, Laboratoire de sociologie urbaine –LASUR-, 2009, 17-32.

[8] Séne I., « Colonisation française et main-d’œuvre carcérale au Sénégal : De l’emploi des détenus dans les campus pénaux sur les chantiers des travaux routiers (1927-1940) ». French colonial history 5, 2004, p.153-72.

[9] Laurent Fourchard, « Lagos and the invention of Juvenile Delinquency in Nigeria, 1920–60 », The Journal of African History, 2005.

[10] R. Watson, Civil Disorder is the Disease of Ibadan : Chieftaincy and Civic Culture in a Yoruba City, Oxford, James Currey, 2003.

[11] Albert O. Hirschman, Défection et prise de parole, 1970, trad. fr. 1972, rééd. Fayard, coll. « L'espace du politique », 1995.

[12] Jean-Marc Ela, La ville en Afrique noire, Paris, Karthala,  1983. L’auteur insiste sur l’historique, l’avènement de la ville en Afrique noire et surtout sur ce qu’il appelle la « villagisation » stratégique des villes.

[13] Charlotte Boisleau, Violences, sécurités et territoires, transformations urbaines à Bogota et Barcelone, Thèse de doctorat au Laboratoire de sociologie urbaine –LASUR- de l’école polytechnique fédérale de Lausanne. 

bally_frederic

Nature : une (géo)politique urbaine

Bally Frederic, ​Doctorant en sociologie,

​Université Savoie Mont-Blanc,

frederic.bally@univ-smb.fr

 

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Introduction

Ce texte vise à se saisir de la nature comme d’un enjeu politique et géopolitique dans un contexte urbain. En effet, la verdure urbaine est aujourd’hui l’objet de nombreuse convoitise et de lutte autant de perceptions que d’appropriation d’espaces. Les citoyens, ressentant un manque de nature en ville, et un besoin d’agir, mettent en œuvre une diversité d’actions que nous mettons ici en avant et qui posent les jalons de potentielles villes du futur. 

Le propos s’articulera en trois temps : nous présenterons rapidement le contexte environnemental de notre terrain de recherche, la ville de Lyon, puis nous étudierons trois initiatives citoyennes actives, leur construction et leurs impacts, pour enfin centrer le propos sur le Soft Power environnemental, et la force de la nature pour l’environnement urbain. L’enjeu étant de proposer une lecture géopolitique de la nature en milieu urbain.

 

  1. Contexte Lyonnais : contexte global et politiques locales

  1. Développement durable : la force d’une notion

À la suite du rapport Meadows, de la conférence de Stockholm des Nations Unies et du rapport Brundtland, la notion de développement durable émerge et consacre une prise de conscience globale de l’environnement, entérinée par la conférence de Rio en 1992. Une notion forte, mais qui fait l’objet de nombreuses critiques, notamment sur sa prise en compte de la croissance économique (Zaccaï 2002) (Buclet 2011). La charte d’Aalborg en 1994 vient mettre en avant le rôle des villes dans le développement durable, signée notamment par 200 villes européennes (Verhage and Leroy 2015).

Cette intégration du développement durable dans les agendas urbains va contribuer à modifier – lentement – l’organisation et l’aspect des villes. Dans un même temps, les aspirations des individus vivant en ville se tournent vers un désir de nature : une nature domestiquée par l’homme, qui a notamment fait son apparition en ville avec les jardins et parcs urbains du 19ème siècle. Dans le champ psychologique par exemple, on constate de plus en plus les apports de la nature sur le fonctionnement humain (Roszak, 2001), tandis que les champs des sciences dures ou naturelles viennent informer la manière dont cette nature permet de contrer des effets de la pollution et réduire ainsi l’empreinte écologique des villes. On redécouvre également sa beauté, son calme, ses bienfaits et donc la nécessité de la préserver (Bailly, 2012) , voire de la ramener dans les villes, après une « métropolisation subie ».

 

  1. Particularités et aménités environnementales du territoire lyonnais

La ville de Lyon bénéficie d’une situation particulièrement privilégiée au vu de sa proximité de la nature. Ainsi, les espaces naturels, agricoles, et paysagers occupent près de 45% du territoire de l’agglomération et permettent de conserver des zones de loisirs vertes et de garantir la pérennité d’une agriculture périurbaine. La ville est également traversée par le Rhône et la Saône, qui délimitent son hypercentre et permettent de disposer de trames bleues.

La communauté urbaine de Lyon a été créée le 31 décembre 1966, par décret de l’État. Située à la confluence du Rhône et de la Saône, elle regroupe notamment 59 communes sur le territoire lyonnais, pour 1,3 million d’habitants, soit 80% de la population du Rhône. À seulement 2 heures de Paris en TGV, la Métropole de Lyon a volonté de devenir une vitrine française européenne du développement urbain, avec un marketing territorial particulièrement fort incarné par la marque « Only Lyon » (Dumont 2013). La métropole et les villes se sont engagées dans une gestion durable des espaces verts avec des méthodes alternatives aux produits phytosanitaires  comme l’introduction d’insectes prédateurs, la végétalisation avec des plantes couvre-sols ou encore la récupération des eaux de pluie depuis 2004.  

La Métropole propose ainsi 12 000 hectares d’espaces naturels, avec 14 grands parcs, et 200 km de sentiers nature. Le plus emblématique de ces espaces est le parc de la Tête d’Or, qui couvre 105 hectares et abrite notamment un parc zoologique et un jardin botanique. Il fut l’un des premiers à adopter une Charte pour la nature en 2000. Ceux de Gerland, des Hauteurs et des Berges comptent également parmi les plus importants d’un réseau de 1200 points végétalisés. Le développement de la nature en ville est régi par la Charte de l’Arbre, qui résume les visions, principes et axes de recommandations pour une dynamique paysagère commune entre tous les acteurs du territoire. Cette gestion de la nature sur le territoire prend d’autant d’importance que Lyon est plus généralement associée à l’urbain, aux quartiers où se mêlaient historiquement industries et habitations (Saunier 1994).

 

  1. Les initiatives citoyennes : histoire et naissances

Face à une démocratie représentative en crise (Rosanvallon 2006), et une perception de risques non pris en compte (Bally 2015) malgré le contexte global et local volontaire en matière d’environnement, les acteurs citoyens mettent en œuvre des actions pour placer la nature au centre de la ville et de la vie. Des initiatives citoyennes environnementales se constituent et se généralisent : nous entendons par initiatives citoyennes des mouvements, partant de la société civile, bottom-up, qui inventent sur le territoire des solutions qui incarnent l’écologie, le développement durable au quotidien. Ces groupements sont le plus souvent associatifs, mais peuvent être également informels. Nous allons voir, en analysant différentes initiatives, les ressorts d’un tel engagement : un besoin de nature en ville, une volonté de réappropriation des espaces, une perception de risques environnementaux et d’une certaine morosité du monde urbain (Augoyard 1979).

 

  1. Les Incroyables Comestibles

Les Incroyables Comestibles est un mouvement né à Todmorden, Royaume-Uni, en 2008, sous l’impulsion de trois citoyennes, comme expérience d’autosuffisance alimentaire. L’enjeu est de transformer les espaces publics, à la fois pour donner plus de place à la nature, et pour réintégrer au centre-ville des espaces de production, afin de lutter autant contre la crise économique et réagir face à la crise environnementale. Cette émergence, et ce succès rendent compte de l’importance des préoccupations alimentaires dans certaines villes (Roig 2015) désindustrialisées des pays développés. Si ce mouvement Incredible Edible a atteint aujourd’hui 60 villes de France, peu ont pour l’instant enclenché, comme la ville d’Albi en 2014, un plan de basculement vers une autosuffisance alimentaire.

 

Les actions du collectif en France et dans le monde passe aussi par d’autres petites touches :  s’approprier les délaissés et les interstices urbains afin d’y implanter des parcelles potagères qui restent en libre accès pour les passants (Herman, 2010) par exemple, ou poser des bacs de plantes, de fleurs, ou d’herbes alimentaires : des espaces jardins accessibles à tous pour encourager à la fois les bonnes pratiques alimentaires et le partage.

Potagers urbains des Incroyables Comestibles

Source : Incroyables Comestibles.

Ces différents aménagements peuvent être vus comme des jardins de rue (C. Scribe, 2009) : des jardins hors-sol, qui ont pour rôle d’accompagner et de partager les voies urbaines très prégnantes. Ainsi, l’enjeu n’est plus seulement alimentaire, mais est également de renaturaliser les quartiers, avec des touches de verdure parmi la morosité perçue de l’urbain. 

 

  1. Guérilla Gardening

Au début des années 1970 à New York, une militante développe la bombe à graines, Seed Bomb, véritable symbole d’une volonté de réappropriation de l’espace urbain par des actes de désobéissance civile. L’enjeu était de remplir des boules de Noël de graines de fleurs et plantes, pour les lancer sur les terrains vagues, fermés et inoccupés, telle une grenade par-dessus une palissade. Arrivé en 2011 à Lyon, ce collectif cherche à amener des touches de nature en ville par ces bombes à graines naturelles, et par des tags végétaux;

Tags végétaux des Guerilla Gardening

Source : Pinterest Guerrilla Gardening

Là encore, ces formes d’aménagements peuvent être vu comme des micros implantations florales (C. Scribe, 2009) qui prennent place ci sur le moindre interstice vert urbain.

 

  1. Les jardins partagés

Toujours au début des années 1970, la ville de New York, en pleine crise économique, subit à la fois une dépopulation grandissante et le départ de nombreuses entreprises : les terrains vagues sont en augmentation constante et des petits collectifs d’habitants décident d’aller plus loin que les bombes à graines en aménageant ces terrains, en les entretenant, afin d’en faire des jardins accessibles à tous. L’enjeu est autant de retrouver la nature que de lutter contre des espaces ouverts à la criminalité, faisant fuir les habitants et gens de passage. Ce type de jardins communautaires arriveront fin des années 90 en France, sous le nom de jardins partagés.  

 

Sur le territoire lyonnais, on compte une cinquantaine de jardins partagés, qui se configurent ainsi de manière très différente des autres formes de jardinage urbain : ils présentent différents espaces organisés de manière collective. Tout ou presque est fait pour favoriser les interactions et l’expérimentation. On trouve notamment un espace de jardinage qui reste collectif, c’est-à-dire que tout le monde peut y mettre sa graine, en fonction de ses aspirations, mais aussi de ses compétences. On trouve également un espace d’expérimentation, où les jardiniers font planter des fruits, légumes qui ne poussent normalement pas dans la région, ou dont ils n’ont pas la maitrise du processus de production, un espace plus décoratif, avec des fleurs, ou de la nature sauvage et un espace détente et convivialité;

Jardins partagés

Source : Frédéric Bally

Ces jardins offrent la possibilité pour des habitants d’être au contact de la nature, de participer à la vie de leur quartier et d’une communauté. Ces hyper-lieux (Lussault 2017) peuvent aussi être perçus comme moteur d’une citoyenneté, à rebours de celle attendue par les pouvoirs publics, qui remet en cause la société de consommation, les choix politiques en matière d’environnement ou en matière d’aménagement urbain notamment. Ils deviennent des lieux de création, d’échanges, de passage, de transmission, de contestation (Schmelzkopf, 1995), mais aussi des paysages urbains à part entière. Plus globalement, les initiatives citoyennes étudiées ont des effets sur la ville et sur certains quartiers : elles proposent des aménités paysagères dans le cas des jardins, des touches de verdures pour harmoniser l’urbain qui ont des effets positifs sur la régulation de la chaleur notamment (Clergeau 2012). Elles participent ainsi à l’offre de services écosystémiques (Clergeau 2015) du territoire, avec également des formations à destination des plus jeunes, pour une sensibilisation à la nature et à ses cycles, et co-construisent donc le territoire urbain avec la ville (Bally 2016).

 

  1. Un Soft Power environnemental ?

  1. Le soft Power des initiatives citoyennes

Si la protection de l’environnement est une cause universelle, elle ne fait pas encore consensus chez tous. Nous posons l’hypothèse que la nature et le concept de développement durable produisent un soft Power environnemental : c’est à dire l’imposition de valeurs, leurs généralisations, de manière douce, passive. Ces initiatives citoyennes, rencontrées et étudiées ici, jouent particulièrement de ce soft Power pour se généraliser dans différentes sociétés. Les jardins partagés se sont ainsi propagés, à partir des années 70, dans tout un ensemble de sociétés modernes, sans pourtant qu’il n’existe de véritable modèle, ou de mouvement global. Ce sont des valeurs, de sensibilité à la nature, à la biodiversité, d’une certaine citoyenneté, des idées de réappropriation d’un droit à la ville (Lefebvre 1968) (Schmelzkopf, 2002), de piratage de l’espace et de contestation (Schmelzkopf, 1995). Ces espaces permettent d’incuber des citoyens et de produire, de reproduire ces valeurs (Welsh & MacRae, 1998). Ce type de jardin se retrouve par exemple au Canada, en Angleterre, en Hongrie.

Le mouvement des Incroyables Comestibles s’est lui aussi propagé au niveau mondial, avec pas moins de 700 groupes dans différents pays comme les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Australie ou encore le Japon. Leurs actions symboliques, leur Slogan « Food to share », et leurs différentes apparitions dans les médias leur permettent de séduire de plus en plus de personnes. Guérilla Gardening est également présent dans une trentaine de pays, avec son esthétique de la nature en ville.

Il faut cependant souligner les limites de ces initiatives à une généralisation : elles sont marquées notamment par un fort Turn-Over, une incertitude vis-à-vis de leur avenir[1] et des tensions internes.

 

  1. La nature au fondement d’un nouvel ordre urbain ?

La nature joue déjà un rôle très important dans la mise en avant d’un territoire (Devaux 2015), dans une société où les territoires sont en concurrence extrême pour attirer des touristes, mais aussi des travailleurs. Il faut séduire les futurs habitants potentiels. C’est également le moyen de mettre en avant les acteurs politiques qui ont joué un rôle dans le développement de cette vision de l’urbain : la nature devient ici un enjeu de pouvoir et de Marketing (Rosemberg 2000). Comme le symbolisent très bien les écoquartiers, qui ont permis de faire reconnaître certaines villes comme Malmö, Fribourg en Allemagne, Grenoble également.

Autre exemple, la renaissance de la ville de Détroit, par un certain nombre d’initiatives citoyennes mettant au centre la nature en ville, et notamment les jardins partagés et l’agriculture urbaine. Ici, la nature joue également un rôle dans le pouvoir d’attraction des villes. Enfin, les Incroyables Comestibles ont permis à la ville de Todmorden de devenir un lieu de passage incontournable pour les amateurs de nature en ville, et pour ceux qui désirent reproduire l’expérience localement.

Dans le contexte actuel, où l’on tente de penser et de créer le modèle futur des villes, comme les Smart Cities, les Green Cities ou les Sustainable Cities, notamment en pensant prioritairement au bien-être de la population, la nature va jouer un rôle primordial. Elle a par exemple pleinement fait partie du storytelling de Stockholm, ville qui a construit son image de ville nature, depuis une quinzaine d’années (Mohnike, 2010). De même pour la cité-État de Singapour, qui, de par ses aménagements urbains et la mise en place de technologies pour économiser l’énergie au quotidien, s’impose lentement comme une ville verte[2].

 

Conclusion

La nature se trouve aujourd’hui au cœur des enjeux du futur, pour rendre les villes à la fois belles, attractives, dynamiques, viables et pour favoriser le bien-être de ses habitants. Elle est devenue un véritable enjeu de lutte géopolitique, à la fois au niveau mondial, avec une lutte pour les ressources naturelles, et à la fois dans le milieu urbain avec des visions citoyennes, et politiques qui se confrontent, parfois se rejoignent, pour construire les villes de demain. 

[1] Les jardins partagés ne savent souvent pas si leur convention d’occupation, valable une année, sera renouvelé ou si le terrain va être utilisé par la ville pour autre chose.

[2] « 3 Ways Singapore models Green city living » : http://mashable.com/2016/03/07/singapore-urban-sustainability/#GmB6JsKiguqj

Bibliographie 

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BALLY, Frederic, “Appropriation de L’espace Urbain Par Les Acteurs Citoyens : Le Capital Environnemental Au Prisme Des Valeurs Citoyennes.” Limoges, Conférence au colloque Capital environnemental : représentations, pratiques, dominations, appropriations spatiales, 2015, 15p.

BALLY, Frederic. 2016. “Quels Impacts Perceptibles Pour Les Services Écosystémiques Coproduits Sur Le Territoire de Lyon ?” Colloque international presented at the Services écosystémiques : apports et pertinence dans les milieux urbains, Tours.

BUCLET, Nicolas, Le territoire, entre liberté et durabilité. 1 vols. Paris, France, Suisse: Presses universitaires de France, 2011, 213 p.

CLERGEAU, Philippe, “Services écologiques et Trame Verte Urbaine.” VertigO - la revue électronique en sciences de l’environnement, no. Hors-série 12, May 2012. https://vertigo.revues.org/11834.

CLERGEAU, Philippe, “La biodiversité au coeur de la cité.” Les Grands Dossiers des Sciences Humaines, no. 40, December 2015, p. 13–13.

DEVAUX, Camille, L’habitat participatif: de l’initiative habitante à l’action publique. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2015, 396 p.

DUMONT, Gérard.-François, “Lyon : la revanche d’une métropole ?” Population & Avenir, no. 712, april 2013, p. 3–3.

LEFEBVRE, Henri, Le Droit à la ville. Paris, France: Éditions Anthropos, 1968, 164 p.

LUSSAULT, Michel, Hyper-lieux - Les nouvelles géographies de la mondialisation. Paris: Le Seuil, 2017, 320 p.

MOHNIKE Thomas, Raconter la ville dans la nature suédoise. Une forme narrative paradoxale dans les récits identitaires actuels en Suède. In Hajek I., Hamman P., Lévy J.-P. (dir.), De la ville durable à la nature en ville, Presses Universitaires du Septentrion, 2015, p. 193-209.

ROIG, Jonathan, “Les Incroyables Comestibles dans les villes du nord de l’Angleterre.” Pour, no. 224, april 2015, p. 111–117.

ROSANVALLON, Pierre, La Contre-Démocratie: La Politique À L’âge de La Défiance. Les Livres Du Nouveau Monde. Paris: Seuil, 2006, 345 p.

ROSEMBERG, Muriel, “Le marketing urbain en question production d’espace et de discours dans quatre projets de villes.” Paris: Anthropos, 2000, 188 p.

SAUNIER, Pierre.-Yves, “Représentations sociales de l’espace et histoire urbaine : les quartiers d’une grande ville française, Lyon au XIXe siècle.” Histoire Sociale/Social History vol XXIX, n°57, july 1994 p.23-52.

SCHMELZKOPF Karen, « Incommensurability, land use, and the right to space: Community

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SCHMELZKOPF, Karen, « Urban community gardens as contested space », Geographical review, vol. 85, no 3, 1995, p. 364-381.

SCRIBE, Coralie, « Le jardin partagé, une nouvelle composante du territoire », La Jardinière Partageuse, 2009. En ligne : http://jardinierepartageuse.fr/pdf/le_jp_nouvelle_composante_site_light.pdf

VERHAGE, Roelof, and LEROY, Marie, “‪Développement urbain durable : Comment apprendre des expériences d’écoquartiers ?‪.” Géocarrefour 89 (4), 2015, p. 235–245.

Welsh, Jennifer, and MacRae, Rod, « Food Citizenship and Community Food Security Toronto, Canada », Canadian Journal of Development Studies, Vol. 19, no 4, 1998, p. 237-255.

ZACCAI, Edwin. 2002. Le développement durable: dynamique et constitution d’un projet. 1 vols. Bruxelles, Belgique, 2002, 358p.

 
 

Populations urbaines, populations rurales

Pierre Bréchon,

professeur émérite de science politique, Sciences po Grenoble/PACTE

 

On a longtemps opposé les représentations de la ville, lieu de modernité et de progrès, au rural qui serait lieu de traditions et de conservatismes. Et cette distinction avait un certain sens, même si les villes et les campagnes comportent depuis longtemps des diversités (il y a plusieurs types d’urbanité et de ruralité). Avec l’extension des espaces urbains vers des campagnes « rurbanisées », avec la mondialisation des échanges qui travaillent les cultures traditionnelles, les populations urbaines ont-elles gardé des spécificités par rapport aux populations rurales ? Spécificités qui pourraient être sociodémographiques mais surtout culturelles, selon les valeurs et représentations que l’on peut observer dans la population.

 

La question a encore été posée récemment et de façon polémique par Christophe Guilluy[1]. Pour lui, les catégories populaires ont été obligées de migrer vers les périphéries, alors que la bourgeoisie et les classes « boboisées » occupaient le centre des villes et les populations immigrées les quartiers où est concentré l’habitat social. Le tempérament protestataire des « petits blancs » serait donc condensé dans les périphéries urbaines, lieux où se concentrerait la défiance à l’égard de toutes les autorités. Ces catégories populaires y développeraient une orientation identitaire, valorisant les valeurs traditionnelles et celles d’un monde replié sur lui-même où le Front national ferait ses meilleurs scores.

 

Des géographes insistent sur l’urbanisation de toute la société française. Il n’y aurait plus vraiment du rural et de l’urbain mais des territoires différentiables par un « gradient d’urbanité ». On pourrait donc mesurer sur un continuum le degré d’urbanité[2]. La mesure peut se compter en densité de population mais aussi en distance entre un territoire et les grandes villes.

 

D’autres géographes ont aussi insisté sur la diversité des territoires[3] qui ne peuvent être seulement identifiés par des densités de population. Il existe des zones rurales très dynamiques, qui tirent profit de la mondialisation et véhiculent probablement des valeurs modernisatrices et d’ouverture à autrui. D’autres sont beaucoup plus attardées économiquement, désertifiées, avec une population âgée ; elles devraient être des lieux de conservation des traditions[4].

 

Certains politologues insistent sur la spécificité de certaines métropoles (baptisées idéopôles) qui concentrent les industries de pointe et les emplois liés aux nouvelles technologies et à la recherche, autour de grandes pôles universitaires[5]. Alors que d’autres grandes villes continueraient à être adossées à des industries traditionnelles, à des fonctions commerciales et administratives.

 

Si les stéréotypes sur la modernité de la ville opposée au caractère traditionnel des campagnes ont la vie dure, il faut rappeler que les études sociologiques ont montré que, dès les années 1980, les jeunes – catégorie qui est censée enregistrer la première les transformations culturelles -  présentaient des profils de valeurs assez semblables, qu’ils résident en ville ou à la campagne. Selon Olivier Galland et Yves Lambert[6],  il restait des différences de modes de vie, les jeunes ruraux étant plus attachés à leur localité, aux sports collectifs, aux fêtes locales et aux bals, au bricolage, au jardinage et à la chasse. Mais les jeunes ruraux ne semblaient pas moins sécularisés que les jeunes urbains, leur conception de la sexualité juvénile n’était guère différente même s’ils semblaient rester un peu plus attachés au mariage et gardaient davantage de relations avec leurs parents. L’explication de ces proximités résidait probablement déjà dans l’existence d’une culture générationnelle générée dans le milieu scolaire faisant se côtoyer de plus en plus jeunes urbains et jeunes ruraux. Plus récemment, Jean-Paul Bozonnet[7], analysant les résultats des enquêtes sur les valeurs des jeunes Européens pour la France de 1990 à 2008, montre que les différences se sont non seulement annulées mais parfois inversées : les jeunes ruraux sont aujourd’hui plus sécularisés que les jeunes urbains, légèrement plus favorables à la permissivité des mœurs, moins confiants aux institutions. Ils restent en retrait par rapport à la dimension politique.

 

Au-delà des générations de jeunes, qu’en est-il des différences de valeurs entre populations urbaines et rurales ? Nous ne prétendons évidemment pas prendre en compte dans nos analyses toutes les théories évoquées ci-dessus pour les valider ou contester. Nous voulons seulement essayer d’éclairer ce que sont les cultures urbaines, opposées à des cultures rurales, à l’aide es données de l’enquête International Social Survey Programme (ISSP), réalisée dans 48 pays, dont la France depuis 1996[8]. Chaque année, l’enquête porte sur une grande thématique socio-politique, répliquée environ tous les dix ans. Nous limitons cette communication à l’analyse des données françaises[9].

 

Parmi les variables sociodémographiques, une question porte sur l’identification du lieu de résidence des individus. Depuis 2005, elle est formulée de la même manière en cinq catégories[10] :

« Vous diriez que vous vivez dans :

  • Une grande ville
  • La banlieue ou les environs d’une grande ville
  • Une ville moyenne ou petite
  • Un village
  • Une ferme ou une maison dans la campagne ».

 Il s’agit d’une auto-déclaration et non d’une donnée objective. De 1996 à 2010, on disposait aussi d’une déclaration (également subjective) sur la taille de la commune/agglomération de résidence[11].

 

La difficile identification des urbains et des ruraux

De premières analyses peuvent être faites sur les logiques de réponse entre sentiment d’habiter dans l’urbain ou le rural  et taille de commune/agglomération (on dispose de ces données pour les années 2005-2010). La cohérence dans les réponses aux deux questions est forte (V=0.53), comme on peut le voir sur les données de 2010 (tableau 1). Tous les habitants vivant dans l’agglomération parisienne se considèrent comme résidant dans une grande ville ou dans sa banlieue et pratiquement tous ceux qui vivent dans une commune de moins de 2000 habitants se considèrent comme des villageois ou des isolés dans une ferme campagnarde. L’identification à une ville moyenne ou petite correspond assez clairement à des tailles entre 10 000 et 100 000 habitants.

 

Tableau 1. Appréhension du lieu de résidence et taille de la commune/agglomération (ISSP France 2010)

Le tableau 2 présente, sur dix ans, la distribution des réponses sur le lieu de résidence urbain ou rural. Environ un tiers de la population se considère comme vivant dans une grande ville ou sa périphérie, un tiers dans une ville moyenne ou petite et le troisième tiers en rural. Mais ces ruraux sont souvent en contact étroit avec la ville : les statistiques de l’INSEE indiquent que 60 % vivent dans des pôles urbains concentrant au moins 10 000 emplois. Beaucoup de communes rurales sont aujourd’hui sous l’influence des villes, une partie importante des résidents y exerçant leur emploi. Cette très forte mobilité entre le territoire du travail et de la résidence pourrait être une clef explicative des faibles différences de valeurs entre populations urbaines et rurales.

  

 

Il n’est pas facile de juger exactement la fiabilité des chiffres ISSP produits puisqu’il n’y a pas de correspondance exacte avec des données de l’INSEE qui sont d’ailleurs conventionnelles[12]. Les marges d’erreur d’un sondage sont évidemment beaucoup plus importantes que celles d’un recensement ; la taille des échantillons ISSP contribue à les déterminer ; la thématique annuelle de l’enquête est plus ou moins mobilisatrice sur les individus sélectionnés et peut aussi modifier quelque peu la composition des échantillons. Surtout la base de sondages utilisée jusqu’en 2010 était la liste téléphonique de France télécom, devenue très rurale[13] et trop âgée avec le développement des autres opérateurs. La comparaison pour 2006 (tableau 3) – avec des catégories semblables jusqu’à 100 000 habitants – montre que les écarts de mesure ne sont pas aussi grands qu’on aurait pu le craindre. Les appréhensions de l’urbain et du rural par les enquêtes ISSP ne sont pas très éloignées de la mesure objective par le recensement.

 

 

Quelles spécificités sociodémographiques ?

Dans un second temps, nous pouvons considérer les différences de composition sociodémographiques de l’urbain et du rural : sont-ils encore très différents (par âge, diplôme, revenus, GSP…), ou a-t-on assisté à un rapprochement ?

Il n’y a aucune différence de genre et, plus étonnamment, presque pas d’âge (V=0.08)[14]. Autrement dit, les villes n’ont pas une population nettement plus jeune que les autres territoires[15]. Les différences sociales sont un peu plus fortes comme le tableau 4 le montre. Notamment plus on vit dans une zone urbaine importante, plus on est diplômé. Le niveau de revenu (pas présent dans le tableau) a un certain impact (les plus hauts revenus étant un peu plus concentrés dans les grandes villes), tout comme le sentiment d’être en haut ou en bas de l’échelle sociale : les habitants de grandes villes se perçoivent davantage comme situés dans le haut de l’échelle sociale. On retrouve ces différences selon les groupes socioprofessionnels. Les maisons isolées concentrent les agriculteurs, les cadres peuplent plus souvent les grands villes et leurs périphéries. Différentes analyses de régression réalisées confirment que, parmi les variables prises en compte précédemment, le niveau de diplôme est le plus significatif, toutes choses égales par ailleurs[16]. Le revenu du foyer semble aussi avoir un certain impact spécifique. C’est en fait les différences de niveau de diplôme qui expliquent les légères différences d’âge, les populations plus diplômées étant plus jeunes.

 

Considérons à présent différentes formes de sociabilité pour y discerner éventuellement des différences selon le lieu de résidence (tableau 5). L’auto-estimation de son nombre de contacts avec d’autres individus au cours d’une journée comporte des différences selon les lieux de résidence. Alors que dans les grandes villes, 60 % estiment avoir au moins 10 contacts par jours, ce n’est le cas que de 34 % des personnes vivant dans une maison isolée. L’urbanité favorise donc la sociabilité mais la relation n’est pas très forte (V=0.09) et surtout pas régulière.

 

Deux questions permettent de construire une échelle de confiance à autrui[17]. Il n’y a pas de relation entre confiance et appartenance territoriale (V=0.06), ce qui est très étonnant puisqu’on considérait traditionnellement qu’on se faisait plus facilement confiance dans les sociétés urbaines riches que dans les sociétés rurales (plus verticales où on ne fait confiance qu’à celui qu’on peut situer, dont la famille est repérée)[18].

 

L’enquête permet de construire une échelle de participation collective à travers une batterie de 5 items (participer à un parti politique, un syndicat, une Eglise, une association sportive, culturelle ou de loisirs, une autre association)[19]. Là encore, on n’observe pas de logique géographique claire dans les engagements collectifs (V=0.09). La participation associative et citoyenne ne semble donc pas plus élevée en ville que dans le rural, ce qui constitue un résultat assez inattendu[20].

 

Si on considère à présent deux variables globales d’orientations de valeurs dans le domaine religieux et politique, on n’observe toujours pas de différence forte (tableau 6).

 

Selon des images souvent véhiculées, les villes seraient des territoires fortement sécularisés alors que les zones rurales seraient restées beaucoup plus religieuses[21]. On voit qu’il n’en est rien. Les relations existent mais sont modestes (V=010). La présence des autres religions est beaucoup plus forte dans les grandes villes et leur banlieue du fait de l’implantation privilégiée des populations originaires de l’immigration dans ces zones[22].

Sans être étroits, les liens entre type de territoire et orientation politique existent aussi. Les populations urbaines sont un peu plus orientées à gauche que les populations rurales, qui sont à la fois un peu plus à droite et qui semblent surtout plus distantes de la politique (% de sans réponse).

Venons-en à notre objet principal, les attitudes des urbains et des ruraux, en particulier sur les  thématiques de 2014 (citoyenneté et politique), 2013 (identité nationale et xénophobie), 2012 (famille et répartition des rôles), 2011 (santé). Au-delà de l’urbain et du rural, peut-on distinguer des spécificités au sein même des villes, entre habitants des grandes villes, de leurs périphéries, des villes moyennes ou petites ?

 

Citoyenneté et politique

Le tableau 7 montre des différences importantes dans le degré d’exposition aux nouvelles politiques dans les médias (V=0.11)[23]. Les personnes habitant dans les grandes villes suivent beaucoup plus fréquemment les informations politiques que les personnes de la périphérie ou des plus petites villes. Les ruraux, surtout vivant dans des maisons isolées, restent encore nettement plus en retrait des informations politiques.

 

Le tableau 7 montre aussi des différences très sensibles dans le degré de politisation[24]  (V=0.15)[25]. On est nettement plus politisé dans les grandes villes que dans les zones rurales.

 

Considérons enfin un indice moins classique (à droite du tableau 7), visant à mesurer la valorisation plus ou moins forte de la citoyenneté[26]. L’idéal du citoyen y est beaucoup plus exigeant et multidimensionnel en ville que dans le rural. Mais on peut aller plus loin dans l’analyse en distinguant deux types de valorisation de la citoyenneté, une citoyenneté qu’on peut qualifier de conformité et une citoyenneté marquée par de l’engagement et des attitudes critiques[27]. La valorisation de la citoyenneté de conformité est forte partout, aussi bien en milieu urbain que rural. Par contre des différences sensibles existent pour la citoyenneté de critique et d’engagement, cette citoyenneté plus active étant beaucoup plus développée en milieu urbain que rural. Le phénomène est confirmé lorsqu’on considère le potentiel d’action politique, plus développé dans les grandes villes qu’ailleurs. On observe aussi que la confiance aux hommes politiques est moins mauvaise en ville alors que le rural est plus méfiant à l’égard des élites. L’image de l’administration est également meilleure en ville. Et les jugements sur le fonctionnement de la démocratie sont aussi moins négatifs en ville que dans le rural. On dégage ainsi des différences non négligeables de valeurs politiques selon les milieux de vie : les villes sont à la fois moins pessimistes à l’égard de la politique et davantage prêtes à une citoyenneté active alors que les milieux ruraux semblent davantage se limiter au pessimisme à l’égard des élites et des institutions. Mettre le tableau ?

 

Identité nationale et xénophobie

Le module 2013 permet d’étudier l’impact du lieu de résidence sur des attitudes politiques plus précises, touchant à l’identité nationale et à la xénophobie. Nous considérons dans le tableau 8 quatre attitudes centrales mesurées chacune par plusieurs indicateurs. Le nationalisme (identitaire) correspond à une question permettant d’identifier quelles sont les caractéristiques qui permettent de reconnaître un vrai Français[28]. Plus on trouve important un grand nombre de marqueurs de l’identité française, plus on valorise le nationalisme identitaire.

 

Une deuxième échelle concerne la perception des immigrés[29]. La troisième dimension de synthèse mesure le très fréquent rejet de la mondialisation économique[30]. Enfin le degré d’attachement ou de rejet de l’unification européenne est appréhendé à travers quatre questions sur le bénéfice que la France retire de son appartenance à l’Union européenne[31], sur l’obligation de suivre les décisions de l’Union[32], sur la répartition des pouvoirs entre gouvernements nationaux et Union[33], et sur l’intention de vote à un référendum sur le maintien du pays dans l’union (alpha=0.70)[34].

 

Ces quatre échelles se trouvent en fait assez fortement corrélées entre elles (V de Cramer entre 0.18 et 0.40). Plus on est nationaliste, plus on est aussi réticent à l’égard des immigrés, moins on est favorable à la mondialisation économique et au processus d’unification européenne. Il est donc assez normal de trouver le même type de relations entre ces variables et le lieu de résidence (tableau 8). Le fait de vivre en milieu urbain se traduit par un moindre nationalisme identitaire, une vision moins négative des immigrés, une attitude également moins négative à l’égard de la mondialisation économique et de l’Union européenne.

 

Villes et milieux ruraux, même s’ils sont pluriels, ne sont donc pas sans spécificité en matière de valeurs d’ouverture et de fermeture. Les villes défendent davantage les valeurs d’ouverture et les campagnes les valeurs fermées. Mais ceci ne se traduit pas de manière massive dans le vote (tableau 8 bis) contrairement à ce qu’un Christophe Guilluy a pu soutenir (60 % de la population et les ¾ des classes populaires vivraient dans les périphéries à l’écart des villes mondialisées. Ce qui expliquerait que le vote protestataire FN y soit très fort). Cette forte surreprésentation du FN en rural ou la périphérie des villes ne semble pas confirmée. Tout dépend en fait de la composition sociale des communes. Les périphéries populaires (avec beaucoup d’ouvriers) sont souvent le lieu d’un fort vote FN alors que les périphéries fortunées résistent.

 

 

Famille et répartition des rôles masculin et féminin

Ce module ISSP de 2012 permet d’abord de préciser la structure familiale dans les différentes zones géographiques (tableau 9). Dans les grandes villes et leurs banlieues, le statut familial est beaucoup moins régulé par le mariage, l’union libre est plus développé et les personnes qui n’ont ni conjoint ni partenaire régulier (les « hors couples ») sont aussi plus nombreuses[35]. Il y a donc dans le contexte des grandes métropoles une diffusion des pratiques du libéralisme culturel (dont on verra ci-dessous qu’elle ne se retrouve que partiellement dans les valeurs), alors que le milieu rural reste davantage structuré par les familles traditionnelles. Les couples y ont une durée de vie plus longue, le nombre moyen de personnes par famille est plus élevé.

 

Il faut noter que la distanciation par rapport au mariage dans les villes n’a pas d’effet sur  le nombre d’enfants au foyer, qui est identique, quelle que soit la localisation géographique. Le nombre idéal déclaré d’enfants est même un peu plus élevé dans les grandes villes.

 

 

Concernant les valeurs familiales (tableau 10), un indice de soutien ou d’opposition au mariage[36] montre que les opinions ne sont pas véritablement plus favorables en zone rurale (le croisement de l’indice avec notre variable dépendante n’est pas significatif). Si le mariage est une situation plus fréquente en milieu rural qu’en ville, il n’est cependant pas considéré comme une situation  nettement meilleure. Un certain relativisme sur les différentes formes de famille hétérosexuelle semble s’imposer et être reconnu aussi bien dans les villes qu’en milieu rural[37]. Par contre les couples homosexuels[38] restent moins bien considérés dans les petites villes et en milieu rural.

 

La conception des rôles masculins et féminins[39] est moins égalitaire dans les zones rurales ou faiblement urbanisées. Au-delà des rôles idéaux, la réalité des tâches ménagères et de soins aux membres de la famille incombe beaucoup plus fréquemment aux femmes qui y consacrent plus de temps que les hommes. Avec des écarts sensibles selon les zones de résidence : les femmes vivant dans une grande ville déclarent passer en moyenne 26 heures pour le travail ménager et les soins familiaux, alors que dans les petites villes et en zone rurale, elles en passent 33 heures. 

 

Un autre indice (colonne de droite du tableau 10) permet de mesurer comment le travail salarié de la mère de famille est évalué[40]. Généralement considéré comme positif, le travail féminin est davantage valorisé dans les grandes villes et leurs banlieues.

Les pratiques et conceptions familiales sont donc quand même en partie clivées selon les milieux de résidence.

 

Santé

Le module 2011 sur la santé aborde des questions un peu plus spécifiques que les autres, il est moins axé sur des valeurs générales mais plutôt sur la santé objective des individus et sur la manière dont ils considèrent le système de santé. Les différences introduites par le lieu de résidence sont plus faibles que pour les autres thèmes abordés.

 

Les individus ont une perception très positive de leur santé. 26 % la jugent excellente ou très bonne, 54 % bonne et seulement 19 % pas très bonne. Le tableau 11 montre une très légère relation avec le lieu d’habitation : la perception est meilleure en ville qu’à la campagne, mais cela a toutes chances d’être un effet d’âge, les jeunes ayant une appréhension plus positive de leur santé que les personnes âgées. Autrement dit, le fait d’être plus éloigné des structures sanitaires ne génère pas une perception plus négative de sa santé. Il est difficile de savoir si celle-ci est objectivement moins bonne ou meilleure. On découvre seulement une légère surreprésentation des personnes en surpoids[41] dans les petites villes et en rural par rapport aux agglomérations. Et il y aurait très légèrement plus de ruraux disant avoir un problème de santé grave[42] et éprouvant parfois de la fatigue (physique ou psychologique)[43]. Mais ils ne vont pas davantage voir des médecins que les urbains, ils ne déclarent pas fumer davantage[44], ni ne semblent plus consommateurs d’alcool[45], ils n’ont pas d’activité physique journalière plus importante[46], et ne mangent pas davantage de fruits et légumes[47] ! Enfin, ils ne se sentent pas vraiment moins heureux que les urbains, leur image des médecins est souvent positive, à même niveau que les urbains. Ceux-ci sont légèrement plus positifs dans leur jugement sur le système de santé[48] et confiant dans la possibilité de choisir son médecin[49].

 

Les différences observées  selon le lieu d’habitation – sans être fortes - concernent le niveau des impôts et la médecine alternative (partie droite du tableau 11). Les urbains se déclarent davantage « prêts à payer des impôts plus élevés pour augmenter le niveau des soins médicaux offerts à l’ensemble de la population »[50]. Cette différence est probablement davantage liée au niveau des revenus, plus élevés dans les villes, qu’à une volonté de développement des politiques publiques de santé. Les urbains sont aussi moins séduits par les médecines alternatives que les ruraux. Ces derniers pourraient avoir conservé une plus forte confiance aux médecines populaires traditionnelles.

 

***

 

Après avoir montré que les données ISSP avaient de la solidité pour identifier les milieux urbains et les milieux ruraux, même s’il faudrait pouvoir mieux différentier les différents types d’urbain et de rural, nous avons découvert un paradoxe. Les différences sociodémographiques entre milieux urbains et ruraux étant ténues, on pouvait s’attendre à ne pas observer des différences de valeurs selon les territoires. Or ce n’est pas le cas. Des différences de sociabilité et de valeurs sont assez importantes alors que pourtant beaucoup de ruraux sont « rurbains » et ont de fréquents contacts avec la ville du fait de leur vie professionnelle « à la ville ». L’urbanité se traduit par une plus forte politisation et participation politique, une plus grande ouverture sur le monde, un libéralisme des mœurs plus important. Ces différences de valeurs, qui restent très sensibles dans certains domaines, ne peuvent s’expliquer par la composition sociodémographique des territoires. Il faut donc admettre que les modes de vie continuent d’être différents et que les sociétés urbaines et rurales gardent des spécificités. La vie professionnelle est pour beaucoup partagée entre urbains et ruraux, mais la vie sociale, culturelle et de loisirs l’est nettement moins et pourrait expliquer ces différences qui perdurent.

 

 

[1] Christophe Guilluy, La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires ? Flammarion, 2014.

[2] Jacques Lévy et Michel Lussault, « Périphérisation de l’urbain », EspacesTemps.net , (http://www.espacestemps.net/articles/peripherisation-de-lurbain/).

[3] Voir notamment le site de l’Observatoire des territoires.

[4] Selon une note récente de France Stratégie[4] citée par Daniel Behar, « Inégalités territoriales : aggravation ou changement de nature ? », 25 juillet 2016 (https://the conversation.com/fr), la France peut être découpée en deux grandes zones - la France du Nord et de l’Est (avec les régions Grand Est, Hauts de France, Normandie, Centre Val de Loire, Bourgogne Franche Comté) et la France du Sud et de l’Ouest (autour des régions Nouvelle Aquitaine, Auvergne Rhône Alpes, Bretagne, Corse, Occitanie, Pays de la Loire, PACA). La première serait plutôt en déclin économique, la seconde en croissance (apprécié par l’évolution du PIB par habitant).

[5] Fabien Escalona et Mathieu Vieira, « Les idéopôles, laboratoires de la recomposition de l’électorat socialiste », Fondation Jean Jaurès, 2012 ; « Pourquoi les idéopôles votent-ils encore à gauche ? », www.slate.fr, 2014.

[6] Galland Olivier, Lambert Yves, Les jeunes ruraux, L’Harmattan/INRA, 1993.

[7] Bozonnet Jean-Paul, « Jeunes ruraux : l’inversion des valeurs avec la ville ? », dans Galland Olivier, Roudet Bernard (direction), Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, La documentation française, 2012 (réédition 2014).

[8] Pour davantage d’informations sur la réalisation de l’enquête en France et sur les résultats annuels, voir www.issp-france.fr.

[9] L’enquête française est réalisée par envoi postal auprès d’un échantillon aléatoire tiré sur une liste presque exhaustive des ménages français. Actuellement nous faisons trois relances par courriers. Deux contacts téléphoniques (un au début, l’autre à la fin de l’opération) avec les ménages sélectionnés sont organisés pour inciter à répondre. Ce dispositif permet d’obtenir un taux de retour semblable à celui des enquêtes en face à face (entre 30 et 40 % selon les thématiques annuelles). Voir Pierre Bréchon, Annie-Claude Salomon. Une enquête postale efficace ? Les défis de l'ISSP en France. 8ème colloque francophone sur les sondages, Dijon, novembre 2014 (https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01089408); La qualité des échantillons dans une enquête postale. L'ISSP en France de 1996 à nos jours. 7ème colloque francophone sur les sondages, Rennes, novembre 2012 (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00806935).

[10] Antérieurement, de 1996 à 2004, la question était plus rudimentaire, en trois positions: « Vous diriez que vous vivez dans une zone : rurale, semi-rurale semi-urbaine, urbaine ».

[11] « Combien y-a-t-il d’habitants dans votre commune ou agglomération de résidence ?

                                               - agglomération parisienne.......................................................... 1

                                               - plus de 500 000 habitants......................................................... 2

                                               - entre 100 000 et 500 000 habitants......................................... 3

                                               - de 50 000 à 100 000 habitants.................................................. 4

                                               - de 20 000 à 50 000 habitants.................................................... 5

                                               - de 10 000 à 20 000 habitants.................................................... 6

                                               - de 2000 à 10 000 habitants....................................................... 7

                                               - moins de 2000 habitants............................................................ 8 ».

Cette question est ambigüe puisqu’elle ne fait pas la distinction entre taille de la commune et de l’agglomération et parce que les individus ne connaissent pas toujours la taille de leur commune ou de leur agglomération.

[12] Les communes rurales sont toutes celles qui ne sont pas englobées dans une unité urbaine, celle-ci étant définie par une population agglomérée (qui peut être pluri-communale) d’au moins 2000 habitants. Selon l’INSEE, un habitant sur cinq vit dans une commune rurale sous l’influence de la ville (d’après l’étude de la localisation des emplois). Hors de cette influence urbaine, la population des communes rurales est autour de 5 %. Chantal Brutel et David Levy, « Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010. 95 % de la population vit sous l’influence des villes », INSEE Première n° 1374, octobre 2011 ; Jean-Michel Floch et David Levy, « Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010, Poursuite de la périurbanisation et croissance des grandes aires urbaines », INSEE Première, n° 1375, octobre 2011.

[13] Le tableau 2 montre que le changement d’opérateur en 2011 se traduit dans les résultats : le pourcentage d’urbains augmente de près de 10 points au détriment du rural.

[14] Nous utilisons pour cette partie les données de 2014, les autres années auraient donné des résultats très semblables. A partir de là, les résultats affichés sont redressés sur le sexe, l’âge et les CSP pour corriger les biais d’échantillonnage.

[15] Seul le rural désertifié, éloigné des villes attractives, a une population très âgée (source ?).

[16] Les explications de la plus grande concentration de diplômés dans les villes sont plurielles. On peut au moins citer la proximité des lycées et des universités mais aussi la plus ou moins forte valorisation des études selon les espaces géographiques et les milieux sociaux. Donc les jeunes urbains font plus d’études et trouvent des emplois qualifiés dans les villes. Les jeunes ruraux diplômés tendent à aller dans les villes où sont davantage concentrés les emplois de cadres supérieurs (voir Bozonnet Jean-Paul, « Jeunes ruraux : l’inversion des valeurs avec la ville ? », op.cit.).

[17] L’une demande si les gens sont corrects ou essayent de profiter de vous (4 modalités), l’autre mesure si, d’après l’enquêté, on peut faire confiance aux gens ou si on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres (4 modalités). L’échelle va de 2 à 8. La confiance forte va de 2 à 4, la confiance faible de 6 à 8.

[18] Inglehart Ronald, Culture Shift in Advanced Industrial Society, Princeton University Press, 1990. L’Italie et la France sont des pays où la confiance à autrui a toujours été faible, contrairement aux pays scandinaves.

[19] Pour chaque type d’organisation, on doit déclarer si on est membre actif, inactif, ancien membre, ou si on n’a jamais adhéré. L’échelle globale va de 5 à 20. La participation élevée correspond aux notes 5 à 14, la participation faible aux scores 18 à 20).

[20] Si on veut voir – sur ce tableau 5 - une très légère relation avec l’appartenance territoriale, il semblerait que les villes moyennes et petites soient celles où on se ferait le moins confiance et la participation y serait aussi un peu plus limitée.

[21] Les historiens et sociologues ont souvent mis en doute ces images, montrant notamment la grande pluralité de religiosité dans les zones rurales. Boulard Fernand, Rémy Jean, Pratique religieuse urbaine et régions culturelles, Economie et Humanisme, éditions ouvrières, 1968.

[22] Il y aurait aussi un surcroit de pratiquants à la périphérie des villes et dans les fermes isolées alors que les sans religion seraient surreprésentés dans les villages. Les logiques sociologiques liées à ces relations ne sont pas évidentes.

 

[23] Ce degré d’utilisation des médias « pour s’informer sur l’actualité et la vie politique » est mesuré avec une échelle temporelle (plusieurs fois par jour, une fois par jour, 5-6 fois par semaine, 3-4 fois par semaine, 1-2 fois par semaine, moins d’une fois par semaine) pour quatre supports : télévision, journaux, radios et internet. L’échelle construite va de 4 à 28.

[24] L’indice de politisation comporte trois questions : s’intéresser à la politique (très, assez, peu, pas du tout), parler politique avec ses amis (souvent, parfois, rarement, jamais), essayer de persuader ses amis sur une question politique à laquelle on tient (souvent, parfois, rarement, jamais). Aggloméré, l’indice va de 3 à 12.

[25] Ce n’est guère étonnant puisque la politisation est fortement liée avec la fréquence d’exposition aux nouvelles politiques préalablement prise en compte (V=0.37).

[26] Chacun est invité à définir ce qu’est un bon citoyen.  Pour cela il doit déclarer, pour 9 types d’attitudes, si elles ne sont pas du tout ou très importantes pour définir un bon citoyen, avec une échelle allant de 1 à 7. Les attitudes prises en compte paraissent assez composites : toujours voter aux élections, ne pas essayer de frauder le fisc, toujours obéir aux lois et aux règles, suivre de près les actions du gouvernement, être actif dans les associations sociales ou politiques, essayer de comprendre les raisonnements des gens qui ont d’autres opinions, choisir certains produits pour des raisons politiques, éthiques ou environnementales même s’ils coûtent un peu plus cher,  aider en France les gens moins bien lotis, aider ces mêmes catégories ailleurs dans le monde. L’échelle va de 9 à 63. Malgré la diversité des indicateurs, il y une cohérence assez forte de cette échelle (alpha à 0.73). Plus on a un score élevé, plus  on est un adepte d’une citoyenneté multi-facettes, plus on valorise une citoyenneté exigeante en tous domaines.

[27] Une analyse factorielle entre les neuf indicateurs de citoyenneté fait apparaître un premier facteur (expliquant 33 % de la variance) sur lequel tous les indicateurs sont cohérents et se renforcent. Mais un second facteur (17 % de la variance) oppose les quatre premiers items (toujours voter aux élections, ne pas essayer de frauder le fisc, toujours obéir aux lois et aux règles, suivre de près les actions du gouvernement) aux 5 derniers (être actif dans les associations sociales ou politiques, essayer de comprendre les raisonnements des gens qui ont d’autres opinions, choisir certains produits pour des raisons politiques, éthiques ou environnementales même s’ils coûtent un peu plus cher,  aider en France les gens moins bien lotis, aider ces mêmes catégories ailleurs dans le monde). On distingue ainsi une citoyenneté de conformité et une citoyenneté plus critique et engagée.

[28] « Certaines personnes estiment que pour être vraiment français, il est important de posséder certaines des caractéristiques suivantes. Pour d’autres, cela n’est pas important. A votre avis, pour être vraiment français, est-il important : d’être né en France, d’avoir la nationalité française, d’avoir vécu la plus grande partie de sa vie en France, d’être capable de parler la langue, d’être catholique, de respecter les lois et les institutions françaises, de se sentir français, d’avoir des origines françaises ». Pour chaque caractéristique, l’enquêté peut choisir entre quatre modalités, allant de très à pas du tout important. Une échelle d’attitude est construite en additionnant les scores aux huit indicateurs (alpha=0.78). L’échelle va donc de 8 à 32. Plus on a un score faible, plus on valorise l’identité française. Cette question, qui existait déjà dans l’ISSP en 2003, a été analysée dans Pierre Bréchon, « Le « vrai » français », Futuribles n° 319, mai 2006, p. 43-51 et dans « Des électeurs de droite qui se radicalisent. Le nationalisme identitaire ne gagne pas du terrain en France. C’est uniquement parmi les électeurs de droite qu’il se répand, comme le montre une vaste enquête d’opinion », Le Monde, 8 avril 2015. En fait il y a une légère hausse du nationalisme identitaire mais qui est uniquement due à une progression parmi les personnes orientées à droite.

[29] L’échelle est construite à partir de sept affirmations : « Le pays doit prendre des mesures plus sévères pour renvoyer les immigrés clandestins », « Les immigrés font augmenter le taux de criminalité », « Le nombre d’immigrés venant dans le pays devrait être réduit », « Les immigrés prennent le travail des gens nés dans le pays », « Les immigrés améliorent la société en y introduisant nouvelles idées et cultures », « Les immigrés en situation régulière, mais qui n’ont pas la nationalité du pays, doivent avoir les mêmes droits que les nationaux », « Les immigrés sont en général une bonne chose pour l’économie » (alpha=0.86). Chaque indicateur ayant 5 modalités de réponse, l’échelle va de 7 à 35. Les positions défavorables aux immigrés sont assez différentes selon les indicateurs pris en compte.

[30] L’échelle est bâtie sur trois affirmations : « La France devrait limiter l’importation de produits étrangers afin de protéger son économie nationale », « La France doit défendre ses propres intérêts, même si cela engendre des conflits avec d’autres nations », « Les grands groupes internationaux  font de plus en plus de tort aux entreprises locales en France » (alpha=0.58). Chaque item ayant 5 modalités (de tout à fait à pas du tout d’accord), l’échelle va de 3 (complètement défavorable) à 15 (totalement favorable).

[31] Avec cinq modalités, allant de « Elle en bénéficie beaucoup »  à « Elle n’en bénéficie pas du tout ».

[32] A l’affirmation « La France devrait suivre les décisions de l’Union européenne, même lorsqu’elle n’est pas d’accord avec ses décisions », les enquêtés peuvent répondre selon cinq modalités (de tout à fait à pas du tout d’accord).

[33] Cinq possibilités de réponse, selon que l’on estime que  l’Union européenne devrait avoir beaucoup plus ou beaucoup de pouvoir que les gouvernements nationaux.

[34] Voter pour ou contre le maintien.

[35] A noter cependant que le PACS semble s’être développé de manière assez homogène sur le territoire, du moins selon le critère ici adopté, qui peut masquer des différences régionales.

[36] L’indice est construit à partir de trois questions enregistrant (toujours en cinq modalités) les accords et désaccords avec les affirmations : « Les personnes mariées sont en général plus heureuses que les personnes non mariées », « Les gens qui veulent des enfants devraient se marier », « Il n’y a pas de problème pour un couple à vivre ensemble sans avoir l’intention de se marier » (alpha=0.65). L’échelle va de 3 à 15. Selon cet indice, le mariage ne conserve pas beaucoup de très chauds partenaires.

[37] Notons aussi que la famille monoparentale (« Un seul parent peut élever un enfant aussi bien que les deux parents ensemble ») est légèrement plus souvent acceptée par les résidents des grandes villes et un peu plus souvent rejetée par les personnes vivant dans une maison rurale isolée.

[38] Un indice est construit avec deux question à cinq modalités : « Un couple homosexuel féminin peut élever un enfant aussi bien qu’un couple hétérosexuel » et « Un couple homosexuel masculin peut élever un enfant aussi bien qu’un couple hétérosexuel » (V=0.87). L’échelle va de 2 à 10. Les Français sont en fait partagés sur la question.

[39] Un indice est là encore construit avec deux affirmations : « Le mari et la femme doivent contribuer l’un et l’autre aux revenus du ménage » et « Le rôle d’un homme, c’est de gagner l’argent du ménage ; le rôle d’une femme, c’est de s’occuper de la maison et de la famille » (V=0.27). L’échelle va de 2 à 10. La volonté de rôles égalitaires est très dominante.

[40] Cinq indicateurs fortement liés entre eux (alpha=0.74) y concourent (chacun avec 5 modalités) : « Une mère qui travaille peut avoir avec ses enfants des relations aussi chaleureuses et sécurisantes qu’une mère qui ne travaille pas », « Un enfant qui n’a pas encore l’âge d’aller à l’école a des chances de souffrir si sa mère travaille », « Tout bien pesé, quand la femme travaille à plein temps, la vie de la famille en souffre », « Avoir un travail c’est bien, mais ce que la plupart des femmes veulent vraiment c’est un foyer et un enfant », « Etre femme au foyer donne autant de satisfactions qu’avoir un emploi rémunéré ». L’échelle va de 5 à 25.

[41] Mesuré par l’IMC (indice de masse corporelle), calculé en divisant le poids (en kilos) par le carré de la taille (en mètre). La tendance au surpoids concerne toutes les personnes ayant un IMC supérieur à 25, soit 42 % de la population française d’après l’enquête, 47 % d’après une enquête INSERM de 2012. L’IMC croit avec l’âge, ce qui veut dire que la tendance évoquée au tableau 11 peut être un simple effet d’âge.

[42] Déclarer oui à la question : « Avez-vous une maladie de longue durée, un problème de santé chronique ou un handicap ? ». La très légère différence observée au tableau 11 peut aussi être un effet d’âge.

[43] Un indice a été construit avec six items très corrélés : « Au cours des quatre dernières semaines, combien de fois avez-vous eu des difficultés au travail ou à la maison à cause de problèmes de santé ? », « des maux ou des douleurs physiques ? », « vous êtes-vous senti malheureux et déprimé ? », « avez-vous perdu confiance en vous ? », « avez-vous eu l’impression que vous ne pourriez pas surmonter vos problèmes ? » « avez-vous le sentiment que vos problèmes de santé ont limité vos activités habituelles avec votre famille ou vos amis ? » avec cinq niveaux de fréquence allant de jamais à très souvent.

[44] Le questionnaire distingue les personnes n’ayant jamais fumé, celles ayant arrêté, puis 5 catégories de fumeurs selon le nombre de cigarettes journalières (13 % de la population jusqu’à 10 cigarettes, 11 % au-delà).

[45] Mesuré par le pourcentage de personnes qui déclarent boire au moins quatre boissons alcoolisées la même journée plusieurs fois par mois.

[46] On mesure la fréquence d’ « une activité physique d’au moins 20 minutes, qui vous fait transpirer, ou respirer de façon plus rapide que d’habitude ».

[47] « Combien de fois mangez-vous des fruits et légumes ? », cinq fréquences de jamais à tous les jours.

[48] Echelle de satisfaction, avec sept niveaux allant de tout à fait satisfait à tout à fait insatisfait. On retient ici les  deux premiers niveaux : « tout à fait et très satisfait ».

[49] « Si vous tombiez sérieusement malade, pensez-vous que vous obtiendriez un traitement du médecin de votre choix », réponses « il est certain ou il est probable que je l’aurais ».

[50] Avec cinq modalités de réponses, de tout à fait prêt à vraiment pas prêt.


 [u1]Ajouter à ce tableau le niveau de l'abstention (vote_le) qui devrait être plus fort en ville.

 [u2]On devrait pouvoir calculer un taux de travail féminin pour chaque zone. Celui-ci est-il considéré plus positivement lorsque les femmes travaillent ou pas?

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Globalisation de la ville, localisme des pratiques

Guy BURGEL

​professeur à l’Université Paris Nanterre

 

 

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Au cours du dernier demi-siècle, nous avons connu la plus grande révolution urbaine de l’histoire de l’humanité. De 800 millions de citadins dans les années cinquante du XXe siècle dans un monde habité qui ne dépassait guère les 2 milliards d’individus, la population des villes passe à 3 milliards en 2000, la moitié du peuplement de la planète, à plus de 6 milliards annoncés en 2030-2040 sur un total de 8 à 9 milliards d’humains. Cette croissance dans la croissance fut largement ignorée des meilleurs penseurs (cf. René Dumont, L’utopie ou la mort, Paris, Seuil, 1973, 192 p.). qui étaient angoissés par la crise d’adaptation de vieilles civilisations agraires incapables de faire face à la famine, alors que la crise de la ville devait se révéler bien plus inquiétante.

 

Le basculement des années quatre-vingt s’ajoute à ce bouleversement, dans une conception de l’histoire faite plus de concomitances que de causalités.  1989 avec la chute du mur de Berlin annonce la fin des blocs et de la tripartition du monde de la Conférence de Bandung de 1955.

Et la parution  en 1991 de la Global City de la sociologue américaine Saskia Sassen (Princeton, Princeton University Press, 396 p.) théorise la mondialisation de l’économie et la métropolisation de la gouvernance des entreprises. Leurs logiques généralisent et banalisent les processus déjà mis en lumière : l’économie-monde de l’historien Fernand Braudel (La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949, 1160 p.), les nébuleuses urbaines métropolitaines du géographe franco-américain Jean Gottmann (Megalopolis, the urbanized northeastern Seabord of the United States, New York, A twentieth Century Found Study, 1961, 810 p.), l’urbanisation généralisée de l’architecte visionnaire grec Constantin Doxiadis (Ecumenopolis, Tomorrrow’City, 1968).

 

Le mouvement des idées conforte la conviction de l’uniformisation économique, technologique, sociale et spatiale du monde, assortie de similitudes matérielles, que renforce dans toutes les grandes villes du monde la présence de réalisations architecturales spectaculaires, mais assez identiques, dues aux mêmes signatures internationales starisées: terminaux aéroportuaires, grands hôtels, immeubles de bureaux, musées ou stades. La banalisation des lieux devient alors le pendant de la fin de l’histoire (Francis Fukuyama, The end of History and the last Man, Free Press, 1992, 418 p.). Est-ce pourtant aussi assuré ? Mystification des représentations ou réalité des matérialités urbaines?

 

Vers une unification de la ville

Ce qui justifie d’abord l’idée d’un rapprochement des villes, c’est l’universalité des défis qu’elles affrontent. Ils se ramènent pratiquement toujours à quatre enjeux vertueux : l’efficacité économique, l’équité sociale, l’amélioration de la vie quotidienne, le respect de l’environnement. Ils ne vont pas d’ailleurs sans contradicteurs. La décroissance a aussi ses adeptes, même si l’on ne voit pas très bien comment enthousiasmer avec elle les pauvres des pays du Sud, qui s’impatientent aux portes du développement, ni financer partout la redistribution nécessaire des bénéfices de l’accumulation, et la poursuite heureuse du progrès culturel et scientifique.

 

L’équité sociale – à distinguer de l’égalitarisme – apparaît plus que jamais indispensable dans une époque, qui a vu croître de façon dramatique les inégalités de toutes sortes (cf. Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Paris, Seuil, 2013, 976 p.). Celles qui touchent à l’école, et aux chances données à chacun, notamment dans les nouvelles générations, de valoriser toutes ses potentialités, sont plus encore insupportables que celles qui affectent les revenus ou les patrimoines. Elles engagent l’équilibre mêmes des sociétés urbaines.

 

Si efficacité, matérielle comme immatérielle, et équité sont les premières priorités de la civilisation urbaine contemporaine, où notamment la réussite de l’école est un moyen essentiel, l’amélioration des aménités de la ville est ressentie comme une nécessité du quotidien pour donner un sens immédiat aux stratégies d’avenir. Le logement, la mobilité, les loisirs, culturels ou sportifs, en sont l’expression universelle. Là encore, les détracteurs ne manquent pas, entre ceux qui préconisent, un retour généralisé à la campagne, une « désurbanisation » pour faire pièce aux concentrations urbaines, la slowcity, pour rompre le cercle vicieux d’investissements coûteux et d’une congestion incessante des circulations, ou combattent toute forme de mondialisation, rimant à leurs yeux avec mercantilisation (jeux Olympiques, Expositions universelles).

 

Dernier enjeu commun, le développement durable apparaît plus consensuel. Pourtant, au-delà des « climato-sceptiques », la prise en considération des exigences de la lutte contre le réchauffement climatique peut opposer des tenants de positions idéologiques dures, faisant, par exemple, de la réduction immédiate de la circulation automobile dans les villes une mesure phare, et les partisans d’une ligne plus politique et historique, inscrivant les équilibres environnementaux dans une perspective de longue durée, où sont sollicitées les adaptations et les résiliences constantes des sociétés urbaines.

 

Ces objectifs répandus universellement sont favorisés par la reconnaissance, plus ou moins théorique, de la nécessité de changements de méthodes dans les problématiques de l’urbanisme et de l’aménagement. Le premier est l’affirmation, plus souvent que l’application, d’une stratégie globale pour unir logiquement et chronologiquement les grands enjeux de la ville. Elle remplace, au moins dans le discours des acteurs urbains, des visions sectorisées (le logement, les transports, la culture) ou localisées (l’urbanisme de projets). Même si dans les faits, on le verra avec l’évocation du Grand Paris, cette transformation a du mal à se mettre en place, c’est une révolution des comportements prometteuse à terme.

 

Elle s’accompagne de modifications assez générales dans le positionnement des acteurs de la ville. Un peu partout, la défiance devant la réussite de seules politiques institutionnelles venues d’en haut (top down) fait la place à la participation directe des représentants de la société civile dans des projets plus associatifs des populations (bottom up). Alibi ou réalité, il y a là encore une transformation incontestable et générale des pratiques.

 

Moins visible, mais plus profonde sans doute, s’y ajoute le renversement des rapports entre les territoires et les projets. C’est le résultat à la fois de la recherche d’une stratégie globale et de la fluidité des frontières spatiales, notamment entre ville et campagne, et de l’absence de légitimité des limites administratives correspondantes. Pour caricaturer le propos, au lieu d’avoir une autorité compétente qui élabore un schéma d’aménagement (SDAU) dans un périmètre légal reconnu (municipalité, intercommunalité, région), c’est la nature du projet, par définition variable, qui détermine l’étendue de l’espace d’application, dont la gestion démocratique peut entraîner la création d’une nouvelle institution élective, si aucune des administrations existantes ne correspond au nouveau dessein. C’est ce que j’ai appelé un « territoire institutionnel de projet ».

 

La redécouverte de l’esprit des lieux

Pourquoi ces convergences manifestes dans le destin des villes, notamment des plus grandes, se retrouvent-elles plus difficilement dans leur matérialité et la réussite inégale des politiques urbaines qui y sont suivies ? Dans le courant unificateur de la mondialisation, on avait omis que les villes sont d’abord des constructions sociales, qui s’inscrivent dans des temps et des espaces différenciés. L’oubli des spécificités de ce patrimoine génétique peut être catastrophique aussi bien pour la lecture du récit urbain, que pour l’écriture politique des suites à lui donner. Les tribulations du Grand Paris depuis 2007, quand le président Sarkozy décida d’inscrire un nouvel épisode à cette histoire déjà longue, en fournit une illustration proche et dramatique.

 

L’héritage chromosomique de la capitale française peut se résumer en deux caractéristiques essentielles (cf. Guy Burgel, « Paris : patrimoine génétique d’une capitale », in L’Atlas des villes, Le Monde-La Vie, octobre 2013, pp. 34-35). Contrairement à beaucoup de « villes globales », qui sont des régions métropolitaines polycentriques (New York ou Tokyo), Paris, au sens large du terme, reste une agglomération, dont les anneaux de croissance emboîtés se sont développés au gré de la dilatation d’une monocentralité initiale : enceinte de Philippe Auguste au XIIIe siècle, des Fermiers Généraux au XVIIIe, de Thiers au XIXe (notre actuel Boulevard périphérique), jusqu’aux villes nouvelles au XXe siècle. Cette permanence de dessin et de destin est largement due à la forte présence du pouvoir politique, qui, de dynasties royales et impériales aux Républiques successives, ont imposé leurs rythmes et leurs projets. Paris est largement une capitale d’Etat, de la res publica, plus qu’une cité de la bourgeoisie commerçante ou industrielle.

 

Quand l’histoire politique entre en résonance avec cette « mythologie », la ville trouve un chemin durable dans ses destinées matérielles, paysagères, et même socio-économiques, quelles que soient les incertitudes momentanées et les luttes idéologiques et humaines qu’il est toujours nécessaire de conduire. C’est le cas au milieu du XIXe siècle avec Haussmann, qui s’appuie sur le pouvoir de Napoléon III, pour adapter Paris à l’âge industriel et bourgeois, en transformant d’abord ses quartiers centraux, et en étendant le pouvoir municipal, par l’annexion des communes de proche banlieue (1860).

 

Pendant le siècle et demi qui a suivi, il n’est pas exagéré de dire que l’histoire parisienne a bégayé, suivant en cela les analyses de Gilles Deleuze : « les bifurcations dans l’espace, elles dépendent de quelque chose de plus profond, c’est les bifurcations du temps » (« Vérité et temps », cours du 10 janvier 1984, Université de Vincennes, rappelé par Vincent Lemire, Jérusalem 1900, La ville sainte à l’âge des possibles, Paris, Armand Colin, 2013, 300 p.). Même Paul Delouvrier, fin stratège, qui pouvait compter sur l’appui du général de Gaulle, n’a pas réussi dans son Schéma de 1965, à s’affranchir du maléfice : en choisissant pour des raisons politiques des villes nouvelles périphériques contre le renouvellement de la banlieue industrielle et ouvrière, jugée trop révolutionnaire, il abandonne une partie du génome parisien, et laisse en prime les problèmes contemporains des « quartiers », non résolus à ce jour.

 

Depuis, l’histoire de l’urbanisme parisien n’a fait qu’aller de balbutiements en dysharmonies. Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, Christian Blanc, pourtant investi de toutes les onctions du pouvoir central (il est Secrétaire d’Etat chargé du développement de la région capitale), choisit aussi le parti de créations périphériques ex nihilo, des « clusters » de haute technologie,

chargés de booster la compétitivité, et reliés entre eux par une ligne de métro automatique souterraine à grande vitesse (le « grand huit »). C’était curieusement, pour sauver la ville, la contourner, et lui tourner le dos (Christian Blanc, Paris, ville-monde, Paris, ed. Odile Jacob, 2015, 384 p.). Le projet fit long feu et sombra dans le scandale politique assez minable.

 

Quand par la suite, les élus locaux de toutes tendances reprennent la main pour jouer enfin la seule partition territoriale conforme au génie parisien, l’agglomération centrale dense, c’est pour retomber dans les errements habituels des divisions et des petits calculs politiciens sans avenir. La loi du 1er janvier 2016 sur la Métropole-capitale peut en apparaître la quintessence : un petit « Grand Paris », limité, contre toute évidence des continuités urbaines, aux quatre départements intérieurs de l’Ile-de-France, découpage en 12 « territoires », qui enlève toute légitimité à un projet stratégique métropolitain unique. Plombé par les défaites électorales imprévues, municipales de 2014, sauf à Paris, régionales de 2015, le Grand Paris, coincé entre l’Hôtel de Ville et la Région, est le triomphe des barons, pas de la démocratie urbaine. Une belle idée mort-née, qu’il faudra un jour ressusciter.

 

Mondialisation n’est pas uniformisation

Que retenir de ces analyses plus variées que ne pouvaient le laisser entendre l’ubiquité de la révolution urbaine et la banalisation apparente des genres de vie et des consommations. Non seulement, ce n’est pas la fin des lieux, mais leur retour, pour la compréhension des villes, des identités urbaines, et l’action politique indispensable à  leur avenir et à leur survie sociale. La leçon est que si la globalisation des échanges, l’unification des cultures, malgré la montée des nationalismes et des intégrismes religieux, la financiarisation croissante de l’économie, ne font guère de doute, on ne peut en tirer, ni une impuissance structurelle des politiques urbaines, ni a fortiori leur caractère univoque. Plus que jamais, l’histoire est ouverte aux initiatives et aux incertitudes des sociétés, mais aussi au poids des patrimoines matériels et des héritages culturels de chaque ville. De quoi stimuler les imaginations des chercheurs et les inventivités des citoyens.

 

Orientation bibliographique

Outre les références citées dans le texte, on pourra se reporter utilement aux ouvrages suivants :

Guy Burgel, Pour la ville, Paris, éditions Créaphis, 2012, 144 p.

Guy Burgel, La ville contemporaine après 1945, tome 6 de l’Histoire de l’Europe urbaine (sous la direction de Jean-Luc Pinol), Paris, Points Seuil, 2012, 434p.

Guy Burgel, Géographie urbaine (en collaboration avec Alexandre Grondeau), Paris, Hachette éducation, 2015, 288 p.

Guy Burgel (sous la direction de), Essais critiques sur la ville, Gollion, Infolio, 2015, 528 p.

Guy Burgel, Questions urbaines, La Tour d’Aigues, éditions de l’aube, 2017, 138 p.

 

 

 

 

 

Le défi urbain chinois

Professeur Claude Chancel

 

 

 

Voir la conférence

La Chine est un empire qui est aussi un vieux pays rural, mais dont une de ses composantes essentielles ont été ses capitale historiques : Luoyang, Keifeng, Chang’an, devenue Xi’an, Hangzhou, « la plus belle ville du monde » selon Marco Polo et où s’est tenu le G20 de 2016, Nankin et Pékin… Justement, cette « Capitale du nord » comme son nom l’indique, ville du pouvoir par excellence, est le centre politique et culturel absolu de la Chine. Nous pouvons regrouper nos observations autour de trois rubriques :

I -- De l’Empire  au management territorial

II – Métropoles chinoise

III – L’Empire mondialisé

 

I – De la Chine impériale au management territorial

1 -- Le centre-ville de Pékin, son centre historique, a été conçu selon les règles de la géomancie, le fameux fengshui qui convient aux empereurs, avec cinq orients : le nord est menaçant, car c’est de là que provient l’ennemi nomade et barbare, ainsi que le froid sibérien. Le sud est chaud et avenant, l’est procure de l’énergie, tandis que l’ouest est apaisant. Le centre est le cœur de ville où se croisent, au niveau de la porte Tiannamem, une artère nord-sud de huit km et l’avenue Changan (40 km), la plus longue avenue du monde, construite sous Mao Zedong.

            Si aucune grande voie d’eau ne parcourt la ville,  en revanche, au sud, le temple du ciel est fort symbolique, ce qui est essentiel dans une civilisation du signe : sa base carrée fait référence à la terre, sa partie haute mène au ciel. Jadis, l’empereur y priait et jeunait. Le mandat du ciel lui demande d’assurer la paix et la prospérité sans lesquels, dans le chaos, la révolte de la population peut renverser puis remplacer une dynastie.

            Autour de la Cité interdite, aucune construction ne peut s’élever au-dessus des monuments impériaux. Car il s’agit d’une société très hiérarchisée, impériale, où chacun doit tenir sa place. Depuis Les travaux de mao, puis du temps des réformes, la ville s’est étendue d’un océan d’immeubles cerclés de cinq boulevards périphériques, l’enjeu étant la circulation routière pour relier la ville et ses banlieues.

 

2 – En fait, le défi urbain chinois se confronte à toute l’histoire de la Chine contemporaine :

La Chine fait date (Chancel, 2017) :

1921 : création à Shanghai du Parti Communiste Chinois

1927 : création de l’APL  (Armée Populaire de Libération). « Le pouvoir est au bout du fusil »

1949 : fondation de la République Populaire de Chine

1958 : création du hukou, sorte de passeport intérieur qui attache à son lieu de naissance

1979 : politique de l’enfant unique ou de la « fenêtre démographique »

1989 : répression de la place Tiananmen

2008 : Jeux Olympiques de Pékin

2000 : “go west policy”

2010 : Exposition Universelle de Shanghai « best city, better life »

2012 : pour la première fois, la Chine compte plus de citadins que de ruraux

2013 : une loi rappelle les enfants à leurs obligation filiales

2014 : dans le PIB chinois, les services l’emportent sur l’industrie

2015 : inflexion de la politique démographique chinoise

2017 : la chine au défi de la réforme : 19ème congrès du PCC.

 

On ne peut guère dissocier la politique économique et la politique démographique. En 2010, la Chine comprenait 19% de la population mondiale, mais disposait de 22 % de la population en âge de travailler, ce qui explique l’un des avantages comparatifs de l’économie chinoise pendant ses glorieuses années économiques. Vieux pays rural, le pays va puiser dans ses campagnes les millions de mingong, ouvriers paysans qui lui sont nécessaires dans ses ateliers (« petites mains asiatiques ») et dans  le BTP.

 

3 – Depuis 1978, le schéma des trois Chine s’est renforcé, avec une chine utile et maritime articulée autour des ZES et des métropoles mais saturée et chère, une Chine intérieure, « poumon de la Chine » du temps de Mao, une sorte de Ruhr, cœur du complexe militaro- industriel et les provinces périphériques, essentiellement, le Xinjiang « Nouvelle frontière » et le Tibet « Trésor de l’ouest », riches en ressources multiples et qui donnent au pays toute sa profondeur stratégique. Afin de diffuser la croissance et la prospérité sur l’ensemble du territoire national, cinq gigantesques travaux ont été réalisés :

1 – Le barrage des Trois Gorges, achevé en 20O6 (hydroélectricité, voie d’eau intérieure de Shanghai à Chongqing, conduite des eaux du sud vers le nord) mais à un prix écologique fort discuté.

2 – La politique « go west» à partir des années 2 000, destinée à relancer Wuhan, Xi’an, Chengdu, Chongqing, à la main d’œuvre abondante et moins chère.

3 – la construction, à partir de 2007, du plus grand réseau de TGV du monde destiné à relier entre elles toutes les villes importantes de Chine, devenue un empire du rail réseau de 20 000 km !)

4 – la désignation, en 2010, de 12 grandes agglomérations de Chine (Thierry Sanjuan, 2015)

5 – Le concept OBOR (One Belt, One Road), de nouvelle route de la soie, définie par le président Xi Jinping en 2013 à Astana (Kazakhstan) et à Jakarta (Indonésie)

 

 Le troisième plus vaste pays du monde est ainsi maillé, autour de « hubs », puissantes plates-formes multimodales. « Le réseau des réseaux ne se contente pas de rapprocher, il est source de créativité et de distinctions nouvelles » (Albert Bressand et Catherine  Distler, 1985)

 

II – Métropoles chinoises

1 -- Cette Chine, longtemps sous urbanisée, mais devenue récemment urbaine, regorge d’immenses cités. Elle ne comptait que 9 villes de plus de un million d’habitants en 1957. Elle devrait en compter 143 en 2025 ! Mao  Zedong a gagné le pouvoir en « encerclant les villes par les campagnes ». En 1956 est créé le hukou, qui lie chaque Chinois à son lieu de naissance, ce qui prive le migrant de l’intérieur du même droit dont disposent pourtant ses compatriotes métropolitains, en particulier dans les domaines essentiels du logement, de la santé et de la scolarisation des enfants. En dépit de la question désormais posée, ce passeport intérieur n’est toujours pas supprimé, tandis que l’immobilier est un facteur d’inégalité. La Chine a désormais un coefficient de Gini, significatif de l’écart qui sépare les pauvres des riches supérieurs à celui des Etats-Unis !

 

             Le réseau des métropoles chinoises s’est enrichi et diversifié. Au sud d’abord, des villes comme Nanning et, surtout Kunming, bénéficient des ambitions chinoises en direction des pays de l’Asie du sud-est  (accord de libre échange  Chine ASEAN de 2010) et accèdent au rang de plates-formes multimodales (autoroutes, voies ferroviaires, aéroports tournés vers les pays malais et indochinois).

 

            Au sud est du pays, c’est évidemment Canton, « l’usine de la Chine », « l’atelier du monde » qui polarise depuis longtemps l’intense activité industrielle et commerciale du pays. La ville historique, construite sur le mode traditionnel chinois (quadrillage de rues et de canaux), porte du pays sur l’extérieur (Chancel, 1996) descend vers la mer. Le delta de la rivière des Perles se présente comme une nébuleuse d’où émergent des villes spécialisées dans un type de production, comme Foshan, Dongguan ou Shenzhen (quelque peu à la façon des districts industriels italiens !). Le delta et sa campagne, densément peuplés, espace agricole complètement transformé (du riz aux volailles), est devenu « rurbain », avec des gros bourg, devenus de petites villes.  Il s’agit, de façon typiquement asiatique de desakota, mot d’origine indonésienne, de desa (rural) et de kota (urbain).

 

            C’est à Canton qu’a lieu, deux fois par an, la fameuse foire commerciale devenue la plus importante du monde et c’est à Zhuhai, tout proche que se déroule un important salon aéronautique international. Las Cantonais, très attachés, comme tous les Chinois au pays natal, sont des négociants très doués, des travailleurs acharnés. Quittant leurs collines pauvres, ils constituent une bonne partie de la diaspora et ont fait connaître leur cuisine dans le monde entier. Les Cantonais sont aussi des méridionaux, frondeurs, turbulents, voire rebelles  (proclamation de la République chinoise en 1911), mais c’est ici que le petit timonier Deng Xiaoping a expérimenté « l’économie socialiste de marché » !

 

            Shenzhen, précisément, village chinois de 60 000 habitants encore en 1980, a été la première Zone Economique Spéciale créée par Deng Xiaoping. Jumelée avec département de la Vienne par René Monory (Futuroscope), Shenzhen est devenue, avec plus de 15 millions d’habitants, la quatrième agglomération chinoise, caractérisée par de vastes avenues, d’imposants immeubles et une prolifération d’ateliers de toutes sortes et la ville. La ville nouvelle abrite des entreprises géantes comme  Huawei, ZTE, BYD…

 

            2 -- Au cœur de la Chine, Chengdu, au Sichuan, où tout pousse (riche pharmacopée) et qui a vu naître le billet de banque est, de nos jours, une capitale économique de premier ordre, où investissent de très grandes multinationales étrangères, dont de grands groupes français.

            De cette province, la ville de Chongqing a été détachée en 1997 pour devenir la quatrième ville-province de Chine, après Pékin, Tianjin et Shanghai. En dépit des 35 millions d’habitants de son territoire, elle n’est sans doute pas la plus grande ville du monde, car les statistiques chinoises incluent dans les limites urbaines les campagnes environnantes. A 1500 km de Shanghai, à la confluence du Yangsé et de son affluent, le Jialing,  Chongqing cst une ville- montagne, une ville de brouillard, un « four » de la Chine, tant il fait très chaud l’été.

 Cependant, des centaines de milliers de paysans y affluent chaque année, pauvres ou expropriés. Elle est la ville des mingong par excellence, dont certains sont reconnaissables, près de la gare centrale, à leur bangbang, leur bâton, avec lequel ils transportent de tout ! Le fort développement de l’agglomération est soutenu par Pékin (fort enjeu politique du grand ouest) et il s’exprime par la puissance de nouvelles infrastructures de transport ainsi que par la construction de nouveaux central business districts. L’agglomération, immense chantier de centres futuristes et de bâtiments d’habitation monotones présente un espace municipal en schéma « un cercle, deux ailes », c’est-à-dire comprenant un espace central et deux prolongements au nord-est et au sud-est. L’ancienne capitale de la Chine pendant la guerre sino-japonaise           se rêve en capitale high tech et verte, quelque peu rivale de Shanghai vers où naviguent les bateaux de marchandise qui partent de son port fluvial…

 

            3 -- Presque au milieu de sa façade maritime (18 000km), Shanghai plus de 22 millions d’habitants) est la métropole économique de la Chine contemporaine. Presque tout le monde peut reconnaître le centre historique du temps de la Chine humiliée du XIXème siècle, sa nouvelle skyline, son Maglev (train allemand pouvant atteindre 430km/h reliant son nouvel aéroport de Pudong construit par l’architecte français Paul Andreu) et ses océans d’immeubles de banlieue de trente étages qui s’étendent à l’infini… C’est là que se situe le New York du XXIème siècle. Shanghai est, en face de Ningbo (le premier), le second port maritime du monde et est dotée, depuis 1990, comme Shenzhen, d’une Bouse des valeurs, Elle abrite une multitude de sièges sociaux de firmes multinationales et des universités renommées. Autour d’elle, Suzhou, une capitale du tourisme chinois, Hangzhou, la ville d’Alibaba et Nankin « la capitale du sud ».

           

            La plus occidentale des villes chinoises (200 000 étrangers, dont 30 000 Français) n’est cependant pas épargnées par les intempéries (typhon) et la pollution. Mais cette ville « au bord de la me » n’est cependant qu’à quelques mètres d’altitude et la subsidence des lourds gratte-ciel associée à une éventuelle montée des eaux, ne lui garantit pas d’être toujours au sec… Les shanghaiens sont d’excellents commerçants, dans une métropole cosmopolite, nostalgique et pragmatique. Ils sont des stratèges même, fort intéressés par le chiffre d’affaires. Les cours d’anglais sont bondés et les Shanghaiennes, qui se disent les plus belles femmes du pays passent volontiers leur temps, dit-on, à comparer les salaires de leurs maris…

 

 

III – L’empire chinois mondialisé

1 -- Les villes du nord de la Chine ont de toutes autres caractéristiques. Bon nombre de villes de la Mandchourie ont souffert, car, villes du charbon et de l’acier, elles constituent, désormais, une sorte de rust belt à la chinoise, qui comprend bien trop d’ « entreprises zombies », comme les qualifie le président Xi lui-même, car sur-capacitaires et non rentables, mais que l’ampleur du chômage en cas de fermeture, décourage de restructurer trop brutalement, ce qui est tout le problème de la réforme chinoise… Des villes côtières comme Qingdao sont en meilleure santé, grâce à un tourisme qui décolle, grâce, aussi, à de jeunes ingénieurs-managers-entrepreneurs, comme le PDG de la firme d’électro ménager, Haier. Des studios tout neufs vont bientôt y attirer les plus grands talents du cInéma mondial comme Stéphan Spielberg.

 

             Par ailleurs, le nouveau Pékin entend faire partie des plus grands pôles de l’Archipel Métropolitain Mondial, avec ses cinq périphériques, ses TGV, ses aéroports (un troisième est en construction), ses sièges sociaux de multinationales toujours plus puissantes (par exemple dans le domaine de l’énergie, ou, encore, dans celui des nouvelles technologies) son équipement universitaire, ses installations sportives et ses instituts de recherche, et ses nombreuses agences. Pékin est la ville vers où toutes les ambitions chinoises convergent. Les Pékinois sont plutôt réputés pour leur tempérament noble, droit et cultivé. Beaucoup identifient sans faute une plaque d’immatriculation de voiture étrangère et lui attribuent sa nationalité. Les pékinoises se veulent élégantes et distinguées.

 

            Au sud-ouest de Pékin, un hub ferroviaire comme Zengzhou dispose d’une gare vaste comme 300 stades de football, mais, c’est l’avant-port de la capitale, Tianjin qui voit s’opérer les plus grandes mutations. A l’ouest de la ville-province, en effet, dans une plaine bordant le littoral du golfe de Bohai, toute une nouvelle zone, celle de Binhai, est en train de s’édifier en collaboration avec Singapour, qui est le rêve chinois par excellence : Etat fort et prospérité ! Cet ensemble s’enrichit de nouvelles installations portuaires, de parcs industriels, d’un nouveau business center, d’une zone touristique et d’un quartier écologique ! Tianjin monte déjà des airbus 320 et se dote d’un hippodrome moderne. L’ensemble, vaste comme l’ile de France, est peuplé de 17 millions d’habitants. Pour le gouvernement chinois, l’enjeu du nouveau Tianjin s’inscrit dans la volonté politique de renforcer la centralité de Pékin face à la dynamique économique dominatrice de Shanghai

(Colin, 2008)

 

            2 – Les temps ont changé. La Chine est au tournant de Lewis, moment où, pour des raisons démographiques la main d’œuvre d’un état est moins abondante et conduit à une augmentation des salaires. Elle peut craindre le piège du revenu intermédiaire, autre moment où elle a quitté la pauvreté mais où elle n’est pas assez puissante pour rattraper les plus riches de la planète. Le pays, devenu le pays de l’enfant rare et démographiquement à bout de souffle (Attané, 2015) veut créer une économie plus inclusive, passer du low cost à la high tech. L’urbanisation sera-t-elle son nouveau grand bond en avant ? Car, générant de la valeur ajoutée, elle devrait être à la source de nouveaux revenus. Craignant d’être vieille avant d’être riche, la Chine devrait voir augmenter les salaires et se créer une véritable sécurité sociale pour cette moitié du pays qui n’est pas protégée. Or la Chine n’a pas, jusque-là, assez investi dans l’éducation et la santé.

 

            3 – Trois grands défis se présentent à elle :

Un défi économique : en Chine, les paysans ne sont toujours pas propriétaires de la terre, qui appartient toujours à l’Etat, ce qui signifie que les responsables du Parti peuvent les saisir au profit de promoteurs, voire de spéculateurs. D’où les « incidents de masse »  sévèrement réprimés (exemple de Wukan, dans la province de Canton », révolté en 2011 et, finalement mis au pas en 2017). D’où une mauvaise allocation de ressources dans du béton coulé en dépit du bon sens, ce qui peut déboucher sur de graves malfaçons, des surcapacités, des viles fantômes comme à Ordos, en Mongolie intérieure, de l’endettement  avec le non retour sur investissement et des cohortes de sans abris.

 

Un défi écologique, tout le monde a entendu parler de « l’airpocalypse » , de la question des déchets, de terrains pollués… la situation est d’autant plus grave que, même si la Chine est aussi vaste que les Etats-Unis, elle comprend de montagnes et de déserts pour une population quatre fois plus nombreuse.

 

Un défi social : en moyenne, les citadins sont trois fois plus riches que les habitants des campagnes en Chine (ce n’était que deux fois plus il y a quelques décennies). Il existe, au moins, trois types de localisation des laissés pour compte dans ce pays : dans les contrées rurales éloignées, dans les villes de second et troisième niveau où il n’y a pas assez de travail pour eux et dans les grandes métropoles où les mingong ont des revenus insuffisants. De surcroît, plus des deux tiers d’entre ne sont pas en situation régularisée et l’immobilier reste une grande source d’inégalité. Or la Chine a besoin de créer six millions d’emplois par an !

 

            Au total, nous pouvons dire que, ces dernières années, les paysans sont entrés dans les villes, L’Etat chinois a urbanisé nombre de ses territoires, mais n’a sans pas urbanisé dans la même proportion sa population et le pouvoir craint sans doute le paradoxe de Tocqueville qui veut que c’est au moment où des améliorations économiques et sociales ont été réalisées que la révolte gronde contre lui. La Chine est un territoire immense qui finit par manquer de place où les nouvelles classes moyennes ne semblent guère vouloir intégrer les campagnards… Dans une Chine qui encourage la mobilité et la connectivité, l’enrichissement du pays va dépendre de la création en grand nombre d’emplois qualifiés qu’il est encore difficile de massifier (SEDES 2016).

 

            Il subsiste enfin le grand problème de la coexistence des vivants et des morts dans un pays où les tumulus funéraires sont partout depuis des millénaires. Il faut « araser les tombes pour recommencer à labourer » (Attané, 2015) dans  un pays qui devient dépendant sur le plan agro-alimentaire et qui doit inventer des funérailles vertes. Autant dire qu’ici comme ailleurs les rapports ville-campagne reprennent leurs droits. Mais, comme bientôt, un citadin sur huit dans le monde sera chinois, l’invention de la ville durable par la Chine (Exposition universelle de Shanghai en 2010 : « meilleure cité, meilleur vie ») concernerait la planète entière…

 

 

Milan as an example of Cluster of Innovation

Michele COLETTI, PhD

Affiliate Professor - Grenoble Ecole de Management

michele.coletti@grenoble-em.com

 

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Milan is going through a new renaissance despite the Italian economic stagnation in recent years. Visitors perceive the city as well kept and vibrant, while local stakeholders are ambitiously committed to keep it as a world capital of design and fashion and launch it as a primary startup destination. The evolution towards a model of economic growth based on creativity and knowledge is consistent with the cluster of innovation framework. This article aims at explaining this transformation by identifying both the factors that drove it and the challenges that lay ahead and how policy-makers may address them. The author has first-hand knowledge of the city as an inhabitant and a consultant to the Città Metropolitana di Milano (public administration formerly known as Provincia di Milano), an administrative body between the Lombardy Region and the Municipality of Milan.

 

Clusters and other theories of local development

Critical mass and economies of agglomeration are often considered as necessary factors of growth. However, there are different views on what are the key components of development. Following the tradition of scholars such as Marshall and Becattini, Michael Porter (1998) takes the concept of industrial district in the 3rd millennium. In his view of technology clusters, specialisation is the name of the game and the objective is to become the best at doing a very specific set of products or services, being wine in California, leather in Central Italy or other industries. On the other side, researchers such as Jane Jacobs and Richard Florida (2003) advocate diversity and the endless combinations that it can spur as the engines of development. The city is the locus of diversity and the creative class which inhabits it represents its most knowledgeable and dynamic part.

Attempting to combine the best of two opposite approaches, Engel (2015) proposes the Cluster of Innovation (COI) framework. COIs are places where new technologies can quickly take off and pools of financial and human capital foster the birth of new firms as well as the introduction of new ways of doing business. In these ecosystems, startups, mature enterprises and supporting services work together across a range of industries usually broader than in technology and business clusters. COIs neither specialize on industries (though new technologies are often involved), nor are typical of large cities (though they are generally associated to urbanised areas). Engel lists as COIs the Silicon Valley and a number of metropolitan areas around the world, included London, Munich and Barcelona in Europe.

The characteristics of a COI is the entrepreneurial dynamics, reflected in the high number of startups and innovative ventures. COIs are ecosystems where new and established firms, universities and R&D centres, knowledge intensive business services (KIBS) and financial institutions work together with the enabling support of public institutions.  

Engel identified the following six factors to spur high-potential entrepreneurial ventures: high mobility of resources (people, capital, knowledge); entrepreneurial dynamics to pursuit new opportunities; velocity of business development; global perspectives, ties and bonds; alignment of interests and presence of reinforcing transaction structures and incentives and policies that lead to collaboration. Especially the latter aspects will be explored here below.

 

Milan as the Italian economic capital

Milan has always been central to the Italian economic systems. With Torino and Genova they are the “industrial triangle” of Italy, where the largest industries were located. Companies such as Alfa Romeo, Pirelli, Falck, Breda and Carlo Erba employed thousands and become world famous brands. Large banks such Cariplo and Comit were established here.

The presence of a rich bourgeoisie that could afford to buy quality items helped the city to become also a creative capital, with a focus on fashion and industrial design. Today, Milan is especially renowned for its role within the prêt-à-porter category of fashion. Most of the major Italian fashion houses and labels are based in Milan: Armani, Bottega Veneta, Costume National, Dolce & Gabbana, Dsquared2, Etro, Iceberg, Les Copains, Marni, Missoni, Miu Miu, Moncler, Frankie Morello, Moschino, Prada, Fausto Puglisi, Tod's, Trussardi, Valentino and Versace to name just the most famous. The Fashion Week (held twice a year) was established in 1958 and is one of the world Big Four (together with New York, London and Paris).

Milan is also a capital of architecture and design. Since 1947, the Triennale exhibition is a reference event. Started during the economic boom of the ‘60s, the “new Italian design” became a cultural landmark. Still today, the “Compasso d’Oro” award by the Association of Industrial Design (ADI) is the most prestigious in this industry. Firms such as Kartell, Flos, Luceplan, Artemide and FontanaArte are world leader in the lighting industry. Held annually since 1961, the Milan Furniture Fair is the world largest fair of its kind. Together with the Fuorisalone events, it transforms the city in a huge design park for a week every year. Higher Education institutions such as the Politecnico di Milano, NABA, IED, Marangoni and Scuola Politecnica di Design offer design programmes to renew the pool of talent. No wonder that the design-driven innovation theory that puts an emphasis on the meaning of objects was conceived in Milan (Verganti, 2009).

Milan is also the Italian technology capital with over 20% of patent applications filed. It is home to the biggest media companies such as Mondadori and Mediaset and the Corriere della Sera, the national largest newspaper. Moreover, it hosts almost seven thousand no profit associations and one third of the foreign enterprises with a branch in Italy, included the only Tesla store of the country.

As often the case with creative cities, Milan is also a cultural capital, with world-famous monuments such as the Cathedral (known as the Duomo) and La Scala opera house. The Hangar Bicocca with its permanent Hanselm Kiefer’s installation is an international centre for contemporary art. In recent years, new buildings often designed by star architects have transformed its skyline. One of them, the VerticalWood, won the prize for the most beautiful skyscraper in 2014. However, the event that put Milan again on the world map was the International Expo of 2015, when more than twenty million arrived for the occasion.

 

Talent and startup city

Milan is not only about past glories. Indeed, it is the first destination for talents that come back to Italy, and thousands young dynamic people arrive every year to study, find a job or establish a startup. Twelve universities and higher education institutions and eighty research centres make Milan a place of choice for domestic and international students (13,6% of residents). Its 45,000 foreign students find a wide range of excellent education opportunities with many programmes in English. Because of the quality of its academic institutions, Milan comes just after London and Paris among employers (QS Best City for students 2016 ranking)[1].

Among other policies for entrepreneurship, few years ago the Italian government introduced special provisions for innovative startups, small young companies focusing on technology and innovation. Out of the 6745 officially registered at 31st December 2016, 1040 (i.e. 15% of the total) are based in Milan (MISE, 2017). They are hosted in 34 accredited coworking places, 11 incubators and accelerators, 10 fablabs and 10 venture capital funds. Among them there is Polihub, the incubator of the Politecnico di Milano which according to UBI Global ranks 2nd in Europe. To this it should be added the number of hackatons and startup competitions organised by several public and private institutions.

 

Public policies to attract talent and foster entrepreneurship  

Concerning the role of public institutions, since 2013 the Italian government has actively supported startups and new entrepreneurs exempting them from various taxes and obligations and allowing more flexible mechanisms to collect money, pay shareholders, employees and consultants.

At local level, the Municipality of Milan launched a range of programmes and policies including: an agency and online platform to help students finding accommodation; a welcome programme for Italians living abroad and willing to establish a company in Milan; the Global Business Exchange program, through which ten startups from New York come to Milan and vice versa (next agreement will be with Amsterdam); and the direct participation to Fabriq (social incubator), SpeedMeUp (incubation programme with Bocconi University and Chamber of Commerce), Polihub and other incubators with a 1,7 M€ total investment.

Moreover, the Municipality of Milan has directly supported social entrepreneurship projects (up to 50,000 € each) through civic crowdfunding and more noticeably, 570 startups and new ventures which received a total of 5,4 M€ in 4 years (up to 50% of the investment or 20,000€ each) with a 20% ca. of approval rate (mostly entrepreneurs under 35 and women). Of them, 382 were funded through business incubators and the others with specific calls (retail, peripheries, ex inmates ..), i.e. beneficiaries received a combination of money and services. As it happens with startups, not all of them survived, but the 83% of survival rate after five years is almost twice the average percentage in Italy. The success of these initiatives can be further assessed by the total of 1291 working partners and 5500 employees for a turnover of 314 M€ (return of 43€ for 1€ invested).

 

Challenges and outlook

The entrepreneurial dynamism is a feature of Milan that together with the other factors here discussed, confirm this city as a Cluster of Innovation. Here, economic and social stakeholders are willing to engage with public administrations. On the other side, the city administrators understand that their role is to be facilitators and catalysts. The success of Milan is due not to individual actors or decisions, but in the urban ecosystem collectively developed over the last half century. However, scale is important in urban systems, and despite its prominent position in Italy, Milan is quite small on a global stage, therefore it needs to remain proactive to keep it position. Moreover, the recent huge flow of immigrants, many of them children, pose a challenge of linguistic and cultural integration. The new citizens need to be included also socially and economically. Older problems remain, such as a city centre where most spaces are of commercial and office use, with little presence of residents; a mobility still too much based on private transportation and the fragmentation of politics and public initiatives, included the new Metropolitan City body that still has to find its place between the rock of the Region and the hard place of the Municipality.

Milan is the top metropolitan area in Italy and one of the best in Europe to develop new products and services and market them locally and globally. The blend of entrepreneurial dynamism, capital availability, old and new firms, academic and research institutions is unmatched in the country. More than elsewhere, here the local governments have understood the importance of investors and enterprises to foster innovation and economic growth, as well as the relevance of ties with other clusters of innovation. Though the local government is in charge of managing the eco-system, the heterogeneity of constituents imposes conflicting objectives and trade-offs between citizens and business. For this reason, to sustain the success of the city, public administrators should be capable to collaborate between them and putting together very different actors and forge or favour emergent trans-boundary partnerships. Governance of a complex system such as Milan is increasingly a collective endeavour, but the city has the resources to keep up with the expectations of its citizens.

 

References

Engel J.S. (2015) Global Clusters of Innovation: Lessons from Silicon Valley. California Management Review. Vol 57, No. 2, Winter Issue.

Florida R. (2003) The Rise of the Creative Class: And How It's Transforming Work, Leisure, Community, and Everyday Life. Basic Books.

MISE (2017) Annual report to Parliament on the implementation of legislation in support of innovative startups and SMEs. Ministry of Economic Development. Rome, Italy

Porter M.E. (1998) Clusters and the new economics of competition. Harvard Business Review. Nov-Dec; 76(6):77-90.

Verganti R. (2009) Design-Driven Innovation: Changing the Rules of Competition by Radically Innovating What Things Mean. Harvard Business School Press.

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Le pouvoir économique des villes

Rapport de recherche en cours de réalisation
Auteurs : Stéphane Coudé et Guillaume Chabot

 

© Tous droits réservés, 2017, Stéphane Coudé et Guillaume Chabot. Version rédigée  suite à la participation des auteurs au Festival de Géopolitique de Grenoble (FGG) en mars 2017. Ce rapport, transmis  le 29 mai 2017, est exclusivement destiné à la publication sur le site internet du Festival de Géopolitique de Grenoble. Toute autre diffusion, reproduction ou utilisation, en tout ou en partie, doit faire l’objet d’une approbation écrite des auteurs.

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Sommaire

Cette recherche en cours de réalisation, qui s’inscrit dans les champs de recherche qui portent sur les achats des gouvernements et du management des organisations (publiques et privées), s’intéresse à la notion de la centralisation et la décentralisation des pouvoirs de dépenser des États (CDPDE) et les conséquences de celle-ci pour les administrations municipales et les entreprises désireuses de vendre aux gouvernements. Par une analyse comparative de 96 pays, nous abordons l’impact de la CDPDE à travers divers thèmes et sous-thèmes tels qu’ils émergent des cas à l’étude autour de trois grands thèmes : la croissance économique, le risque de corruption et la qualité de vie. Les résultats préliminaires permettent de corroborer des phénomènes connus et d’apporter de nouvelles observations, par exemple nous mesurons une corrélation négative entre la décentralisation des pouvoirs de dépenser et la croissance économique des pays, qui appellent à davantage de travaux futurs.

 

Introduction

Le phénomène de métropolisation et le rôle grandissant des villes dans notre quotidien sont aujourd'hui bien connus et documentés. Cette tendance s’est largement accrue au cours des 20-25 dernières années et tout porte à croire qu’elle se maintiendra dans les années à venir. Abritant plus de la moitié de la population mondiale, les zones urbaines et leurs administrations occupent ainsi dans le quotidien de la population une place de plus en plus importante, à divers niveaux, et ce, tant sur les plans politique, économique, social, environnemental, etc.

 

Notre recherche s’intéresse plus particulièrement au pouvoir économique des villes, qui se manifestent principalement par leur pouvoir de dépenser et les politiques mises en place pour soutenir le développement économique. En effet, les entités publiques réalisent diverses dépenses – que nous définissons plus en détail dans ce rapport – et achètent de nombreux biens, services et travaux de construction afin de servir le public. Selon les États, ce pouvoir d’achat est plus ou moins décentralisé, c’est-à-dire que selon les pays, ce pouvoir de dépenser sera plus ou moins réalisé par le gouvernement central comparativement aux gouvernements sous-centraux, selon le pouvoir de dépenser accordé par le gouvernement central. Les administrations gouvernementales cherchent aussi à optimiser l’usage des fonds publics par deux principaux moyens : en réalisant des achats au meilleur rapport qualité/prix possible et en exerçant un contrôle ayant pour objectif de minimiser la corruption associée aux achats publics (Coudé et Bernard Jr., 2014, p. 25). Parallèlement, elles proposent aussi diverses mesures d’accompagnement des entreprises pour favoriser leur croissance et instaurent un environnement favorable au développement économique (par exemple, en développant des infrastructures propices au développement économique, en créant un environnement où il fait bon vivre facilitant ainsi l’attraction d’une main-d’œuvre qualifiée, etc.).

 

Par conséquent, les entreprises désireuses d’obtenir des contrats sur les marchés publics font face à des réalités bien différentes selon les diverses formes d’organisation du pouvoir de dépenser des États et les programmes qu’ils mettent en place qui se traduisent en défi d’adaptation pour elles. En somme, cette recherche considère donc à la fois les grands défis pour les administrations publiques et ceux des entreprises désireuses de faire des affaires sur les marchés publics et s’inscrit ainsi dans les champs de recherche plus général du management, de la stratégie, des achats gouvernementaux et de la théorie des organisations.

 

Par ailleurs, une autre tendance attire notre attention dans ce travail de recherche, soit celle des mégapoles ou des pôles économiques favorisés par les États indépendamment du phénomène de centralisation ou décentralisation des pouvoirs de dépenser. En effet, même si elles ne remportent pas la palme démographique – 54% de la population urbaine mondiale en 2015 se situait dans des villes comportant moins d’un million d’habitants (UN-Habitat, 2016a, p. 9) – il demeure que leur rôle est considéré comme plus important sur le plan de l’influence économique (ibid.). Ainsi, nous avons choisi d’étudier plus précisément 96 villes situées dans autant de pays, pouvant être considérées comme les capitales économiques de leurs pays en posant les questions de recherche suivantes :

  • Quelles sont les similitudes et différences entre les pouvoirs d’achat plus ou moins décentralisés des États, et quelles sont les conséquences particulières pour les administrations municipales ?

     
  • Quels rôles distincts les administrations municipales jouent-elles dans ces différents contextes budgétaires ?

     
  • Et enfin, quelles sont les conséquences pour les entreprises qui s’affairent sur ces marchés ?

 

Ce rapport de recherche en cours de réalisation – qui se penche sur un phénomène contemporain par études de cas multiples et méthodes mixtes (quantitative et qualitative) – présente les résultats préliminaires obtenus en réponse aux questions ci-dessus autour de trois principaux thèmes connexes à la centralisation ou la décentralisation des dépenses publiques : les conséquences sur la croissance économique, le risque de corruption et l’impact sur la qualité de vie des personnes qui résident dans les villes. Ces résultats conduisent entre autres à des observations que nous n’attendions pas au départ. Par exemple, si certains postulent que la décentralisation des pouvoirs de dépenser conduit à une meilleure croissance économique dans les pays qui favorisent une telle approche, nos résultats montrent plutôt le contraire. Enfin, bien qu’il soit tôt dans le processus de recherche, nous obtenons suffisamment d’information pour commencer à proposer des explications aux phénomènes observés par une approche qui reconnaît la complexité de ceux-ci et les limites actuelles de nos travaux, mais aussi, comme tout projet de recherche en cours de réalisation, apporter de nouvelles questions qui méritent notre attention et qui permettraient de mieux comprendre les résultats obtenus à ce jour. Ainsi, ce rapport se termine sur les travaux à venir dans le cadre de ce projet de recherche en cours de réalisation ainsi que des questions qui pourraient conduire à d’autres travaux.

 

Contexte, théories, concepts et question de recherche

Quel est le rôle économique des municipalités dans le monde d’aujourd’hui ? C’est la question de départ qui a motivé ce projet de recherche parce que les villes sont devenues des milieux de vie et économiques très importants. En effet, dans son rapport sur l’urbanisation et le développement, UN-Habitat (2016a, p. 1) rapporte qu’en 2015, 54% de la population mondiale résidait dans des zones urbaines alors que ce ratio était estimé inférieur ou égal à 43% en 1990[1] (ibid., p. 6) et que le taux de croissance moyen de la population urbaine mondiale (ibid., p. 7) se maintient un peu au-dessus de 2% (2,16% pour la période de 1995-2015) de sorte qu’il est anticipé que dès 2030, c’est plus de 60% de la population mondiale qui vivra en milieu urbain (CGLU, 2007, p. 11). C’est aussi l’accélération récente de cette croissance qui rend cette situation contemporaine intéressante en recherche. En effet, « la population urbaine était de seulement 3% en 1800, de 13% en 1900 […] et de 30 % en 1950 (ibid.). De plus, si plus de la moitié de la population mondiale occupe dorénavant les zones urbaines, la contribution de ces territoires au PIB mondial est largement supérieure au poids relatif de la population qui y réside en atteignant 80% de cette production intérieure brute (UN-Habitat, 2016a, p. 27).

 

Cette contribution à la croissance mondiale relève tant des efforts des entreprises que de ceux des administrations publiques. Ces dernières stimulent le développement économique par diverses mesures qui favorisent par exemple la création d’entreprises, le développement des affaires, l’innovation, la création d’emploi tout en procurant un environnement propice au développement économique (par exemple, par des infrastructures adéquates, des services aux citoyens adaptés aux défis contemporains, en attirant de la main-d’œuvre qualifiée, etc.). Elles contribuent également au développement économique par leurs dépenses et investissements. En effet, déjà sur les données de 1998, Audet et al. (2002, p. 8) estimaient que les achats des gouvernements en termes de consommation et d’investissement représentaient en moyenne 15 à 20% du PIB des pays[2]. Ils estimaient aussi qu’en moyenne les « marchés publics passés au niveau local sont deux à trois fois plus élevés que ceux passés au niveau central » (ibid.). Ainsi, l’apport des administrations locales au développement économique nous a conduits à nous intéresser aux défis que cela représente à la fois pour les administrations municipales et pour les entreprises, mais le rôle des municipalités se distingue selon le pouvoir de dépenser qui leur est consenti par le gouvernement central de leur pays. En effet, nous savons par exemple que les achats des administrations centrales (gouvernements nationaux) des pays membres de l’OCDE représentent 35% des achats gouvernementaux et 65% de ces achats sont réalisés par les administrations sous-centrales (états, provinces, sociétés d’État, comtés, mégapoles, villes, villages, ou autres); alors que pour la Chine ces achats représentent respectivement 14% et 86% (NBSC, années multiples ; Audet et al. 2002 ; Coudé, 2010). Par conséquent, selon les règles en vigueur au sein des pays, le pouvoir de dépenser est plus ou moins décentralisé.  

 

À partir de ces constats, nous avons choisi de nous intéresser à ces diverses contributions des administrations publiques locales au développement économique en fonction de leur pouvoir de dépenser en précisant les trois sous-questions de recherche de la manière suivante :

  • Quelles sont les similitudes et différences entre les pouvoirs d’achat plus ou moins décentralisés[3] des États, et quelles sont les conséquences particulières pour les administrations municipales ?

     
  • Quels rôles distincts les administrations municipales jouent-elles dans ces différents contextes budgétaires ?

     
  • Et enfin, quelles sont les conséquences pour les entreprises qui s’affairent sur ces marchés ?

 

La recherche adressant les marchés publics est relativement jeune, et celle qui s’intéresse au positionnement stratégique des entreprises sur ces marchés l’est davantage. La première émerge au milieu des années 1990 notamment par les travaux du Groupe de recherche sur les marchés publics[4] dirigé par Sue Arrowsmith et rattaché au département de droit de l’Université de Nottingham (créé originalement en 1996 à l’Université Wales Aberystwyth). Leurs travaux traitent principalement de la législation des pays et les textes des accords commerciaux entre pays qui concernent la libéralisation des achats des gouvernements.  Le Centre de recherche sur les marchés publics de l’Atlantic University of Florida (AUF) créé en 1999[5] par le Professeur Khi Thai – aussi fondateur du Journal of Public Procurement (JoPP) en 2001 et de l’International Public Procurement Conference en 2004 – s’est d’abord intéressé à la profession d’acheteurs qui font carrière dans les marchés gouvernementaux. Mais rapidement, le JoPP a permis un réel décloisonnement de la recherche portant sur les marchés publics grâce à la promotion de la recherche pluridisciplinaire dans ce domaine prônée à travers le JoPP. Depuis, des thématiques tels les processus d’approvisionnement publics, la gestion de la chaîne d’approvisionnement public, les systèmes électroniques d’approvisionnement publics, etc. ont attiré l’attention des chercheurs, sans oublier les notions des achats gouvernementaux comme moyen de contribuer au développement économique des États (Flynn et Davis, 2014), notamment par les dépenses, mais aussi par diverses mesures dont celles visant à favoriser les PME locales comme fournisseur de l’État (Marta et Piga, 2013 ; Yukins et Piga, 2013).

 

Pour la seconde, il suffit d’ouvrir un livre de stratégie ou de marketing pour constater que les notions du positionnement et du développement d’affaires sur les marchés publics dépassent rarement quelques paragraphes. Pourtant, ces marchés sont bien différents des marchés privés. Si Porter avait lui-même été critiqué d’avoir exclu la notion du gouvernement dans son modèle des 5 forces (Porter, 1979), il demeure qu’il décrit comment selon lui les gouvernements agissent plutôt sur ces forces du marché en établissant des barrières à l’entrée dans certaines industries (par exemple par des règles environnementales qui visent à ralentir l’arrivée de nouveaux entrants, en établissant des barrières tarifaires, etc.), en octroyant des subventions, etc. (ibid.) En revanche, dans ce modèle, il nous semble manquer la notion du gouvernement comme client, comme acheteur. Ce qui nous conduit à la question suivante : qu’en est-il lorsque le client a aussi le pouvoir d’établir les règles du marché ? Il ne s’agit pas ici d’envisager le modèle de Porter inadéquat, mais bien de l’employer en considérant le pouvoir d’un client, le client public, qui est plus grand ou différent que celui d’un client privé.

 

Ainsi, nous nous intéressons aux conséquences de la décentralisation du pouvoir de dépenser des États pour les entreprises. Nous reprenons en quelque sorte le même type de raisonnement introduit en stratégie des entreprises par Porter et qui aura permis une réelle reconnaissance des sciences du management à une époque où elles en souffraient beaucoup. En effet, les premières contributions de Porter au tournant des années 1980 renversent la logique du courant de l’économie industrielle, jusque-là dominante sur ces thématiques. « La contribution de l’économie industrielle a été substantielle. L’économie industrielle était destinée au départ à servir de guide à l’action gouvernementale [...] Le gouvernement était alors censé agir sur la structure de l’industrie pour obtenir les comportements souhaités des firmes » (Hafsi et Martinet, 2007, p. 90). Ainsi, Porter propose dès lors que « la connaissance de la structure de l’industrie est la base du développement des stratégies des firmes » (ibid.). L’analyse de l’environnement externe devient alors au service de l’entreprise et nous proposons dans ce travail de recherche de considérer le rôle des gouvernements au cœur de la stratégie de l’entreprise qui souhaite vendre à l’État.

 

Pour mesurer le niveau de centralisation ou décentralisation des pouvoirs de dépenser, nous avons retenu les ratios employés par CGLU (2010) et qui dès le départ nous donnaient accès à une série de données pour 96 pays. Ces ratios divisent la proportion des dépenses réalisées par les gouvernements locaux par le total des dépenses réalisées par les entités gouvernementales d’un pays. Ainsi, plus ces ratios sont élevés, plus nous pouvons considérer le pouvoir de dépenser d’un État décentralisé, et plus ils sont faibles, plus nous pouvons l’estimer centralisé.

 

La série de données du CGLU (ibid.) nous permettait de distinguer deux ratios, celui qui concerne les dépenses courantes et celui qui repose sur les dépenses d’investissement (CAPEX). Nous avons par conséquent amorcé nos travaux à partir de ces deux ratios. Cette distinction se précise de la manière suivante lorsque nous regardons les dépenses d’une municipalité[6] :

  • Dépenses courantes :
    • Salaires des employés municipaux ;
    • Les achats destinés à la livraison des services courants (principalement des biens et services et services professionnels. Par exemple, l’achat de crayons, de nettoyage des routes, de services de communication, etc.) ;
    • Les dépenses liées au service de la dette, le cas échéant[7] ;
    • Les paiements de transferts vers des entités sous la gouverne des municipalités. Par exemple, vers une organisation distincte, souvent un organisme à but non lucratif, qui aurait la responsabilité de la gestion des stationnements.

       
  • Les dépenses d’investissement (CAPEX) : ces dépenses regroupent par exemple la construction d’infrastructures et les services d’ingénierie qui y sont rattachés, le développement de systèmes informatiques, la construction ou l’achat d’immeubles destinés aux services publics, etc.

 

Plusieurs enjeux découlent du phénomène de décentralisation du pouvoir de dépenser des États, et nous avons retenu les trois enjeux suivants dans le cadre de cette recherche[8] :

  • L’impact sur la croissance économique de cet État. En effet, il est suggéré qu’« à chaque fois que des gouvernements nationaux ont donné plus de pouvoir aux gouvernements locaux, ils ont contribué à une augmentation de l’investissement et à une hausse du PIB du pays. Beaucoup de pays, confrontés à une expansion rapide de l’urbanisation, ont fait le choix de confier aux gouvernements locaux la responsabilité de la mise en place des infrastructures publiques locales en leur accordant des ressources suffisantes et la possibilité d’emprunter. À la suite de ces décisions, l’investissement public urbain a augmenté, ce qui, à son tour, a contribué à la croissance économique nationale » (CGLU, 2007, p. 35).

     
  • L’impact sur le risque de corruption. « Il est en effet possible que la décentralisation accroisse les problèmes de corruption, ou tout au moins qu’elle l’éparpille sur plusieurs niveaux de gouvernement et la rende donc plus difficilement contrôlable » (CGLU, 2008, p.138).

     
  • L’impact sur la qualité de vie. Il est effectivement suggéré que « les gouvernements locaux ont besoin d’investir dans le design et la construction d’espaces publics comme moyens de cohésion sociale. Il est essentiel de créer des espaces verts, sécuritaires, inclusifs, accessibles et des espaces ouverts interconnectés. Les villes qui font de la qualité de vie une priorité au-dessus des autres, expérimentent un niveau de prospérité supérieur » (citation de Bernadia Irawati Tjandradewi, secrétaire général du UCLG-ASPAC, dans GFT-UCLG, 2016, p. 35). Il est aussi attendu que « La ville qu’il nous faut […] est dotée d’infrastructures multifonctionnelles et flexibles qui soutiennent la biodiversité locale tout en fournissant un espace public qui améliore la qualité de vie » UN-Habitat (2016b, p. 14).

 

Par conséquent, nous avons retenu les trois hypothèses que nous avons d’abord étudiées à partir d’une méthodologie quantitative[9] :

  • H1 : Plus le pouvoir de dépenser d'un État est décentralisé, plus la croissance économique est importante.

     
  • H2 : Plus le pouvoir de dépenser d’un État est décentralisé, plus le risque de corruption est élevé.

     
  • H3 : Plus le pouvoir de dépenser d’un État est décentralisé, plus la qualité de vie des citoyens est élevée.

Pour la portion qualitative de notre recherche, nous avons choisi de restreindre notre travail aux thèmes de nos trois hypothèses ci-dessus[10] et en établissant des sous-thèmes issus de la littérature et des cas à l’étude. Nous avons ainsi postulé, considérant le courant de la théorie institutionnelle, et plus précisément la théorie de l’isomorphisme institutionnel de DiMaggio et Powell (1983), qu’il est fort probable que les gouvernements sous-centraux agissent de façons similaires selon les choix stratégiques des États – c’est-à-dire s’ils décident de centraliser ou décentraliser le pouvoir d’achat public – et par conséquent que nous pourrions observer des similitudes entre les organisations publiques d’un même segment, soit entre celles qui évoluent dans un contexte de décentralisation et celles qui évoluent dans un contexte de centralisation. Puis, considérant que ces deux segments font face à des réalités fort différentes, nous postulions aussi que nous serions en mesure d’observer des distinctions entre ces deux grands segments.

 

Si Weber (1968, dans DiMaggio et Powell, 1983) expliquait que la compétition tendait à rendre les organisations – à la fois privées et publiques – similaires par une homogénéisation rationnelle de la bureaucratie, DiMaggio et Powel (1983) ont suggéré à sa suite que l’environnent concurrentiel expliquait moins cette tendance qui repose plutôt, selon eux, davantage sur les processus qui rendent les organisations plus semblables « sans nécessairement les rendre plus efficientes » (ibid., p. 147). Pour eux, ces processus sont « largement influencés par les États et les professions qui sont devenus les grands « rationalisateurs » de la seconde moitié du 20e siècle (ibid.) » Ajoutons à cela les regroupements internationaux de municipalités (par ex. : UCGL et Metropolis), il est fort probable que ce phénomène de ressemblance et de mimétisme soit ainsi renforcé. De plus, UN Habitat (2016a) faisait remarquer que « dans les 20 dernières années, la décentralisation s’est établie comme une politique et un phénomène institutionnel dans la plupart des pays à travers le monde ».

 

Enfin, l’emploi des théories institutionnelles, dont l’isomorphisme institutionnel,  est espéré dans le récent champ de recherche qui porte sur les approvisionnements gouvernementaux. En effet, dans une récente recension des théories mobilisées par ce champ de recherche sur une période de 10 ans, Flynn et Davis (2014, p. 169-170) faisaient valoir que ces théories sont peu mobilisées par les auteurs de ce champ de recherche malgré qu’elles présentent un fort potentiel d’explication et de prédiction des isomorphismes structurels et comportementaux des organisations gouvernementales et par conséquent, dans le cas qui nous intéresse, dans la planification, la gestion, les processus, etc. qui encadrent les achats publics ainsi que les services aux citoyens et citoyens corporatifs qui ciblent le développement économique.

 

Design de recherche, posture épistémologique et méthodologie

Pour répondre à nos questions de recherche, nous avons choisi de réaliser une analyse comparative de cas multiples à partir de méthodes mixtes (quantitatives et qualitatives).

 

Design de recherche et posture épistémologique

L’approche par études de cas est un design de recherche propice à l’étude de réalités contemporaines (Yin, 2009). Comment pourrait-on d’ailleurs étudier des phénomènes nouveaux autrement ? Comment observer autrement des réalités qui ne sont pas encore récurrentes et régulières ? Dans les cas qui nous concernent, pour la portion quantitative, nous avions accès à des données historiques récentes permettant d’ancrer nos observations sur une période récente (de 1 à 10 années). Par ailleurs, sur le plan qualitatif, obtenant peu d’information en provenance de la littérature scientifique, une approche de recherche reposant sur l’étude de cas en combinant les données quantitatives et qualitatives était désignée. En effet, l’étude de cas est d’ordre général privilégiée dans un tel contexte puisqu’« une étude de cas est une enquête empirique qui examine un phénomène contemporain dans le contexte réel, particulièrement lorsque les limites entre les phénomènes et le contexte ne sont pas clairement évidentes » (Yin, 2003, p. 13)

 

Mais ce qui rend l’approche par étude de cas si intéressante est la sélection d’un cas non banal (Yin, 2004, p. 3). Ainsi, le cas doit non seulement permettre de mettre en évidence le phénomène que l’on souhaite observer, mais il doit aussi susciter de l’intérêt chez les lecteurs et être marquant dans le domaine de recherche où il s’inscrit. Considérant le rôle de plus en plus important que jouent les municipalités dans nos sociétés et les tendances récentes en ce sens, mieux comprendre leur pouvoir économique et les conséquences de celui-ci pour les administrations municipales et les entreprises nous semble répondre à cette attente.

 

Pour Yin, dans l’approche par étude cas, « le terme théorie couvre davantage que la relation théorique causale. [Le terme] Théorie signifie plutôt que le design des étapes de recherche a une certaine conformité aux relations qui émanent de la littérature, d’enjeux politiques, ou d’autres sources substantielles » (Yin, 1993, p. 4- 5). Ce sont là des sources qui permettent de bâtir les déterminants qui seront nécessaires pour procéder à l’étude de cas et répondre à la question posée par la recherche entreprise. Ainsi, il ne s’agit pas d’assoir solidement l’étude de cas sur la théorie uniquement, mais de puiser dans ce qui émane de l’univers de la recherche, tout en combinant le cas à d’autres relations qui permettraient d’établir des relations évidentes et utiles à l’étude de cas, à partir de sources qui se situent aussi en dehors de la littérature universitaire. De plus, l’étude de cas peut aussi prendre divers objets d’étude, que ce soit un individu, un groupe, une organisation (privée ou publique), un État, etc. C’est d’ailleurs ce qui contribue à sa grande popularité auprès des chercheurs en sciences sociales (politique, sociologie, management, etc.). Cette forme de recherche peut explorer des sujets variés, particulièrement dans un contexte qui implique la décision (Yin, 2004, p. xiv). Ainsi, il s’agit d’observer les phénomènes tels qu’ils existent et tels que rapportés par les acteurs concernés en adoptant ainsi une approche interprétativiste, c’est-à-dire de faire état de ces phénomènes tels qu’ils sont interprétés par les acteurs concernés. Dans le cadre de cette recherche, les acteurs qui ont retenu notre attention sont les élus municipaux, les hauts fonctionnaires des administrations municipales et les dirigeants des regroupements de municipalités qui expriment leurs réalités à travers les institutions desquels ils sont membres, soit les municipalités et les regroupements de municipalités. Par ailleurs, nous avons également considéré dans la discussion sur les résultats que nous avons obtenus jusqu’à présent, les conséquences de nos observations pour les administrations publiques et les entreprises susceptibles d’aider à la prise de décision, voire même à d’éventuels positionnements stratégiques.

 

Yin précise aussi que « la théorie [au sens défini ci-dessus] est aussi essentielle pour généraliser les résultats subséquents » (Yin, 1993, p. 4), soit en l’intégrant aux théories existantes, soit en élaborant de nouvelles théories à partir de phénomènes observés (qui sont sujettes à corroborations ou falsifications futures). En ce sens, nous exposons ainsi notre parti pris voulant que l’avancement des connaissances soit d’abord et avant tout un acte collectif. Dans cet effort collectif, il existe entre autres la présentation de résultats préliminaires à des conférences internationales, comme notre participation au Festival de géopolitique de Grenoble en mars 2017, qui permettent d’améliorer les travaux en cours de réalisation grâce aux échanges et aux questions apportées par les personnes présentes[11].

 

Yin (1993) répertorie trois types d’études de cas qui peuvent être soit exploratoires, descriptives ou explicatives, que ce soit dans la réalisation d’études de cas unique ou multiples. L’univers théorique permet, au moment de concevoir la recherche et selon l’approche retenue, d’établir la relation à étudier (visée explicative), mais aussi d’influencer le cas choisi, de permettre de prendre connaissance de ce qui a déjà été exploré et potentiellement de définir ce que l’on peut observer de nouveau ou ce que l’on peut confirmer (visée exploratoire et confirmative), ou enfin permettre d’arriver à une description plus complète et appropriée du cas étudié (visée descriptive). Nous pouvons ajouter à la typologie suggérée par Yin un quatrième type qui permet d’observer des réalités qui réfutent les règles générales précédemment admises, une approche qui repose sur le falsificationnisme de Popper (1934-1959) et ensuite poursuivre en définissant ce que l’on peut observer de nouveau (visée falsificationniste et exploratoire). Enfin, il nous apparaît aussi raisonnable de suggérer que les diverses visées des études de cas peuvent être combinées ou évoluer dans un même design de recherche, une réalité que nous avons expérimentée dans ce travail de recherche puisque nous avions au départ une visée exploratoire et confirmative, mais les premiers résultats obtenus nous ayant conduits à réfuter des propositions admises ont fait en sorte, par sérendipité, que nous avons ajouté en cours de recherche une visée falsificationniste et exploratoire pour permettre aussi une visée descriptive.

 

Enfin, l’étude de cas d’une réalité contemporaine offre aussi d’autres avantages. En effet, en cours d’étude, la réalité observée peut permettre de définir une autre question de recherche à partir d’une nouvelle réalité observée susceptible de nécessiter un approfondissement du cas étudié (Yin, 2004, p. xvi). Ainsi, nous présentons dans la section de ce rapport de recherche qui porte sur les limites et la poursuite de nos travaux ou de travaux futurs, ces questions qui ont émergé et qui demeurent encore sans réponse à ce stade-ci de la recherche. Nous tenterons de répondre à certaines d’entre elles dans la poursuite de ce travail de recherche, mais d’autres questions nous semblent plutôt appeler à des travaux ultérieurs, voir même à l’élaboration d’un programme de recherche, sur la thématique de la centralisation et la décentralisation des pouvoirs de dépenser des pays.

 

Méthodologie

Considérant l’environnement de notre recherche, il nous apparaissait évident que l’étude de cas multiples (Stake, 2006 ; Yin, 1993) était tout indiquée, tout en adoptant l’analyse comparative (Ragin, 1987 et 2004) comme méthodologie centrale de notre recherche. En effet, si un cas particulier permet déjà de formuler par induction des généralisations théoriques, l’approche par cas multiples, qui requiert plus de travail (Yin, 2004, p. xv), permet quant à elle de renforcer les conclusions si le phénomène observé et interprété se reproduit dans une proportion importante des cas à l’étude. Il s’agit à ce moment d’ancrer les conclusions de la recherche et l’on peut dès lors considérer que la théorie suggérée est enracinée (Glaser, 2003).

 

L’analyse comparative de cas multiple s’intéresse aux similitudes et distinctions des cas à l’étude. Pour construire les cas à l’étude et les comparer, on emploie une grande variété de sources, dont « l’examen de documents et archives ainsi que de rapports quantitatifs » (Yin, 2004, p. xii). En matière d’utilisation de documentation et d’archives (pouvant, par exemple, faire l’objet d’une analyse qualitative de contenu ou narrative de thématiques), les travaux peuvent, entre autres, s’appuyer sur des publications officielles, des rapports crédibles abordant la problématique du cas étudié, d’autres études de cas, des articles de journaux et de médias divers, des communiqués de presse, etc. (Shreier, 2012 ; Clandinin et Caine, 2004 ; Yin 2003). Ce type de conception de recherche permet aussi de construire des cas qui permettront une généralisation des observations « en rassemblant et analysant des évidences empiriques » (ibid., p. 85-86) qui permettent de contribuer à l’exploration et l’élaboration de nouvelles connaissances.

 

Pour construire les cas avant de les comparer, nous avons eu recours à des données quantitatives et qualitatives. Les données quantitatives présentées dans le tableau 1 ont été utilisées pour effectuer des tests d’hypothèses par régression linéaire simple sur nos trois hypothèses de départ à partir du logiciel XLStat, puis validées avec une combinaison du tableur Google Sheet disponible en ligne et la multiplateforme open source R studio.

À noter que, et nous y revenons plus en détail dans la présentation des limites de cette recherche à son stade actuel et dans la présentation dans les travaux à venir, la base de données employée contenant les deux premiers indicateurs du tableau 1 (CGLU, 2010) ne contient qu’une année de référence par pays, et que ces années ne sont pas toutes les mêmes, mais demeurent sur période rapprochée, soit entre 2006 et 2010. Dans nos travaux ultérieurs, nous envisageons donc d’augmenter le nombre de données à 10 années par pays étudié. Par ailleurs, considérant que nous comparons ces données à la croissance économique mesurée par la croissance du PIB réel des pays analysés et qu’elles se situent entre 2006 et 2010, nous avons considéré qu’il était probable qu’il y ait un impact dû à la crise financière de 2008 pouvant biaiser les résultats. Par conséquent, nous avons d’abord choisi d’étudier la croissance du PIB réel à la même année de référence que les ratios des dépenses des gouvernements sous-centraux comparativement aux dépenses des gouvernements centraux, puis d’étudier cette même relation à partir de la croissance du PIB réel des pays à l’étude sur la période de 2004 à 2013 (soit 5 années avant et 5 années après la crise financière). Cette approche nous a permis de démontrer que la crise n’affecte pas les résultats obtenus puisque les données sur dix ans sont légèrement plus significatives, comme nous le verrons dans la présentation des résultats.

 

Pour la portion de l’analyse qualitative, les sources suivantes ont été utilisées :

  • Rapports de regroupements de municipalités ;
  • Sites internet des municipalités à l’étude ;
  • Publications officielles rapportant des informations pertinentes à la construction des cas à l’étude (politiques économiques, rapports annuels, rapports budgétaires, états financiers, etc.) ;
  • Communiqués de presse, discours (tels que publiés) et articles de journaux ;
  • Communications par les acteurs considérés dans notre recherche sur les réseaux sociaux.

 

Dans une analyse de cas multiple, il convient de déterminer de façon rigoureuse le nombre de cas à l’étude ainsi que les cas qui seront retenus. Au départ, nous avons choisi de restreindre nos travaux en ciblant 96 pays contenus dans un rapport du regroupement mondial CGLU (Cités et gouvernements locaux unis) portant sur les dépenses des gouvernements locaux (CGLU, 2010), un rapport qui nous apparaissait plus que pertinent pour l’objet de notre recherche.  Cette première sélection, dite de convenance, a été privilégiée puisque nous avions accès aux données concernant ces pays afin de réaliser nos tests d’hypothèses, parce que ces pays nous apparaissaient répondre à un critère de répartition territoriale équitable comme présenté dans le schéma 1, et enfin, parce qu’au regard préliminaire des données, nous observions des écarts distinctifs dans les ratios que nous souhaitions mesurer, permettant de classer ces pays en deux catégories : les pays où le pouvoir d’achat est centralisé et ceux où il est décentralisé.

 

Schéma 1 : Répartition territoriale des 96 pays choisis

pour le volet quantitatif du projet de recherche[12]

 

118 villes, 1 couleur.png.jpg

 

Les premiers tests d’hypothèses (N=96) ont été réalisés sur les dépenses courantes comparativement à la croissance économique mesurée par la croissance du PIB des pays étudiés. Les résultats obtenus ont démontré que la variable explicative n’apportait pas d’information.  Par conséquent, nous avons réalisé les tests d’hypothèses sur les CAPEX (disponibles pour 75), où les tests se sont avérés beaucoup plus concluants. Par conséquent, nous avons choisi de restreindre notre recherche à ces 75 pays. À noter que ce premier constat ne nous a guère étonnés puisqu’indépendamment de la décentralisation ou la centralisation des pouvoirs de dépenser d’un État, les municipalités doivent engendrer des dépenses courantes pour servir les citoyens.  Par conséquent, ce sont les grands projets et les investissements ponctuels (CAPEX), selon qu’ils sont réalisés par les gouvernements centraux ou sous centraux, qui semblent du point de vue économique plus déterminant dans les mesures d’impact de la centralisation versus la décentralisation. Quant aux données disponibles concernant les impacts sur le risque de corruption, la source utilisée (Transparency International, années multiples) nous permettait d’obtenir les données pour les 75 pays étudiés. Enfin, les sources de données procurant des indicateurs de qualité de vie nous permettaient de réaliser nos régressions pour 68 pays dans le cas des données de Mercer (2017) et 53 pays dans le cas des données de EIU (2015).

 

Pour le volet qualitatif de notre recherche, nous avons identifié 118 villes ayant un potentiel d’être désigné la « capitale économique » des pays étudiés. Une première analyse de contenu a été effectuée pour retenir une ville par pays. Les critères suivants ont été ainsi observés pour retenir les 96 villes à l’étude :

  • Population (avec pour critère, lorsque possible, une population de plus de 1million d’habitants) ;

     
  • Interconnexion au commerce mondial selon deux critères :
    • Rôle économique dans le pays d’origine ;
    • Présence d’un port important favorisant le transport de marchandises.

       
  • Toutes autres informations pertinentes en cas de doute, par exemple, des articles de journaux ou rapports publics permettant d’identifier la ville à considérer comme capitale économique de son pays.

 

Ces 96 pays ont ensuite été divisés en deux strates présentées dans le schéma 2. Pour établir ces strates, nous avons d’abord observé que la répartition des ratios à l’étude suivait une distribution normale, puis nous avons choisi une limite près de la moyenne et de la médiane pour définir les deux strates suivantes :

  • Strate décentralisée (SD) : Les pays où le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé dans le cadre de cette recherche, soit un ratio des dépenses réalisées par le gouvernement central inférieur à 40% ;

     
  • Strate centralisée (SC) : Les pays où le pouvoir de dépenser est considéré comme centralisé dans le cadre de cette recherche, soit un ratio des dépenses réalisées par le gouvernement central supérieur à 40%.

 

Schéma 2 : Répartition des pays à l’étude où le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé dans le contexte de cette recherche (en vert) et des pays où ce pouvoir est considéré comme centralisé dans le cadre de cette recherche (en jaune)

 

96 villes, 2 couleurs.png.jpg

 

Étant donné que nos tests d’hypothèses préliminaires n’apportaient pas de signification sur l’échantillon de départ à partir des dépenses courantes (N=96), les deux analyses ayant été amorcées de manière concomitante, nous avons ensuite restreint cet échantillonnage aux données disponibles en termes de CAPEX (N=75) puisque ces données étaient plus concluantes, comme cela est expliqué plus tôt dans ce rapport. Ainsi, à partir du seuil de 40% des dépenses réalisées par l’État central, SD et SC contiennent respectivement 36 et 39 pays.

Enfin, pour réaliser l’analyse qualitative, nous avons choisi de retenir 30 villes, réparties entre SD et SC, présentées dans le Schéma 3.

 

Schéma 3 : Répartition des villes à l’étude situées dans un pays où le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé dans le contexte de cette recherche (en vert) et des villes situées dans un pays où ce pouvoir est considéré comme centralisé dans le cadre de cette recherche (en jaune)

 

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Pour orienter le choix de ces villes, nous avons retenu les critères suivants :

  • Disponibilité des données qualitatives dans une langue comprise par les chercheurs (limite des chercheurs), soit en français ou en anglais[13] ;

     
  • Disponibilité des informations en fonction des thèmes de départ identifiés.

Cet exercice a permis de retenir 18 villes pour SD et 12 villes pour SC.

 

À noter que les analyses qualitatives à ce stade-ci de la recherche portent sur la moitié de l’échantillon répartie équitablement entre SD et SC, mais déjà quelques tendances se forment permettant la présentation des résultats préliminaires. Ces tendances seront infirmées ou confirmées dans les étapes ultérieures de la recherche, et les observations seront aussi améliorées. De plus, au bénéfice du rapport préliminaire, nous avons comparé les cas à l’étude par simple lecture comparée des fiches de collectes de données. Néanmoins, il est prévu d’employer un logiciel d’analyse qualitative (NVivo ou QDA miner, le choix n’étant pas encore arrêté) afin d’améliorer le traitement et la présentation des données qualitatives. En effet, « ces logiciels aident au codage des unités de sens, facilitent la classification des données et fournissent une assistance précieuse lors de l’analyse et de la gestion des rapports » (Roy et Garon, 2013, p. 156). Toutefois, « le logiciel ne fait pas le travail de réflexion à la place du chercheur » (Ibid. p. 163). Ainsi, même si ces outils permettent une meilleure organisation et présentation de l’information, ils ne sont pas nécessaires. En ce sens, l’analyse des informations récoltées sans leur emploi demeure ainsi tout à fait possible. En revanche, nous postulons qu’une meilleure organisation de l’information peut aussi être utile pour identifier des relations et des fréquences difficilement identifiables dans l’étude de cas complexes, une complexité déjà présente dans un cas unique et qui s’accroît avec l’augmentation des cas à l’étude.

 

Enfin, la construction des fiches de collecte des données qualitatives, qui se veut déjà une première contribution[14] de cette recherche, repose sur un exercice rigoureux d’identification de thèmes et sous-thèmes entourant la thématique de recherche selon les étapes suivantes :

  • Identification de thèmes et sous-thèmes de départ à partir de la littérature scientifique et non scientifique ;
  • Pré test des thèmes et sous-thèmes de départ auprès d’un sous-échantillon de trois villes par strate pour valider les thèmes et en identifier de nouveaux ;
  • Détermination des thèmes et sous-thèmes définitifs pour la collecte de données.

 

 

Présentation des résultats préliminaires, discussion sur ces résultats et conséquences pour les administrations municipales et les entreprises

Considérant que nos analyses quantitatives et qualitatives portent sur les mêmes thèmes, nous avons choisi de présenter nos résultats à partir des trois grandes hypothèses d’abord étudiées par notre approche quantitative. En effet, les données qualitatives apportent un éclairage aux résultats obtenus par nos tests d’hypothèses. De plus, nous avons aussi privilégié une discussion des résultats dès leur présentation, considérant que dans certains cas, nous apportons d’autres précisions en provenance d’autres cas ou de la littérature. Enfin, nous concluons chacun des thèmes abordés par les conséquences potentielles de nos observations pour les administrations municipales et les entreprises.

 

Centralisation et décentralisation des CAPEX et croissance économique

Les tests portant sur H1 nous ont procuré des résultats inattendus. En effet, cette hypothèse suggérait que la décentralisation des pouvoirs de dépenser d’un État ait un effet positif sur la croissance économique de ce pays. Or, non seulement nos résultats ne confirment pas cette hypothèse, mais ils montrent plutôt une relation inverse, c’est-à-dire que plus le pouvoir de dépenser des États sous forme de CAPEX est décentralisé, moins il y a de croissance économique. En effet, nous obtenons une corrélation négative entre les variables (R = -0,53), 28% de la variabilité de la croissance du PIB réel est expliquée par la proportion des CAPEX des gouvernements locaux par rapport à l’ensemble des CAPEX gouvernementaux des pays (R2 = 0,277) et les résultats sont significatifs (p-value < 0,0001) tels qu’illustrés dans le graphique 1.

 

Aux fins de simplification de l’interprétation du graphique 1, rappelons simplement que plus le ratio CAPEX des gouvernements locaux comparativement aux CAPEX gouvernementaux du pays est élevé, plus le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé dans le contexte de cette recherche. Au regard du graphique 1, on observe ainsi non seulement une croissance économique moindre à droite du graphique, mais aussi que plusieurs pays ayant un pouvoir de dépenser décentralisé ont des PIB réels en décroissance.

 

Par ailleurs, lorsque nous réalisons le même test en choisissant une période de 10 ans pour la variable expliquée (moyenne de la croissance du PIB réel des pays à l’étude de 2004 à 2013), nous obtenons des résultats encore plus convaincants comme cela est illustré dans le graphique 2. En effet, nous observons ainsi que R = -0,59, que R2 = 0,352 et que les résultats sont toujours significatifs. De plus, nous remarquons que sur une période de 10 ans, il y a peu de pays qui se retrouvent en décroissance.

 

Ces résultats nous ont beaucoup étonnés et nous ont conduits à nous poser de nombreuses questions. Quand nous avons de tels questionnements, c’est là que la réelle recherche démarre puisque nous avons généralement à cette étape plus de questions que de réponses. Si nous souhaitons dans les travaux de recherche en cours de réalisation renforcer le nombre d’années de la variable explicative pour ancrer davantage nos résultats, il demeure que nos résultats préliminaires nous permettent de suggérer de premières explications plausibles[15].

 

Ainsi, à ce stade-ci de cette recherche, nous voyons plusieurs possibilités d’explications – dont certaines sont présentées sous forme de question sans réponse – et il y en a fort probablement d’autres. Notre première suggestion provient de nos données qualitatives. En effet, nous avons constaté que plusieurs pays où le pouvoir de dépenser était décentralisé aux années de référence de la variable explicative avaient un grand nombre d’administrations locales, et que depuis, certaines d’entre elles s’étaient engagées dans une rationalisation des administrations locales (par exemple en fusionnant des villes). Par conséquent, les résultats que nous avons obtenus pourraient s’expliquer par une décentralisation à outrance engendrant des coûts élevés et donc un usage non optimal des fonds publics. Dans cette perspective, un État où les administrations locales seraient en moins grande importance arriverait à faire meilleur usage des fonds publics en dépensant moins dans l’administration et plus en CAPEX.

 

La seconde proposition conduit à la question suivante : est-il possible que le phénomène de métropolisation se fasse au détriment d’autres régions porteuses de développement économique ? En d’autres termes, y aurait-il trop d’investissements réalisés dans les capitales économiques au détriment de régions qui auraient besoin de tels investissements pour exploiter une compétence particulière ? À ce propos, Arnold et Blöchliger (2016, p.3) font remarquer dans leurs travaux en cours de réalisation qui portent sur l’évolution des PIB régionaux dans les pays membres de l’OCDE que « les inégalités ont diminué entre les pays, tandis que les disparités se sont souvent accentuées à l'intérieur de chaque pays ».

 

Le troisième essai explicatif se fonde sur trois données : un cas observé au tournant de l’an 2000 par un des auteurs de cette recherche[16], qui concerne le cas de l’après-crise de 2008 dans le secteur des technologies de l’information (TI), des travaux récents de l’OMC et enfin, nos données qualitatives. Mais pour toutes ces situations que nous décrivons ci-dessous, nous partons du même raisonnement : et si la relation que nous avons observée était plutôt l’inverse ? C’est-à-dire que dans les pays où il y a moins de croissance économique, les gouvernements ont-ils davantage tendance à dépenser en CAPEX pour soutenir leur économie ?

 

C’est le cas ci-dessus qui a d’abord suscité ce questionnement. En effet, au tournant de l’an 2000, plusieurs entreprises du secteur des TI ont beaucoup souffert de l’après pseudo bogue de l’an 2000. Plusieurs entreprises avaient fait de bonnes affaires avant cette période, autant dans le secteur privé que public, mais l’accalmie qui a suivi a mis plusieurs entreprises en difficulté. Si bien qu’au Canada, il a été observé une forte croissance des avis d’appels d’offres publics dans le secteur des TI dans les années qui ont suivi le 1er janvier 2000. En effet, plusieurs administrations publiques ont beaucoup investi pour soutenir leur économie considérant l’importance relative de ce secteur par d’importantes dépenses en CAPEX principalement destiné à la refonte d’importantes bases de données, systèmes en ligne destinés à la clientèle, etc.

 

D’autre part, depuis la crise de 2008, l’OMC (2014) a fait remarquer dans ses récents travaux que nous assistons à une forte recrudescence des mesures protectionnistes dans un grand nombre de pays. Certaines de ces mesures se manifestent au travers des achats des gouvernements pour soutenir leur économie. On a qu’à penser à l’injection de 783 Milliards d’USD aux États-Unis (Kho and Smith, 2009) destinés aux achats gouvernementaux couverts par le Buy National Act. Cette mesure n’est pas nouvelle aux États-Unis, puisqu’elle est en vigueur depuis 1933, mais c’est l’ampleur de l’augmentation des dépenses et le fait de les inscrire dans cette mesure – qui favorise les fournisseurs locaux – après une importante crise financière qui témoigne d’un apport particulier de l’État par ses dépenses en ayant pour principal objectif le soutien de son économie.

 

Enfin, les données qualitatives de notre recherche en cours de réalisation nous ont permis d’observer que là où le pouvoir de dépenser est décentralisé, il existe au niveau des administrations locales davantage de politiques de développement économique, de soutien à la création et à la croissance des entreprises, au développement des emplois, de soutien à l’innovation et à l’exportation, etc. Cependant, ces programmes ne semblent pas se traduire en une meilleure croissance économique des pays observés. Par conséquent, cela révèle probablement davantage d’une nécessité de créer des environnements propices pour attirer des entreprises, des investissements, de la main-d’œuvre qualifiée, etc. pour demeurer dans la course, plutôt que de pouvoir contribuer à la croissance économique.

 

Mais, tout cela n’explique pas que là où il y a moins de croissance économique, on soutienne davantage son économie par les dépenses des administrations locales. En effet, rien ne nous dit dans nos analyses actuelles que les pays où le pouvoir de dépenser est centralisé n’investissent pas autant par leurs administrations centrales. De deux choses l’une, soit nous capturons un phénomène généralisé, peu importe que le pouvoir de dépenser soit décentralisé ou non ; soit nous observons un phénomène de soutien économique propre au pays où le pouvoir est décentralisé et où la croissance économique est moindre. Ce dernier cas conduit à la quatrième suggestion de réflexion que nous apportons.

 

Cette suggestion pose d’abord la question suivante : d’où proviennent les fonds publics lorsque l’on augmente les CAPEX dans un pays où il y a peu de croissance économique ? Une réponse simple est la suivante[17] : soit il y a augmentation des taxes et impôts prélevés par l’État, soit il y a augmentation de la dette de l’État. Dans un contexte où les ressources financières se font de plus en plus rares, assistons-nous dans ces pays à un transfert du fardeau de la dette des gouvernements centraux vers les gouvernements sous-centraux ? Sommes-nous trop endettés au niveau des gouvernements centraux dans ces pays, de sorte que de transférer la responsabilité vers une administration locale en leur accordant le pouvoir de dépenser augmente le pouvoir d’endettement gouvernemental total du pays ? Nos données qualitatives nous ont permis de constater qu’en effet, le pouvoir de taxation, d’endettement et d’appel à l’épargne est plus grand au niveau des municipalités situées dans des pays où le pouvoir de dépenser est décentralisé. « Beaucoup de pays, confrontés à une expansion rapide de l’urbanisation, ont fait le choix de confier aux gouvernements locaux la responsabilité de la mise en place des infrastructures publiques locales en leur accordant des ressources suffisantes et la possibilité d’emprunter. À la suite de ces décisions, l’investissement public urbain a augmenté, ce qui, à son tour, a contribué à la croissance économique nationale » (CGLU, 2007). Ainsi, le transfert de ce pouvoir d’emprunter (ou décentralisation fiscale) permettrait la décentralisation des dépenses sous forme de CAPEX, tout en optimisant ce pouvoir de dépenser en multipliant les entités aptes à contracter une dette, mais, rappelons-le, contrairement à ce qui est avancé ci-dessus, les résultats de notre recherche suggèrent plutôt que dans les pays étudiés, plus le pouvoir de dépenser est décentralisé, moins il y a de croissance économique nationale. Par conséquent, cette observation pose une autre question qui nous apparaît importante : assistons-nous à une augmentation indue du fardeau fiscal des citoyens ?

 

Pour conclure la présentation des résultats obtenus en ce qui concerne notre première hypothèse, précisons qu’il est probable que tous les phénomènes ci-dessus, ou plusieurs d’entre eux interviennent dans cet environnement complexe et que chacun d’eux explique une partie de la variabilité mesurée de la variable expliquée. Il est aussi probable que la relation de cause à effet soit inversée, ou encore aille dans les deux sens sans perdre de vue que d’autres phénomènes interviennent considérant que R2 nous permet de n’expliquer que 35% de cette variabilité[18]. De plus, nous posons la question suivante pour renforcer l’importance relative des contributions des investissements en provenance de l’État : quelle serait la situation de ces pays sans les investissements importants de leurs États ? En effet, même si la croissance économique de ces pays est moindre, nos résultats ne nous permettent pas de nier qu’il y ait une contribution à cette faible croissance par les CAPEX des municipalités. Enfin, à partir des résultats préliminaires de cette recherche, nous sommes en mesure de faire ressortir les conséquences potentielles suivantes :

 

 

Sur ce dernier point, cette conséquence nous apparaît particulièrement importante pour les PME. En effet, toujours à partir du cas observé dans le secteur des TI, ce sont les grandes entreprises qui ont bénéficié de l’apport des contrats additionnels du début des années 2000 dans ce secteur. En effet, les PME de ce secteur avaient négligé les contrats publics avant l’an 2000. Le principal motif qu’ils nous rapportaient était des rendements moindres dans ces marchés dus à la forte concurrence présente sur les marchés publics. Les grandes entreprises maintenaient néanmoins un positionnement dans les marchés publics qu’elles ont augmenté au moment où les investissements des États se sont accrus. Elles ont ainsi palier par les nouveaux contrats publics le manque qu’elles avaient dans les marchés privés et les autres marchés publics. Ayant déjà développé les réseaux des marchés publics, elles avaient un avantage concurrentiel sur ces marchés comparativement aux PME, qui elles, ont tenté tant bien que mal de devenir fournisseurs sur ces marchés. N’y parvenant pas, les grandes entreprises ont poursuivi leur croissance et pour parvenir à livrer les nouveaux contrats obtenus, elles ont soit recruté au sein des PME, soit racheté à bon prix des PME en difficulté financière. Ainsi, bien que les marchés publics offrent des rendements moindres, ils demeurent plus stables en période économique plus difficile, et sont par conséquent moins risqués que des contrats privés (il est rare de voir un État faire faillite). Par conséquent, il nous apparaît stratégique d’assurer une proportion minimale de contrats publics dans un portefeuille d’affaires moins risqué.

 

Centralisation et décentralisation des dépenses et risque de corruption

 

Les tests réalisés à partir de notre seconde hypothèse corroborent les attentes que nous avions. En effet, plus le pouvoir de dépenser est décentralisé, plus l’indice de perception de la corruption (IPC) est élevé. En effet, pour l’année de référence de l’indice CAPEX des gouvernements locaux en pourcentage des CAPEX gouvernementaux du pays en comparaison de la même année pour l’indice de corruption, nous obtenons les résultats suivants :

R = 0,663 ; R2 = 0,44, P < 0,0001 ; N = 75

Puis, en réalisant les mêmes tests sur une période de 10 ans pour l’IPC, nous arrivons aux résultats suivants :

R = 0,665 ; R2 = 0,43 ; P < 0,0001 ; N = 75

 

Soit sensiblement les mêmes résultats.

D’abord, ces résultats peuvent contribuer à expliquer les résultats obtenus du test effectué sur notre première hypothèse, puisqu’il est raisonnable de croire que la corruption, qui correspond à un gaspillage des fonds publics, réduit le potentiel de contribution à la croissance économique par les CAPEX. Ainsi, il est probable que la décentralisation rende plus complexe l’implantation de mécanismes de contrôles, et là aussi les multiplier à outrance aurait pour conséquence de se traduire en une augmentation des dépenses et donc une diminution de l’efficience dans l’utilisation des fonds publics.

 

En revanche, au regard de nos analyses qualitatives, un autre phénomène nous a beaucoup étonné : plus le pouvoir de dépenser est décentralisé, plus l’information qui concerne les approvisionnements des municipalités est transparente et accessible. C’est-à-dire que nous retrouvons aisément dans les sites internet de ces municipalités les informations suivantes – elles-mêmes difficile à trouver ou absente dans les pays où le pouvoir de dépenser est centralisé – :

  • Les processus d’approvisionnement et les règles qui les encadrent – ils sont clairement présentés et simples à comprendre ;
  • Les publications des avis d’appels d’offres ;
  • Les résultats d’adjudication de contrat – qui contiennent le nom des entreprises à qui les contrats ont été octroyés ainsi que la valeur du contrat obtenu dans la grande majorité des cas;
  • Les mécanismes en place en cas de conflits, destinés au règlement des différends.

 

Ce résultat contre-intuitif compte tenu du résultat précédent peut s’expliquer selon notre réflexion actuelle par deux possibilités :

  • Soit le fait de rendre l’information plus transparente conduit à une meilleure identification des cas de corruption. Dans une telle hypothèse, la décentralisation serait par conséquent bénéfique pour permettre de réduire la corruption et les résultats que nous obtenons ne sont que cette démonstration sans signifier qu’il y ait plus de corruption dans les pays où le pouvoir de dépenser est décentralisé, mais simplement parce que plus de cas de corruption y sont dévoilés que dans les pays où le pouvoir de dépenser est centralisé. Remarquons aussi que moins il y a de dépenses dans une administration, moins il peut techniquement y avoir risque de corruption. À ce propos, le CGLU (2008, p. 138) propose l’explication suivante « la démocratisation et le renforcement de la société civile rendent la corruption plus visible, ce qui explique pourquoi les citoyens peuvent avoir la sensation que le problème s’est aggravé même si ce n’est pas nécessairement le cas ».

     
  • Soit il y a plus de corruption qui accompagne la décentralisation des pouvoirs de dépenser. Ce qui porte aussi à penser que nous assistons à un phénomène de sophistication de la corruption et des moyens permettant de les identifier – ce dernier cas contribuant aussi à l’explication ci-dessus. Mais du point de vue de la sophistication de la corruption, nul besoin de présenter plus en détail ce que de nombreux cas qui ont occupé l’espace médiatique nous ont appris à ce sujet. En effet, du simple mécanisme de l’enveloppe brune, nous observons aujourd’hui des cas de collusion entre les fournisseurs, entre les employés de l’État (incluant ou non les élus) et les fournisseurs, des récompenses sous forme d’avantages, d’envois de fonds dans des paradis fiscaux, etc. La corruption se réalise là où il y a des pouvoirs de dépenser, et plus l’on installe des mécanismes de lutte à la corruption, plus elle se complexifie pour contourner ces mécanismes, et plus ces mécanismes doivent s’adapter à cette « innovation » en matière de corruption. D’ailleurs, au cours de la réalisation de cette recherche nous avons observé le cas d’une ville qui a décidé d’implanter un mécanisme de lutte à la corruption en établissant une unité spéciale de lutte à la corruption en 2013 pour réduire les risques de corruption au niveau municipal. Or, le maire qui en a fait l’annonce à cette époque a été reconnu coupable de fraude, d’abus de confiance et de complot en janvier 2017.

 

Soulignons enfin que la décentralisation des pouvoirs de dépenser pourrait aussi simplement déplacer le problème de corruption vers les administrations sous-centrales, rendant les mécanismes de contrôle plus efficaces pouvant être administrés ou imposés par l’État central (contrôle d’un niveau de compétence sur un autre). En revanche, cela pourrait aussi contribuer à la sophistication de la corruption en impliquant de la collusion entre les divers niveaux d’administrations gouvernementales, voire même entre les organisations gouvernementales et les autorités de surveillance. 

 

Là encore, il est probable que ces phénomènes combinés expliquent chacun une partie de nos résultats, sans oublier que d’autres phénomènes interviennent sur l’explication de notre seconde hypothèse considérant R2.

 

 

 

Centralisation et décentralisation des dépenses et de la qualité de vie

Lorsque nous introduisons les indices de qualité de vie, nous confirmons de manière encore plus évidente notre hypothèse de départ à ce sujet.  En effet, à partir de l’indice de MERCER, nous obtenons les résultats suivants :

R = 0,797 ; R2 = 0,636 ; P < 0,0001 ; N = 68

Puis à partir de l’indice de EIU, les résultats suivants :

R = 0,65 ; R2 = 0,43 ; P < 0,0001 ; N = 53

 

Rappelons simplement que le premier indice est réalisé sur un plus grand nombre d’observations que le second (N = 68 versus N = 53), mais dans les deux cas nous observons une forte corrélation ainsi qu’une proportion élevée de l’explication de la variabilité de la variable expliquée.

 

L’explication la plus plausible de ces résultats provient de nos données qualitatives qui nous permettent de constater que plus le pouvoir est décentralisé :

  • Plus les CAPEX dédiés aux transports en commun, aux parcs, à l’environnement, aux infrastructures, etc. sont élevés, alors que les dépenses courantes sont comparables entre les États où le pouvoir est décentralisé et ceux où le pouvoir est centralisé ;
  • Plus il y a présence de plan stratégique, de plan de positionnement à long terme, de plan de croissance, etc. au niveau de l’administration municipale[26] ;
  • Plus on remarque une ouverture à la participation citoyenne ainsi que des budgets et des CAPEX affectés à cette participation.

En d’autres termes, les villes où le pouvoir est décentralisé répondraient mieux aux besoins des citoyens et citoyens corporatifs.

Limites et travaux futurs

Comme tout travail de recherche, nos travaux comportent des limites que nous estimons important de considérer dans l’interprétation des résultats que nous avons obtenus et dans les travaux à venir qui entourent cette recherche. Nous croyons aussi qu’il est important de préciser les limites de ce travail de recherche en cours de réalisation qui ne pourra pas répondre à toutes les questions qu’il soulève. En effet, de nombreux travaux seraient requis pour y parvenir et la limite de temps ne nous permettra pas de répondre à toutes ces questions. Néanmoins, la visée exploratoire de cette recherche permet d’apporter l’identification de phénomènes nouveaux qui peuvent permettre d’orienter des travaux futurs, pouvant aller jusqu’à la proposition d’un programme de recherche entourant les thématiques que nous avons abordées jusqu’à maintenant.

 

Sur le plan des données que nous avons employées, les limites suivantes ainsi que les perspectives d’avenir méritent d’être soulignées :

  • La méthodologie employée ne permet pas, ce qui n’était pas non plus l’objectif de notre recherche, d’établir de relations de causes à effet hors de tout doute entre les variables étudiées. Notre travail porte strictement sur les corrélations que l’on peut observer entre ces variables.

     
  • La base de données que nous avons employée pour l’indicateur des CAPEX des administrations municipales en proportion des CAPEX totaux des gouvernements des pays étudiés nous limitait à une seule année comprise entre 2006 et 2010 (CGLU, 2010). Néanmoins, dans les étapes à venir nous souhaitons tenter d’augmenter le nombre d’années en référant aux mêmes sources employées dans ce rapport, c’est-à-dire les données d’Eurostat, de l’OCDE, de la Banque mondiale et du FMI.

     
  • L’indice de perception de la corruption que nous avons employé (IPC) est un indice généralement admis en recherche, mais il demeure un indice de perception et non un indice mesurant le niveau de corruption, une mesure pratiquement impossible à réaliser. En effet, le seul moyen d’obtenir une telle mesure serait de faire une recension des contrats octroyés, de choisir un échantillon et demander aux personnes qui les ont obtenus s’ils ont eu recours à la corruption… Même si cela était le cas, il est peu probable que ces personnes accepteraient de nous faire une telle confidence. Ainsi, il est probable que cet indice de perception soit influencé par les cas de corruption mis au grand jour par les médias ou les autorités de lutte à la corruption, ce qui renforce l’idée que nous apportions voulant que ce soit ce phénomène qui contribue à faire croitre cet indice.

     
  • Les indices de qualité de vie sont récents et controversés, et il en existe plusieurs. Nous avons arrêté notre choix sur les indices de Mercer (2017) et de EIU qui nous apparaissaient fiables du point de vue méthodologique. De plus, ils proposent des résultats sur plusieurs années. Dans le cas de l’indice de Mercer, nous avons employé une seule année, celle du dernier rapport disponible gratuitement au moment de réaliser nos analyses qui portent sur le classement de 2016. Une demande est en cours auprès de Mercer pour obtenir les données des années antérieures sans frais (en effet, elles sont disponibles moyennant des frais et nous sommes confrontés aux limites budgétaires de ce projet de recherche) qui nous ont indiqué qu’ils pourraient nous fournir les résultats des années antérieures sans frais. Nous prévoyons ainsi ajouter ces données à nos travaux en cours de réalisation. Par ailleurs, les données de EIU que nous avons utilisées concernent l’année 2014. Considérant que nous obtenons un nombre de villes moins important qu’avec les données de Mercer, nous avons déjà choisi de limiter les analyses aux données déjà employées. Enfin, il demeure qu’entretemps, nous avons trouvé pour les deux indices des données sur Wikipédia (2017) qui présentent leurs tops 10 pour 2014 à 2016 et que nous n’observons pas de grande fluctuation.

     
  • Malgré la controverse entourant les indicateurs de mesure de la qualité de vie, soulignons qu’il existe des controverses qui concernent à peu près tous les indicateurs, dont celui de la mesure de la croissance économique mesurée par le PIB et le PIB réel. Néanmoins, nous avons le parti pris que des travaux réalisés à partir d’indices employés en recherche, malgré leurs controverses, méritent notre attention dans l’espoir que des travaux futurs puissent être réalisés à partir de nouveaux indices plus performants ou mieux reconnus.

     
  • Rappelons que nos analyses qualitatives à ce stade-ci de la recherche portent sur la moitié de l’échantillon et que nos travaux futurs intègreront l’utilisation d’un logiciel d’analyse qualitative une fois le travail de collecte de données complétées.

     
  • Enfin, bien que nous observions des tendances, nous avons aussi observé des cas d’exception. Pour le moment, nous avons fait le choix de ne pas fournir d’exemples représentatifs des observations réalisées et des cas d’exception, mais nous prévoyons dans le rapport de recherche définitif fournir de tels exemples.

Une autre limite que nous avons présentée dans la section portant sur la méthodologie concerne la limite linguistique des chercheurs (français et anglais) qui a fait en sorte que nous avons dû exclure le Mexique ainsi que les pays de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud dans notre analyse qualitative. Dans les étapes ultérieures, nous étudierons la possibilité d’introduire un logiciel de traduction pour nous permettre d’ajouter quelques pays de ce territoire. Cet ajout contribuerait à améliorer la recherche à deux niveaux en permettant d’abord d’introduire ces pays pour améliorer la représentativité de l’échantillon et ensuite de rééquilibrer le nombre de pays étudiés dans les pays où le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé comparativement à ceux où ce pouvoir est considéré comme centralisé.

 

Une dernière limite que nous souhaitons apporter concerne une question que nous avons reçue lors de notre présentation au Festival de géopolitique de Grenoble en mars 2017. En effet, un participant nous a demandé si nos observations, compte tenu de la répartition géographique des pays où le pouvoir de dépenser est considéré comme décentralisé comparativement à celle où il est considéré comme centralisé dans le cadre de cette recherche, n’afficheraient pas plutôt une comparaison entre pays développés et pays moins développés considérant que la croissance économique est plus lente dans les pays développés. En effet, lorsque l’on observe les schémas 2 et 3, nous voyons bien cette distinction entre les deux strates que nous avons établies. Ainsi, nous introduirons cette observation dans nos travaux à venir. Une façon de considérer cette remarque importante est de réaliser nos tests d’hypothèses sur les deux strates indépendamment l’une de l’autre, afin de voir si ces tests procurent les mêmes résultats lorsque nous combinons tous les pays. Nous avons amorcé ce travail qui procure des résultats intéressants, mais nous faisons le choix de réserver la présentation de ces résultats dans notre rapport définitif. Nous avons ainsi deux objectifs : d’abord terminer ce travail qui est en cours de réalisation, ensuite maintenir un suspense et l’intérêt pour les résultats à venir.

 

Enfin, en ce qui concerne d’autres travaux potentiels, ou un éventuel programme de recherche, à partir des thèmes identifiés dans notre recherche en cours, les dimensions suivantes nous semblent particulièrement d’intérêt :

  • Davantage de travaux nous apparaissent requis concernant les résultats que nous avons obtenus à partir de nos hypothèses :
    • D’abord pour corroborer ou infirmer les résultats que nous avons obtenus, par exemple en augmentant le nombre de pays à l’étude (ce qui peut aussi être considéré comme une limite à ce travail puisque nous avons choisi un échantillonnage dit de convenance reposant sur la disponibilité des données que nous avions au départ) ou encore pour établir d’éventuelles relations de cause à effet ;

       
    • Ensuite pour améliorer les explications que nous avons procurées, elles-mêmes pouvant faire l’objet de travaux ultérieurs allant jusqu’à l’élaboration de modèles d’optimisation, qui permettraient de :
      • Mieux saisir les enjeux qui entourent les coûts de la décentralisation (incluant ceux associés aux mécanismes de lutte à la corruption) pour faire un meilleur usage des fonds publics ;
      • Étudier l’impact de la répartition des CAPEX entre les capitales économiques et les régions porteuses de développement économique ;
      • Mieux comprendre les politiques de développement économique administrées au niveau municipal et leurs impacts réels sur la croissance économique ;
      • Élucider davantage l’impact de la décentralisation fiscale ;
      • Parvenir à une meilleure compréhension du rôle important des municipalités et de leurs programmes améliorant la qualité de vie des citoyens et citoyens corporatifs.

         
    • Enfin, mieux cerner les conséquences de ces observations pour les administrations municipales et les entreprises.

 

 

Conclusion

Nous avons vu que nous obtenons des résultats qui contredisent notre première hypothèse et des résultats concluants sur les deux autres hypothèses de cette recherche en cours de réalisation. La falsification de la première hypothèse, reposant sur une croyance qui ne semble pas avérée, nous apparaît une contribution qui mérite davantage de travaux dans le futur. Néanmoins, à ce stade-ci de notre travail de recherche, cet éclaircissement nouveau nous semble intéressant quant aux conséquences pour les administrations municipales et les entreprises que nous pouvons extraire de nos résultats.

 

L’ensemble des thèmes abordés dans cette recherche nous semble aussi d’intérêt pour l’avancement des connaissances qui entourent les domaines de recherche des marchés gouvernementaux et du positionnement des entreprises sur ces marchés. Notre approche de recherche qui repose sur une analyse comparative de cas multiples nous permet d’ailleurs d’apporter ces thèmes sous forme de contribution (voir l’annexe A) pouvant être utile à des travaux futurs. D’autres travaux ont déjà été réalisés sur ces thèmes qui ont émergé des cas à l’étude comme nous l’avons sommairement indiqué dans la présentation des résultats et seront davantage intégrés dans notre rapport définitif.

 

Même si l’on mesure une relation négative entre la décentralisation des pouvoirs de dépenser des États et la croissance économique, il nous apparaît important d’éviter de tomber dans un mode de raisonnement qui conduirait à choisir de centraliser le pouvoir de dépenser des États avec l’espoir de créer une croissance économique. Rappelons simplement que les corrélations observées ne signifient pas qu’il y ait une relation de cause à effet hors de tout doute entre ces variables. Nous avons d’ailleurs fait la démonstration qu’il est raisonnable de croire qu’il y ait une relation de cause à effet dans un sens, dans l’autre ou dans les deux sens. De plus, d’autres phénomènes (d’autres variables explicatives) interviennent nécessairement sur les variables étudiées (variable expliquée).

 

En outre, nos observations qualitatives permettent de confirmer qu’il existe bien un phénomène d’isomorphisme institutionnel sur les notions de centralisation et de décentralisation des pouvoirs de dépenser, observables dans chacune des strates étudiées comme nous l’avions postulé au départ. Certes, une telle corroboration confirme la théorie, mais ne nous semble pas être une grande contribution sur le plan scientifique puisqu’elle a déjà été maintes fois corroborée. En revanche, l’emploi de cette théorie dans la recherche qui s’intéresse aux marchés gouvernementaux et administrations gouvernementales nous semble davantage susceptible d’une contribution nouvelle. En outre, rappelons la suggestion de DiMaggio et Powel (1983, p. 147) voulant que le phénomène d’isomorphisme institutionnel repose plutôt sur les processus qui rendent les organisations plus semblables « sans nécessairement les rendre plus efficientes » (ibid., p. 147). Par conséquent, cette idée renforce l’intérêt d’approfondir nos connaissances sur les conséquences réelles de cet isomorphisme institutionnel dans les organisations gouvernementales afin de réfléchir à des modèles qui permettraient un meilleur usage des fonds publics.      

 

Sur le plan de la recherche en management, il nous semble aussi intéressant de souligner que les observations que nous avons apportées jusqu’à maintenant tendent à démontrer des distinctions importantes relatives aux clients étatiques comparativement aux clients privés, ce qui mérite tout autant notre attention dans un exercice qui vise à mieux comprendre l’environnement externe pour mieux positionner les entreprises désireuses de vendre sur ces marchés.

 

Enfin, nous croyons que, sans que cela ne se fasse au détriment des indicateurs de croissance économique dont nous acceptons l’importance, que les villes sont d’abord des milieux de vie. Ainsi, la qualité de vie nous semble beaucoup plus importante que l’unique indicateur de croissance économique. Ainsi, dans un contexte de prise de décision, c’est l’ensemble de la complexité de l’environnement étudié qui devrait être pris en considération en cherchant des approches permettant d’optimiser l’ensemble des enjeux auxquels les municipalités et les entreprises doivent faire face.

 

Remerciements

Nos premiers remerciements vont à HEC Montréal et aux organisateurs du Festival de géopolitique de Grenoble (FGG). En effet, ce projet de recherche s’inscrit dans un cours-projet qui avait pour objectif de permettre à un étudiant de niveau maitrise prometteur (G. Chabot) de vivre une expérience concrète de recherche avec présentation des résultats préliminaires de recherche dans une conférence internationale. Ainsi, nous remercions HEC Montréal pour nous avoir permis de vivre cette expérience de formation alternative et les organisateurs de FGG pour nous avoir permis de présenter nos résultats au FGG dans ce contexte de formation, en plus de nous avoir si bien accueilli. Nous souhaitons également remercier les personnes qui ont apporté de judicieux commentaires et des questions pertinentes lors du FGG. Sans leur apport, la réflexion n’en serait pas où elle en est aujourd’hui. Enfin, nous souhaitons aussi dire merci à Mme Julie Lévesque, coordonnatrice générale du Réseau québécois de villes et villages en santé, une initiative née à Toronto en 1984 et reprise par l’Organisation mondiale de la Santé en 1986, qui a accepté de nous rencontrer pour discuter des thématiques que nous avions retenues et qui nous a généreusement suggéré quelques références et idées permettant d’améliorer nos travaux.

 

 

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Yin, R. K. (2004), The Case Study Anthology, Sage Publications, Californie, 271 p.

Yin, R. K. (2003), Case Study Research, Design and Methods, Third Edition, Collection: Applied Social Research Methods Series, Vol. 5, SAGE Publications, Californie, 200 p.

Yin, R. K. (1993), Application of Case Study Research, Collection: Applied Social Research Methods Series, Vol. 34, SAGE Publications, Californie, 181 p.

Yukins, C. et G. Piga (2013), Set-Asides for Small and Medium Firms, as in the US System with the Small Business Act That Reserves Shares of Tenders to SMEs Only: Dialogue, The Applied Law and Economics of Public Procurement, p. 215-230.

 

ANNEXE A

Fiche de collecte de données qualitatives

<Nom de la ville>

<Pays>

 

Population

Taille de la population.

 

Répartition des pouvoirs entre le gouvernement central et les entités sou-centrales

  • Politiques sous responsabilité directe de la municipalité par rapport à celles sous la responsabilité d’entités supérieures ;
  • Acte ou politique de décentralisation ;
  • Etc.

 

Principal message de la gouvernance tel que communiqué par la gouvernance

  • Message du maire ;
  • Message de la haute direction de la ville ;
  • Principaux messages véhiculés sur le site web ;
  • Communiqués de presse récents ;
  • Etc.

 

Politiques de développement économique

  • Politiques mises de l’avant pour assurer le développement économique de la ville ;
  • Projets, mesures, etc. visant le développement économique local ;
  • Etc.

 

Principaux projets promus en ordre de diffusion

  • Projets dans lesquels la ville investit des ressources qu’elle met de l’avant dans ses efforts de communication ;
  • Projets qui requièrent des achats importants ;
  • Projets qui définissent davantage le rôle/les préoccupations de la municipalité.
  • Etc.

 

Budgets (en devise locale)

  • Ampleur des revenus et des dépenses.
  • Répartition des revenus ;
  • Répartition des dépenses en distinguant :
    • Les salaires ;
    • Les achats de la ville ;
    • Les investissements ;
    • Le service de la dette ;
  • Etc.

 

Autonomie financière

  • Quelles sont les sources de revenus de la ville ?
  • La ville a-t-elle le pouvoir d’emprunter, de faire des appels à l’épargne, etc. ?
  • Paiement de transfert provenant des entités supérieures ;
  • Etc.

 

Approvisionnement (pouvoir d’achat)

  • Valeur des achats ;
  • Type d’achats ;
  • Transparence :
    • Diffusion des processus d’approvisionnement ;
    • Diffusion publique des avis d’appels d’offres ;
    • Diffusion des résultats d’adjudication de contrats ;
    • Présence d’un fichier de fournisseurs ;
    • Etc.

 

Principaux enjeux identifiés

  • Enjeux qui préoccupent les élus et les dirigeants ;
  • Enjeux rapportés par les médias ;
  • Etc.

 

Bibliographie

 

[1] UN Habitat (2016a, p.1) estime 43% alors que Tomàs (2016, p. 2) estime plutôt que ce ratio était inférieur à 40%.

[2] Soit une moyenne de 14,48% du PIB des pays non membres de l’OCDE et 19,96% pour les pays membres de l’OCDE.

[3] À noter que le concept de décentralisation contient d’autres notions, par exemple la décentralisation du pouvoir politique, mais nous avons délibérément choisi de restreindre notre recherche au pouvoir de dépenser des États et leur soutien aux entreprises.

[4] Voir le site internet du groupe de recherche, http://www.nottingham.ac.uk/pprg/, consulté le 24 mai 2017.

[5] Voir le site internet du Atlantic University of Florida,  http://www.fau.edu/research/fau-centers.php, consulté le 24 mai 2017.

[6] À noter que nous avons confirmé ce modèle simple à partir des états financiers et des rapports annuels des municipalités étudiées dans cette recherche.

[7] C’est-à-dire lorsque l’État central leur confère un pouvoir d’endettement.

[8] À noter que plusieurs sources que nous avons consultées, principalement les rapports des regroupements de municipalités et ceux des organisations internationales qui s’intéressent à ces notions, abordent ces thématiques. Nous avons retenu ci-dessous les passages qui nous semblaient les plus représentatifs des thèmes de départ retenus pour cette recherche.

[9] Voir la section suivante pour plus de détail qui porte entre autres sur la méthodologie employée.

[10] Même commentaire que la note précédente. De plus, nous décrivons aussi dans cette section comment ces thèmes et sous-thèmes ont été élaborés à partir de la littérature ainsi que des cas à l’étude.

[11] À noter que ce rapport de recherche en cours de réalisation a été rédigé après notre participation au FGG à la demande des organisateurs qui souhaitaient publier ce rapport considérant l’intérêt qu’a suscité cette présentation et intègre déjà quelques éléments de réflexion issue des échanges et des questions que nous avons eux avec les participants à cette conférence.

[12] Les cartes des schémas 1, 2 et 3 ont été construites par les auteurs à partir du logiciel en ligne, accessible à : https://www.mapcustomizer.com/

 

[13] Voir la section portant sur les limites de cette recherche et les travaux futurs pour plus de détail à ce sujet.

[14] Voir la fiche générique telle qu’utilisée à l’annexe A de ce rapport.

[15] À noter qu’à ce stade-ci de la recherche, ces tentatives sont destinées à la discussion avec la communauté scientifique et non scientifique, premier objectif de cette présentation de nos résultats préliminaires. C’est ainsi que notre participation au Festival de Géopolitique de Grenoble en mars 2017 nous a déjà permis de faire évoluer cette réflexion.

[16] En effet, S. Coudé a été directeur général, membre fondateur et membre du conseil d’administration d’un centre de veille et d’expertise sur les marchés publics au Canada destiné à accompagner les entreprises privées dans leur développement des affaires auprès des acheteurs publics. Ce centre était financé par l’État central et un gouvernement sous-central qui souhaitaient stimuler une plus grande diversité chez les fournisseurs et la présence de fournisseurs locaux dans les appels d’offres publics. En particulier, tous les avis d’appels d’offres publiés au Canada étaient analysés sur une base quotidienne et rediffusés aux fournisseurs clients du centre.

[17] Dans un modèle plus complexe nous pourrions entre autres aussi considérer les revenus générés par des ventes (par exemple une société d’État rentable qui verse des dividendes au gouvernement central) ou encore la disposition d’actifs, mais dans le premier cas, si cela est difficile pour les firmes privées faute de croissance, il est probable que cela soit aussi difficile pour une société d’État et dans le second, encore faut-il un acheteur. De plus, ces deux types de possibilités n’apportent pas de nouvelles liquidités rapidement à très court terme, ce qui est requis lorsque l’on souhaite soutenir son économie par ses dépenses.

[18] À ce propos, l’analyse de la seconde hypothèse apporte probablement une explication additionnelle de ce constat comme nous le suggérons plus loin dans ce rapport.

[19] Par extension, ces conséquences potentielles concernent aussi les administrations nationales.

[20] Cette observation renforce ce qui est déjà connu. En effet, les recommandations d’organisations qui se penchent sur ces notions convergent en ce sens (par exemple, celles du CGLU et de UN Habitat) et certaines régions urbaines sont déjà engagées dans un cycle de rationalisation (par exemple en réalisant des fusions entre municipalités).

[21] Une thématique étudiée plus en profondeur par des travaux en cours de réalisation par Bertolini et al., 2016).

[22] On retrouve d’ailleurs dans les travaux cités dans les deux notes de bas de page précédentes plusieurs recommandations qui vont dans le sens d’augmenter le pouvoir de dépenser des administrations locales, une notion qui mériterait d’être davantage étudiée considérant les conséquences potentielles identifiées dans cette recherche et les résultats que nous avons obtenu. Il ne s’agit pas de prendre position, ce qui n’est pas l’objectif de la recherche scientifique, mais bien d’étudier les phénomènes tels qu’ils existent pour déterminer les conséquences potentielles associées aux choix des administrations publiques et ainsi éventuellement proposer des modèles empiriques ou des théories.

[23] Il existe néanmoins des cas d’exception que nous abordons sommairement dans la section limites et travaux futurs de cette recherche.

[24] Nous employons le terme « réel » puisque le cas rapporté ci-dessus concernant un maire reconnu coupable de fraude, d’abus de confiance et de complot porte à penser que l’intention d’une annonce de mise en place d’un mécanisme de contrôle de la corruption eut été réalisé par ce dernier dans un objectif de détourner l’attention de ses propres agissements.

[25] Précisons simplement que là aussi les médias nous ont rapporté de nombreux cas qui ont eu de lourdes conséquences pour les entreprises dont les dirigeants, cadres et employés ont été reconnus coupables de corruption.

[26] Comme nous l’avions déjà fait remarquer dans la discussion sur les résultats de H1.

denis_juliette

« La fabrique de la Lettonie soviétique. Une soviétisation de temps de guerre, 1939-1949 »

Juliette Denis

​Professeur agregée

LE 9 MAI 2005, Vladimir Poutine convie ses homologues étrangers à Moscou pour les cérémonies des soixante ans de la Victoire. La présidente de la Lettonie, Vaira Vīķe-Freiberga, hésite à y rendre : bien qu’acceptant l’invitation du chef d’Etat russe, elle critique publiquement l’interprétation russe de la guerre. Son pays, annexé par l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) en 1940, puis occupé par les Nazis de 1941 à 1945, et enfin reconquis et réintégré à l’URSS, n’est en effet pas prêt à reconnaître le rôle libérateur de l’Armée rouge. Dans une lettre à Vladimir Poutine, la présidente lettone énonce sa vision de l’histoire. Elle considère la date du 9 mai non pas comme le soixantième anniversaire de la libération de son pays (en 1945), mais comme le cinquante-cinquième anniversaire de la Déclaration de Schuman (en 1950), qui a posé les jalons de l’Union européenne à laquelle son pays est fier d’appartenir depuis 2004. Cette démarche constitue un clair rejet du passé communiste et soviétique au profit d’un présent européen et libéral. En célébrant avec l’Europe occidentale la victoire sur l’Allemagne nazie, elle témoigne également de sa volonté de commémorer, « avec une grande tristesse, la seconde occupation soviétique (1944- 1991, J.D.), les immenses pertes humaines et les souffrances qui en découlèrent ».

L’affaire n’en reste pas là. Les années suivantes sont émaillées de conflits autour de l’histoire : en Russie, en Lettonie, et entre les deux pays. Même chose en Estonie, en Lituanie, en Ukraine… où des débats animent le milieu historien, la sphère politique et l’opinion publique. C’est donc avec une très forte conscience – et sans doute, à cause d’elle – de me confronter à une thématique historique sensible, politisée, violente par moment, que j’ai souhaité étudier l’établissement du régime soviétique en Lettonie. Mes directeurs de thèse, Annette Becker et Nicolas Werth, ont initié et soutenu ce projet. Les découvertes continuelles en archives, les rencontres avec des témoins, les discussions collectives avec des historiens de tous bords ont abouti à la structuration de mon sujet de thèse, intitulé « La fabrique de la Lettonie soviétique, une soviétisation de temps de guerre, 1939-1949 ». Cette décennie, matrice de l’histoire de la seconde moitié du XXème siècle et des violents débats du XXIème, a engendré de permanentes redéfinitions et revirements. Les rhétoriques d’aujourd’hui les ignorent ou les simplifient, et projettent sur un passé fantasmé les antagonismes réducteurs du présent.

Bien qu’inspiré par les controverses actuelles, mon sujet n’en reste pas moins une thèse d’histoire. Comment les circonstances de la Seconde Guerre mondiale ont-elles à la fois impulsé et infléchi les méthodes staliniennes de soviétisation – telle est la question qui a aiguillé mes recherches. J’ai d’abord cherché à rendre compte de la chronologie extrêmement secouée des années 1940. Je l’exposerai en première partie. Se dégagent alors les mécanismes d’imposition du pouvoir et les contraintes nées de la guerre, qui confèrent au terrain letton sa position singulière en URSS. L’une des particularités de la période et du pays réside dans les immenses déplacements de population (forcés ou « volontaires ») suscitées par les incessants changements de souveraineté. Je les présenterai en deuxième partie. Enfin, en troisième partie, je reviendrai sur les mémoires contrastées de cette époque, qui participent à la reconfiguration des espaces sociaux, politiques et géopolitiques à l’Est.

 

L’imposition tumultueuse du pouvoir soviétique en Lettonie

Avant son annexion à l’URSS et avant la guerre, la Lettonie incarne la complexité est-européenne par la mosaïque sociale, nationale et religieuse qu’elle présente. Le territoire letton, à la fin années 1930, a ceci d’inédit qu’il combine une position Est / Ouest, entre les espaces germaniques et slaves, et Nord / Sud, entre la Scandinavie au nord et la Pologne et le Yiddishland au sud. Il concentre le melting pot est-européen par excellence, en orthogonalité et en cardinalité.

Au cœur de ce territoire, sa capitale Riga : malgré la saignée de la Première Guerre mondiale, elle continue à regrouper l’immense majorité des habitants, la quasi-totalité des ouvriers, et présente une grande diversité nationale et sociale. La Courlande, à l’ouest du pays, est très marquée par l’influence germanophone et par sa majorité « lettone », et découpée en grands domaines agricoles hérités de l’ancien régime. La Latgale, une région frontalière délaissée, politiquement suspecte, et globalement discriminée par le pouvoir letton en raison de sa pauvreté et de l’hétérogénéité nationale (russe, polonaise, latgalienne, juive...), constitue quant à elle un « confin » est-européen, dont les édifices religieux et la diversité linguistique actuelle conservent tant bien que mal la mémoire.

Politiquement aussi, la situation est bigarrée. Alors que l’Europe bascule massivement dans le fascisme, la Lettonie connaît en 1934 un tournant nationaliste et dictatorial. La situation internationale s’obscurcit à la fin des années 1930. Après la conférence de Munich en 1938, le monde politique letton redoute autant les assauts de l’Allemagne nazie que de l’URSS stalinienne. Il semble atteint d’une forme de strabisme divergent : un œil vers l’Est, un œil vers l’Ouest ; ou bien, dans sa variante interne : un œil sur les communautés germanophones, un œil sur les pénétrations bolcheviques. En 1939, le gouvernement letton se tourne plus nettement vers l’Allemagne. L’URSS observe avec une angoisse croissante la montée du nazisme, et les démonstrations profascistes et anticommunistes des pays de l’Est. Les signes du rapprochement de la Lettonie avec l’Allemagne nazie inquiètent les plénipotentiaires soviétiques, le Commissaire du peuple aux Affaires étrangères Molotov, et le dirigeant de l’URSS, Staline.

Ma thèse s’ouvre sur cette période. Le 23 août 1939, à la surprise de tous et au désespoir de beaucoup, l’URSS signe avec l’Allemagne nazie un pacte laissant à Hitler toute latitude pour envahir la Pologne et entraîner le continent dans la guerre. Les clauses secrètes de cet accord définissent des sphères d’influence. La Lettonie fait partie de la « sphère soviétique ». Cependant, en 1939, pour Staline et Molotov, pas question d’annexer le pays : ce dernier a vocation à être « satellisé », comme ses voisins, et à se tourner progressivement vers une alliance avec l’URSS et, pourquoi pas, à terme, vers un régime socialiste. De l’été 1939 à l’été 1940, la Lettonie demeure indépendante. Dans les pays baltiques, « l’ambiance du pacte », si bien écrite par Jean Cathala dans son oeuvre magistrale, Sans fleur ni fusil, est angoissante. En Lettonie, on se félicite certes d’avoir échappé à la guerre, mais des signes avant coureurs laissent présager un sombre avenir. L’URSS impose à la Lettonie un traité commercial, une alliance politique, l’implantation de bases militaires… c’est surtout le départ des Allemands de la Baltique qui inquiète la population. La minorité germanophone du pays, environ 70 000 habitants sur deux millions, se voit « rapatriée » vers le Troisième Reich. Pourquoi partent-ils en toute hâte, si ce n’est pour échapper à la probable main mise soviétique sur le pays ?

La défaite de la France en juin 1940, qui révèle l’invincibilité de la Wehrmacht, précipite l’annexion des pays baltiques. Staline espère renforcer les défenses de l’URSS grâce à un glacis territorial autour de Leningrad. En juin 1940, l’Armée rouge pénètre en Lettonie dans une « hâte frénétique », selon l’expression d’Alexander Werth [1]. Les annexions, dans les trois pays baltiques, suivent un processus bien rôdé, entre ultimatum fallacieux, intimidation militaire et mise en scène d’une révolution endogène. Après un référendum aux résultats sans appel, les représentants lettons, estoniens et lituaniens se rendent à Moscou pour entériner leur rattachement volontaire à l’URSS. Fin juillet 1940, l’annexion à proprement parler s’achève, la soviétisation commence.

Pendant un an, elle débute prudemment. Sans doute, les autorités soviétiques pensaient avoir plus de temps pour se rendre maître du pays. Ils n’imaginaient pas que, dix mois plus tard, l’occupation allemande interromprait brutalement le processus d’uniformisation. Un aspect frappant de l’époque est l’absence d’enthousiasme des bâtisseurs du régime soviétique en Lettonie. En 1940, l’effervescence des années révolutionnaires a disparu. La responsabilité de la construction du socialisme est confiée à des « communistes lettons » qui ont vécu en URSS depuis la révolution, et ont pour beaucoup miraculeusement échappé aux purges staliniennes des années 1930. Envoyés en Lettonie à partir de 1940, ils ont perdu toute ardeur, toute exaltation, mais appliquent sans broncher les directives staliniennes. En 1940-1941, ces objectifs consistent surtout à renforcer l’administration autour des pôles communistes (autour de Janis Kalberzins) et étatique (autour de Vilis Lacis), à introduire quelques réformes économiques (réforme agraire, nationalisations), et à réprimer des groupes d’ennemis ciblés et peu nombreux.

La situation change en juin 1941. Notons que dans les années 1940 en Lettonie, la saison estivale est rarement associée au retour des jours heureux. La Nature bienfaisante versus le Drame politique et humain, tel est le topos des récits des témoins. L’été 1941 représente le seuil de désastres, pourtant différents dans leur nature et leurs victimes. Premièrement, après plusieurs mois de calme apparent, la répression stalinienne prend un tour nouveau : la condamnation de 5000 « ennemis de classe » aux travaux forcés, et la déportation de 10 000 membres de leur famille intervient le 14 juin 1941. Deuxièmement, le 22 juin 1941 l’armée allemande lance l’opération Barbarossa contre son allié soviétique. Lorsque la Wehrmacht s’apprête à envahir la Lettonie, une grande partie de la population lettone ne voit pas d’un mauvais œil l’intervention allemande qui balaie le maître soviétique. Mais environ 50 000 personnes s’enfuient coûte que coûte : soldats, cadres de l’Etat, Lettons d’origine juive gagnent l’Est précipitamment et obtiennent en URSS non occupée le statut d’évacués [2].

Comment qualifier les années d’occupation nazie en Lettonie ? Mon objectif n’était pas d’étudier en détails les politiques nazies, mais plutôt la manière dont les Soviétiques les ont perçues. Dès les années de guerre, en URSS non occupée, les autorités centrales et républicaines s’échinent à connaître la situation et à prévoir la reconquête. Certes, la propagande de guerre ne rend pas hommage à la perspicacité des informations secrètes recueillies sur la Lettonie occupée… Mais au moins deux processus sont bien connus des autorités soviétiques : l’ampleur de la Shoah et de la collaboration. Très tôt, Molotov publie un rapport, partiellement publié dans la Pravda, dévoilant avec une très grande justesse l’extermination précoce et exhaustive des Juifs de Lettonie. L’extermination n’aurait pu se dérouler sans la collaboration active de groupes de policiers lettons qui se sont mis de leur plein gré au service des Nazis. La collaboration en Lettonie prend des formes diverses et étendues. Hormis la participation au génocide, des policiers lettons ont également coopéré aux opérations anti-partisanes dans les zones frontalières russe et biélorusse. A partir de 1943, des dizaines de milliers de soldats sont recrutés dans la « légion des volontaires lettons » de la Waffen SS. Lavrenti Béria, à la tête du Commissaire du peuple aux Affaires intérieures (NKVD), admet très tôt que la majorité de ces « volontaires » ont en réalité été enrôlés de force. Il n’empêche. Le nombre pléthorique de Lettons incorporés dans les forces armées du Reich, comparé à la faiblesse des effectifs des partisans soviétiques, conduit les autorités soviétiques à percevoir négativement de l’ « état d’esprit » de l’ensemble des Lettons envers l’URSS.

De l’été 1944 au printemps 1945, la reconquête de la Lettonie par l’Armée rouge et la refondation du pouvoir se déroulent dans un chaos total, propre d’ailleurs aux sorties de guerre européennes. Tandis que l’Armée rouge libère péniblement le territoire, les autorités du Parti et de l’Etat rétablissent l’administration et redémarrent la production, agricole notamment. Parallèlement, des dizaines de milliers de Lettons fuient, toujours plus à l’Ouest, espérant échapper au pouvoir soviétique (et, pour certains d’entre eux, à un châtiment sanctionnant leur collaboration). Enfin, des civils et des soldats russes et biélorusses espèrent rester en Lettonie, qui leur paraît plus préservée que leurs propres pays. De l’incertitude cependant, se dégagent certaines tendances que le pouvoir soviétique s’emploie à accentuer dans les années suivantes. Des tâtonnements à la radicalisation, telle est la tendance de la deuxième moitié des années 1940. A l’intérieur du territoire, la tâche principale de la police et des autorités soviétiques est d’éliminer l’hostilité ouverte ou sourde envers le pouvoir. Dès 1944, les services de sécurité recherchent les « traîtres » qui, d’une manière ou d’une autre, ont servi les occupants allemands. Très rapidement, cette tâche se mue en « lutte contre le banditisme ». Dans la terminologie soviétique, les « bandits » désignent d’anciens collaborateurs ou de nouveaux ennemis, qui ont pris clandestinement les armes contre le pouvoir soviétique, notamment dans les campagnes. Bien que la situation en Lettonie n’atteigne jamais la catastrophique guerre civile dévastant la Lituanie ou l’Ukraine de l’Ouest, les activités des « bandits », parfois violentes, reçoivent une réponse sans appel. Alors que la situation intérieure demeure instable, les relations internationales se tendent également. Un élément cristallise les enjeux de Guerre froide naissante : les 150 000 Lettons (environ 10% de la population d’après-guerre) réfugiés à l’Ouest. Ils incarnent l’annexion illégale du pays ; ils diffusent, avec d’autres personnes déplacées estoniennes, lituaniennes, ukrainiennes… un discours très antisoviétique à l’Ouest. Les anglo-saxons, qui gèrent les camps de réfugiés en Allemagne, sont de plus en plus cléments avec les « personnes déplacées » lettones. Soupçonnés au départ de collaboration massive, ces anciens « complices de Hitler » sont de plus en plus perçus comme des « victimes de Staline » et à ce titre, bénéficient de politiques migratoires favorables. L’URSS tente de diffuser un appel clément et protecteur pour les inciter à rentrer – en vain.

1949 marque un tournant. A l’intérieur, pour mettre fin aux troubles lancinants dans les campagnes, les autorités moscovites décident d’accélérer la collectivisation des campagnes et, dans le même temps, de déporter 49 000 « bandits », « complices de bandits » et « koulaks ». A l’extérieur, l’accentuation de la Guerre froide radicalise le discours soviétique sur les réfugiés. Désormais, ces « émigrés nationalistes bourgeois lettons » sont associés aux collaborateurs pronazis, bénéficiant de l’aide coupable des Occidentaux. La première phase de sa soviétisation est achevée, une autre lui succède – marquée par l’industrialisation, l’arrivée de citoyens soviétiques et la consolidation des institutions.



Comment définir la soviétisation ?

Dans les opus écrits dans les pays baltiques, en Ukraine de l’Ouest, ou dans certains ouvrages occidentaux, l’imposition du pouvoir soviétique est systématiquement qualifié d’ « occupation ». En témoigne par exemple le « Musée de l’occupation » de Riga, qui présente trois occupations successives : soviétique (1940-1941), nazie (1941-1945), puis de nouveau soviétique (1945-1991). Selon moi, et malgré l’orientation de l’historiographie actuelle en Lettonie (ou ailleurs), la soviétisation se distingue d’une « occupation ». L’intégration au monde soviétique n’a jamais été conçue comme provisoire, elle n’établit pas de « double pouvoir » (armé et civil) propre, par exemple, aux occupations nazies en Europe. La fixation sur le terme d’occupation semble d’autant plus incongrue que l’annexion, et la soviétisation qui en découle sont des processus autant, voire plus radicaux, plus profonds et plus durables qu’une occupation. Sans doute le terme s’est-il popularisé pour des raisons plus politiques que scientifiques, afin d’assimiler sans détour régimes nazi et soviétique. Cet amalgame est excessif, voire faux. L’URSS depuis sont apparition, et dans les circonstances des années 1940, connaît une extension singulière. Les populations soumises à son expansion peuvent certes éprouver un « sentiment d’occupation » incontestable, mais les mécanismes étatiques sont bien plus complexes et changeants.

Classiquement, on définit la soviétisation comme les processus structurels, institutionnels et culturels de transfert et d’adoption du modèle soviétique. Le régime soviétique expérimente son extension en Russie même, juste après la révolution et la guerre civile, et dans les marges non russes de l’URSS d’avant 1939. En Lettonie et chez ses voisins, plusieurs spécificités modifient la politique d’expansion. Premièrement, le processus est contrarié par les circonstances de guerre et de guerre froide. Deuxièmement, il reprend des techniques étatiques staliniennes développées dans les années 1930, mais en tâchant de les appliquer plus méthodiquement, comme réponse aux désordres causés par le conflit. Enfin, il est accentué par les très nombreux mouvements de population engendrés, directement ou non, par l’imposition du pouvoir soviétique. Trois exemples permettent de rendre compte de la complexité de la période et, par extension, de la notion même de « soviétisation ». L’occupation nazie, en interrompant la soviétisation, renforce également le potentiel de résistance des Lettons au régime soviétique. A la fin de la guerre, quelques milliers de Lettons gagnent la clandestinité et sont déterminés à en découdre. Contre eux, le régime soviétique déploie certes des techniques de guerre contre-insurrectionnelle, mais sans jamais abandonner aux zones rebelles : au contraire, le renforcement de l’administration, des institutions soviétiques, la recherche d’appuis locaux accompagnent systématiquement l’identification et l’élimination des ennemis. La soviétisation n’est pas seulement une « pacification » violente, mais aussi la construction et l’uniformisation d’un territoire.

Pour ce faire, les représentants du pouvoir stalinien n’hésitent pas à s’appuyer sur les politiques des années 1930, mais en les adaptant au terrain letton. C’est le cas de la « passeportisation » et de la « collectivisation », deux procédés initiés à la fin des années 1940 en Lettonie pour mettre fin aux troubles des campagnes. Les deux politiques ont été pratiquées dans les années 1930. On connaît bien les désastreuses conséquences de la collectivisation des terres au début des années 1930, on sait moins bien quels ont été les motivations et les objectifs de l’attribution de passeports intérieurs à certaines catégories de citoyens soviétiques. A l’origine, il s’agissait de recenser et de contrôler les déplacements des habitants de zones stratégiques, notamment des grandes villes, des centres industriels et des zones frontières. En Lettonie, ce sont tous les habitants des campagnes qui se voient « identifiés » et « localisés » par la passeportisation en 1947. Ainsi, la politique des années 1930 est adaptée aux conditions des zones rurales lettones, considérées comme les espaces les plus sensibles dans le nouvel Ouest soviétique. La collectivisation en Lettonie, en 1948-1949, n’a pas juste une dimension économique : elle vise à redécouper des campagnes instables et hostiles, et à regrouper les habitants. On voit à travers ces exemples que les méthodes de soviétisation ne cessent de se redéfinir et de se modifier, au gré des conditions locales, tout en conservant une certaine cohérence tout au long de la période stalinienne.

Dans tous les cas, les autorités républicaines et moscovites ont dû composer avec les conséquences – attendues ou non – du conflit mondial. La surprise principale qui attend le pouvoir soviétique lors de sa reconquête en 1944-1945 est la fuite massive de la population lettone vers l’Ouest. 150 000 Lettons ont fui, et l’immense majorité parviendra à rester à l’Ouest. Regroupés dans des camps de « Displaced Persons » (DPs) dans les zones occidentales d’occupation de l’Allemagne, ils refusent tout rapatriement, espèrent, comme 800 000 autre DPs d’origines diverses, être éligibles à l’émigration, et répandent un discours antisoviétique radical. Pour l’URSS, les conséquences de l’exil des Lettons sont multiples. A l’échelle de la Lettonie, c’est une saignée démographique sans précédent, qui prive la jeune république de bras et de compétences. Au niveau international, le groupe de réfugiés et leur discours hostiles représentent une sérieuse remise en cause de la gloire de la Victoire. Surtout que les réfugiés lettons incarnent l’illégitimité de l’annexion et de la reconquête. Dès le début de la Guerre froide, et durant toutes les décennies suivantes, le pouvoir soviétique surveillera le comportement des « émigrés nationalistes-bourgeois » et de la bienveillance des puissances occidentales à leur égard. Cette forme de résistance lettone extraterritoriale n’incite que davantage à au strict contrôle des frontières de la République.



En guise d’épilogue : les échos des années 1940 dans les années 2010

Etudier l’annexion et la soviétisation de la Lettonie peut permettre de comprendre, sans gommer les spécificités des terrains et des périodes, d’autres formes d’extension du régime soviétique puis russe au XXème siècle et au XXIème siècle. A ce titre, mon travail de thèse s’intègre dans un vaste champ historiographique et géopolitique d’étude de l’Europe de l’Est. Sans avoir apporté de réponses définitives à ces questions – faute de temps, faute de matériel, faute de compétences…- il me semble important de s’interroger sur la continuité historique. Comment ne pas voir la « soviétisation » des pays de l’Est après la guerre dans la suite de l’expansion soviétique dans ses propres frontières ? Dans la durée, comment ne pas être tenté d’entendre la « passeportisation » des habitants de Crimée, en 2014, comme le lointain écho des politiques des années 1940 ? Plus généralement, la spécificité de l’Europe de l’Est ne réside-t-elle pas justement dans les incessants changements de souverainetés et de régimes, dont les traces demeurent malgré les modifications radicales de ces dernières décennies ?

Justement, la mémoire des différents régimes, notamment dans leurs aspects les plus violents, continue à cliver les opinions publiques, les zones géographiques et les catégories sociales dans les pays de l’Est. Les désastres des années 1940 ont eu des conséquences différenciées, les témoins et les héritiers de cette époque continuent d’en porter la mémoire. Deux exemples individuels permettent de cerner les enchevêtrements des cataclysmes. Lors de mes recherches en Lettonie, j’ai mobilisé, outre les sources écrites issues de bon nombre de centres de conservation, des récits de vie oraux. Deux femmes que j’ai rencontrées, Diana et Silva, sont les héroïnes de ma contribution à l’ouvrage Déportés en URSS, résultat du projet « Archives sonores. Mémoires européennes du Goulag ». Diana et Silva sont toutes deux nées dans les années 1930 en Lettonie. Elles ont été déportées avec leur famille le 14 juin 1941 et se retrouvèrent dans d’effroyables conditions dans un village sibérien. Libérées miraculeusement, à l’issue d’une épopée politique en 1946, elles reviennent en Lettonie. Puis, suspectées, à moitié dans la légalité, elles sont de nouveau déportées dans les suites de la vague répressive de 1949. Leur libération définitive intervient en 1956 après la mort de Staline (1953).



Leur expérience est a priori similaire, et pourtant, la restitution de leur parcours est totalement différente. Silva est précise, à l’aise, enjouée par moment ; son récit est structuré, chronologique, ininterrompu pendant près de deux heures. Elle témoigne d’une maîtrise incontestable de la langue et du contenu de son discours. Ce n’est pas le cas de Diana : elle commet des erreurs de dates, bute sur des détails, et surtout elle ne cesse de demander ce que je peux bien trouver d’intéressant à son histoire… La différence de ces récits, recueillis quasiment au même moment en 2009, s’explique certes par des divergences sociales, professionnelles des biographies des deux femmes. Mais une autre opposition m’est apparue fondamentale. Silva incarne, à travers son parcours et celui de sa famille, l’histoire officielle de Lettonie et la mémoire étatique : sa famille a souffert sous Staline, et en porte les traces. Diana, d’origine juive, a un rapport plus ambigu avec la déportation : pour elle, la fracture fondamentale ne date pas de la déportation du 14 juin 1941, mais de l’invasion nazie du 22 juin 1941, qui a scellé le sort de toute sa famille, massacrée à peine quelques semaines après. Sans qu’elle ne le formule explicitement, elle-même, et les membres de sa famille déportés en Sibérie, ont été « sauvés » par Staline. Malgré lui, bien évidemment, mais sauvés quand même.… En déportant des familles entières, dont une part non négligeable de citoyens juifs, en autorisant l’évacuation, dont de nombreuses familles juives… le pouvoir stalinien, sans en avoir conscience, a « permis » à certains Juifs d’Europe de l’Est d’échapper à la mort certaine que leur réservaient les Nazis.

Les récits de Diana et Silva à eux-seuls incarnent les drames subis par « Europe de l’entre-deux » dont la Lettonie fait partie. Démêler les fils emmêlés de l’histoire des années 1940 semble bénéfique pour comprendre les enjeux des années 2010. En étudiant la Lettonie, son passé bouleversé, les déplacements de ses habitants, j’ai cherché à me plonger dans la complexité et l‘étrangeté, à rendre compte d’une histoire méconnue et pourtant révélatrice de celle de l’Europe tout entière.

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L'énergie : enjeu de pouvoir et de vulnérabilités des villes.

Comment la sécurité énergétique apparaît-elle comme facteur d’indépendance pour les villes?

Viviane du Castel
ISEG/ISG PBM-ISERAM, ISMEA, Paris, France
v.ducastel@orange.fr

Voir la conférence

La sécurité énergétique est un enjeu fondamental pour les villes. En effet, les thématiques énergétiques sont ainsi l’une des préoccupations majeures des mairies et des collectivités. Nombreux sont ceux qui ont été ou sont ainsi confrontés à des choix énergétiques, souvent induits par des événements extérieurs, tels que le poids des opinions publiques, manipulés ou non, par la proximité d’échéances électorales importantes, avec des impacts économiques et financiers, électoraux, etc. D’une façon générale, choix énergétiques et choix politiques sont intimement liés.

 

Tous les échelons politiques et administratifs sont concernés et les villes sont au premier rang de nombreux dispositifs territoriaux. Ces dernières s’impliquent dans la transition énergétique et s’imposent comme des acteurs incontournables des nouveaux paysages énergétiques citadins.

 

Dans le même temps, il existe une forte interconnexion entre l’énergie et la croissance démographique mondiale. Il apparaît nécessaire, voire indispensable, de mettre en place une dynamique nouvelle relative à la production, au transport et à la distribution de l’énergie, en adéquation avec la croissance de la population. Les villes se positionnent de plus en plus comme des vecteurs de croissance au rayonnement bien au-delà de l’échelon local.

 

Dans ce cadre, les Etats ainsi que les villes de l’Union européenne (UE) sont divisés face à la législation relative à l’énergie et au climat. Toutefois, l’UE entend rendre le marché de détail européen de l’électricité plus durable et plus sobre en termes de carbone. La libéralisation du marché de l’électricité vise à créer, depuis 2007, un marché interne unique européen, afin d’optimiser le secteur. Ainsi, le client urbain se voit proposer une offre sécurisée en termes d’approvisionnements, et ce, à des prix compétitifs.  Les mutations et les évolutions du secteur énergétique ne n’engendrent-elles pas un risque de déstabilisation pour les villes ? Des engagements internationaux afin de préserver la planète, n’entraînent-ils pas des vulnérabilités sur les acteurs et les sur les décideurs urbains ?

 

Ainsi, deux parties vont être ici envisagées. La première partie entend la COP 21 comme un véritable enjeu pour les villes et leur croissance. La deuxième partie s’attachera à envisager de nouvelles solutions énergétiques pour la sécurité des villes.

 

1)  La COP 21 : un défi énergétique majeur pour la croissance des villes ?

 

Surtout depuis la COP 21, les métropoles s’orientent vers une amélioration du progrès technique et de la concurrence internationale, des technologies bas carbone et des conditions macro-économiques plus stables. Toutefois, des freins persistent : inerties des systèmes énergétiques, longueur des cycles d’investissement, croissance de la population mondiale, hausse des besoins énergétiques des classes moyennes, complexité de l’économie globalisée et volatilité des prix.

 

L’instabilité internationale représente autant de défis à relever qui affectent directement la sécurité des approvisionnements[1].

 

A-L’envol des matières premières, facteur d’incertitudes pour les villes ?

L’essor de l’économie des pays émergents entraîne des tensions sur les approvisionnements, sur les minéraux et les métaux, ou encore sur le prix des matières premières. Il devient donc nécessaire de diversifier les sources d’approvisionnements, mais il faut aussi recycler. Les villes ont ici une dimension à saisir impactant leur avenir.

 

L’avenir pour villes au sein de l’UE à long terme vise à « s’inscrire dans de nouveaux projets d’extraction, de recyclage et de produits de substitution dans le monde. Les nouvelles stratégies sont la hausse de l’efficacité, du recyclage, de la réutilisation des ressources ; levée des barrières face au recyclage[2] (ex. : manque de données face à la quantité de matériaux recyclés, face au coût des recherches, face aux coûts de transaction ; hausse de la gestion et de la collecte des déchets) ». Dans le même temps, l’UE cherche à se positionner sur le marché international[3] : « l’évolution des prix et de la consommation sont fonction de l’offre et de la demande. Les conséquences de la crise de 2008 sont un frein à la hausse de la demande de matières premières, une forte pression des pays émergents et une hausse des dépenses de prospection. De nouvelles stratégies industrielles des pays émergents se mettent en place : protection des ressources pour les États émergents ; créer des situations favorables à leur industrie en valeur ; ménager des accès privilégiés aux matières premières ; effet de concentration face aux pays producteurs, concentration et intégration verticale des entreprises ».

 

Dans ce contexte, les métropoles européennes sont à la recherche de nouveaux modèles de développement.

 

B-Vers de nouveaux Business Models citadins ?

Le système électrique urbain est en pleine mutation. Les réseaux électriques, vont dans les prochaines années, être de plus en plus connectés et interactifs. Cette évolution va favoriser un rapprochement des territoires grâce à une production décentralisée. Dans ce cadre, la maîtrise de la demande énergétique (MDE) va s’accroître grâce à l’implication des prosumateurs. À titre illustratif, certains fournisseurs d’électricité se positionnent sur le segment de « l’électricité éthique », en proposant à leurs clients, une électricité 100 % renouvelable[4], orientée sur une implication citoyenne et locale.

 

Une telle situation a été favorisée par la dérégulation des marchés de l’électricité. Les marchés peer-to-peer vont sans doute ainsi être amenés à évoluer vers un décongestionnement local et adapté des réseaux électriques au niveau interrégional. L’énergie 4.0 favorise ainsi un redéploiement des réseaux intelligents vers une production plus décentralisée. Dans ce contexte, les clients accèdent directement à la chaîne de valeur du système électrique[5]. Dans ces conditions, si rien ne change sur le réseau, le coût dudit réseau va augmenter ainsi que les tarifs pour les consommateurs. De plus, il va falloir recourir à des énergies d’appoint, qui sont carbonées.

 

Si la tendance du secteur électrique s’oriente vers la décarbonisation, les problèmes induits, par les faiblesses intrinsèques des énergies renouvelables, ne sont pas pour autant toujours résolus. En effet, la volatilité de la production engendre des capacités limitées d’électricité. De plus, afin de réduire les impacts de l’intermittence des énergies renouvelables, le stockage devrait se développer afin de limiter les effets néfastes de la variabilité[6]. Les villes ont un rôle déterminant afin de mieux maîtriser leur avenir énergétique.

 

Cette évolution ne peut que découler de politiques volontaristes de la part des pouvoirs publics. La digitalisation électrique découlera d’une gouvernance responsable valorisant des intégrations sur l’ensemble de la chaîne de valeur et par une politique fiscale, législative et financière de long terme, afin d’accroître les investissements nécessaires et de favoriser la croissance induite[7].

 

L’électricité citoyenne et locale tend à se développe. Ainsi, via une plateforme dédiée et virtuelle, les prosumateurs vont revendre leur surplus de production électrique à des consommateurs locaux. Dans le même ordre d’idées, l’autoproduction doit s’intégrer dans le système électrique général et devra après stockage être déstockée autant que de besoin, comme cela est le cas pour l’intégration des énergies renouvelables sur le réseau (ex. : rôle des STEP, batteries, etc.)[8]. Dès lors, se dirige-t-on à terme vers une « démocratie énergétique »[9] basée sur l’électricité ?

 

C-Marché de détail européen de l’électricité, entre enjeux et opportunités[10].

Le marché de l’électricité concerne tous les acteurs du marché, y compris les villes à tous les stades de la chaîne de valeurs : production, échange, consommation, utilisation des infrastructures. Le marché européen citadin de l’électricité favorise une optimisation des modes de consommation qui sont très hétérogènes selon les pays et selon les périodes (hiver/été).

 

Dans ce contexte, le marché citadin de détail et de gros détermine les investissements et les innovations à entreprendre. Le secteur de l’électricité est surveillé de façon réglementaire (gestionnaires de réseau et gestionnaires de distribution).

 

Certains experts considèrent que le nucléaire sera lié à l’avenir aux énergies renouvelables, en raison de ses caractéristiques propres[11]. Toutefois, le nucléaire pourra-t-il répondre au temps nécessaire pour monter et baisser en puissance. C’est donc le thermique et l’hydraulique qui feront l’équilibre et assurer la durabilité[12]. A l’avenir, existe-t-il des solutions énergétiques alternatives pérennes ?

 

 

2)  Vers de nouvelles solutions énergétiques

La sécurité des approvisionnements est une problématique fondamentale pour les villes qui sont à la recherche de solutions alternatives à celles existantes, afin de pouvoir rester compétitif sur le long terme et qui tentent de s’organiser. Ainsi, l’UE cherche à mettre ses États membres d’accord.

 

A-Le marché unique de l’énergie, gage de sécurité énergétique ?

L’Union européenne cherche à mettre en place un marché unique de l’énergie, ce qui n’est pas toujours aisé tant les États membres n’ont pas de réelles visions communes sur ce thème[13]. Les villes sont alors tributaires des décisions qui leur sont imposées.

Les prix de l’énergie sont liés pour une petite partie aux coûts techniques et technologiques, mais si cette part tend à diminuer. Celle qui évolue avec la fiscalité et le système de rente tend à s’accroître. La question des tarifs est alors un axe qui pourrait être un premier pas vers une politique commune européenne, notamment au niveau des villes.

Dès lors, il est nécessaire de stocker pour ne pas déstabiliser les réseaux. Actuellement, le stockage s’effectue par « pompage de l’eau avec le courant excédentaire vers les réservoirs en altitude »[14], les STEP. Sinon, en période de forte consommation, on relâche l’eau pour obtenir de l’électricité hydraulique. Le tournant énergétique allemand est un véritable défi, à la fois technologique, logistique, organisationnel, voire citoyen.

Dans ce cadre, les villes doivent devenir les acteurs des Smart Cities de demain, notamment en favorisant la stabilité et en limitant les vulnérabilités[15].

 

B-La stabilisation par une maîtrise des risques et des vulnérabilités ?

Les bouleversements de l’ordre mondial sont au cœur des préoccupations et nécessitent des réponses appropriées face aux nouvelles menaces, notamment énergétiques. L’action collective prend ici toute sa dimension dans le nouvel environnement politique et sécuritaire en construction, notamment dans les nouveaux paysages citadins.

D’ici 2030, la demande d’énergie fossile devrait s’accroître de 60 %, en raison de la faiblesse des ressources énergétiques européennes et par voie de conséquence, augmentera une dépendance énergétique déjà forte dans certains pays et de certains espaces urbains.

En effet, les énergies alternatives seront les énergies de transition d’ici 2030-2050, et ce, même si l’énergie de demain sera sans doute le nucléaire, en dépit des problèmes de prolifération et de vente de nucléaire civil, dans la mesure où il s’agit d’une énergie qui n’a presque pas d’effet de serre ; le seul problème actuel demeure l’élimination des déchets[16].

La mobilité durable doit être rentable économiquement et il convient de développer l’autoconsommation, vecteur de développement des villes. De plus, l’effacement de consommation[17] va entraîner un effet rebond de l’anticipation.

Dans le même temps, les villes de l’Union européenne traversent une grave crise économique, financière, sociale et monétaire ou le recul de l’activité économique se fait sentir de façon de plus en plus probante. Elle se traduit en parallèle par une diminution de la consommation d’électricité et de gaz, et ce, même si les usages augmentent et si les transferts d’énergie fossile en électricité augmentent[18].

*

La « diplomatie d’entreprise » sera sans nul doute le soft power du XXIe siècle tant il inscrit l’influence et la culture de réseau dans le long terme ; le lobbying étant l’outil tactique de l’action de la diplomatie d’entreprise. En effet, les entreprises et les villes associées sont actuellement les « partenaires privilégiés des États dans la mise en œuvre de leur stratégie économique, instrument du rayonnement et de l’influence des nations, les entreprises sont devenues les symboles de la vitalité ou du déclin d’un peuple »[19].

 

Les villes de l’UE cherchent à promouvoir dans le cadre de marchés spécifiques, des partenariats publics/privés, tout en développant les centrales nucléaires à fission nucléaire durable de quatrième génération[20]. Les différents groupes de lobbying énergétiques européens décuplent leurs activités afin de favoriser l’émergence d’une véritable politique énergétique européenne, laissant une part toujours plus grande au nucléaire.

 

L’Europe pourrait-elle, à terme, parvenir à mettre ses projets en concurrence afin d’améliorer sa gestion énergétique, particulièrement en milieu urbain ?

 

[1]« The 2010 Environmental performance index », EPI, CIESIN, Columbia University, États-Unis, 8 mai 2012.

[2]« Améliorer les marchés du recyclage », OCDE, 2006.

[3]« Initiative matières premières - Répondre aux besoins fondamentaux pour assurer la croissance et créer des emplois en Europe », Com (2008) 699 final, 4 novembre 2008.

[5]« The New Energy Consumer : Strategic Perspectives on the Evoluing Energy Marketplace », Accenture, 2011.

[7]« Rapport fait au nom de la mission d’information sur l’effet de serre », Assemblée nationale, 12 avril 2006 ; et www.developpement-durable.gouv.fr

[10]Castel Viviane (du), « El estado de la energia electrica : en España : soluciones », Notas estrategicas des Instituto Choiseul, Février 2016.

[11]Différences de degré de maturité selon les types d’énergies considérés, contrainte liée à l’approvisionnement en matières premières, déconnexion entre les lieux de production et ceux de consommation, degré d’acceptabilité sociale… www.developpement-durable.gouv.fr; www.cre.fr

[12]Montfort Julie et Castel Viviane (du), Le renouveau du nucléaire après Fukushima, L’Harmattan, Paris, 2012.

[13]« Commission d’enquête sur le coût réel de l’électricité afin d’en déterminer l’imputation aux différents agents économiques », Sénat, 21 mars 2012.

[15]Viviane du castel, « Transition énergétiques et changement climatique- enjeux et défis géoénergétiques de l’Union européenne », Connaissances et Savoirs, Paris, 2017.

[16]Monfort Julie et Castel Viviane (du), « Le nucléaire, réponse aux enjeux géoéconomiques du XXIe siècle ? », Collection Géoéconomie et Géofinance, L’Harmattan, Paris, 2014.

[17]Effacement de consommation : « réduire, suite à une sollicitation extérieure, tout ou partie de la consommation physique de votre/vos site(s) industriel(s) ». www.rte-France.com

[18]Castel Viviane (du) et Riva Jeanne, « Le gaz, enjeu géoéconomique du XXIème siècle », Collection géo-économie et géo-finance, L’Harmattan, Paris, 2011.

[19]Lucas Didier, « Les diplomates d’entreprise - Pouvoir, réseaux, influence », Choiseul, Paris, 2012.

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Des villes dans un monde globalisé : Imaginer la condition « locale-globale »

Cynthia Ghorra-Gobin, géographe (CNRS-CREDA)

(Ce texte introduit les principales idées discutées lors de la présentation d’un ppt.  Il s’appuie sur quelques publications mentionnées à la fin).

Voir la vidéo de cette conférence

 

Introduction : La thématique de la « rivalité » entre villes et Etats

L’hypothèse d’une « rivalité » latente ou encore masquée entre les Etats et les grandes villes circule dans un certain nombre de débats scientifiques, politiques ou encore médiatiques.  Cette rivalité serait en fait contemporaine du cycle de mondialisation. On évoque ainsi l’avènement d’un monde mondialisé.    

Cette hypothèse se retrouve dans l’ouvrage de Benjamin Barber (if mayors rule the world) qui insiste sur les compétences des maires pour gérer des problèmes complexes et leurs capacités à dépasser les clivages idéologiques.  L’auteur s’inspire du contexte des Etats-Unis où de sérieux blocages entre les républicains et les démocrates ont entravé le fonctionnement de l’État fédéral pendant plusieurs années.    

Cette thématique s’avère d’actualité avec l’avènement du Global Parliament of Mayors qui s’est réuni pour la première fois à l’automne 2016 à Amsterdam sous la houlette du politiste Barber.  Elle est confirmée par l’émergence d’associations de villes comme C40 (présidée aujourd’hui par Anne Hidalgo, maire de Paris) ou Cités unies.  Elle prend tout son sens à l’occasion des Conférences des Nations unies comme Habitat II (1996) et Habitat III (2016) ou  Coop 21 (2015) et  Coop 22 (2016).  Ces conférences ont réuni aussi bien des chefs d’États que des maires. 

Dans le cadre d’Habitat III à Quito, les acteurs politiques nationaux et locaux ont discuté des Objectifs du Développement Soutenable (SDG) sur des thématiques précises comme l’adaptation au changement climatique, la transition énergétique ou l’accueil des réfugiés.

L’idée d’une  « rivalité » entre Etats et villes est également présente lorsqu’il est question de la dimension économique des villes et métropoles.  Ce fait a été mis en évidence dès les années 1990.  Les villes représentent en effet les sites privilégiées de l’ancrage de l’économie globalisée.  La sociologue Saskia Sassen a  inventé l’expression « ville globale » pour bien marquer le tournant « global » d’une catégorie de villes participant de la métamorphose du capitalisme et sa financiarisation.  La productivité du capital est désormais supérieure à celle du travail et les villes y contribuent.  De nombreux experts reconnaissent que toute économie nationale repose sur la dynamique de ses métropoles.  En d’autres termes le développement économique d’une nation dépend de la vitalité et de l’attractivité de ses métropoles.  Il est ainsi question d’économies métropolitaines ( « metro economies »).     

Mais parallèlement à  l’hypothèse proclamant la « rivalité » entre États et villes, il y a une autre dimension que je souhaite explorer, c’est celle de la condition « locale-globale » de la ville.  En d’autres termes les villes présentent une singularité, celle d’un vécu de la condition « locale-globale »  qui ne retrouve pas dans les mêmes termes au niveau des États qui œuvrent plutôt dans le national et l’international. 

Aussi pour clarifier cette spécificité de la condition « locale-globale »,

-(1) je commencerai par revenir sur la notion de l’échelle de manière à différencier le « multiscalaire » du « transcalaire »   

-(2) puis j’expliciterai la nécessaire distinction entre « ville mondiale » et «  ville globale » qui renvoie à monde mondialisé et monde globalisé

-(3) Avant d’évoquer dans une troisième partie le vécu d’un grand nombre d’habitants et d’acteurs économiques qui œuvrent au quotidien dans  l’ « ici et l’ailleurs ». 

La conclusion souligne les enjeux que représente pour  la géopolitique l’avènement de villes s’inscrivant dans un monde globalisé et l’impératif de conceptualiser leur condition « locale-globale ».      

 

I- Revenir sur la notion d’échelle pour différencier le « multiscalaire » du « transcalaire »

Avec l’avènement de la mondialisation, les géographes ont signalé l’impératif d’une prise en compte de l’échelle mondiale pour étudier le développement des sociétés.  Ils ont parlé du « territoire-monde », une notion prenant en quelque sorte le relais du territoire national.  Ils ont évoqué le caractère incontournable du  « multiscalaire » qui renvoie à l’idée d’un emboîtement des échelles dans un monde mondialisé.  Cet emboîtement va de l’échelle  locale à l’échelle mondiale et inclut l’échelle nationale et régionale. 

Mais le principe de l’  « emboîtement » des échelles se vérifie peu lorsqu’on discute par exemple des relations que des villes comme New York et Tokyo entretiennent.  Ce constat ne résulte pas du fait que les niveaux nationaux --auquel chacune d’elles appartient—entretiennent des relations cordiales.  Ces deux villes participent de l’« espace intermétropolitain » qui résulte de l’ensemble des échanges qui lient entre elles les villes et les métropoles.  Cet espace intermétropolitain  s’appuie sur l’  « archipel métropolitain mondial » (Dollfus et Veltz) qui met en évidence la vitalité des métropoles à l’échelle mondiale et insiste sur leur connectivité.

L’espace intermétropolitain se qualifie ainsi de « transcalaire » dans la mesure où il se situe dans l’  « interaction » entre échelles.  Il relève en effet du « transnational » ou encore du « global ».  En d’autres termes le transcalaire s’avère un moyen d’identifier la condition « locale-globale ».  Avec la globalisation comprise comme processus d’hybridation entre révolution numérique et  métamorphose du capitalisme, on observe l’émergence d’ « acteurs globaux » qui participent du « transcalaire ».  Parmi les principaux acteurs globaux figurent les villes, les réseaux mafieux, les ONG, les terroristes et les firmes qui ne relèvent pas du principe de l’emboîtement des échelles, comme le suggère le « multiscalaire ».

 

II-Ville mondiale, ville globale : monde mondialisé et monde globalisé

La ville « globale » se qualifie comme un site privilégié de l’économie globalisée dans lequel elle assure un rôle de commandement.   L’importance et le poids de ce rôle dépend de sa place dans la hiérarchie des villes globales classées à l’échelle mondiale.  Mais elle n’est pas équivalente à la ville « mondiale » qui renvoie à l’idée d’un monde mondialisé.

La ville mondiale est connue de tous pour la richesse de sa culture et de son histoire.  Elle est reconnue pour son patrimoine universel et se présente de fait comme une destination touristique privilégiée à l’échelle mondiale.  Elle attire des flux de touristes mais elle ne fonctionne pas vraiment sur le mode « transcalaire ».  En d’autres termes elle n’œuvre pas vraiment dans l’  « espace intermétropolitain » même si elle fait partie d’un réseau de villes culturelles.    

Par contre la ville « globale » s’inscrit pleinement dans le « transcalaire ».  Elle a intégré la révolution numérique et elle occupe un rang dans une hiérarchie de villes.  Elle participe du classement mondial des villes et ne se retrouve pas dans le clivage centre-périphérie de la géopolitique habituelle.  Elle œuvre dans le « réticulaire » et l’espace « intermétropolitain ». 

Cette transformation économique s’accompagne d’une  reconfiguration du territoire de la ville globalisée.  La dématérialisation de l’économie et sa financiarisation, s’accompagne de l’émergence de   (1)  districts financiers « financial districts »,  (2) de processus de gentrification ainsi que de  (3) migrations intra-métropolitaines.    

La ville mondiale témoigne de l’intensification des flux de touristes dans un monde mondialisé alors que la ville globale navigue dans un monde réticulaire et globalisé.  La première s’inscrit dans le multiscalaire alors que la seconde participe du transcalaire.    

 

III-Le vécu  ‘local-global’ des habitants et des acteurs économiques

Pendant longtemps le local s’est limité à faire référence à un échelon politico-administratif.  Il figurait dans la sphère intranationale et s’inscrivait dans le « multiscalaire » d’un monde mondialisé.  

Mais dans un monde globalisé (disposant d’acteurs globaux), le local fait désormais référence à l’ancrage spatial de processus déterritorialisés ou dématérialisés relevant de l’économie globale.  Et de fait le local s’inscrit dans le « transcalaire », le transactionnel et le transnational.   

Le global ne donne pas vraiment à voir le monde et l’humanité. 

Il participe du principe de  la connectivité.  Une entreprise globale  caractérisée par la « multilocalisation », c’est-à-dire une certaine forme de dissociations des lieux de commandement,  des sites de production et des sites de consommation est gérée selon le principe de la « connectivité ».  Internet et le smartphone autorisant en quelque sorte l’éclatement spatial de la firme.  Le global qui résulte de la révolution numérique œuvre dans le relationnel et peut se qualifier de transnational.

Dans un monde globalisé on différencie ainsi la proximité « spatiale » de la proximité « relationnelle ».   La majorité des habitants des villes vivent désormais aussi bien dans la proximité spatiale que relationnelle.  Ils vivent  l’ « ici et l’ailleurs » grâce à leur smartphone et Internet.  Ils sont en contact avec des individus vivant dans d’autres métropoles ou dans d’autres pays.  C’est l’expérience des classes créatives, des expatriés, des immigrés, des réfugiés et d’une grande partie de la population. 

La proximité relationnelle, contrairement à la proximité spatiale, accorde par ailleurs une place non négligeable à l’imaginaire des individus.  Ce qui explique la complexité croissante du local (c’est-à-dire des villes) dans un monde globalisé.    

 

IV- Conclusion

Les enjeux de la « rivalité » pour la géopolitique

La géopolitique est en mesure d’identifier la rivalité entre les villes dans un monde mondialisé et globalisé.  C’est une hypothèse désormais partagée par un grand nombre de personnes.  Cette rivalité s’exprime sur le plan économique, social ou culturel selon les critères présentés dans les classements de ville.  Elle se lit également au travers de politiques publiques et de programmes concernant l’adaptation au changement climatique ou la transition énergétique.  Les villes participent d’une hiérarchie et certaines d’entre elles peuvent même figurer en tant que « modèles ».   

Mais la géopolitique traditionnelle a plus de mal à identifier la « rivalité » entre Etats et villes parce qu’elle n’a pas encore conceptualisé la condition locale-globale des villes.  Le monde globalisé (différent du monde mondialisé) s’inscrit  dans la connectivité, le relationnel et le transactionnel.  Il peut être identifié par la généralisation du fonctionnement diasporique pour une majorité d’habitants (expatriés, immigrés, classes créatives, réfugiés, étudiants internationaux…).  

La condition « local-globale » est encore étrangère à la géopolitique traditionnelle qui est ancrée dans le territoire et l’espace.  Elle participe du  transcalaire parce qu’elle s’inscrit dans le numérique, les réseaux, le transactionnel et l’imaginaire. Elle autorise en effet des acteurs à « agir ensemble indépendamment de leur  localisation » (Définition du Dictionnaire critique de la mondialisation). Aussi formaliser et documenter la condition « locale-globale » ne peut que contribuer à mieux saisir les enjeux de la rivalité entre États et villes. 

 

Ce texte reprend des notions et concepts qui ont été argumentés dans les trois ouvrages suivants :

  • Dictionnaire critique de la mondialisation, Armand Colin, (2 éditions : 2006, 2012)
  • Entre local et global.  Les territoires dans la mondialisation. Editions Le Manuscrit, 2016.
  • La métropolisation en question, Puf (la ville en débat
Christian Grataloup _ Jean-Louis Margolin

GRANDES CITES CONNECTÉES OU ASSOCIATIONS D’ÉTATS ?

Christian Grataloup (Université Paris-Diderot) & Jean-Louis Margolin (Aix-Marseille Université)

 

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               Le Brexit, voté en juin 2016, constitue-t-il une victoire pour l’État-nation (ce qu’assurent les partisans du Leave) ou paradoxalement l’annonce de sa fin ? C’est ainsi que le conçoivent la plupart des Londoniens (qui ont voté Remain), eux qui pensent pouvoir passer sans drame d’une supranationalité –celle de l’Union Européenne- à une autre : l’insertion croissante dans le réseau mondial des places globalisées, « hors sol », et presque dénuées d’hinterland. Bref, retour vers le passé mythifié d’un splendide isolement que seul le Commonwealth et les États-Unis viendraient atténuer, ou avant toute vers le non moins merveilleux futur de la mondialisation assumée ?

 

Londres / Singapour ?

               Il fut en particulier évoqué pour Londres un avenir singapourien. L’ancienne colonie de Sa Majesté, indépendante depuis 1965 sous la forme d’une Cité-État, est désormais plus riche (en termes de PIB par habitant corrigé des différences de coût de la vie) que son ancienne métropole, phénomène plutôt rare (Hong Kong en est un autre cas). Se pose pourtant immédiatement la question primordiale de la définition spatiale de l’entité concernée, avec de lourdes implications politiques, culturelles et identitaires. A Singapour, elle fut imposée de l’extérieur, avec l’expulsion en août 1965 de la « Grande Malaisie », créée deux ans plus tôt. Ce fut à l’époque considéré comme un drame, une mutilation, la « vraie » spatialité de Singapour correspondant à la péninsule malaise. Peu avant sa mort (février 2015), l’ancien Premier ministre Lee KuanYew regrettait encore cette séparation, qui à vrai dire ne traumatise guère les générations ultérieures. Dans le cas britannique, le choix résolu de la mondialisation maximale inclurait-il l’ensemble du Royaume-Uni, y compris l’Écosse et l’Irlande du Nord, ce qui éloignerait considérablement de l’exemple de la métropole singapourienne, agile parce que réduite à elle-même ? Une solution intermédiaire (qu’imposeront peut-être les velléités indépendantistes écossaises) serait de s’en tenir au pré carré anglais, voire au seul bassin de Londres – zone la plus tertiarisée et la plus prospère. Enfin, la tentation est forte chez certains d’individualiser au maximum le Grand Londres, qui compte environ deux fois la population de Singapour sur une dizaine de fois sa superficie. Mais comment réaliser le « Londonxit » ? La grande ville pilote certes, mais simultanément elle dépend étroitement d’un vaste hinterland : réseaux énergétiques, ravitaillement spécialisé, loisirs… La solution ne pourrait-elle pas être suggérée par le statut (actuellement battu en brèche au niveau politique) de la Région administrative spéciale de Hong Kong, à la fois composante de la Chine Populaire et interface vers le monde dotée d’une très large autonomie, de lois contradictoires sur de nombreux points avec celles de la RPC, et de la maîtrise de son immigration, y compris en provenance du reste de la Chine ? Cela prouve au moins que, contrairement aux principes jacobins qui ont fait la France, l’hybridité des statuts territoriaux peut être non seulement envisageable, mais hautement fonctionnelle.

Le cas singapourien pourrait offrir d’importants éléments mobilisables en vue d’un destin loin de l’UE. Le premier est que la taille et les ressources naturelles ne déterminent pas la réussite. On peut vivre heureux et compter dans le monde tout en étant petit et relativement isolé (la Suisse ou le Qatar en sont d’autres exemples). Le second est que ce qui compte en matière de relations extérieures, c’est le bilatéral. Singapour a beau être membre fondateur de l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, créée à Bangkok en 1967), ses partenariats avec le Japon, la Chine, l’Inde ou les États-Unis sont l’essentiel. Le troisième point est encore plus signifiant, car il offre les linéaments d’une stratégie économique à la portée de toute métropole ambitieuse et dotée d’un minimum de moyens : miser sur le cluster de compétences rares qu’elle tend à agglomérer (ingénierie, recherche fondamentale et appliquée, éducation avancée, santé, droit des affaires…) ; se camper en une interface régionale aussi bien que mondiale (rôle fort bien joué par Singapour depuis sa refondation par les Britanniques en 1819), au travers de l’entrepôt portuaire traditionnel ou de l’économie d’entrepôt contemporaine (au port s’ajoutent l’aéroport, la finance, les industries de l’information, le centre de congrès…) ; sélectionner des industries de pointe peu polluantes (hormis les hydrocarbures), peu gourmandes en main d’œuvre (denrée rare à Singapour depuis la fin des années soixante-dix), et plus largement des niches de spécialisation à haute valeur ajoutée telles que le software informatique – une retombée importante étant l’attractivité exercée sur les expats à hauts salaires, qui font vivre une nuée de services marchands à coûts élevés.

               Le quatrième élément de la réussite singapourienne est sa capacité (récente : moins de trente ans) à imprimer sa marque en matière de culture et de loisirs, alors que les attraits préexistants sont limités au regard de ce que beaucoup de pays d’Asie peuvent offrir, sauf pour les cuisines, probablement les plus variées au monde pour un territoire si étroit. L’audacieuse architecture contemporaine en constitue peut-être le facteur premier, mais s’y sont adjoints des musées de bonne facture, un cinéma de qualité ressuscité après trois décennies sans « images électriques » autochtones, ainsi que des parcs à thèmes et un énorme casino – il en faut pour tous les goûts. Enfin, et cet élément résume en quelque sorte tous les autres, Singapour est une des sociétés les plus internationales qui soient, et ce de manière rapidement croissante (alors que des années trente aux années soixante-dix le mouvement était inverse) : parmi les quelque six millions d’habitants, on compte aujourd’hui 40% d’étrangers (dont plus de dix mille Français[1], autant en proportion qu’en Indochine coloniale en 1939), auxquels s’ajoutent 20% de citoyens singapouriens nés à l’étranger.[2]

               Cette forte immigration peut cependant être également considérée comme un élément de faiblesse. En effet, son intensité, et plus encore peut-être la vitesse de son accroissement, entraînent une forte inquiétude dans la population (pourtant elle-même massivement d’origine immigrée à quelques générations de distance). On lui attribue pêle-mêle la montée –limitée- de la délinquance, le renforcement des clivages sociaux et en particulier la stagnation des bas salaires, le ralentissement du progrès technologique dans certains secteurs forts consommateurs de main d’œuvre, tels que le bâtiment ou l’entretien. Les « autochtones » adoptent des stratégies de distanciation (de distinction, dirait Bourdieu) : ainsi les Chinois augmentent-ils leur usage du malais, pour se différencier de leurs cousins venus de Chine populaire. C’est le gouvernement conservateur (et le patronat) qui se montrent le plus favorable à l’immigration, et l’opposition démocratique, plus à gauche, qui entend la contenir. L’autre grande faiblesse, constitutive, est la sévère limitation de l’espace national (environ la taille de Paris plus la petite couronne), d’autant plus que le mouvement de poldérisation (qui a permis d’étendre le territoire d’un cinquième depuis 1965) marque le pas, compte tenu du refus croissant de l’Indonésie voisine de fournir du sable.

 

Villes de réseaux / villes de territoires

               La mondialisation contemporaine, même si elle pénètre profondément les espaces agricoles, est essentiellement un phénomène urbain. Au point qu’on peut, plus que métaphoriquement, penser le Monde comme une ville. En tout cas, comme un réseau de villes. En revanche, il est bien difficile d’envisager le Monde comme un territoire, au sens le plus banalement géopolitique de l’expression. Or tout territoire a un chef-lieu, appelé « capitale » quand l’entité territoriale concernée est étatique. Toute concentration de population sur une petite surface, formule qu’on pourrait considérer comme la définition minimaliste de la ville, peut donc être un nœud dans un réseau transfrontalier (un relais, un point de rupture de charge, un moment de transformation…) ou bien le cœur d’un contrôle territorial, le siège du pouvoir qui administre une étendue et ceux qui la peuplent. Bien sûr, toute ville, petite ou grande, est simultanément l’un et l’autre. Toute cité-État médiévale avait besoin de son contado, à la fois nourricier et protecteur. Toute capitale d’État-nation s’inscrit dans un réseau économique et financier, contient dans son tissu même des activités de production ou de relais, même si ces fonctions peuvent-paraitre maigres au regard son importance politique. Singapour représente sans doute un cas limite de la nodalité réticulaire alors que le contado londonien peut sembler bien lourd à porter vu de la City. Moscou, Téhéran, Pékin, Buenos Aires… se comprennent d’abord comme le cœur de territoires nationaux. New York, Francfort, Genève, Beyrouth, Milan, Shanghai… fonctionnent à une échelle plus étendue que celle de l’État qui les abrite.

               De fait, bien des sociétés fonctionnent avec un couple de villes : Madrid/Barcelone, Dehli/Calcutta, Rome/Milan, Pékin/Shanghai, Bruxelles/Anvers… aujourd’hui. D’autres, plus souvent macrocéphales, cumulent l’ensemble des fonctions dans une même agglomération, l’archétype étant Paris, comme la Rome antique, Tokyo… De fait, une « même » ville peut passer, à des degrés variables, du réticulaire au territorial et réciproquement. L’ouverture, qu’elle soit régionalisation ou mondialisation (de fait souvent une combinaison des deux), favorise l’émergence de couples ; inversement, toute fermeture pénalise les villes réticulaires et renforce la capitale territoriale. La fermeture soviétique a freiné Saint-Pétersbourg-Leningrad et Odessa (3ème ville de l’Empire russe en 1914) et dopé Moscou. Le Caire a pris l’ascendant sur Alexandrie…

               L’évolution des configurations géopolitiques a pu également induire la succession des nodalités réticulaires et des fonctions de chef-lieu pour une même cité. C’est très visible dans les villes de l’Est de la France qui ont pu, des foires de Champagne au XVIe siècle, représenter des relais entre l’Italie du Nord et les Flandres, hauts lieux de cités marchandes, avant d’être incluse dans le territoire de l’État français, porteur de taxations et de règlementations (tout ce que détestent les marchands). C’est très visible aujourd’hui pour un touriste. Ainsi, à Dijon, les monuments les plus anciens sont des « hôtels » de dynasties bourgeoises, avant que l’urbanisme royal ne s’impose avec des rues droites et des mises en scène monumentales. L’histoire et le paysage hérité sont semblables à Metz, Reims… et, si l’on inclut dans les gestes architecturaux étatiques les fortifications, Besançon et quelques autres villes comme Verdun ou Belfort. Les villes marchandes peuvent s’illustrer avec quelques grands bâtiments collectifs, religieux et civils (beffrois, bourses…), mais l’essentiel de leurs richesses est privées (palazzi des cités italiennes ou huis des flamandes), au sein d’un urbanisme sans excessives démonstrations massives : on peut opposer à Venise ou Bruges, où l’on se perd facilement, les perspectives et les grilles de Turin, de Paris, de Pékin ou de Brasilia.

               Aujourd’hui, le quartier de la Défense présente bien une forêt de tours qui se veulent symboliques de l’insertion économique mondiale d’entreprises d’origine française dans les réseaux de la mondialisation. Mais ce « quartier » fut bâti par la volonté étatique. Il suffit de se placer dans l’axe qui part du Louvre via les Champs-Élysées (la grande roue de la place de la Concorde offre un beau point d’observation) et file jusqu’à la Grande Arche, pour contempler un urbanisme typiquement étatique, le cœur d’un territoire. En revanche, une vue sur les tours londoniennes (du haut du London Eye par exemple) ne décèle aucune perspective similaire, comme à Singapour.

 

Villes mondiales / Villes internationales

               L’international, c’est le triomphe du puzzle. L’expression fut d’ailleurs inventé à la fin du XVIIIe siècle lorsque la dynamique des États-Nations, des États dits aujourd’hui « westphaliens », était devenue évidente. Un corrélat du puzzle géopolitique est la frontière linéaire[3], dont le point limite est le front militaire. Économiquement, l’international c’est le triomphe du protectionnisme. Le comble de la frontière internationale est le mur. Si le Rideau de fer est aujourd’hui disparu (sauf en Corée), on ne peut oublier que d’autres murs se portent bien : entre le Sud et le Nord de Chypre, entre Israël et Palestine, entre Maroc et Sahraouis, entre États-Unis et Mexique, entre Hongrie et route des migrants, entre Melilla et Maroc (section locale de la « forteresse Europe »)… Quelquefois, il suffit de laisser jouer la discontinuité maritime : autour de l’Australie, entre Angleterre et Calais… En revanche, le mondial est le triomphe du réseau, dont il ne faut pas oublier qu’il a présente, comme tout filet (net) beaucoup de trous…

A l’échelle mondiale, le choix rationnel, pour l’avenir, peut ainsi être celui d’un « collier » de territoires aux limites souples, construits autour de métropoles dynamiques, aussi « proches » les unes des autres que de leurs hinterlands respectifs, jouant au maximum des communications physiques autant qu’immatérielles. Il peut également être celui des associations d’États, dont l’Union Européenne constitue à la fois le prototype, la construction la plus avancée et le bloc le plus lourd à l’échelle mondiale. On doit cependant admettre que les abandons de souveraineté qui caractérisent la construction européenne sont restés uniques au monde, et vivement contestés au sein même de l’UE. Celle-ci pâtit en outre de l’incertitude sur sa définition : super État en devenir, fonctionnant au maximum comme une grande île (ce que ses critiques dénomment forteresse Europe), ou noyau le plus consistant d’une réorganisation d’un monde mondialisé, ce qui expliquerait l’absence de toute précision sur les frontières extérieures de l’UE ? Seule l’ex-URSS, au XXe siècle, partagea cette  vocation à s’étendre indéfiniment – certes sur des bases politiques très différentes, et dans une relation bien plus hostile au reste du monde.

               Quel que soit le choix retenu, les handicaps sont considérables. Du côté de l’association d’États, c’est la lourdeur bureaucratique, la complexité et la faible légitimité de la décision politique, le risque de l’uniformité, et trop souvent l’impuissance. Du côté des métropoles «hors sol », c’est la relative désertification des hinterlands massivement délaissés, réduits dans le meilleur des cas à des réserves naturelles/touristiques, dans le pire à des zones de désespérance sociale et d’explosion de la violence ; ce sont aussi des mouvements migratoires massifs, sources de tensions et de rejet.

               On aurait tort de penser ces solutions irréversibles une fois adoptées. L’évolution récente en Europe montre que des choix qu’on aurait crus définitifs pouvaient se trouver remis en cause par de larges segments des opinions publiques, et parfois annulés comme dans le cas du Brexit. De manière homothétique, l’Europe (mais aussi l’Asie du Sud-Est, sensiblement à la même époque) a connu depuis le Bas Moyen-Âge quelques va-et-vient entre prééminence de cités-États marchandes autonomes ou indépendantes (Venise, Amalfi, Gênes, Bruges, villes de la Hanse, Amsterdam…) et triomphe des grandes monarchies agraires fondées sur le contrôle de riches et vastes plaines, la capitale tendant à se camper en leur centre, ou à leur extrémité en direction de la mer. Du XVIe au XVIIIe siècle, les Habsbourg euthanasièrent Anvers, la France et l’Angleterre finirent par l’emporter sur la Hollande, les Portugais prirent et stérilisèrent Malacca, le Japon, la Chine et la Birmanie se fermèrent très largement aux étrangers et au commerce international. De manière générale, les compagnies des Indes des divers pays européens, bien loin d’instaurer le libre-échange en Asie orientale, y mirent plutôt fin là où il existait (dans l’archipel insulindien en particulier), en imposant des monopoles et des pratiques protectionnistes. Venise même se replia sur sa Terre Ferme italienne. Il y eut des perdants et des gagnants, mais à l’échelle régionale ou globale, on ne saurait parler ni de déclin, ni d’appauvrissement. Il est difficile de dire quel mode d’organisation de l’espace fut le plus efficace, ou le moins injuste – ce qui suffit sans doute à prouver que, en première approximation, les différences ne se situèrent pas là.

               Il y a une trentaine d’année (1985), nous avions cosigné dans la revue EspacesTemps l’article « Du puzzle au réseau ». Au travers d’une réflexion alors novatrice, il entendait tirer les conséquences pour la configuration spatiale du monde de cette idée faisant alors l’objet d’un large consensus : la proche disparition de l’État-nation comme entité pertinente, à commencer par le continent européen, ses fonctions étant redistribuées d’une part à des régions de taille plus petite, d’autre part à des associations fédératives d’ampleur continentale. Vu de 2017, on mesure à la fois la valeur heuristique de la notion de réseau – il n’est guère besoin d’y insister -, et la vanité de la prédiction de l’effacement du « puzzle » stato-national. Malgré leur insuccès final aux Présidentielles françaises, les souverainistes de gauche et surtout de droite sont partout à l’offensive, la quasi cité-État hongkongaise est en voie d’absorption dans le grand corps chinois, et même à Singapour beaucoup ont mal à leur jeune identité nationale. Toutes les instances supranationales sont en deçà des espérances soulevées, de l’UE à l’ASEAN, de l’ALENA à l’APEC, de l’ONU à l’OMC, du G7 au G20… Même les rassemblements altermondialistes (Forums sociaux mondiaux) battent de l’aile.

               Alors, retour à la case départ ? Retour en grâce d’un monde d’États ? Seconde jeunesse du puzzle ? Ne peut-on plutôt entrevoir l’intégration apaisée de diverses échelles de pertinence, de l’extrêmement proche (circuits courts, associations en tous genres, valorisation de la proximité, développement de l’entraide ubérisée ou non…) au très distant (les jeunes, en particulier, voyagent beaucoup plus et beaucoup plus loin qu’il y a trente ans, que ce soit virtuellement ou réellement), en passant par la transgression banalisée des barrières de tout type, qu’elles soient nationales ou communautaires ? Quant à la mondialisation économique, tellement plus décriée qu’à la fin du XXe siècle, elle est certes appelée à marquer le pas, compte tenu de la convergence mondiale des prix et des salaires, mais n’a aucune raison de s’effondrer, tant l’intégration globale (y compris désormais celle des services) s’est installée. « Et en même temps » pourrait être le maître-mot du XXIe siècle.

 

[1] 8671 inscrits aux élections présidentielles de 2017, plus qu’au Japon, en Inde ou en Thaïlande, presque autant qu’en Chine.

[2] Pour un public français il convient d’ajouter que cette immigration massive se produit malgré l’absence d’un chômage significatif. Il faudrait pourtant plutôt dire : à cause de l’absence de chômage. Tant nous avons intégré l’idée que l’immigration serait, au moins pour une part, à l’origine de ce dernier. Voir par exemple l’importante polémique sur les travailleurs détachés à l’occasion des élections présidentielles.

[3] La construction du territoire français fut le laboratoire de la frontière linéaire, dès Louis XIV et Vauban, processus remarquablement étudié par Daniel Nordman dans Frontières de France, Gallimard, 1998.

The power of Beirut in the Urbi and Orbi Middle East.

Jimmy HAJJ – PACTE Laboratory

Grenoble, March 11, 2017

 

A homogeneous territory is an operated, a well-balanced, and a rebalanced territory; but the question that arises is how is a territory formed today? Does a territory have a border? What is a border today? (Amilhat Szary, 2014)

Each territory is a "basin of life", characterized by its history, culture, environment, know-how and transmission mechanisms, organization and social cohesion. So many social values constitute the pillars of the emergence of new resources and their valorization in order to integrate the production of wealth and well-being in a globalized economic system.

On the other hand, people move to seek coveted goods or services that they cannot obtain locally. Where there is a coveted goods and services in an area, there is a reasons to go there, and the longer the journey, the more expensive it is and the less attractive its destination.

In this context, Gaspard Muheme (2005) demonstrates that territories are born in response to an opportunity. People entered into symbiosis with the ecological space they have subdued: the substance of the territory is expressed in the territoriality which is translated by the notions of identities, appropriation and rooting.

This is why the identity of the territory comes from the existence of human action geographically located (Muheme, 2005). Yet a territory without identity would assume the idea that the human presence does not exist. Nevertheless, the notion of identity remains too attached to the sense of belonging to a territory, a place as a relational space devoid of any territoriality.

Subsequently, we wonder with Luc Gwiazdzinski, about feeling attached to a place, claiming a region, a municipality, or a neighborhood? The feeling of belonging is a fundamental question in the reflection on the territories: "to think about the feeling of belonging amounts to ask the two following questions: To what space, to what territory do i belong, where do I come from? And what makes this sense of belonging? "(Gwiazdzinski, 1997). Consequently, the territorial stakes go beyond the purely geographical framework (Muheme, 2005).

Thus, the passage from a boundary that divides to a boundary precedes a contiguous sediment, that which gives the impression that the frontiers are a volatile elements. The aim is to show that their malleable is not without marks, visible, affective, memorial: the international boundaries indurated the surface of the earth.

Analysis of territories, which are a permanent component of development (Garofoli, 2007), shows that they are deployed from a system of interrelations, information flows, production and reproduction of values that characterize a mode of production (Courlet, 2007).

However, it must be remembered that if the territory is defined by the actors, it is not only the actors living or exercising their activity within a given geographical limits. They may also be external actors whose activities will have an impact on the development of the geographical area concerned. These actors can be public, private or even para-public.

The metropolises are transforming their periphery, renewing the stakes of development of territories. Resourceful, they are at the center of environmental and technological issues. They are also places of political contestation, as they concentrate poverty, inequalities in pollution, uprooted people, and violence. A place of power and counter-powers, spaces of rivalry between political forces and between racial or religious communities.

The urban population is spreading beyond their old limits, making traditional municipal boundaries, governance structures boundaries outdated while imposing a social political struggles that shows the dysfunctionality of the political system.

 The power of the cities with the political issues, territorial constraints, religious inhibitions and cultural restraints is over and done through a new barriers, new kind of walls that segregate population instead of integrate them into an incubator land.

Beirut, Lebanon’s capital, is facing a fundamental social, economic and geopolitical transformations in the past decades on all territorial level. This transformations lead to a complex dynamics process around the walls of Beirut.

This study has remarkably notice the complexity of Lebanese human geography. In revenge, the country is adopting less and less of a regional planning policy, where public intervention is fighting against the heavy trends. This is called urban concentration and the decline of formerly industrialized areas; so it is in the Greater Beirut and the rest.

This trend alters the distribution of people and their activities. The Beirut – Province a duality goes back a long wall way in the national past, like all the globalized capitals with a concentration of wealth in the center and a disparity with the other regions that experience much less favorable situations.

The progressive centralization of the Lebanese administration has made Beirut a real national capital, dominating all the provinces of the country. The capital-province duality was particularly accentuated after the independence of Lebanon, to the point that since the rebuilding of Beirut after the Civil War (after 1992), the term 'provinces' is used to refer to everything that is not Not Beirut.

A centralized and administrative control system has been put in place. This vulnerable regime has indeed sought to prevent the establishment of powerful regional powers. The process of administrative decentralization has therefore been held back. Although the 1989 Taif Agreement encouraged this process. Lebanon slowly entered the industrial era, the political and administrative domination from Beirut have reinforced the duality between the provinces and the latter.

This domination is based on the existence of growing inequalities between countries and regions developing a center and peripheries. The center presented by Beirut, the capital, is a set of developed and industrialized clusters. The periphery represents the undifferentiated mass of other regions and departments under the term province, presenting the agricultural regions, forming a transposable opposition, fed and perpetuated by the center. This supports the idea that there are a winning regions and a regions that are losing.

Beirut is by far the main economic decision-making center (headquarters of banks and enterprises) and information center (national media) of the country. To the absolute domination of Beirut over the province is added a cultural domination. It is here that the new modes and new ideas are launched, that are made in the political life and which launch the revolutions (Revolution of March 2005).

The growth of Beirut therefore feeds on the population of other regions and on foreign immigration (Syro-Palestinian). Many regions are desertifying, devitalizing, and undergoing a veritable human hemorrhage. There are many causes of demographic decline in the province. The slow decline of traditional agriculture and rural handicrafts in favor of mechanized agriculture and a concentrated industry.

Beirut which depopulates Lebanon, enters into a socio-spatial segregation. The result is an imbalance between Beirut and the province which makes Lebanon a perfect example of the walled territory. We had to take this into account when we looked for what policy was applied!

The significant risks faced Lebanon and mainly Beirut is more a human risks than a natural ones. The main ones being territorial and depopulation risks – the city’s open borders, centralized states, and urban expansion.

A new methods of urban growth deteriorate the rural districts by making new urban periphery for the sake of the development. This development makes the metropolis of Beirut change its name for three times, from Beirut, to the Great Beirut, till we arrived now to the Greater Beirut.

This limits started by the old Beirut with a surface of 85 km[1],  

 

Figure 1: Limits of Beirut.

Source: Author, Municipality of Beirut 2017

 

Then Great Beirut 2450 km2, but what about its population? And do we talk now about the Greater Beirut or it is just its suburbs?

Figure 2: The Greater Beirut

Source: Author, Municipality of Beirut 2017

 

We are trying to perceive where Beirut is now through all the facts; historical, economics, territorial development, etc… This Orbi city in the heart of the ancient world, where all its roads lead to the sea through the Urbi city making it the golden door to the Middle East.

The story began in the post conflict phase, where they considered that Lebanon is always in a war phase. A huge problematic of defining the metropolis, the urban periphery and its limits.

The reconstruction of Beirut was based into transforming it from war-ridden into a prosperous ‘Hong Kong of the Mediterranean’. The principal objective was to reestablish economic confidence in the country. This strategy started by re-building the capital city and spreading development from the center to the peripheral regions a new territorial development that absorb all the investors and the labors.[2]

And here is the clue; absorbing all the investors and the labors, Beirut started depopulating all regions.

The 85 km2 are not enough to hold the more over 50% of the population, 2 million people live now in Beirut. The question is how a land of 85 km2 can embrace this huge inter-migration? What are the effects of this phenomenon? Are we talking about a new urban perimeters? And what are their limits?

Beirut, Great Beirut, the Greater Beirut; this conglomeration passed by three development phases which demarcate its perimeters.

The Metropolitan Region of Beirut has a clear administrative definition; we know where it begins and where it ends. Those limits, follow those of the municipalities surrounded, they can be represented on a map by a continuous line whose position is defined unambiguously. They are of three types: the coastline to the west, the Nahr Damour river on the south and Nahr al-Kalb river on the north, and finally a line ranging from 400 to 600 meters in altitude to the east.

 

Figure 3: Map of Beirut, its suburbs and Mount Lebanon, Eric Verdeil. Energy, Power and Protest on the Urban Grid Geographies of the Electric City, Chapter: 8, Publisher: Routledge, Editors: Andrés Luque-Ayala, Jonathan Silver, pp.155-175

 

This last limit, East side limit, is not very close to the reality of urbanization, it is the most criticized. It passes at the heart of the urban continuum between Ayn Saadé and Beit Meri or between Roumié and Broumana, even though the morphological perimeter of the agglomeration encompassed all of these municipalities in the early 1960s.

The northern boundary is susceptible to another form of criticism, its fundamental principle is debatable. For although the nahr al-Kalb, through its very deep valley, gives rise to a cut which is difficult to cross, the fact remains that hundreds of urbanized hectares, closely linked to the Beirut conglomeration of many points of view, whose employment and economy, develop immediately to the north of this valley about ten kilometers in this direction and following a variable but always consistent thickness, towards the interior.

This metropolitan does not correspond to a geographically relevant unit and, while it is certainly been described as Malthusian, the history of the elaboration of this route remains to be written. According to S. Feghali, an urban planner at the Council for Reconstruction and Development who participated in its elaboration, political considerations were sometimes passed before those relating to morphology and proper functioning. Some municipalities would have refused to integrate them within the metropolitan area.

According to MENAPOLIS / e-Géopolis data, 80.4% of the Lebanese population, estimated at 4.2 million, are urban, while 3.4 million residents live in agglomerations of more than 10,000 inhabitants. These urban areas are divided into 35 agglomerations, of which 4 are more than 100,000 inhabitants, whose agglomeration-capital Beirut would curl the 2 Million, 4 between 50,000 and 100,000 and the rest between 10,000 and 50,000. These urban agglomerations cover 864 km², or about 8.5% of the Lebanese territory.

Beirut agglomeration constitutes one of the multiple possible modalities; however, in the context of the documentary shortage and the impossibility of comparing and compiling the few available statistical resources, the morphological delimitation has the advantage of easy implementation. The perimeter selected for this use was chosen largely to contain the multiple definitions, it extends from Jbeil to Damour, from north to south, and beyond Sofar and Hammana to the east. The stains, which represent the agglomerated continuum, are strongly cut; despite the continuity that links them, sometimes in a tenuous way, there is a demarcation line which cut the city into two territory, the East of Beirut and West of Beirut.

 

Figure 4: line of demarcation in Beirut. Source: Municipality of Beirut 2017.

 

During the Lebanese civil war, from 1975 to 1990, a line of demarcation divided Beirut into two entities, West Beirut the Muslim part and East of Beirut the Christian part. This Line called ‘Green Line’, but nowadays there is no formal line or continual security, delimit and segregate Beirut in a cultural criterion increasing the distance between populations.

Despite all this growth, a huge spot, very well remarked in the society, threats the society’s segregation and the identity of Beirutis. This blatant cultural structure is shown by walking in the city streets, while we remarked the existence and the non-existence of several effects, i.e. we found bars and nightclubs in the East of Beirut, while they are banned in the West of the city.

Although, as an urbanist point view, we faced a dissimilar landscapes in the two side, whereas a huge concentration of people in the south west of Beirut, and after analyzing the situation we discovered they is a 80% of the population are a new Beirutis – this is what we called it an inter-migration, those people refuse any type of integration into Lebanese Beirutis society even though they reject it. And they live into their enclaved community.

This type of enclaved community is been founded in the two parts of Beirut, and despite the fact the small surface of Beirut, an important number of the East side population is never been in the West side and vice versa.

A shocking facts felt us down about Beirut city, when we saw the missing identity, attachment and country belonging before city belonging. The original Beirutis said ‘those southern people must return to their village’, ‘those aren’t Beirutis and will never be’….

In the other hand, these new Beirutis are feeling now the segregation in their country, and the first effects and reactions are to dismiss the development and build new bridge maintaining a solid relation for their compatriots.

The power of Beirut now is in peril, they are in need for an authoritarian planning, an incentive policy and a protectionist policy. In addition, the economy of certain hard-hit regions must be revived and the regions still under-industrialized must be developed, in order to create awareness in the country of the need to develop the territory. However, in reality, the economic reconstruction is carried out in the same way and takes little account of regional needs and the congestion of industrial centers (Neiertz, Zembri, 1993).

Therefore, Beirut the heterogeneous city, the non-balanced, the non-operated capital is faced now an actual danger. This danger is based on the determinist chaos of the country. This organized chaos makes us rethink of the role and the rule of new territory via new public policies which take into consideration the real factors of integration and how they enforce the belonging identity of the population, a society who says Lebanon first.

 

Bibliography

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Verdeil E., 2016, Energy, Power and Protest on the Urban Grid Geographies of the Electric City, Routledge, Editors: Andrés Luque-Ayala, Jonathan Silver, pp.155-175.


[1] Beirut municipality 2017

[2] Verdeil (2002), p. 54.

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La dynamiques des projets urbains en Afrique subsaharienne

Pierre Jacquemot
Chercheur associé à l’IRIS
Maître de conférences à Sciences-Po Paris

 

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L’un des phénomènes contemporains majeurs est la rapidité du processus d’urbanisation de l’Afrique au sud du Sahara. Elle parcourt en quelques décennies un chemin que l’Europe a réalisé en deux siècles. En soixante ans, la population totale a été multipliée par 5, pendant que le nombre de citadins a été multiplié par 15. Le rythme actuel d’urbanisation du continent (+ 3,4 % par an en moyenne, selon ONU-Habitat) est le plus élevé au monde. Les grandes villes d’Afrique devraient encore gagner des millions d’habitants et figurer ainsi parmi les plus grandes de la planète.

En réponse à cette forte pression urbaine, les politiques de la ville s’installent et diverses activités s’y épanouissent, autour de l’aménagement et de la mise en place des infrastructures et autour des méthodes permettant d’assurer au mieux et de manière pérenne la couverture des services essentiels. L’enjeu est vital car de la qualité et de l’intensité des réponses aux demandes croissantes en services essentiels dépendra la capacité des villes à répondre aux nouvelles dynamiques sociétales, plutôt que de cristalliser les frustrations nées d’inégalités sociales grandissantes.

Depuis 20 ans, les Organisations françaises de solidarité internationale sont impliquées dans diverses expériences de terrain, dans différents territoires du Sud. Dans la majorité de leurs actions, on retrouve trois grandes préoccupations :

  • D’abord, avant toute solution, bien connaître les situations, les besoins, les capacités et le rôle des acteurs, notamment en matière de réhabilitation des quartiers précaires.
  • Ensuite, contribuer à organiser l’équipement et la gestion des réseaux de fourniture d’eau, d’assainissement, d’habitat ou d’énergie, dans un cadre qui favorise l’inclusion du plus grand nombre et la pérennité du service.
  • Enfin, mettre en place les cadres de concertation entre les acteurs clés.

 

1. Requalifier les quartiers précaires

Lors de la création d’UN-Habitat en 1978, le mot d’ordre était de faire disparaître les bidonvilles en développant des programmes de relogement. A présent, au lieu de démolir des zones d’habitat informel, la politique préconisée est celle des opérations de requalification (slum upgrading), de la réhabilitation in situ,  du raccordement à l’eau, à l’assainissement et à l’électricité, des équipements scolaires, sans négliger par ailleurs de fournir davantage de ressources pour la construction de logements abordables.

Qu’il s’agisse d’opérations de réhabilitation de quartiers précaires avec des interventions d’envergure variable visant à consolider l’existant (amélioration de la chaussée, mise en place d’un réseau d’assainissement, installation de bornes fontaines  ou d’opérations de restructuration de quartiers qui comprend en général un redécoupage du parcellaire sur la base d’un plan directeur, impliquant des « recasements » partiels des habitants, nombre d’études (comme celles du Gret conduites en Mauritanie, au Sénégal, à Madagascar et au Rwanda),  mettent l’accent sur une dimension trop insuffisamment prise en considération, à savoir l’accompagnement social. Les anciennes méthodes « coup de poing » laissent la place à des approches qui engagent les habitants, sécurisent les occupations foncière, prévoient l’amélioration de l’habitat et l’accès aux équipements publics. Leur bonne exécution passe par des mécanismes de concertation/participation et de gestion des conflits, avec des montages juridiques parfois inédits.

 

2. Répartir les rôles

Les contraintes de disponibilité, d’accessibilité et de pérennité des ressources incitent à mobiliser toutes les solutions, comme la contribution des acteurs privés et associatifs dans la fourniture des services de base, qui relèvent pourtant du service public. L’histoire dans la plupart des pays a montré l’échec des modèles d’opérateurs étatiques centralisés bureaucratiques, privilégiant les approches technicistes. Aujourd’hui l’accord semble de faire pour reconnaître que le cadre le plus pertinent d’organisation des services urbains est celui qui associe étroitement quatre acteurs.

  • A l’Etat, qui dispose de la fonction de régulation, les règles générales de tarification, la mise en concurrence, les normes de qualité, le respect de l’environnement;
  • Aux autorités locales, la définition du niveau de service à atteindre et le choix du mode de gestion et de l’opérateur ;
  • A l’opérateur qui bénéficie d’une délégation sous la contrainte d’un cahier des charges définissant ses obligations, la mission d’exploiter le service sur une base professionnelle.
  • Aux usagers/citoyens, le droit d’exercer en amont une fonction dans la définition des besoins et en aval dans le contrôle et l’évaluation des résultats..

 

L’entrepreneuriat privé n’est donc pas un mot tabou pour els OSI, tant qu’il est encadré d’un côté par la régulation de l’Etat ou de ses démembrements locaux et de l’autre par le contrôle effectif des usagers et des contribuables.

 

3. Donner accès à l’eau potable

L’eau donne une illustration de la démarche. Dans les quartiers non couverts par un service d’eau officiel, l’approvisionnement des citadins repose essentiellement sur les initiatives privées en réponse aux demandes locales insatisfaites par les modes d’approvisionnement conventionnels. Éparpillées, elles recouvrent une large palette de services allant du colportage d’eau à domicile, à la gestion de mini-réseaux, en passant par l’exploitation de bornes fontaines. Ces initiatives sont parfois appuyées par l’action des ONG ou de la coopération décentralisée et se nourrissent de plus en plus de la diffusion des idées et des pratiques de « bonne gestion » : transparence des décisions, responsabilité collective de la gestion de la ressource, paiement de l’eau au volume consommé...

On rencontre aussi de véritables entrepreneurs qui ont su construire des structures plus élaborées jusqu’à gérer des réseaux, en général sans aucune aide étatique, parfois même sans autorisation des pouvoirs publics. Le cas de Maputo est intéressant. Avec 400 opérateurs informels, aux côtés d’un concessionnaire officiel qui ne couvre que la moitié de la ville, la situation n’était pas satisfaisante. Par conséquent, ce marché s’est organisé, l’offre se concentrant autour de quelques opérateurs atteignant une taille qui les conduit à devenir « formels », à se doter de compétences et d’un contrôle technique qui les a transformé en opérateurs crédibles. À l’expérience, concéder de cette manière au secteur privé une place dans le marché de l’eau ne suffit pas pour assurer ni l’accès au plus grand nombre ni l’amélioration continue des services. Presque partout, l’intervention publique reste centrale pour établir des normes adaptées, susciter des dynamiques de régulation et organiser la transition des acteurs privés ou associatifs vers des logiques de service public.

 

4. Assainir et gérer les déchets

Il a été fait appel dans le passé à des actions d’envergure en matière d’assainissement comme la « latrinisation ». Reposant sur la subvention pour l’équipement des latrines, leurs résultats ont souvent été médiocres en termes d’appropriation et de diffusion. Depuis une vingtaine d’années, des OSI se sont engagées dans des méthodes basées sur la recherche avec les populations de solutions liées à l’hygiène et l’assainissement autour du trépied sensibilisation/adaptation technique/financement. Une approche dite « Assainissement total porté par la communauté » (ATPC) a fait son apparition. Mise en œuvre par exemple en Mauritanie, elle joue sur les interdits et le dégoût pour lutter contre la défection à l’air libre et prône l’autoconstruction de toilettes par les ménages. Pour son financement, elle n’exclut pas le recours à la subvention a posteriori (dite OBA, output based aid), c’est-à-dire versée une fois les résultats atteints et vérifiés. Des programmes WaSH (Water, Sanitation and Hygiene) se mettent aussi en place dans les zones les plus sensibles, où les populations sont en situation de stress (déplacés et réfugiés).

 

5. Mobiliser des ressources nouvelles

Les chiffres sont éloquents. Le budget de la ville de Ouagadougou (1,5 millions d’habitants) est égale à celui de Noyon (15 000 habitants) et moitié celui de Rodez (25 000 habitants) en France. L’assiette de la fiscalité locale est l au Sud loin d’être parfaitement exploitée. Dans les pays de l’ODCE, les municipalités collectent environs 10% de la valeur ajoutée produite sur le territoire. En Afrique, quand une ville produit 100 dollars, la collectivité n’en encaisse que 0,6 dollar. Le gisement potentiel est donc important. Les ressources des villes sont en général limitées aux taxes locales pour services rendus aux usagers : droits de place sur les marchés et les gares, utilisation des abattoirs ; et taxes sur toutes les activités susceptibles d’être fiscalisées : taxis, charrettes, spectacle, artisanat de production, distribution quelle qu’en soit la forme.

Des possibilités importantes existent, en matière de taxes foncières et immobilières qui constituent à de nombreux égards l’impôt « idéal » pour les villes. En effet, il s’agit d’impôts qui augmentent rapidement avec le niveau d’urbanisation, qui reposent sur des valeurs objectives, et qui sont progressives, car le patrimoine est plus concentré que le revenu. Ces taxes pourraient être revalorisées, notamment dans les quartiers les plus aisés.

 

6. Fonder la citoyenneté

L’efficacité des actions dépend très largement de la capacité des bénéficiaires à se prendre en charge. La question du renforcement de la citoyenneté urbaine, laquelle revient en force avec la préparation d’Habitat III (Quito, octobre 2016), est ressentie par chacun à son niveau comme cruciale dans cette quête pour approfondir les méthodes et conduire à la réussite du projet dans lequel il est impliqué.

Les situations évoluent partout. Sous la pression de la société civile des démarches participatives s’installent progressivement. Les mises en place de « budget participatif » se sont multipliées dans plusieurs pays du Sud. La méthode accroît la transparence de la gestion municipale et cet avantage est essentiel : les contribuables sont plus susceptibles de payer leurs impôts et d’accepter de nouvelles formes d’imposition s’ils perçoivent les bénéfices des dépenses publiques qui y sont associées, et donc considèrent les impôts comme légitimes.

En Afrique, les budgets participatifs sont apparus au début des années 2000. En 2015, on en recensait près de 300, principalement (Cameroun, Madagascar, RD Congo, Sénégal). Le Kenya (système Kenya Open Data Initiative), le Ghana, la Tunisie ont aussi des dispositifs en faveur de l’open data portant sur le recouvrement et l’utilisation des impôts locaux et qui peuvent améliorer la légitimité fiscale

Les villes du Sud qui s’impliquent dans des démarches participatives construisent leur propre manière de procéder selon leurs caractéristiques particulières. Le Sénégal où la participation citoyenne a été érigée en principe reconnu par la loi, connaît une expérience probablement la plus innovante avec la « certification citoyenne » pour la bonne gouvernance mise en place par le Forum civil dans une soixantaine de collectivités locales volontaires. Il s’agit d’un instrument d’évaluation des performances qui repose sur un référentiel de 38 indicateurs mesurables autour de 5 critères (transparence, équité, efficacité, redevabilité et transparence), évalué par un comité local de certification. Un label est ensuite délivré avec différents niveaux de performance, ce qui crée une émulation positive entre communes. Parmi les effets notables attendu, on escompte une réallocation des dépenses en faveur de la lutte contre la pauvreté, une augmentation des recettes fiscales et une réduction de la corruption due à la transparence des discussions budgétaires et à la surveillance plus active par la société civile des travaux engagés par les municipalités.

Derrière la diversité des pratiques, on retrouve partout quatre idées qui circonscrivent la méthode :

  • créer de nouvelles relations entre municipalités et citoyens, 
  • réorienter les ressources publiques en direction des plus démunis,
  • reconstruire le lien social,
  • inventer une nouvelle culture démocratique.

Cette citoyenneté en construction ne peut donc pas être évaluée uniquement par sa dimension juridique. Elle doit plutôt être perçue comme un ensemble de pratiques, comme une fabrique urbaine à l’intersection des politiques publiques et des mobilisations de diverses natures (revendicatives, festives) et des expériences associatives des usagers, des résidents, des voisins, des consommateurs, des citoyens.

Elle  établit ainsi les appartenances communautaires et les identités parcellaires des urbains au bénéfice de la constitution de personnes inscrites dans des sociabilités proches, celles de ceux qui veulent être reconnus, être entendus en tant que sujets politiques, participer à la transformation des relations et des représentations au sein de la société. La citoyenneté devient alors un service urbain essentiel, au même titre que l’accès à l’eau potable, à l’assainissement, à l’éducation, à la santé, que vient consolider l’accès aux moyens de l’économie numérique, stimulant la disponibilité de l’information et générant de nouvelles modalités de participation.

 

 

RÉFÉRENCES

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Tsitsikalis A. (2011), Recyclage des déchets et développement durable : l'émergence d'une " filière sociale " de collecte et de traitement de déchets peut-elle contribuer au développement durable dans les villes du Sud ?, Nogent-sur-Marne, Gret, coll. « Coopérer aujourd'hui », n° 74.

 

Paris, un enjeu capital : rivalités pour le contrôle de la capitale

Matthieu JEANNE
Enseignant -   Institut Français de Géopolitique 

 

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Depuis 1977, Paris est de nouveau une commune avec un maire élu. Les rivalités géopolitiques qui ont animé la capitale jusqu’à la Libération changent alors de nature : elles ne concernent plus le contrôle policier de la ville mais, désormais, son contrôle électoral. Du fait de la visibilité unique qu’offre la capitale, contrôler la mairie de Paris devient un enjeu majeur pour l’ensemble des formations politiques. Depuis dix ans, de nouvelles rivalités concernant la gouvernance de la capitale sont apparues entre le pouvoir central, le pouvoir municipal parisien et de puissantes collectivités territoriales franciliennes au sujet de la mise en place d’une nouvelle communauté urbaine, la Métropole du Grand Paris. Ces multiples rivalités trouvent leur origine dans le « fait capitale » : Paris est un lieu de pouvoir en même temps qu’un lieu d’activité et de résidence. Aussi convient-il de comprendre dans quelle mesure le pouvoir municipal parisien représente un champ de rivalités qui déterminent, en grande partie, les dynamiques sociales, urbaines et électorales de la capitale.

 

Au niveau de la ville, des rivalités pour le contrôle du pouvoir municipal

Alors que la science politique s’est longtemps attachée à mettre en valeur l’ampleur du vote conservateur à Paris et la permanence du clivage social et électoral entre l’est et l’ouest de la capitale, l’analyse fine des scrutins locaux offre une réalité différente. Dans les années 1980 et 1990, en l’espace de moins de quinze ans, les arrondissements populaires de l’est connaissent plusieurs alternances lors des scrutins municipaux. Celles-ci résultent avant tout des rivalités complexes qui opposent les acteurs politiques : les choix tactiques opérés par les candidats lors des compétitions électorales, tout autant que les politiques d’aménagement stratégiques qui modèlent le territoire et sa population[1].

Ainsi, Jacques Chirac est le premier à mettre en place, à partir de 1983, un système géopolitique local qui doit permettre au mouvement gaulliste de s’assurer du contrôle politique total de la mairie de Paris. Celui-ci repose, en premier lieu, sur des stratégies électorales territorialisées. Ainsi, à partir de 1983, Jacques Chirac envoie sa jeune garde rapprochée dans les arrondissements du Nord et l’Est parisiens, acquis de longue date à la gauche : Jacques Toubon (13e), Alain Juppé (18e) et Didier Bariani (20e). En second lieu, il déploie dans ces territoires un programme ambitieux de politiques publiques censées participer à leur embourgeoisement : programmes de rénovation de l’habitat, création de nouveaux espaces verts, de services publics de proximité et d’équipements culturels. En dernier lieu, Jacques Chirac constitue de puissants réseaux clientélistes auprès du tissu associatif local et des bénéficiaires des logements sociaux.

Ce système géopolitique est très efficace : grâce aux deux grands chelems qu’il réalise en 1983 et en 1989, le leader gaulliste s’assure du contrôle politique total de la mairie de Paris et transforme celle-ci en une véritable machine au service de ses ambitions présidentielles. En 1995, Jacques Chirac profite du tremplin parisien : il est élu président de la République. Pourtant, alors que la droite paraît hégémonique dans la capitale, elle perd l’essentiel de ses positions électorales en deux scrutins. Affaibli par les conflits d’aménagement et les divisions internes à la droite, le système géopolitique chiraquien s’effondre en 2001.

Minoritaire en voix, la gauche victorieuse, rassemblée autour de Bertrand Delanoë, s’attache, à son tour, à mettre en place un système géopolitique local qui lui permet de conforter son assise territoriale. Dans le Nord et l’Est parisiens, la nouvelle municipalité engage une politique ambitieuse d’embellissement de la ville. Elle crée de nouveaux équipements culturels (104, Philharmonie, Gaîté Lyrique), réaménage l’espace public pour réduire la place de l’automobile et met en place de nouvelles manifestations culturelles. Enfin, un effort inédit est consenti en matière de logement social. Toutes ces politiques publiques cherchent en priorité à fidéliser un électorat jeune et diplômé, mais assez hétérogène socialement : les gentrifieurs[2]. Elles contribuent stratégiquement à rendre l’Est parisien plus attractif. Ce fief de gauche voit alors son poids démographique et électoral renforcé au sein de la capitale.

Ainsi, à l’issue de ses deux mandats, l’ensemble de l’Est parisien est devenu un fief solide pour la gauche. Grâce à cela, Anne Hidalgo, choisie pour succéder à Bertrand Delanoë, est élue maire en 2014, malgré un contexte national très difficile. Néanmoins, le système géopolitique demeure fragile : socialistes et écologistes portent des représentations divergentes de la ville et s’opposent sur certains aménagements, en particulier l’extension du stade Roland-Garros ou la construction de nouvelles tours dans Paris.

 

 

Au niveau du quartier, des conflits d’aménagement exploités par les acteurs politiques locaux.

L’élection du maire de Paris au suffrage universel en 1977 s’inscrit dans un contexte de forte conflictualité liée à l’aménagement de la capitale. Dès le début des années 1970, la contestation des opérations massives de rénovation de l’habitat et du projet d’aménagement des Halles traduit l’affirmation de nouvelles revendications en matière d’urbanisme et de cadre de vie. Aussi, le nouveau pouvoir municipal gaulliste, malgré sa plus grande réactivité, est-il fragilisé durablement par l’opposition aux projets d’aménagements qu’il porte dans les années 1990 pour rééquilibrer la ville vers l’est. Dans le 13e arrondissement, le projet Paris-Rive-Gauche, et dans le 20e, la ZAC Ramponeau-Belleville (20e), ambitionnent de développer de nouveaux pôles d’attraction économique en lieu et place de friches urbaines ou de quartiers populaires marqués par un habitat ancien dégradé.

Alors que ces projets ont pour objectif géopolitique de conserver les arrondissements de l’est à droite, en accueillant des habitants plus aisés, censés être plus favorables à la municipalité en place, ils sont à l’origine d’importants conflits d’aménagement. Ceux-ci permettent à la gauche de se rassembler en se faisant le porte-parole des nouvelles revendications liées au cadre de vie, et d’ouvrir une brèche, en 1995, dans le système géopolitique chiraquien en remportant six mairies du Nord et de l’Est parisiens.

Quinze ans plus tard, le nouveau pouvoir municipal socialiste est confronté à de nouveaux conflits d’aménagement dans l’Ouest parisien. L’équipe menée par Bertrand Delanoë ambitionne de mieux répartir spatialement le parc de logements sociaux et choisit à cet effet d’engager plusieurs programmes de construction de HLM dans le 16e arrondissement, où l’offre locative sociale est très déficitaire. Au total, cinq opérations de grande ampleur sont suspendues ou annulées grâce à la mobilisation de riverains au sein d’associations engagées dans des procédures judiciaires efficaces, relayée par la municipalité de droite du 16e arrondissement. À ces oppositions s’ajoutent d’autres conflits concernant des équipements sportifs (rénovation du stade Jean-Bouin et extension du Stade Roland-Garros) ou des équipements sociaux (centre d’hébergement d’urgence en lisière du Bois de Boulogne), faisant du 16e arrondissement un véritable foyer de tensions géopolitiques locales.

Ces conflits opposent des acteurs aux représentations divergentes. Les associations de riverains affichent un discours environnementaliste consensuel mais peinent à cacher le réflexe NIMBY (Not In My Backyard) qu’elles incarnent. Les élus du 16e arrondissement mettent en scène la résistance locale face au pouvoir municipal socialiste. Enfin, ce dernier profite de la médiatisation de ces conflits pour affirmer, auprès de l’ensemble des Parisiens, sa volonté de répartir équitablement les équipements sociaux. Ces conflits permettent également au pouvoir municipal socialiste d’enfermer l’opposition de droite dans la défense catégorielle de l’Ouest parisien, la privant ainsi de la légitimité à incarner l’intérêt général. Aussi, ces nouveaux conflits d’aménagement se distinguent-ils de ceux apparus dans les années 1990 : l’ensemble des acteurs politiques locaux – autant l’équipe en place à la mairie de Paris que les élus de droite de l’Ouest parisien – les alimentent et les exploitent efficacement à des fins électorales.

 

Au niveau de l’agglomération, les conflits autour de la gouvernance de la Métropole du Grand Paris

Après plusieurs décennies d’ignorance mutuelle, l’élection de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris marque une rupture profonde dans les relations entre Paris et la banlieue. Le nouveau maire socialiste crée en 2006 une nouvelle instance de dialogue, la Conférence métropolitaine, qui rouvre le débat sur la gouvernance de la métropole parisienne. De fait, progressivement, à partir des années 1990, le pouvoir central et l’ensemble des acteurs politiques nationaux perçoivent le caractère stratégique du développement de l’agglomération parisienne. Celle-ci n’est plus alors considérée comme une capitale nationale dont il faut limiter le poids, mais comme une ville mondiale dont il faut développer l’attractivité et préserver le rang face à ses concurrentes.

C’est dans ce nouveau contexte géopolitique que s’inscrit le projet de communauté urbaine insufflé par Nicolas Sarkozy, après son élection à la présidence de la République en 2007. Il souhaite mettre en place une nouvelle communauté urbaine rassemblant Paris et les communes de la Petite couronne, censée participer au développement économique de l’ensemble de l’agglomération parisienne. Le projet a aussi une visée géopolitique : Nicolas Sarkozy espère offrir à son camp politique le contrôle électoral de la région capitale, et affaiblir durablement par la même occasion les positions de gauche en Île-de-France. Néanmoins, le renforcement des positions électorales de la gauche à Paris et en banlieue lors des élections municipales de 2008 invalide le scénario prévu par Nicolas Sarkozy, et, face à la contre-offensive menée par les collectivités territoriales fédérées par la Mairie de Paris dans le syndicat Paris-Métropole, le projet de communauté urbaine est abandonné.

Le second projet de communauté d’agglomération est porté le gouvernement socialiste de Jean-Marc Ayrault à partir de 2013 : c’est la Métropole du Grand Paris (MGP). Dans un périmètre élargi, la nouvelle communauté urbaine ambitionne de s’attaquer à la réduction des inégalités territoriales en développant une politique de logement au niveau métropolitain. Le vote de la loi MAPTAM sur les métropoles, qui intègre la Métropole du Grand Paris, est l’occasion d’un véritable bras de fer entre le pouvoir central et les élus franciliens. Les uns, à droite, refusent qu’on leur impose de construire davantage de logements sociaux ; les autres, à gauche, redoutent que la nouvelle communauté ne fragilise les positions de pouvoir existantes. À l’issue d’une longue bataille parlementaire et de nombreux rebondissements[3], la loi est promulguée en janvier 2014. Néanmoins, à la suite des élections municipales de mars 2014, la gauche est devenue minoritaire dans le futur conseil métropolitain. Aussi, plusieurs élus socialistes se rapprochent-ils alors opportunément des élus de droite réfractaires à la métropole forte pour imposer des dispositions affaiblissant la future communauté urbaine. Au final, la MGP est bien en place le 1er janvier 2016, mais le transfert des compétences stratégiques n’interviendra qu’au courant de l’année 2017. Nombre d’élus semblent jouer la montre, espérant qu’une alternance politique au niveau national pourrait remettre en cause la métropole[4].

Ainsi, les deux projets de communauté urbaine relèvent d’une même volonté : celle du pouvoir central de contrôler politiquement le territoire métropolitain francilien, en offrant une nouvelle position de pouvoir au camp politique dont ses représentants sont issus. Ils s’inscrivent à l’encontre de la dynamique intercommunale initiée sur le reste du territoire français, jusqu’alors entièrement volontaire. La résistance des collectivités territoriales et des élus qui cherchent à maintenir leur position de pouvoir demeure un obstacle à la mise d’une nouvelle gouvernance de la métropole parisienne.

 

En définitive, l’analyse des rivalités de pouvoir qui s’exercent sur le territoire parisien éclaire l’ensemble des dynamiques à l’œuvre dans la capitale. La principale dynamique sociale, la gentrification, apparaît largement accompagnée par les stratégies des acteurs politiques, dont les politiques publiques façonnent la ville. La mise en place de la Métropole du Grand Paris, quant à elle, qui constitue la principale dynamique institutionnelle, doit être lue comme le résultat de fortes rivalités géopolitiques entre le pouvoir central et les pouvoirs locaux.

 

 

 

[1] Voir SUBRA, Philippe, Géopolitique locale. Territoires, acteurs, conflits, Paris, Armand Colin, 2016, 335 p.

[2] Voir CLERVAL, Anne, Paris sans le peuple, Paris, La découverte, 2013, 280 p.

[3] Voir SUBRA, Philippe, « Métropole de Paris, les aventures extraordinaires d’un projet de loi », Hérodote n°154, Paris, La découverte, 2014, p. 158-176

[4] Voir SUBRA, 2016.

Mexico: pouvoir ou contre-pouvoir d'une métropole émergente?

Frédéric Johansson
Laboratoire « Mondes Américains » UMR 8168

 

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La ville de Mexico avec ses vingt millions d'habitants et sa concentration d'activités économiques a un poids écrasant au Mexique. On a ici une concentration évidente de « pouvoir », de polarité et d’influence, en termes de commandement économique, financier, politique, logistique et culturel. Encore faut-il étudier jusqu’à quel point cette polarité nous permettent de parler d’une véritable métropole ayant réussi à dépasser le simple stade de simple mégapole. En effet, alors que ces villes du Sud comme Mexico ou Sao Paulo, ayant connu une explosion de leur population dans la deuxième moitié du XX° siècle étaient uniquement considérées par leur taille (le concept de mégapole renvoyant à une population supérieure à dix millions d’habitants) sans leur attribuer un caractère métropolitain par leur faiblesse en termes de fonctions directionnelles et de centres d’organisation et d’impulsion de réseaux économiques, la donne a nettement changé au cour du temps. Dans le cas de Mexico, comme on le verra, il ne fait plus aujourd’hui de doute qu’elle comporte des caractéristiques métropolitaines, et ce à une échelle nationale comme mondiale qui la font participer de cet archipel mégalopolitain planétaire (Olivier Dollfuss). 

Or ce « pouvoir » de la ville au sens géographique du terme, peut-il être traduit en termes de « pouvoir » au sens politique du terme ? Nous aimerions en effet également analyser ici dans quelle mesure les atouts économiques et culturels qu’offre cette ville, ont pu servir de « capital » politique à des personnalités politiques mexicaines afin de construire une carrière et tenter de se servir de la mairie de Mexico comme celle d’un marchepied. En effet, la plupart des Maires de Mexico (nommés « Jefes de Gobierno ») depuis que ce poste à été soumis au suffrage des mexicains (1997) ont été ensuite des candidats aspirant à la Présidence de la République. Paradoxalement leur échec a été constant, comme si leur gestion relativement réussie de la principale ville du pays desservait plus qu’elle n’aidait ces personnalités à la prise de pouvoir nationale. Nous verrons donc que c’est peut-être justement ce caractère « trop » métropolitain de Mexico, créant une sorte d’isolat qui sépare cette ville du reste du pays tout en l’insérant dans des réseaux urbains planétaires, qui font du pouvoir maîtrisant ce monstre urbain une sorte de simple « contre-pouvoir ».

 

 

            Mexico est de façon incontestable la métropole mexicaine par excellence, et c’est justement la concentration des fonctions de commandement et d’organisation économiques, logistiques et culturelles mexicaines, qui semblent lui permettre de réunir les atouts nécessaires pour être considérée comme une « ville-monde » (S. Sassen).

            L’armature urbaine mexicaine est ainsi totalement déséquilibrée en faveur de sa principale ville qui la domine amplement. La ville de Mexico au sens administratif du terme correspond uniquement au « District Fédéral », siège des pouvoirs fédéraux, et compte 9 millions d’habitants. Cependant l’agglomération de Mexico dépasse largement cette limite pour s’étendre dans les Etats fédérés limitrophes (Etat de Mexico et Hidalgo) formant ainsi la « zone urbaine du Val de Mexico » (unité statistique de l’institut de statistique mexicain INEGI) comptant environ 22 millions d’habitants[1]. Il s’agit là de l’une des plus grandes villes de la planète, et qui évidemment au niveau national dépasse largement toutes les autres villes mexicaines en pesant 18% de la population du pays. Les deuxième et troisième agglomérations que sont la ville de Guadalajara avec ses 4,4 millions et de Monterrey et ses 4,1 millions d’habitants sont loin derrière la capitale. Certes celle-ci a stabilisé sa population (elle a un solde migratoire déficitaire et ne s’accroît que de 1% grâce à la croissance naturelle) contrairement aux deux autres villes qui la suivent au nord du pays. Cependant le poids de la capitale repose également sur le dynamisme démographique des villes secondaires articulées autour d’elle (Cuernavaca, Puebla et Tlaxcala au sud, Toluca et Pachuca au nord) vers lesquelles la capitale déleste son trop plein, renforçant ainsi sa polarité.

 

           

Mégapole macrocéphalique, il s’agit également de la métropole par excellence mexicaine avec un poids tout aussi écrasant dans la concentration de fonctions de commandement. D’un point de vue quantitatif, Mexico représente 25% du PIB mexicain dépassant largement toute autre ville du pays et la positionnant comme la 18° ville la plus riche de la planète. Si le nord des maquiladoras, le littoral du Golfe avec le pétrole ou celui des Caraïbes avec le tourisme ont quelque peu diminué le déséquilibre régional du pays (dans les années 80 Mexico pesait 36% du PIB), seule la ville de Monterrey a profité de ce dynamisme économique territorial. Cette domination de Mexico est le reflet de la concentration de sièges sociaux (12 des 20 plus grandes compagnies mexicaines et 14 en prenant en compte les filiales étrangères) et d’activités financières. C’est à partir des CBD de Reforma (centre-ville) ou de Santa Fé (nouveau CBD au nord-ouest de l’agglomération) que les cadres de compagnies comme Bimbo (agro-alimentaire) Carso, Telmex et América Móvil (compagnies appartenant à Carlos Slim), Pemex (pétrole) ou Televisa (médias) impulsent et organisent la production et la vente sur le territoire mexicain et à l’étranger. Seule la ville de Monterrey, matrice historique du capitalisme mexicain, peut rivaliser quelque peu avec Mexico, en comptant les sièges sociaux d’importantes entreprises (ciments Cemex, groupe Alpha de maquiladoras, mines du Grupo Mexico) mais qui toutes dépendent en termes de financement du centre financier de Mexico. La bourse de Mexico et les sièges de la quasi-intégralité des Banques (Banamex, Bancomer et les banques étrangères comme Santander ou HSBC) en effet se regroupent dans le pôle de Mexico et irriguent en capitaux, transactions et crédits l’ensemble de l’économie mexicaine, en l’articulant avec les réseaux financiers mondiaux.

 

   

       

Dans un tout autre domaine de polarité que peuvent être les services « rares » emblématiques du caractère métropolitain des villes tels que l’offre culturelle et universitaire, Mexico est tout autant incontestablement un centre majeur. La réputée Université Nationale Autonome du Mexique (UNAM) avec ses 150 mille étudiants, est complétée par l’Institut Polytechnique National (IPN) et ses 140 mille élèves, et toute une série d’Universités publiques (Université Autonome du Mexique UAM) ou privées (Université Ibéroaméricaine ; ITAM etc.) qui forment un quart de l’ensemble des étudiants mexicains. Là encore l’offre quantitative est d’autant plus importante qu’elle s’accompagne d’une offre qualitative de premier plan au niveau du prestige (l’UNAM figure en haut des classements latinoaméricains en concurrence avec les universités de Sao Paulo) et des équipements en étant ainsi le cadre de 50% de la recherche mexicaine. D’ailleurs, le poids écrasant en matière universitaire de Mexico a conduit le pouvoir à pousser des institutions comme l’UNAM à se déconcentrer en ouvrant des campus en province et ainsi tissant un réseau national articulé autour de la maison-mère à Mexico. Drainant une grande partie des meilleurs élèves des autres Etats fédérés, elle se trouve sur ce plan en concurrence uniquement avec les Universités étatsuniennes. Concurrence qui se double d’une forme de partenariat avec de nombreux diplômés de Mexico qui poursuivent leur post-doctorat dans les Universités renommées nord-américaines. L’enseignement supérieur agit ainsi en tant qu’élément polarisant national et insère également Mexico dans des réseaux universitaires d’échelle planétaire.

Il en va de même de son offre muséale qui parvient en concentrant les meilleures pièces archéologiques et œuvres d’art, à inscrire Mexico dans le réseau mondial des grands musées. Le Musée d’Anthropologie qui rassemble les meilleures pièces de l’ensemble des cultures préhispaniques du pays (art aztèque bien sûr mais aussi les meilleures collections de toutes les autres cultures telles la maya, zapotèque, mixtèque, olmèque etc.) est une référence majeure dans le domaine archéologique. Les collections d’art mexicain se retrouvent également monopolisées par les institutions de Mexico où les œuvres tant des muralistes (Rivera, Orozco, Siqueiros) que des artistes comme Frida Kahlo ou Tamayo sont exposées dans les nombreux musées de la ville (Casa Azul de Frida mais aussi musée Tamayo, musée d’art moderne ou musée d’Art contemporain parmi bien d’autres). Pôle incontournable de l’art mexicain, ses institutions culturelles s’inscrivent également dans des réseaux mondiaux de fructueux échanges (dont témoigne l’exposition récente au Grand Palais ou l’engouement de l’expo de Yayoi Kusama en 2015 à Mexico). Cette offre est complétée par une dense scène musicale[2] ou un lieu majeur de sociabilité intellectuelle latino-américaine[3]. Dans un registre plus « populaire », c’est dans les studios de Televisa ou TV Azteca que nombre de « Telenovelas » à grand succès sont produites pour le plus grand plaisir d’un public latinoaméricain voire africain ou russe[4]. C’est ainsi que Mexico figure au sein du dense réseau de liens culturels qu’ils soient commerciaux, institutionnels ou affectifs.

 

 

Incontestablement la ville de Mexico semble être la Métropole mexicaine par excellence, interface presque incontournable de la 15° économie mondiale vis-à-vis de l’espace mondial. Mais est-ce qu’en termes politiques la gestion de cette ville de 22 millions d’habitants, générant 47 milliards de $ par an de richesse, permet de constituer pour la classe politique qui la gouverne un capital politique suffisant en termes de réputation, de structures partisanes, de clientèles électorales, capables de propulser aux plus hautes sphères du pouvoir ses Maires ?

Après tout gouverner le district fédéral doté d’un budget de 9 milliards de $ pour administrer les millions de personnes réunies au sein de sa démarcation, résoudre l’infinie complexité de ce monstre urbain, n’est-ce pas faire la démonstration que l’on a toutes les qualités requises pour aspirer à la Présidence de la République ? En effet, Mexico est une sorte de concentré des problèmes et caractéristiques du Mexique. Sa population, les chilangos, sont un reflet de la diversité du pays, car une grande part d’entre eux sont le fruit de constantes migrations interrégionales de la plupart des Etats fédérés du pays (un cinquième des habitants de Mexico n’y est pas né) qui ont convergé dans la capitale du pays. Le reflet de la diversité du pays est également social, Mexico étant une sorte de miroir des écarts importants de richesse du pays, avec le décile inférieur des « capitalinos » ne possédant que 1.95% des revenus et le décile supérieur 37.8% de ceux-ci. Ces écarts sociaux se traduisent au sein de l’espace de Mexico par une différenciation spatiale forte entre les beaux quartiers des Lomas ou de Santa Fé à l’ouest de la ville et les périphéries misérables de l’est et du nord (Iztapalapa, Madero et dans l’Etat de Mexico Ecatepec ou Chalco). Localement la ségrégation sociale se traduit par la privatisation de l’espace public à travers la fermeture des rues (« privadas ») ou la création de gated communities (« fraccionamientos ») afin de contrôler et discriminer les catégories défavorisées séparées des lieux d’habitat des classes aisées et moyennes. Administrer Mexico c’est ainsi gérer les défis d’une société très inégalitaire avec des tensions sociales fortes, dont la criminalité et la violence (65.000 vols et 2.000 homicides par an en sachant que seuls 40% de ceux-ci sont déclarés) sont l’une des traductions. Mais c’est aussi gérer les 31 millions de déplacements par jour engorgeant les axes (9.000 km de voiries) et les transports en commun (200 km de lignes de métro) et posant un grand défi environnemental avec une pollution atmosphérique quasi-permanente. C’est aussi abreuver cette énorme agglomération consommant 82m3 par seconde d’un liquide dont la ville manque (elle ne détient que 0.7% des réserves en eau du pays pour 18% de sa population) et qu’il faut aller chercher à 200 km de la cité (système de Cutzmala). C’est aussi nourrir ce monstre urbain, en organisant la « Central de Abastos », véritable ventre de la capitale où se concentrent l’arrivée et la vente de 30 millions de tonnes de vivres par jour. C’est également organiser la collecte et le traitement de 4 millions de tonnes de déchets par an. C’est aussi réglementer et intégrer les nombreux bidonvilles en les reliant au système d’eau potable, d’adduction des eaux usées, d’électricité et légalisant les occupations de terres. Bref, la gestion de la ville de Mexico est en soi un défi majeur qui permet à ses dirigeants de démontrer leur capacité à gouverner une énorme part du pays.

 

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Cuauhtémoc Cardenas et Andres Manuel López Obrador en 2000 (Source : El Universal)

 

Or justement, la mairie de Mexico, depuis sa transformation en un poste électif en 1997 (auparavant elle dépendait directement du pouvoir fédéral), n’a cessé d’être utilisée comme un marchepied par ses Maires afin de se présenter aux élections présidentielles. Ce fut le cas bien sûr de Cuauhtémoc Cárdenas, leader historique de la gauche mexicaine qui a depuis 1988 été l’un des principaux acteurs poussant à la démocratisation du pays à l’encontre de la « dictature parfaite » (Mario Vargas Llosa) du « Parti de la Révolution Institutionnalisée » (PRI) qui a monopolisé le pouvoir depuis les années 1920[5]. Ici, sa stature nationale ayant déjà défié le pouvoir du PRI deux fois lors d’élections présidentielles jugées frauduleuses en 1988 et 1994, ne faisait pas de doute. Ainsi, la conquête de la mairie de Mexico en 1997 visait avant tout à lui offrir une crédibilité en termes de gestionnaire et un ancrage électoral fort afin de remporter l’élection présidentielle déterminante de l’année 2000. Le cas d’Andrés Manuel López Obrador (dit AMLO) est tout autre puisque cet homme politique qui a été désigné remplaçant de Cardenas à la Mairie de Mexico (mandat de 2000 à 2005) a acquis une notoriété nationale grâce à une gestion jugée relativement réussie de la capitale du pays, ce qui lui a permis de se présenter comme le candidat de la gauche à la présidentielle de 2006 et de 2012. De même, le Maire actuel de la ville depuis 2012, Miguel Angel Mancera, semble de plus en plus aspirer à se présenter aux élections présidentielles de 2018.

Cette fonction à la tête de la principale ville du pays est ainsi l’un des postes clés pour nombre d’aspirants au pouvoir fédéral. Elle permet non seulement de figurer comme l’un des leaders politiques mexicains de premier plan, dont la gestion est fortement médiatisée du fait même de la place de Mexico dans le pays, mais également de capter des clientèles électorales et de constituer des équipes expérimentées. De ce point de vue, la gestion d’Andrés Manuel López Obrador semble emblématique. Grâce à une politique sociale ambitieuse (création d’une pension municipale aux personnes âgées ; mesures en faveur de l’accès aux soins des personnes défavorisées) celui-ci a réussi à se constituer une solide clientèle dans les quartiers populaires de Mexico. Clientèle qu’il a élargi aux classes moyennes et une partie des classes fortunées à travers des politiques telles que la rénovation du Centre Historique (patrimoine mondial de l’Humanité) qui l’ont fortement gentrifié, ou bien encore telles que la construction d’un deuxième étage payant de l’anneau périphérique permettant aux catégories aisées de circuler plus facilement dans la ville. Ceci, en plus de sa politique réussie de gestion de déchets (fermeture de l’immense décharge au sud de la ville afin de mener une politique de recyclage) ou de l’insécurité (programme mis au point en collaboration avec Rudolph Giuliani) qui ont confirmé ses capacités d’administrateur et qui ont fait qu’AMLO a ainsi pu revendiquer sans contestation le leadership national de la gauche mexicaine sur la base de son succès comme Maire de Mexico.

 

 

Pourtant, tant Cardenas comme López Obrador ont échoué dans leur stratégie et ont été vaincus lors des élections fédérales[6]. Tout se passe comme si les bénéfices issus d’une gestion réussie de la capitale ne suffisaient pas à constituer un capital politique suffisant pour l’emporter au niveau national et qu’ils ne servaient qu’à consolider un espace d’opposition permanente de gauche vis-à-vis du pouvoir national entre les mains du PAN et du PRI. En effet, la gauche, qui n’a jamais perdu la mairie de Mexico depuis 1997, semble uniquement faire de ce bastion un contre-pouvoir permanent sans pouvoir l’exploiter comme tremplin pour une prise de pouvoir nationale. N’a-t-on pas ici le reflet du caractère « trop » métropolitain de Mexico qui le différencie du reste du territoire ? La gestion de Mexico n’est-elle pas avant tout la gestion d’une sorte d’isolat urbain dont les caractéristiques singulières ne permettent pas à ses gouvernants de capitaliser leurs succès politiques à leur tête ?

On pourrait ainsi par exemple souligner tout ce qui sépare cet espace du reste du territoire mexicain en termes sociaux, sociétaux et géographiques. Alors que le pays a connu récemment une vague de mesures conservatrices (législations fédérées de plus en plus restrictives pour l’avortement voire réglementations municipales visant la tenue des femmes et des expositions d’œuvres artistiques dites obscènes[7]), la ville de Mexico semble à contre-courant en ayant légalisé en 2007 l’avortement et en 2009 le mariage homosexuel et adoptant ainsi la législation la plus libérale d’Amérique Latine. En termes sociaux on peut également évoquer aussi bien le PIB par habitant (18 mille $) 250% plus élevé que la moyenne du pays que l’IDH bien plus élevé à Mexico (0.92) que dans le reste du pays (0.83), reflet de la concentration d’activités et de l’investissement hospitalier et scolaire conséquent dans la capitale en contraste avec l’abandon notamment des zones déshéritées du sud profond mexicain (Guerrero, Oaxaca et Chiapas). On pourrait même évoquer le fait que malgré la forte délinquance qui a toujours caractérisé Mexico, cette ville est devenue grâce à la forte présence policière une sorte de havre de paix du pays au regard de la violence qui touche de nombreuses régions du pays du fait de la guerre contre les cartels de la drogue.

Ces caractéristiques, avec une classe moyenne conséquente, des institutions municipales et étatiques relativement solides, une mentalité plus progressiste, confirment justement la capitale dans ce statut ambigu de métropole qui la séparent des autres régions du Mexique. Le vote n’est ainsi qu’une des caractéristiques parmi bien d’autres qui la différencient du territoire national qu’elle domine mais dont elle se distingue. Ilot plutôt rattaché désormais à l’archipel mégalopolitain, ses dirigeants sociabilisent avec leurs collègues d’autres villes-monde au sein des réunions du C40 ou du CGLU[8], sont engagés dans des préoccupations communes de la ville durable et de la ville intelligente et sont dans le mimétisme de mesures d’autres grandes capitales (le Vélib parisien par exemple donnant le programme « Ecobici »).

 

[2] 4 orchestres majeures symphoniques ; étape indispensable des tournées sur le continent américain des grands groupes de musique contemporaine : en 2016 se sont succédés les Rolling Stones, Madona, Iron Maiden, Gun’s & Roses entre autres

[3] Ville d’adoption de Gabriel García Márquez en contact permanent avec les intellectuels mexicains comme Octavio Paz ou Carlos Fuentes ; aujourd’hui cœur de la génération dite « du crack » et d’auteurs prometteurs tels que Guadalupe Nettel parmi bien d’autres

[4] Des Telenovelas comme « Rosa Salvaje » ou « Los ricos también lloran » dans les années 90 ont été de grands succès à la télévision russe inaugurant une importation de ces productions audiovisuelles mexicaines

[5] La « dictature parfaite » du PRI était basée sur la permanence au pouvoir du même parti grâce à une fraude permanente et un renouvellement tous les six ans du Président de la République afin de permettre aux différentes factions du parti de prétendre au pouvoir. Par ailleurs, les libertés politiques basiques des citoyens étaient garanties tant que les différents groupes et individus ne menaçaient pas le monopole du pouvoir.

[6] Cardenas en 2000 a perdu avec seulement 16.6% des votes et c’est le parti de droite du PAN Vicente Fox qui a réussi à finalement à battre le PRI ; López Obrador a perdu successivement en 2006 par 1% de différence de votes face au candidat du PAN Félipe Calderón et en 2012 distancé par 6% de plus par le candidat du PRI Enrique Peña Nieto.

[7] En 2011 diverses municipalités des Etats de Sinaloa, Guanajuato, Tamaulipas et San Luis Potosí ont interdit les minijupes pour leur personnel et lancé des campagnes contre l’usage de cette tenue en public.

[8] Le C40 « Cities Climate Leadership Group (C40) » est une organisation qui regroupe 81 des plus grandes villes du monde avec des préoccupations environnementales. La Cités et Gouvernements locaux unis (CGLU) est la principale organisation mondiale de villes jumelées : elle a réuni son 3° congrès à Mexico en 2010.

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Migrants : l’impasse européenne

Thomas Lacroix

​Chercheur CNRS

​Migrinter, Université de Poitiers

(Présentation de l’ouvrage du même titre, Paris : Armand Colin, 2016, 188 pages)

 

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Au cours de l’année 2015, les Etats de l’Union ont vu arriver sur leurs rives un nombre de réfugiés d’une ampleur considérable (environ 1,2 million de personnes). Au pic des arrivées, près de 5000 personnes par jour débarquaient sur les côtes européennes, que ce soit des Africains passant par la Lybie (Soudanais, Erythréens, etc.), ou des personnes issues du Moyen Orient, Irakiens, Afghans et Syriens transitant par la Turquie. Face à cet afflux, les Etats européens ont d’abord réagi en ordre dispersé : fermeture unilatérale des frontières en Hongrie dès le mois de juin, suivi en cela par l’Allemagne, l’Autriche, la Slovénie et la République Tchèque. Un plan concerté n’est élaboré qu’au mois de septembre, peu de temps après l’émoi suscité par la photo du cadavre d’un enfant échoué sur une plage. Ce plan inclut la création de centre de tri, les hot spots et la répartition de 160 000 personnes entre les Etats membres. Ce chiffre peut paraître dérisoire au regard des 4 millions de réfugiés qui ont trouvé refugé en Turquie, Liban ou Jordanie et pourtant il sera finalement abandonné de fait, faute d’une mise en œuvre effective. Il a fallut le recours à un accord bilatéral entre l’Allemagne et la Turquie pour mettre fin à cette situation, du moins partiellement car la route africaine et les départs depuis la Lybie vers l’Italie continuent alimenter les arrivées maritimes. 3800 personnes auraient péri dans la traversée en 2016, un chiffre record.

 

Cet article tente d’apporter les éléments explicatifs de cette faillite. En fait, moins qu’une crise des migrations, c’est bien davantage une crise de la construction européenne dont il s’agit et dont les événements de 2015 ont servi de révélateur. Pour le comprendre, il faut revenir sur les étapes de la mise en place de la politique migratoire européenne.

 

1973-1990 : aux origines de la politique migratoire européenne

Les années 1973 et 1974 constituent un tournant majeur qui inaugurent la période contemporaine de l’histoire migratoire européenne. A ces dates, les principaux pays d’immigration, l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas, la Belgique ou encore la France appliquent une suspension unilatérale de l’immigration de travail. Cette décision n’est pas le produit d’une concertation, mais d’une succession de mesures décidées de façon parallèle. Pour autant, elles auront un impact majeur sur les flux migratoires, un impact qui n’était cependant pas celui attendu. En effet, loin de limiter leur volume, ces mesures conduisent à une modification de leur structure. L’immigration qui prévalait jusque-là était essentiellement le fait de travailleurs masculins peu qualifiés, liée aux besoins de main-d’œuvre de l’industrie d’après-guerre. Les flux se caractérisaient par leur fluidité, les migrants allant et venant entre l’Europe et leur pays d’origine en fonction de leurs besoins de travail. Or la fermeture, si elle a mis fin à la venue de ces travailleurs, a aussi incité la majorité des migrants à s’installer : plutôt que d’envisager un retour promis à l’échec (dans les années 1980, les pays méditerranéens traversent alors la crise du contre-choc pétrolier), ils font venir leur famille pour s’installer durablement dans le pays d’accueil. Les flux changent dès lors de nature : plus de 50% de l’immigration vers l’Europe est une immigration familiale. La fermeture signe un changement de paradigme de la politique migratoire. L’immigration est depuis lors pensée comme une exception, une dérogation accordée aux individus soit sur la base de leur droit (droit de vivre en famille pour le regroupement familial) soit sur la base de leur utilité économique (compétence recherchée).

Avec l’installation des familles, les Etats doivent faire face à une problématique nouvelle : celle de la prise en charge de besoins en termes de logement, d’éducation ou d’accompagnement social d’une nature nouvelle. C’est au cours des années 1980 que se mettent en place les « modèles » d’intégration dans les Etat d’immigration : politique de la ville et droit du sol en France, multiculturalisme en Grande-Bretagne, etc.

 

1990-1997 : mise en place des principes directeurs

La décennie 1990 voit l’émergence d’une politique concertée. Alors que dans les années 1970 et 1980, les Etats membres agissaient en ordre dispersés, la politique migratoire va être de plus en plus prise en charge par les instances européennes. C’est dans la première moitié de la décennie 1990 que sont mis en place les deux piliers de cette politique : les accords de Schengen d’une part, les accords de Dublin d’autre part. Les accords de Schengen furent signés en 1985 puis 1990, appliqués en 1995. Ils régissent les migrations volontaires (économiques et familiales) sur le double principe de la liberté de circulation intérieure et du contrôle mutualisé des flux en provenance de l’extérieur de l’Union. Dès lors, les frontières extérieures de l’Union changent de nature : elles ne délimitent plus seulement le territoire des Etats membres mais de l’ensemble de l’Union. Les Etats borduriers, en charge des contrôles à ces frontières, sont investis du rôle de garde barrière de l’Union.

Quant aux accords de Dublin, signés en 1990, ils régissent la politique d’asile et concerne donc les flux d’immigration forcée. Au cœur de ce dispositif, le principe de dit « de première entrée » fait porter aux Etats des bordures la responsabilité de la gestion de flux migratoires qui ne leur sont pas destinés. En effet, selon cet accord, les migrants doivent effectuer leur demande d’asile dans l’Etat par lequel ils entrent sur le territoire européen. S’ils ne le font pas (notamment parce qu’ils souhaitent s’installer dans un autre pays dans lequel ils ont des contacts ou parlent la langue) et poursuivent leur route, la police peut renvoyer ces migrants dans leur Etat d’entrée (on parle pour ces rapatriements de migrants « dublinés »).

On voit donc comment ces accords ont transformé les Etats de transit européens tels que la Grèce ou l’Italie en opérateur de contrôle au service des pays de destination que sont la France, la Grande-Bretagne ou l’Allemagne. Cette politique a été élaborée sur fond d’afflux de réfugiés en provenance des Balkans (600.000 demandes d’asile en 1992). La politique migratoire résulte donc d’un rapport de force entre d’une part, des Etats noyau de l’Union, et d’autre part des Etats périphériques.

Au-delà de cette européanisation, les Etats n’ont pas renoncé à mener leur propre agenda en matière migratoire. Ainsi, l’Allemagne, qui a de fort besoins de main-d’œuvre en raison d’une démographie déclinante, choisit d’accueillir sur son sol de fort contingent de réfugiés : en provenance des Balkans d’abord, puis de l’ex-Union Soviétique. Ces derniers sont essentiellement des Aussiedlers, populations descendantes des émigrants allemands qui ont colonisés à partir du 16e siècles le bassin de la Volga ou encore de espaces désertiques comme au Kazakhstan. Les Etats membres conservent donc une vision instrumentale de la migration destinée à répondre à des besoins économiques ou démographiques.

 

1997-… : l’européanisation de la politique migratoire

En vertu du traité d’Amsterdam de 1997, la gestion des migrations devient une prérogative de l’Union Européenne. A partir de cette date, les instances européennes ne fournissent plus seulement un cadre mais aussi un contenu à la politique migratoire. Le visa Schengen est créé en 1999 pour tous les ressortissants d’un pays tiers. Le dispositif de Schengen, initialement pensé pour réguler la liberté interne de circulation et ré- investi pour filtrer les migrations externes. Car c’est bien un filtre que les autorités européennes entendent mettre en place à travers une politique sélective favorisant l’immigration qualifiée de diplômés ou d’étudiants. Au début des années 2000, cela se traduit en France et dans d’autres pays par la promotion d’une immigration « choisie », adaptée aux besoins des marchés du travail nationaux. Pour toutes les autres catégories, les voies d’immigration sont peu à peu restreintes. Les ramifications de cette politique d’étendent d’abord dans les pays d’origine où l’on cherche à rendre plus difficile le départ. Cela passe par la prise en charge de la délivrance des visas par les consulats des pays de départ, la multiplication des critères d’obtention (critères financiers, obligation de passer des tests de langue ou de connaissances générales sur le pays d’accueil…). Cela passe également par l’obligation faite aux compagnies aériennes de vérifier la validité des titres de séjour à l’embarquement. Cette disposition (assortie d’une amende de 100.000 euros pour la compagnie qui contrevient à cette obligation) a fermé la voie aérienne aux personnes ne pouvant effectuer de démarche dans leur pays d’origine, et notamment aux victimes de persécution et aux ressortissants de zones en guerre. Contraints à passer par la voie terrestre et maritime, cette disposition explique les modalités mortifères de la migration de réfugiés tels que les Syriens, les Erythréens ou encore les Soudanais. Cette approche visant à dissuader les départs a surtout contribué à augmenter les flux terrestres et donc alourdir le fardeau du contrôle qui pèse sur les Etats frontaliers de l’Europe.

 

Mais l’aspect le plus visible de cette politique reste celui du dispositif sécuritaire déployé aux frontières euro-africaines. Les premiers murs de barbelé ont vu le jour aux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla avant de se multiplier aux frontières orientales (Hongrie, Pologne) et plus récemment à Calais. En 2004, les Etats européens créent une Agence spécifiquement dédié au contrôle des flux : l’Agence Frontex. Cette institution, de statut privé, ne répond pas aux mêmes obligations que les Etats tenus par leurs engagements internationaux (convention des Droits de l’Homme, Convention de Genève sur l’Asile) et dispose donc, de fait, de capacité de coercition plus étendues. Son budget est régulièrement augmenté, passant de 19 millions d’Euros en 2006, à 114 millions en 2015. A cette somme s’ajoute les contrats d’acquisition de matériel (détection, interception), mais aussi les frais de reconduite à la frontière, de gestion des centres de rétention, voire des aides accordées aux gouvernements des Etats africains qui participent à cette traque des clandestins. Car la politique sécuritaire européenne est peu à peu externalisée vers les pays voisins de l’Europe en échanges d’accord de développement.

 

En définitive, le volet contrôle des frontières aura absorbé l’essentiel des ressources accordées à la politique migratoire. Cette approche sécuritaire reste la seule qui semble faire consensus entre les Etats membre, avec en toile de fond, une opinion publique pénétrée par un sentiment anti-immigré. Cette volonté sélective a jeté les autorités européennes dans une course en avant pour mettre fin à des flux multiformes et en recomposition permanente. Une course financière, technologique, mais qui imprègnent aujourd’hui la politique étrangère de l’Europe, sa politique de coopération, mais aussi les politiques sociales dans un contexte ou toute aide est soupçonnée de générer un potentiel « appel d’air ». La pression des intérêts économiques n’est pas étrangère à la poursuite de cette fuite en avant. Cette approche obère également tout mécanismes de solidarité, pourtant prévus dans les traités, à l’égard des Etats en charge du contrôle effectif des frontières. On l’a vu dès 2014, lorsque l’Italie met en place à ses frais l’opération Mare Nostrum pour récupérer les migrants tentant de franchir la Méditerranée. Cette opération s’est accompagnée d’une demande de soutien qui ne sera pas entendue.

 

En 2015, alors même que l’Italie et surtout la Grèce devaient par ailleurs faire face à une profonde crise économique, le dispositif sécuritaire s’est effondré. Le passage des migrants a dans un premier temps tétanisé les pouvoirs publics des Etats membres qui ne s’étaient pas préparé à cette éventualité. Arc-bouté sur un paradigme sécuritaire qui avait pourtant montré ses limites, ils n’ont pas su mettre en place une politique adaptée. Les réponses fut dès lors unilatérales et désordonnées. On peut douter du fait que les Etats membres sauront tirer un enseignement de cet épisode. Les responsables discutent de la possibilité d’abandonner le principe de première entrée inscrit dans les accords de Dublin au profit du principe de première demande (les migrants doivent rester dans le pays où ils ont fait leur demande d’asile), ce qui contribuerait à soulager la charge pesant sur les pays des bordures européennes. En dehors de cet aspect toutes les mesures prises restent d’ordre sécuritaire : création d’un corps de garde-frontières européen), aide au développement de 200 millions d’euros accordée à l’Erythrée en échange de sa coopération dans la lutte contre l’immigration… Et pourtant, ce type d’afflux migratoire, suscité par un choc géopolitique n’est ni le premier (on pense aux flux de réfugiés issues de l’Asie du Sud-Est dans les années 1970 ou des Balkans dans les années 1990), ni le dernier. Il faut s’attendre à une multiplication de ce type de choc en lien avec le réchauffement climatique. Mais ce problème mondial appelle une solution mondiale. L’Union Européenne se devrait d’être en première ligne pour la mise en place d’un dispositif onusien de gestion des réfugiés.

Des Eldorados aux villes de pouvoir de l’actuelle Amérique latine

Bertrand Lemartinel

Voir la conférence

Cet article est  l’accompagnement illustré de l’article publié par le site Diploweb, partenaire du Festival.

 

Introduction

Les conditions économiques expliquent les migrations et la recherche des cités d’or, mais en partie seulement puisqu’en fin de compte le rêve s’est fracassé sur des réalités moins enthousiasmante. Cependant, la force des imaginaires citadins a pérennisé la recherche des mondes urbains, symboles d’un pouvoir désiré. Dans un premier temps, nous verrons donc comment la quête des cités d’or a créé ou consolidé les métropoles latino-américaines, que les misères paysannes ont transformé en puissantes mégapoles. Dans une seconde partie, nous examinerons comment le « rêve américain » a façonné de véritables métropoles hispaniques aux États-Unis, et sans doute conduit à la réaction brutale qui a mené Donald Trump à leur tête.

 

  1. El Dorado, migrations transatlantiques et métropoles

Le rêve des villes d’or, qui trouvait son origine dans le Livre des Merveilles de Marco Polo, lu et largement annoté par Christophe Colomb. Ce dernier s’est d’ailleurs senti obligé, à son retour, de brosser un tableau bien peu réaliste de sa découverte pour justifier les crédits qui lui avaient été alloués par la couronne espagnole. Il écrit aux monarques une lettre « dans laquelle il fait part de tout ce qui lui est arrivé dans son voyage, et leur donne des détails sur les terres, provinces, villes, fleuves, et autres choses merveilleuses qu’il a vues, sur les lieux où l’on trouve des mines d’or en grande quantité et autres objets de grand valeur ».

Quel que soit le caractère fantaisiste de la relation, la quête d’El Dorado a d’abord supposé la création de points d’appui littoraux (en rouge sur la carte) dont la plupart sont restés métropoles, puis le maintien de capitales précolombiennes comme Mexico, ou la fondation de villes qui structurent encore aujourd’hui l’espace sud-américain, telle Santa Fe de Bogota (en jaune sur la carte). Comme l’a si bien montré Fernand Braudel, dans ses Écrits sur l’histoire (1969), dans ces villes se coulèrent « les religions, les institutions politiques, les administrations, les cadres urbains, et par-dessous tout, un capitalisme marchand capable de discipliner l’Océan » et l’on ne peut qu’y être frappé par la persistance des lieux de pouvoir.

Certes, faute d’un or abondant, l’argent des mines du Potosí pouvait attirer les sujets de la couronne d’Espagne et faire briller les villes du Nouveau Monde. Mais la réalité est autre : José Manuel de Ezpeleta, vice-roi de Santa-Fe de Bogotá de 1789 à 1797, écrivait : « Les animaux immondes errent dans les rues et sur les places ; les unes et les autres sont jonchées d’ordures. En un mot, la malpropreté et le désordre règnent partout, malgré les efforts et le zèle mis à les éviter ». En homme des Lumières, il développe alors une politique d’aménagement et d’embellissement urbains. De ce fait, la très grande majorité des 1721 émigrants recensés entre 1794 et 1796 sont des hommes de pouvoir – régalien ou économique – qui viennent renforcer des capitales fragilisées, comme le montre le tableau ci-après :

 

 

Les fonctionnaires, représentants du pouvoir espagnol, civils, militaires et ecclésiastiques sont plus nombreux (44,8%) que les commerçants et les négociants, nommés indianos dans la péninsule ibérique (42,1%) ; de plus, les migrants ont en quasi-totalité rejoint les villes. Contrairement à ce qui s’est passé en Amérique du Nord, les destinations rurales furent extrêmement minoritaires sans doute en raison de l’exploitation des indigènes déjà cultivateurs et des métis dans les encomiendas prolongées dans le temps par le système des haciendas. Celles-ci, inspirées par les latifundios méditerranéens, si elles enrichissent l’hacendado aux mœurs urbaines ou des contremaîtres caciques, ont une faible productivité et maintiennent dans la misère des foules de peones prêts, à la fin du dix-neuvième siècle, à marcher sur les villes – centres du pouvoir politique – pour alléger leurs souffrances.

 

 

  1. Ruine paysanne et constitution de puissantes mégapoles

Une certaine littérature indigéniste dénonce avec justesse l’asservissement des Juan sin nada, des Jean sans rien (et sans terres), comme les a nommés le poète cubain Nicolás Guillén (1902-1989). Mais elle magnifie l’indien ou le métis paysan supposé désireux de rester dans son monde rural, malgré la nécessité pour eux de d’insurger militairement contre les injustices créées par les pouvoirs urbains et donc de conquérir les villes. C’est ainsi que l’uruguayen Eduardo Galeano (1940-2015) écrit dans Les veines ouvertes de l’Amérique latine (1971) : « Les parias de la campagne ont découvert le centre du pouvoir… [mais]… ils retournent, en fin de compte, sur les terres où ils savent marcher sans se perdre ». Certes, l’espoir des révolutionnaires ruraux, tels ceux menés par Emiliano Zapata (1879-1919), était bien l’obtention d’une meilleure répartition des terres au moyen de réformes agraires. Mais ces dernières ont été soit peu efficaces, soit tardives. Par exemple, au Mexique (1934), si les paysans ont en moyenne reçu en dotation une trentaine d’hectares, ils ne comprennent que 0,6 ha irrigués et 3,7 ha de terrain pluvial, le reste étant le plus souvent constitué de « pâturages » et « autres », c’est-à-dire de lieux presque incultivables. Par contre, les campesinos qui ont – tout au long du vingtième siècle – découvert les villes, à l’occasion de leur investissement militaire ou de « marches » plus ou moins pacifiques, y ont vu de nouveaux eldorados à conquérir. Très frappante est l’iconographie picturale ou photographique. On peut ainsi voir chez Diego Rivera les paysans assaillir une ville perchée en haut d’une montagne, pareille à la Jérusalem céleste. Que l’on se souvienne du texte sacré : « Et je vis la Cité sainte, Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu. Elle s’est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux » (Ap, 21,1). La symbolique du tableau est extrêmement forte, puisque l’accès à la ville - qui délivre du malheur - suppose la conquête du lieu de la puissance urbaine représenté (en bas et à gauche) par le cuartel, c’est-à-dire par la caserne militaire.

L’imagination virgilienne des poètes et romanciers citadins est littérature ; la misère urbaine a paru manifestement plus douce aux paysans que l’extrême dénuement rural. Quand on fait partie des 76% de pauvres du Chiapas, Mexico DF ou les villes « riches » septentrionales sont un rêve lancinant. Certes, la vérité est moins belle : les campamentos de Santiago de Chile, les villas miserias de Buenos Aires, les barriadas de Lima ou las ciudades perdidas de Mexico DF paraissent épouvantables à la bourgeoisie qui les côtoie. Mais les migrants qui s’y installent récupèrent un peu des facilités urbaines : le pouvoir des villes ne réside pas seulement dans leur capacité de commandement, mais aussi dans leur attractivité et la polarisation qu’elles exercent sur leur zone d’influence… A Lima se localise 50% de l’emploi du Pérou. Le 28 juillet 2015, la bourse du travail bolivienne (CompuTrabajo) offrait 70 emplois dont 61 étaient localisés à La Paz et Santa Cruz. Les services urbains, pour médiocres et informels qu’ils soient, existent. Lorsque manque le travail, on peut espérer quelques aides d’un pouvoir désireux d’éviter les flambées émeutières. Même si les villes frontières du Mexique sont écrasées par la violence des cartels militarisés (jusqu’à 3000 meurtres pour 1,2 Mh en 2010 à Ciudad Juarez), les salaires moyens y sont 50% plus élevés que dans le Sud. Quand ils sont de 4500 pesos mensuels (220 dollars) dans l’État de Guerrero, ils atteignent 13000 pesos à Mexico DF.

 

 

 

 

Même si les ruraux qui s’y installent n’obtiennent évidemment pas cette rémunération, leurs espoirs d’ascension sociale y sont bien supérieurs. Les mouvements zapatistes qui entretiennent au Chiapas le mythe d’une ruralité heureuse et d’un pouvoir exercé par le peuple ne peuvent enfin ignorer que l’émigration vers les villes pourvoyeuses d’emploi fait vivre les familles « restées au pays ». En outre la délivrance de plus de 15000 passeports en 2004 montre que cette émigration s’est autant dirigée vers les villes états-uniennes que vers les métropoles intérieures. Au début du vingt-et-unième siècle, le rêve américain fonctionne à plein.

 

 

 

  1. Nouveaux imaginaires, nouvelle Amérique latine ?

Le « sueño americano » ne se manifeste pas dans tout l’espace sud-américain, mais essentiellement au Mexique et en Amérique Centrale, qui prend une part de plus en plus importante dans le 

série de métropoles hispaniques que l’on peut qualifier de « secondaires », L’auteur de ces lignes a même pu s’exprimer longuement en espagnol dans le Wyoming et même en Alaska, que ce soit à Anchorage ou Fairbanks, où les consignes de sécurité affichées sur les camions le sont en anglais et en espagnol. franchissement de la cortina del nopal – le rideau de cactus – comme le nomment par dérision les hispanophones. La photo ci-contre d’un mural peint à El Paso illustre ce rêve : à droite de l’agave qui symbolise la frontière, une femme en robe traditionnelle mexicaine ; à gauche, donc aux États-Unis, une famille de taille réduite, en habit « moderne » matérialise l’accomplissement des espoirs mis dans le passage de la « ligne ».

 

 

 

Les premiers arrivants chicanos avaient été recrutés pour travailler dans les exploitations agricoles en Californie délaissées par l’enrôlement des jeunes gens au moment de l’entrée en guerre américaine (programme Bracero, fin 1941- 1942). C’est encore le cas aujourd’hui dans les comtés de Géorgie, mais les immigrants se sont très vite dirigés d’abord vers les métropoles : en 1998, ils n’étaient déjà plus que 8% à exercer dans le secteur primaire. Les illégaux ont plus encore intérêt à se diriger vers les grandes agglomérations où se sont développés des barrios totalement hispanisés : ils se noient dans la population « légale ». L’agglomération de San Antonio (TX) compte aujourd’hui 63% d’hispaniques, celle d’Albuquerque (NM), 47%, , de Los Angeles (CA) 45% et de Phoenix (AZ), 40%, au point que l’on y parle plus espagnol qu’anglais. Il existe aussi des chaînes de télévision de langue espagnole, qui sont de plus en plus regardées : lors du forum démocrate de Miami (2008), retransmis dans les deux langues, la plus grande audience a été obtenue par la chaîne hispanophone. Elle se flatte d’avoir fait l’histoire : « pour la première fois, les pré-candidats à la présidence se sont adressés au public hispanique par l’entremise d’une chaîne en espagnol ». L’annuaire de Santa-Fe (NM) explique (en espagnol) que « la majorité des entreprises [répertoriées] emploie du personnel qui parle espagnol… Cependant, le personnel qui parle seulement anglais souhaite… donner le meilleur service aux membres de la croissante communauté hispanique ». A San Francisco, un bar de Mission district affichait en 2001 une offre d’emploi qui stipulait que la serveuse devait avoir de l’expérience et… savoir parler anglais. Cette « vague hispanique » ne concerne pas seulement les villes du sud-ouest états-unien ou la Floride. Et cette poussée n’est pas seulement frontale. Dans l’ensemble des États-Unis, se diffuse la latinité hispanique, au point qu’il existe maintenant une série de métropoles hispaniques que l’on peut qualifier de « secondaires », L’auteur de ces lignes a même pu s’exprimer longuement en espagnol dans le Wyoming et même en Alaska, que ce soit à Anchorage ou Fairbanks, où les consignes de sécurité affichées sur les camions le sont en anglais et en espagnol.

 

Il n’empêche que tout cela ne se résume pas à une question linguistique et démographique. Certes, cette latinisation de nombreuses métropoles états-uniennes n’est pas nécessairement à l’origine de conflits internes. Mais quand le bulletin de vote du comté de Bernalillo (Alburquerque, NM) est rédigé dans les deux langues, le panorama électoral en est changé à une plus large échelle. Partout, le rêve américain a fait progresser l’hispanisation de la gouvernance urbaine dans les États du Sud : une nouvelle Amérique latine s’y est établie. Ailleurs, émergent aussi de « petites » ou moyennes métropoles hispaniques dont la rapide croissance et l’influence inquiètent les « anciennes » minorités afro-américaines et l’environnement régional : elles induisent une réaction politique aujourd’hui très visible dans l’espace nord-américain anglo-saxon.

 

 

  1. Pouvoir des villes latines et gueule de bois étatsunienne

Si encore, les latinos s’étaient contentés de rester des peones ou d’occuper des emplois faiblement rémunérés, l’inquiétude serait certainement limitée. Mais ils gagnent rapidement du galon et grimpent dans la hiérarchie sociale, comme le prouvent nettement les statistiques de l’US Census. Qui plus est, ils poussent leur descendance dans les systèmes éducatifs. En 2007, les enfants et adolescents latinos représentaient 21% de la population scolaire, mais les projections pour 2050, comme l’a montré David Giband, font état de plus de 50%. Certes, la ségrégation universitaire des hispanos est, selon une publication de l’UCLA, encore notable, surtout en Californie, où les élites anglophones tiennent souvent à garder la mainmise sur des études qui ouvrent les portes d’un pouvoir élargi. A Albuquerque, où pourtant les bulletins de votes sont bilingues, les hispaniques perçoivent l’université publique comme un territoire culturellement étranger. Ceci étant, leurs revendications sont extrêmement fortes : à Philadelphie (Université Temple), l’association qui les réunit a pour symbole un poing levé. Leur conquête du pouvoir passe de préférence par les universités publiques délocalisées dans

 

les villes intermédiaires, moins chères. Ces stratégies, qui impactent les territoires urbains de taille moyenne, sont d’autant plus visibles que depuis 2006, le nombre des étudiants latinos a crû de 11% par an, pour atteindre aujourd’hui plus de 17% des effectifs universitaires. L’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) assure sa promotion – l’éducation est là-bas un produit marchand soumis à la concurrence – en mettant par exemple en avant l’accueil d’Ana Oaxaca, une doctorante DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) et même indocumentada (sans papiers… états-uniens).

Toutefois, si cette promotion sociale peut entretenir la frustration du monde ouvrier anglo-saxon et des afro-américains, c’est la prise de conscience du nombre (55,3 Mh) qui frappe les esprits depuis quelques années. Un petit film parodique réalisé par des hispaniques (Latino project) caricature la vision que peuvent avoir les WASP de cet immigration (https://www.youtube.com/watch?v=l7qKD-Ph7ds). Cette perception à forte connotation raciste est d’autant plus partagée que les hispanics ne restent plus dans les barrios des villes du Sud-Ouest. Cette diffusion dans les métropoles de l’ensemble du territoire est d’autant plus nette que l’ancienneté de résidence y est grande ; même les illégaux – seulement 10 à 15% du total – sont installés depuis fort longtemps, en moyenne 13,6 années en 2014. C’est dire que le phénomène géopolitique majeur que constitue la perception du nombre et le mouvement de rejet qui ont contribué à l’élection de Donald Trump vient bien tard.

 

 Le monde anglo-saxon, longtemps conscient de sa domination, s’est réveillé – on nous pardonnera l’expression – avec la « gueule de bois », sans beaucoup de moyens de contrecarrer une situation établie. Le pouvoir des latinos dans les métropoles hispaniques établies est tel qu’ils trouveront sans mal refuge dans 200 ou 300 villes auto-érigées en « sanctuaires », comme cela a d’ailleurs été le cas en 1954 lors de l’opération Wetback décidée par Eisenhower. Ainsi, San Francisco a la capacité de résister aux menaces de coupure des crédits fédéraux… Quant à penser qu’une expulsion massive donnera de meilleurs emplois aux ouvriers non hispaniques, c’est un renversement du rêve initial : avec un taux de chômage structurel états-unien de 4,7%, on voit mal comment fonctionneront correctement d’éventuelles relocalisations. En effet, le problème n’est pas tant celui de la masse des emplois disponibles que celui de la déqualification des vieux blue collars. Enfin, les maras – ou gangs hispaniques – largement financées par le trafic de drogue exercent au sein des villes un pouvoir souterrain réel mais il est sans doute moindre qu’annoncé par Donald Trump. Si l’on prend le cas du Texas, dont la population est à 51% latina, les exécutions capitales de citadins hispaniques – les campagnes n’ont pas les moyens financiers de condamner –  ne représentent que 30,6% du total. Pourtant, le Lonestar state n’est guère clément…

 

Conclusion :

Nouveaux eldorados, nouvelles métropoles et nouveaux pouvoirs latinos

Les discours historique, géographique et géopolitique ont toujours voulu s’appuyer sur des réalités mesurables. Il est évident que l’on ne saurait les oublier dans la mesure où elles sont un élément structurant de la pensée. Mais l’établissement des villes de pouvoir en Amérique latine répond aussi à des logiques qui sont bien peu matérielles. La quête des eldorados urbains a certes été un rêve inabouti, mais il n’empêche qu’il a organisé le réseau des métropoles du Nouveau Monde espagnol ou portugais, qu’elles soient les points d’appui, créés de toutes pièces, de la conquête ou les capitales redessinées des anciens empires. C’est aussi ce rêve renouvelé – et un espoir au fond peu sensé – qui a dirigé les grandes migrations qui ont transformé lesdites métropoles en mégapoles multimillionnaires. Le pouvoir, en effet, n’est pas seulement la capacité de contrôler un territoire, c’est aussi celle d’attirer et de concentrer de nombreuses populations qui – à leur tour – modifient peu ou prou par leur seule présence la nature même de la gouvernance. C’est encore ce rêve, rebaptisé sueño americano, qui a conduit en très grand nombre de latinos au nord du rio Grande depuis un demi-siècle, dont Tom Perez, le nouveau « patron » du parti démocrate, est un remarquable représentant (https://www.youtube.com/watch?v=5qz98LlmH58 ).

Ce rêve a maintenant des effets géopolitiques extrêmement visibles en ce sens qu’il révolutionne l’Amérique anglo-saxonne, comme le prouve l’élection de Donald Trump. Paradoxalement, le rêve, devenu celui d’une identité préservée, change de camp. Mais on peut se demander s’il n’est pas trop tard pour s’aviser que, dans bien des métropoles états-uniennes, le pouvoir « latin » est une composante définitive de la réalité américaine.

De Paris à Hong-Kong : ville et finance dans la bande dessinée économique et financière franco-belge

Sylvie Martin-Mercier
Université Grenoble – Alpes [ILCEA4]

 

 

Depuis sa naissance à la fin du XIXe siècle, la bande dessinée nous fait voyager à travers une palette extraordinaire de villes. Genre récent, la bande dessinée économique et financière qui, comme toute fiction d’affaires, « […] place au centre de son récit les mécanismes et acteurs économiques dans le contexte d’une entreprise, privée ou publique [...] »[1] s’inscrit naturellement dans cette lignée, le monde des affaires étant étroitement lié à la ville et, plus précisément, aux capitales financières.

Ainsi Largo Winch[2] nous fait-il voyager non seulement dans les plus grandes places financières mais aussi dans des villes plus exotiques, à la faveur des aventures de l’héritier d’un empire financier basé à New-York puis Chicago. Davantage ancré aux Etats-Unis, IR$[3] envoie néanmoins fréquemment à l’étranger Larry B. Max, agent spécial de l’IRS – Internal Revenue Service - tandis qu’Hedge fund[4] nous fait quitter Hong-Kong pour les Etats-Unis en passant par la France sur les traces d’un trader français expatrié. En revanche, Dantès[5] se démarque par sa focalisation sur les milieux financiers parisiens tout comme Lakaf affole le CAC[6].

A partir de ces quatre grandes séries de bande dessinée d’affaires franco-belge et de Lakaf affole le CAC, œuvre originale par son approche résolument humoristique, nous nous proposons de dégager les caractéristiques et fonctions des villes privilégiées par ces thrillers.

Sous la double contrainte des exigences formelles de la bande dessinée et d’un lectorat particulier se dessine, à un niveau macroscopique, une géographie de fiction fondée sur des déplacements entre villes ancrage et destinations temporaires. Dans ces œuvres, les éléments structurant la ville - quartiers, rues, monuments, bâtiments – contribuent à une construction et représentation du monde de la finance ou plus exactement de la frange qui s’adonne à des malversations, tandis que le rapport que les personnages entretiennent avec la ville nous éclaire sur leur position socio-professionnelle.

Dans notre corpus, la présence de la ville se décline selon trois axes : point d’ancrage réaliste ; destination liée aux péripéties aventureuses ; pôle générant des déplacements. New-York, Paris et Hong-Kong constituent un point d’ancrage, un lieu géographique pivot de la fiction. Siège des Bourses ou de grands groupes et banques, elles sont fréquemment le lieu de résidence des protagonistes.

Ces métropoles sont connues des lecteurs, directement ou par la médiation d’autres fictions, ce qui engage la question de la vraisemblance de leur représentation. Elles sont construites en partie comme des images de carte postale, stéréotypées, autour des bâtiments symboliques et immédiatement reconnaissables ; le cadre doit être cohérent sans être nécessairement une copie conforme de la réalité, car prévaut la mise en place de structures opératoires pour la fiction. En effet, les villes constituent le cadre spatial dans lequel s’inscrit l’intrigue. Pour les dessiner sont exploitées les techniques habituelles de la BD avec une vignette d’ensemble initiale, occupant généralement toute la largeur de la planche, accompagnée d’un récitatif et offrant souvent une vue plongeante sur la ville. Suit généralement un plan de semi ensemble, avant une focalisation sur les personnages, ce qui inscrit d’emblée ces derniers dans un cadre urbain.

Le héros est souvent amené à quitter les villes d’ancrage pour d’autres destinations. Si Mickaël Lakaf ne dépasse pas la banlieue parisienne et le héros de Dantès ne quitte Paris qu’une fois sa vengeance activée, Largo Winch, Franck Carvale et Larry B. Max seront toujours en déplacement. Aussi les villes relevant de cette catégorie sont-elles nombreuses ; outre Paris, New-York, Hong-Kong, qui deviennent à leur tour des destinations temporaires, ou Londres, nous rencontrons des villes plus discrètes comme Amsterdam, Bern, Lucerne, Zurich, mais aussi des destinations touristiques comme Venise ou des villes représentatives d’un pays (Los Angeles avec Hollywood et Beverly Hills, Washington) ainsi que les villes exotiques porteuses de mystère telles les villes asiatiques de Macao, Singapour, Rangoon ou encore Mombasa en Afrique ou Mexico. Ainsi se dessine une géographie mondiale liée en partie à l’émergence de nouvelles places financières qui entrent dans l’imaginaire fictionnel comme Hong Kong.

Le déplacement d’une ville à l’autre est davantage motivé par les péripéties relevant du thriller que par la finance proprement dite, Largo Winch en est le meilleur exemple. Ces voyages incessants des protagonistes sur de longues distances nous amènent à considérer l’impact des infrastructures sur la représentation de la ville. Si les passages situés aux Etats-Unis nous montrent quelques autoroutes urbaines, il convient de souligner la récurrence des images d’aéroports, ceux-ci constituant généralement le point d’entrée dans la ville pour nos aventuriers. Ils deviennent le symbole de la mondialisation de la finance et, plus encore, de la fraude financière. Pour les déplacements plus courts, l’hélicoptère est privilégié. Ces deux types de transport génèrent de très belles vignettes comportant des vues aériennes de la ville verticale, en plongée ou contre-plongée, des vues nocturnes suggestives, en accord avec l’image de ces villes dans l’imaginaire collectif. Ils autorisent des points de vue moins réalistes, nous plaçant au-dessus des aires d’atterrissage des hélicoptères sur le toit des buildings, exploitant les caractéristiques architecturales de la ville verticale, pour New-York, Hong-Kong et Macao.

Les protagonistes ne s’expriment généralement pas sur la métropole, mais la possession de pied-à-terre dans plusieurs villes sera un des signes tangibles de réussite. Dans Dantès, l’investisseur véreux Michel Bonnefond apparaît systématiquement dans des étages élevés, balayant du regard un panorama urbain, symptôme probable d’une volonté de puissance proche de celle de Saccard dans la Curée de Zola.

À l’exception d’IR$ où le rapport à la ville est moins exploité, ces villes ne sont pas des supports interchangeables mais des lieux qui ancrent fermement l’action dans le temps et l’espace et liés à un état précisément datable de la profession et de la société.

Dès lors, les rues et bâtiments représentés vont marquer non seulement l’espace dans lequel évoluent les personnages mais aussi devenir des marqueurs temporels indispensables à la cohérence narrative. La fiction financière nécessite d’ancrer l’histoire imaginée dans des espaces évoquant de manière transparente les lieux d’exercice de ces professions, ce qui induit une représentation de la ville articulée autour des bâtiments dédiés à l’exercice des professions financières mais aussi des lieux publics et privés investis par les personnages. Les scènes d’extérieur sont en général limitées aux rues et trottoirs. Significatif est à cet égard le premier épisode de Dantès qui révèle progressivement le cadre professionnel, les lieux de détente et les habitations privées. L’espace est structuré grâce aux lieux liés à la finance tels le palais Brongniart dont l’architecture symbole de la puissance est soulignée dans Dantès par des effets de plongée et contre-plongée ou l’entrée du NYSE à Wall Street. Immédiatement identifiables par un lecteur connaisseur, ces lieux sont généralement nommés dans un récitatif pour le lecteur qui croise au fil des planches le siège de la DEA, du FMI, de l’AMF ou de la COB mais aussi les lieux liés au pouvoir politique quand les liens entre celui-ci et finance sont exploités pour les ressorts de l’intrigue : Bercy pour Dantès, des ambassades pour Largo Winch ou encore la Maison Blanche (Largo Winch, IR$). Ces villes sont pensées à partir des quartiers professionnels réels tels le quartier Bourse/Opéra ou celui de La Défense à Paris, Wall Street à New-York ou encore le quartier des affaires de Hong-Kong. Dans cette structure fondée sur le bâti existant vont être placés de manière cohérente et harmonieuse les édifices créés pour la fiction (BPCI pour Dantès, Winch Tower à New-York pour Largo Winch, banque à Hong Kong pour Hedge fund). Ces immeubles et buildings sont insérés dans des rues identifiables : la tour du groupe W, sur la 6e avenue le long de Central Park s’inscrit dans la perspective de l’Empire State[7].

Les villes sont aussi données à voir à partir des quartiers touristiques et des lieux facilement identifiables par tous, car relevant souvent du cliché : Tour Eiffel, Pont Alexandre III et Seine pour Paris ; Empire State Building, World Trade Center, Time Square, Broadway, Central Park et Statue de la Liberté pour New-York ; Congrès, Mall et Washington Memorial pour Washington. Pour les villes suisses et les villes exotiques peu connues, l’architecture typique sera largement exploitée.

Dans ce contexte, le rôle de l’architecture ne se limite pas à créer l’effet de réel mais sert l’histoire permettant de fuir par les toits à Paris, par les canaux à Venise et de grimper sur les buildings de New-York. Comme dans les films d’action, les protagonistes ne s’égarent jamais dans ces villes dont pourtant ils découvrent les rues aux noms rarement précisés, offrant une lecture à double niveau : seule la fonction de cadre importe pour qui ne connait pas la ville tandis que le lecteur initié éprouve le plaisir d’identifier les lieux. Panneaux de signalisation, mobilier urbain, boîtes aux lettres, colonnes Morris, cabines téléphoniques et kiosques à journaux deviennent des marqueurs contribuant à l’effet de réel, complétés par les marqueurs linguistiques qui confirment l’ancrage dans une ville et une langue.

Les rues voient passer les personnages de leur espace intime, privé, domestique à leur espace professionnel ou à un espace public. Vecteur des déplacements quotidiens, elles deviennent souvent la scène d’un événement déterminant pour la fiction : rencontres fortuites, scènes indiscrètes et le lieu où surviennent les péripéties liées à l’intrigue criminelle (meurtre, poursuites, agressions) ; si elles facilitent la fuite on y est facilement exposé et vulnérable. Dans un traitement original de la rue, seul Mickaël Lakaf semble y voir ce qui ne relève pas de son nouveau milieu et se rêve, devenu riche, offrant de l’argent à un sans-abri ; pour ce personnage la rue devient le lieu de la prise de conscience du côté obscur du trader et de sa chute dans la folie.

Le regard porté sur ces villes reste limité car les pauses descriptives n’ont guère leur place dans un genre dominé par l’action et le suspens, mais il met en exergue le petit périmètre, limité à quelques quartiers et symbole d’un enfermement socio-professionnel dans lequel évoluent les financiers qui vivent dans ces villes sans même rencontrer leurs voisins. Les habitations sont parfois facilement localisables pour qui connait les villes (par exemple sur le Boulevard Saint-Germain), parfois localisées par le texte, parfois non situées. Le changement de quartier et de type d’habitation situe aussi les personnages au niveau socio-professionnel : on constate un déplacement du petit appartement, voire d’un appartement non dévoilé, vers un grand appartement de style contemporain pour jeunes traders, une prédilection pour les appartements haussmanniens pour les hommes établis et conservateurs, la maison de maître en banlieue chic restant le point culminant du succès à la française. On constate par ailleurs un déplacement du village, de la banlieue ou du quartier populaire dont sont habituellement originaires les protagonistes vers la métropole, les parents et fratries restant dans lieux d’origine, modestes mais souvent vus par les protagonistes comme des espaces plus protégés que la ville où circule facilement la drogue, où l’on s’adonne à des pratiques sexuelles dans des clubs privés et où le luxe doit être exhibé comme signe intangible de réussite.

Les allures et tenues vestimentaires des passants vont aussi signaler la spécificité du quartier alors que les voitures de marque plus ou moins prestigieuse circulant dans les rues vont aussi se révéler des marqueurs sociaux, du scooter de Mickaël Lakaf aux Ferrari de Dantès tandis que les taxis jaunes symbolisent New-York. Rares sont les protagonistes qui prennent le métro ou le train. En général, ces scènes correspondent à des moments de lassitude, de désarroi et de grande solitude, soulignés par l’isolement parmi une foule compacte.

Dans ce contexte, la ville est non seulement le lieu des malversations mais aussi celui où se déroulent les enquêtes et les châtiments ce qui de manière plus anecdotique pourra faire apparaître commissariat, palais de justice et prison parmi les édifices signifiants.

Dans ces fictions, l’enjeu est de mettre en scène des aventures haletantes relevant du thriller dans le cadre spécifique et identifiable du monde de la finance, monde urbain par excellence. Tout à la fois lieu de travail, de vie et de plaisir, ces villes sont nécessaires au fonctionnement des personnages et au déroulement de l’action. Au-delà des quelques villes choisies exclusivement pour leur aspect pittoresque ou exotique comme Venise et bien que choisies tant pour leur image évocatrice que pour leur lien avec la finance, ces villes et en particulier les métropoles ne peuvent être réduites à de simples décors. Les dessinateurs ont la lourde charge de créer des univers cohérents et acceptables, graphiquement et esthétiquement attrayants mais opératoires tout en harmonisant les éléments de bâti existants et les édifices imaginés pour la fiction. Mais surtout elles garantissent la vraisemblance de la représentation de ce milieu professionnel, et au-delà permettent d’en souligner les travers. Les villes telles que présentées dans ce corpus permettent de faire émerger les caractéristiques techniques mais aussi humaines et psychologiques de la profession et du milieu socio-professionnel bien qu’exacerbées par la nécessité du fonctionnement d’un thriller.

 

[1] Reyns-Chikuma, Chris, « La fiction d’affaires et la fiction économique au 20e siècle : des objets culturels encore à identifier », Belphégor, 13-1 | 2015. URL : http://belphegor.revues.org/578 

[2] Francq, Philippe, Van Hamme, Jean, Largo Winch, Dupuis, 20 t., série en cours depuis 1990.

[3] Vrancken, Bernard, Desberg, Stephen, IR$, Le Lombard, 18 t. Série en cours depuis 1999.

[4] Sabbah, Philippe, Roulot, Tristan, Hénaff, Patrick, Hedge fund, Le Lombard, 2014, 3 t.

[5] Boisserie, Pierre, Guillaume, Philippe, Juszezak, Erik, Dantès, Dargaud, 2007-2016, 5 cycles de deux volumes.

[6] RouviÈre, Nicolas, Škoda, Philippe, Lakaf affole le CAC, Mosquito, N. Rouvière et P. Škoda, 2015 ; pré-publié sur L’Express en 2014.

[7] Sur la localisation du Winch Building, voir notamment http://marquebd.free.fr/Dossiers/WinchBuilding/.

Les logiques géopolitiques de la localisation des capitales

Thomas Merle, Professeur agrégé de géographie, Professeur agrégé d’histoire

 

Les capitales sont par excellence les villes du pouvoir. La relation entre la capitale et le pouvoir est souvent étudiée dans un sens : c'est la capitale qui concentre le pouvoir. D’un point de vue logique, la capitale semble précéder le pouvoir. Or l'analyse peut être renversée avec profit : c’est bien le pouvoir qui choisit la capitale, laquelle est alors la matérialisation de ce pouvoir « initial » (pour une première capitale) ou d’une volonté de changement (cas du transfert de capitale, voire de la création ex nihilo d’une nouvelle capitale). Quelles sont les différentes logiques géopolitiques expliquant la localisation des capitales ?

 

I.Les logiques générales de localisation des capitales : quelles spécificités ?

Comment qualifier et analyser la localisation d’une capitale ?

On distingue en géographie le site et la situation qui renvoient respectivement à l’implantation d’une ville à une échelle très locale et de manière plus régionale. Ces logiques physiques peuvent s’analyser pour toutes villes mais elles sont encore plus importantes dans le choix d’une capitale. Existe-t-il une spécificité dans la logique de localisation des capitales par rapport aux autres villes ? Quels critères peuvent être utilisés ? On peut recourir à des critères génériques comme à l’échelle du site le relief qui détermine la facilité à être défendue ou la proximité d’une source d’eau douce (fleuve ou lac) ou de la mer (qui offre en général de quoi nourrir une population), l’existence de ressources (terres agricoles, minerais, etc.). Ces mêmes critères peuvent être repris à l’échelle de la situation : la capitale, ou toute autre ville, peut être située par rapport aux grands éléments de relief, qualifiée selon sa position sur un cours d’eau (amont, aval, confluent, verrou de delta ou embouchure) et d’une manière générale par rapport aux grands flux, ce qui signifie le plus souvent avoir accès à la mer.

 

Il existe aussi des logiques qui sont encore plus essentielles pour les capitales. La taille de la capitale peut être questionnée, ou plutôt sa taille relative, par rapport aux autres villes de l’État ie sa position dans ce que l’on appelle la hiérarchie ou l’armature urbaine. Ce critère est très complexe car il est dynamique : une capitale créée ex nihilo peut devenir la première ville du pays, justement parce que, dans une logique cumulative (cercle vertueux, rétroaction positive du système),  le pouvoir attire le pouvoir, les hommes et les activités. Un autre critère intéressant est celui du positionnement de la capitale à l’intérieur de son État. Il peut se quantifier en mesurant le centrage est-ouest et nord-sud, ou par rapport à une diagonale joignant les deux points les plus éloignés du pays. On trouve alors des capitales centrées et excentrées. La position la plus optimale est une position centrale, qui permet de minimiser les coûts en argent et en temps pour relier tout point de l’espace à la capitale, ce qui est important pour la défense militaire, comme pour l’administration courante. L’État idéal est un cercle dont le centre serait la capitale. Tout éloignement de ce modèle signifie qu’une autre logique l’a emporté.

 

 
   

 

 
Des facteurs anciens et une logique d’inertie

600 millions d’habitants vivent dans une capitale ou son agglomération ; le phénomène est majeur. Comme la plupart des grandes villes, beaucoup de capitales sont situées sur un cours d’eau (ou un lac), l’exception majeure étant le cas des pays qui n’ont pas vraiment de cours d’eau, qu’ils soient désertiques (par exemple dans le Golfe) ou qu’il s’agisse de lagons ou petites îles (en particulier dans le Pacifique). Certaines capitales disposent d’un site de confluent voire de verrou de delta (Le Caire) ou de contrôle d’estuaire (Buenos Aires). Beaucoup de pays non enclavés disposent d’une capitale littorale avec des sites bien abrités (Tunis, Port-au-Prince) mais c’est loin d’être la règle. Les capitales littorales se rencontrent en particulier en Afrique et en Amérique, les colonisateurs européens étant arrivés par la mer et ayant établi des comptoirs sur la côte avant de s’enfoncer dans les terres. Néanmoins des raisons d’hygiène expliquent, notamment en Amérique tropicale, un repli parfois sur les hautes terres, loin des moustiques vecteurs de maladie (Mexico). La localisation auprès d’un site défensif est un classique (cf Rome et ses 7 collines, avec la possibilité de se réfugier sur le Capitole en cas d’attaque) ; à l’inverse certaines capitales profitent de la plaine pour disposer de zones cultivables. En revanche les capitales sont plutôt très sous-représentées par rapport aux ressources du sous-sol : en général le pouvoir ne s’installe pas dans les villes.

 

 
   

 

 

C’est presque toujours une question d’accès à la mer qui explique le décentrage ou un grand lac, par exemple en Afrique pour les États enclavés. Une autre configuration majeure est visible ; les capitales d’Afrique du nord sont excentrées au nord, pour des raisons d’accès à la mer mais pas uniquement, tandis que les capitales des pays qui leur sont immédiatement voisins sont déportées au sud. Il s’agit d’éviter le désert du Sahara, où l’approvisionnement en eau est plus compliqué. Cela conduit à repousser loin du centre, voire en situation frontalière, les capitales avec des conséquences géopolitiques : le cœur du Sahara est particulièrement loin des pouvoirs nationaux et sa stabilité s’en ressent (Touaregs qui se jouent des frontières, AQMI).

 

Plus une ville est captale depuis longtemps, plus elle attire et plus il est difficile d’en changer (effet d’inertie). Sans un pays très centralisé comme la France il apparaît impensable que le pouvoir quitte Paris, sauf ponctuellement (Tours, Bordeaux, Vichy pendant les deux guerres mondiales). Un changement n’est pas impossible mais il est complexe. La Chine a ainsi connu à la fin des années 1920 et au début des années 1930 la décennie de Nankin, du nom de la nouvelle ville utiliser comme capitale. Mais, certes en partie à cause de l’occupation japonaise, ce ne fut qu’éphémère ; un retour à la capitale traditionnelle des derniers siècles a été opéré, validé par le nouveau régime communiste qui aurait pourtant pu vouloir s’affranchir de la logique impériale éloignée de son idéologie, d’autant plus que Mao s’était appuyé sur les campagnes et non les villes. Si on s’intéresse à l’époque actuelle, la plupart des capitales sont héritées et désormais le principal facteur expliquant leur localisation est l’histoire. De manière très majoritaire la capitale est la première ville du pays sur un plan démographique. Soit elle est devenue grande ville parce que capitale comme Madrid ou Lilongwe en passe de dépasser ou qui a dépassé Blantyre au Malawai, l’ex capitale ; soit une capitale nouvelle potentielle échoue (comme Tel Aviv, qui n’a pas la légitimité historique de Jérusalem).

 

 

 

II.Les capitales de compromis : la capitale comme solution géopolitique

Une logique ancienne

Certaines capitales sont symboliques et incarnent une volonté de compromis, la recherche d’un équilibre. Elles sont conçues comme une solution à un problème géopolitique interne. En général ces capitales sont relativement neuves, sinon créées ex nihilo. C’est une logique déjà présente dans l’Antiquité, avec par exemple la fondation par Aménophis IV d’une capitale sur le site de l’actuelle Tell-el-Amarna. Le pharaon, sans doute en partie désireux de casser le contre-pouvoir gênant des prêtres, promeut en effet un nouveau culte, celui du dieu solaire Aton ; il change de nom au profit d’Akhénaton et nomme sa nouvelle capitale Akhetaton. Il choisit un lieu inhabité afin de pouvoir créer la capitale à sa guise mais aussi d’éviter que le lieu ne soit déjà marqué religieusement. La capitale est édifiée au point d’équilibre entre la capitale historique (Memphis, verrou du delta) et celle qui domine le nouvel empire (Thèbes au sud).

 

Une localisation en vogue dans les États fédérés issus de l’empire britannique

Logiquement les États fédéraux, fondés sur une répartition division plus forte du pouvoir, sont surreprésentés. C’est en particulier le cas des États issus de l’ancien empire britannique, à commencer par les plus vastes. La localisation d’équilibre peut reposer sur différents critères. L’équilibre entre grandes villes rivales au sein du réseau urbain peut constituer un cas, résolu par un arbitrage ne donnant la primauté ni à l’une ni à l’autre, mais à un site autre, souvent nouveau et si possible situé au point d’équilibre entre les (deux) villes rivalisant. Ainsi l’Australie a-t-elle pour capitale Canberra, à mi chemin entre Melbourne et Sydney, les deux métropoles rivalisant pour le titre de capitale ; la capitale a été pensée comme ville de compromis dès l’origine. Elle dispose du statut de territoire fédéral.

 

Une logique proche se retrouve pour la capitale du Canada. Ottawa a été élevée à ce statut le dernier jour de l’année 1857 par la reine Victoria. La ville, fondée une trentaine d’années plus tôt, n’est pas une création ex nihilo mais son choix résulte d’une double logique de compromis, d’une part entre Québécois francophones et sujets anglophones (avec le risque de relancer un conflit en plaçant la capitale chez les seconds, celui d’une impression de favoriser une minorité dans le cas contraire, ce qui serait bien mal récompenser la loyauté des Canadiens qui s’étaient opposés aux États-Unis) et d’autre part entre les principales villes du pays : Montréal et Toronto en tête, mais aussi Kingston et Québec. Victoria a choisi une petite ville à la jonction entre le Québec et les territoires majoritairement anglophones. Le compromis dure depuis 1867, date de l’effectivité du statut de capital pour Ottawa, avec la mise en place d’une région de la capitale nationale à cheval sur les deux provinces de l’Ontario et du Québec, avec la ville de Gatineau dans ce dernier cas ; une partie des emplois fédéraux sont réservés aux Québécois. Mais Ottawa n’a pas le statut de territoire et se trouve en Ontario, ce dernier et le Québec n’ayant pas réussi à s’entendre sur la création d’un territoire (et sur la mise en place d’un réseau de bus commun).

 

 

III.Les déplacements de capitales depuis le début du XXe siècle

L’alternance entre grandes villes, à la faveur d’un changement de pouvoir souvent

Une cinquantaine de changements de capitales ont eu lieu depuis 1900, si l’on inclut les changements survenus à l’époque coloniale, si l’on ne considère que les États encore existants à ce jour, et si l’on exclut les changements éphémères (quelques mois lors d’une guerre comme pour Iasi en Roumanie, quelques mois en 1948-1949 pour l’Indonésie). Certains pays (comme le Cameroun, voire le Pakistan) ont changé plusieurs fois de capitale.

 

 

Une première possibilité de changement consiste à changer de grande ville. C’est en particulier le cas quand un changement majeur de pouvoir survient : certes conserver la même capitale permet de bénéficier d’un capital de légitimité mais en changer permet de marquer la rupture avec le régime précédent. Après la révolution de 1917 en Russie, Saint-Pétersbourg, qui dominait depuis sa fondation au XVIIIe siècle par Pierre le Grand, perd son statut face à Moscou. L’ancienne capitale retrouve son titre ; les révolutionnaires peuvent ainsi jouer à la fois la carte du changement avec le tsarisme contemporain et celle de la légitimité historique en s’ancrant dans l’histoire. Atatürk, quand il impose le déplacement de capitale d’Istanbul vers Ankara, rompt la continuité avec l’empire ottoman et les empires byzantin et romain. Parfois cependant le changement pour une ville déjà existante se fait sans changement de régime ; Delhi ou New Delhi est rétablie à partir de 1931 (décision dès 1911) face à Calcutta, capitale coloniale anglaise. Là encore il s’agit d’un retour à une capitale traditionnelle, qui n’est certes pas la plus grande ville, avec toutefois l’idée de créer une ville moderne à côté du site traditionnel, ce qui est un classique de la colonisation (idem pour Alger, avec une juxtaposition d’une ville européenne à côté de la Casbah). Parfois la rivalité entre villes dure : au Honduras, Tegucigalpa ne l’emporte qu’à la fin du XIXe siècle face à Comayagua, après un siècle d’alternances.

 

Entre équilibre démocratique et cathédrale dans le désert autoritaire et logiques militaires : quand la capitale quitte la grande ville littorale

À l’heure de la mondialisation qui voit le poids des échanges maritimes s’accroître, on pourrait penser que les déplacements de capitale suivent la logique de littoralisation des hommes et des activités. C’est l’inverse qui se produit. Des pays qui ont une capitale littorale l’abandonnent au profit d’un rempli sur l’intérieur. Un facteur technologique joue, l’abaissement des coûts de transport notamment aérien ; il n’explique pas pourquoi une capitale est déplacée (ce n’est pas le motif) mais il permet d’envisager un déplacement qui aurait été plus complexe par le passé. Quelles sont les logiques à l’œuvre derrière ?

  • Volonté de rééquilibrage du territoire national, de mise en valeur de l’intérieur, souvent dans des contextes relativement démocratiques. Elle peut se rapprocher de la logique de compromis qui a été vue, comme dans le cas du Brésil où il était difficile de trancher entre Rio de Janeiro capitale culturelle et politique et sa rivale Sao Paulo, capitale économique. Mais à la différence de Canberra et Ottawa la nouvelle capitale n’a pas été localisée entre les deux villes, centrées, mais sur l’intérieur. Brasilia, au nom symbolique, était prévue dès la Constitution de 1891 et son territoire avait été défini. La mise en œuvre en 1956 symbolisait la conquête du nouveau front amazonien. Dans le cas du Nigeria, à la logique d’un équilibre entre communautés, s’est surtout ajoutée celle d’un centrage par rapport au territoire. En Tanzanie, le port de Dar es Salam a cédé la place, dans une volonté explicite d’aménagement du territoire, à Dodoma au centre.
  • Repli militaire et/ou autoritaire vers l’intérieur, à ne pas confondre avec la logique qui précède même si elle aboutit au même résultat en termes de localisation. En général, le pouvoir est relativement fort pour imposer le changement de capitale depuis la principale ville du pays. Atatürk a ainsi bénéficié de sa légitimité pour promouvoir sa base arrière, Ankara, au cœur de l’Anatolie, bien moins exposée qu’Istanbul. De même ce sont des considérations militaires ainsi qu’éventuellement la crainte de la grande ville qui poussent les militaires pakistanais à développer une capitale au nord, dans les montagnes. Quant à la Birmanie, elle voit aussi la jungle accueillir Naypidaw au détriment de Rangoon.
  • Volonté de laisser sa marque. Un dictateur décide de créer une capitale ex nihilo ou presque, parfois en s’appuyant sur son village d’origine. C’est ainsi que Yamoussoukro est la capitale officielle de la Côte-d’Ivoire quand bien même les ambassades restent toutes à Abidjan. Une logique comparable se retrouve au Kazakhstan en Asie centrale. Astana a remplacé Almaty.

 

 

Changer de capitale sans en changer vraiment : la déconcentration urbaine

C’est une logique qui concerne principalement l’Asie du sud-est, l’une des parties du monde comptant les plus grosses mégapoles. Très peuplées et de plus en plus denses, elles accumulent les externalités négatives comme la pollution et la congestion urbaine. Ces villes n’ont pas été conçues et pensées pour les millions ou dizaines de millions d’habitants qu’elles abritent. Il est difficile de s’affranchir de leur poids. Le pouvoir central peut alors simplement déconcentrer tout ou partie des pouvoirs. Manille partage ainsi le pouvoir avec Quezon, qui abrite la chambre des représentants. Colombo n’est plus la capitale du Sri Lanka mais c’est un quartier proche. Quant à Kuala Lumpur, c’est Putrajaya à 20 km au sud qui la remplace depuis 1999 ; une smart city (avec gestion par informatique) verte (38 % d’espaces verts) a été établie. Elle est prévue pour 600 000 habitants et 76 000 fonctionnaires. Une déconcentration a aussi été menée au Chili, où le Congrès siège depuis 1990 à Valparaiso.

 

 

En conclusion, on pourrait aborder le cas des pays qui déplacent ou démultiplient le problème, en ayant plusieurs capitales…

 

 

 

 

Sources :

  • Arnoult Julien, « Quand les capitales déménagent », Carto 4,‎ mars-avril 2011.
  • Tratnjek Bénédicte, « La ville-capitale, le pouvoir, la symbolique et la toponymie : sélection bibliographique/sitographique », novembre 2011. Disponible sur http://geographie-ville-en-guerre.blogspot.fr/2011/11/la-ville-capitale-le-pouvoir-la.html (page consultée le 15 janvier 2017). 
  • Djament Tran Géraldine, « Les scénarios de localisation des capitales, révélateurs des conceptions de l’unité nationale », Confins  9, 2010. Disponible sur http://confins.revues.org/6414 (page consultée le 17 janvier 2017). 

 

 

 

 

Le soldat, la ville, la guerre.

Christian METZ , Professeur de géopolitique -  Université du temps libre de Gap

 

 

 

 

 

            De tradition, le nom des batailles qui ont forgé l'histoire évoquait des  plaines, des collines, des montagnes, des déserts ou des rizières.  Tous ces hauts lieux sont des espaces ouverts, dans lesquels les hommes ont décidé de conduire la bataille : Bouvines, Austerlitz, la Somme, les Ardennes, Bir Hakeim, Dien Bien Phu, les Aurès .......... Aujourd'hui, les affrontements guerriers portent le nom des villes dans lesquelles ils ont lieu : Sarajevo, Mostar, Falloudja, Tombouctou, Bangui, Gao, Kobané, Mossoul et demain, peut-être, Raqqa ou Damas. 

            Ce changement de la géographie guerrière s'explique par deux phénomènes qui se croisent. Premièrement,   la constance des affrontements humains au travers de l'histoire. Commencée il y a à peu  près 8 000 ans, la guerre n’a cessé au travers des siècles, et  se poursuit encore de nos jours. Deuxièmement, par le fait qu'en 2007 la population mondiale est devenue à 50 % urbaine et que ce taux d’urbanisation continue de croître à raison de plus de 1 % par an. La guerre continuera donc  et se déroulera, désormais, de plus en plus fréquemment en ville.

            Après avoir survolé le rôle de la cité dans l'histoire militaire, nous nous attacherons à  la spécificité du combat en ville illustrée par quelques exemples récents, puis pour terminer il conviendra  de regarder comment les soldats d'aujourd'hui se préparent pour  le combat urbain de demain.

           

La ville dans l'histoire de la guerre.

            La ville est un symbole. Lieu de puissance et de richesses, sa possession marque la domination ou la supériorité d'un groupe humain  sur un autre. Des noms célèbres ont marqué cette volonté de puissance, depuis Jéricho première prise des Hébreux rejoignant la Terre promise, en passant par Jérusalem dont la délivrance était l’objectif  des Croisades, et en se terminant par Berlin dont seule la prise pouvait signifier la chute complète du régime national socialiste.

 Au travers de  l'histoire des conflits, le rapport de la ville à la violence a vécu différentes approches :

  1. Les Grecs et la lutte entre les cités. Si les phalanges s'affrontaient en terrain découvert, c'est bien la cité qui était la cible, car siège du pouvoir et de la richesse, elle était l’enjeu politique  autant que militaire. On se battait en campagne et le vainqueur occupait la ville du vaincu.

    Passant, va dire à Sparte que nous sommes  morts ici pour obéir à ses lois"

     
  2. La lutte pour la ville en tant que symbole. De la prise de Jérusalem, objet de la première croisade en 1099, à la conquête de Constantinople en 1453, il s'agit bien de recouvrer ou de faire disparaitre une marque d'autorité. La bataille urbaine peut, également,  simplement viser un symbole comme à Stalingrad, Leningrad ou Berlin.

     
  3. La lutte contre la ville, lieu de  regroupement de l'opposition politique ou idéologique. C’est le cas de la conquête de la Chine par les communistes de Mao ou de la volonté de rééducation des populations urbaines et bourgeoises par les Khmers rouges au Cambodge. [1

     
  4. La guerre dans la ville. Evitée pendant les deux conflits mondiaux, c'est aujourd'hui le lieu de combat privilégié par les armées non étatiques car ce type de conflit  agit comme égalisateur de puissance et réduit les différences matérielles entre les armées fortes et les combattants de fortune.

 

            Cependant, de tous temps, les armées ont évité les  affrontements en milieu urbain. Les armées ,de tradition, partaient "en campagne" lieu de prédilection de l'art militaire. Déjà Sun Tsu, au Ve siècle avant notre ère préconisait au « bon général » de faire tomber les villes en les affamant ou en les encerclant, mais surtout d'éviter le combat en son sein car trop couteux en soldats et en temps[2]. La poliorcétique : art de la défense et de l'attaque des villes, est née au IVe siècle avec Enée le tacticien et a donné lieu à une nombreuse littérature militaire au fil des siècles.

                                                                                                                                                    

Avec Vauban, au XVIIe siècle, la défense de la ville est devenue si élaborée, et sa prise si difficile, que le combat en est réduit à retourner en campagne.

 

La spécificité du combat en milieu urbain.   

            Si les moyens utilisés et la finalité restent les mêmes dans la guerre en ville ou en campagne, le combat  dans les localités possède cependant des caractéristiques propres.

  1. Le cloisonnement. En campagne les vues et la portée des armes permettent une utilisation maximale  de ces dernières. En ville, la vision et l’utilisation des moyens sont limitées au bâtiment d’en face ou à l'autre côté de la rue. De même, les mouvements sont canalisés par les axes étroits ou relativement étroits des voies de communication. L’itinéraire des véhicules est imposé par l'architecture urbaine et les mouvements de l'attaquant sont  donc connus[3]. Les appuis habituels du fantassin, chars, aviation, artillerie sont d'un emploi complexe, de moindre efficacité et souvent impossible. En revanche, le piégeage par   le défenseur est facile et efficace pour ralentir, détruire ou gêner l'attaquant.

                       

 

            Pour l'attaquant, cet environnement est moins maitrisé que le terrain ouvert, il est donc plus anxiogène, plus stressant, plus fatigant et plus couteux en vies humaines.

 

            2. La tridimensionnalité.  La ville est un environnement complexe, les intrications d'étages et de sous-sols rendent la progression délicate et dangereuse, chaque étage ou souterrain pouvant être un repère  ou un axe de mouvement pour le défenseur. A cet empilement de cachettes potentielles s'ajoutent les angles morts  et les zones d'ombre ou sans éclairage qui sont autant d'avantages pour celui qui y est installé en défensive qui les connait et qui peut en tirer un avantage tactique. Notons que si les appuis traditionnels du fantassin ne peuvent rien pour l'aider dans les caves ou les égouts, les canons des chars ont également un débattement limité en hauteur ce qui interdit l'emploi du canon ou de la mitrailleuse coaxiale vers les étages supérieurs.

 

            3. La présence de la population civile. Si les habitants des campagnes fuient les zones de combats, les populations de villes peuvent être piégées ou retenues de force lors des combats urbains ([4] ).  Cette présence complexifie encore le rôle du soldat qui doit en assurer la protection, l'évacuation, parfois la nourriture et les soins. Cette population en plus d'être victime de la guerre sera souvent l'otage ou l’enjeu de la bataille médiatique qui accompagne les combats dans les localités.

                                  

 

            La spécificité du combat en ville, le rend plus dangereux pour l'attaquant, plus complexe, plus usant et impose des contraintes supplémentaires .Le commandement y est plus difficile et la logistique plus contraignante.

 

 

Demain, le combattant urbain.

            Surpris par la guerre urbaine au début du XXIe siècle, le combattant qui à toujours cherché à éviter ce type de combat, a dû s'y adapter et se préparer. Les efforts d'ajustement se sont fait dans les domaines tactiques et techniques.

            1. Une adaptation tactique vitale. Chaque pays ayant une armée d'importance s'est maintenant doté d'un centre d'instruction à la guerre urbaine, afin de maitriser une tactique permettant de réduire les pertes humaines, éviter les pièges propres à la ville, tout en  progressant à un rythme qui permet de maintenir l'élan de la bataille. L'armée française a créé en 2006, sur le camp de Sissonne, dans l'Aisne, un centre de combat en zone urbaine , destiné aux unités projetées dans de possibles combats dans les villes.

           

            Ces centres principalement destinés aux unités d'infanterie, permettent cependant de mettre en œuvre des  renforts de blindés, du génie ou des hélicoptères. Le niveau d'entrainement habituel est celui de la compagnie renforcée mais le début de l'entrainement commence à l’échelon le plus élémentaire.

 

            2. Les nouveaux moyens techniques. L'environnement cloisonné et la présence de population civile conduisent à une adaptation des moyens militaires tant pour protéger le soldat que pour épargner les non-combattants.

            Parmi les armes non létales employées il faut compter : les fumigènes, les gaz lacrymogènes,  les balles en caoutchouc[5], les grenades incapacitantes qui pendant quelques instants annihilent  toute possibilité de résistance chez l'adversaire sans provoquer de dégâts importants.

            Le combattant a également dû s'adapter  à la particularité de la ville en protégeant ses véhicules contre les effets des armes anti-char qui peuvent efficacement être utilisées à courte ou très courte portée.[6]

            Enfin, les techniques modernes adaptées à des fins militaires permettent d'utiliser des drones de moyenne capacité pour voir de l'autre côté des immeubles ou de mini drones pour aller détecter la présence humaine   dans les maisons.

La détection de présence humaine dans une maison peut également se faire à partir d'appareils qui, maintenant, permettent de "voir" au travers des murs.

 

            Enfin, des  robots armés, montés sur chenilles  permettent de jouer le rôle de combattants du futur tout en économisant des vies de soldats.

      

            Il faut ajouter à ces aspects tactiques et techniques, la nécessaire formation psychologique du combattant qui sera désormais confronté à un stress plus important et à la gestion d’une population civile soumise à des conditions de guerre et qu'il faudra bien prendre en compte au moment ou la bataille arrivera sur elle.

            Pour terminer, il convient d'entrainer le combattant urbain à la communication tant il est vrai que la bataille en ville est plus médiatisée que le combat en campagne. L'accès à la ville est plus facile aux médias et les enjeux d'information, ou de désinformation, plus importants. La bataille médiatique qui est un des aspects des conflits modernes prend plus de relief dans cet environnement où se situent des populations soumises aux affres de la guerre.  

 

En conclusion . Cette nouvelle forme de guerre qui s'impose maintenant au soldat peut se résumer par ses principales caractéristiques :

            -La guerre en milieu urbain est le futur des nouveaux  affrontements  entre les hommes. Si les combats entre Etats peuvent encore se dérouler en campagne, les affrontements intra étatiques ou avec des organisations non étatiques seront conduits dans les villes.

            -La ville à un aspect égalisateur qui permet au faible d'y affronter le fort avec des chances raisonnables de succès. Affronter en rase campagne une armée traditionnelle conduirait à un échec rapide, alors que le combat en ville peut faire espérer des chances de succès ou, au moins, un succès dans le court ou le moyen terme.

            -La présence de la population civile complexifie la tâche du soldat. En plus de son rôle combattant  il doit prendre en compte un facteur qui lui impose des actes qui ne sont pas toujours en accord  avec sa formation de base.

            -La ville est un environnement de combat difficile qui rend la progression lente et périlleuse,  augmente le stress du combat,  accroît les pertes militaires et donc qui conduit à une gestion des troupes, plus lourde et plus complexe, avec un rythme de relève des unités beaucoup plus importante que dans les combats classiques.

            -Une gestion de la communication est nécessaire :à des fins internes,  nationales ou internationales . Chaque partie, défenseur comme attaquant conduira sa propre guerre de l'information pour montrer que méchant et le mauvais c'est l'autre.

            "Vous avez de la chance" aurait dit le général de Gaulle au général Leclerc  à la veille de son départ pour la libération de Paris. Devant la complexité du combat en ville il n'est pas sûr, aujourd'hui, que le militaire chargé de mener un combat en zone urbaine considère sa mission comme de la chance.[7]

 

[1] Les Khmères rouges ont vidé Phnom Penh des ses habitants pour les rééduquer dans les campagnes en 1975.

[2] Sun Tsu : L'Art de la Guerre.

[3] En octobre 1994 la 131e brigade russe, à l’assaut de Grozny perdra 20 chars sur 26, 102 transports de troupes blindés sur 120, 6 blindés anti aériens sur 6 et plus de 1 000 hommes . Histoire & Stratégie N°11. Page 71.

 

[4] En mars 2017, lorsque les forces anti DAESH se sont approchées des vieux quartiers de Mossoul, plus de      700 000 civils étaient estimés présents dans cette zone.

[5] Utilisées dans le cas de la lutte contre des populations civiles hostiles :Israël lors des 2 Intifada.

[6] L’armée israélienne, suite aux 2 intifada et aux combats dans la bande de Gaza a adapté une partie de ses véhicules blindés aux contraintes du combat dans les localités. Histoire & stratégie N° 11, page 93.

[7] Général Desportes dans Conflits hors série N° 5 (printemps 2017) page 53.

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Villes et fragmentations linguistiques : cas de Beyrouth et de Yaoundé

Ludivynn MUNOZ , professeure d'Histoire-Géographie
(Académie de Versailles).

 

Résumé : A partir de l’étude de cas de Beyrouth et de Yaoundé, cette communication vise à se centrer sur les rapports entre villes et langues ainsi que sur les fragmentations linguistiques potentielles issues de la cohabitation de populations diverses sur des espaces restreints.

 

Introduction

Les notions de villes et de fragmentation linguistique seront au cœur de cet article. En considérant l’exemple des capitales du Cameroun et du Liban : Yaoundé et Beyrouth, nous interrogerons l’existence de « fragmentations linguistiques » au sein de ces villes et ses conséquences sur les territoires.

Beyrouth, capitale du Liban concentre 2 millions d’habitants sur les 4,8 millions que compte le Liban (elle a donc un poids écrasant dans l’armature urbaine libanaise).

Yaoundé est la capitale politique du Cameroun (pays officiellement bilingue : français/anglais), elle est peuplée de 2,4 millions d’habitants alors que la « capitale économique », Douala, est peuplée de 2,3 millions d’habitants.

Le Liban, pays arabophone, fort de son adhésion à l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) s’investit activement pour la promotion de la francophonie. Le pays joue à l’international sur la carte de la francophonie, en recevant par exemple les jeux de la francophonie en 2009 ou encore le sommet de la francophonie à Beyrouth en 2002.

Yaoundé, située en zone francophone, est la capitale du seul pays bilingue français/anglais d’Afrique.

En se basant sur l’étude des usages des langues en présence dans ces deux capitales francophones nous tenterons de définir où se situent les zones de fragmentations linguistiques au sein de ces villes, tout en définissant ce qu’est une ville francophone et multilingue pour les Beyrouthins et les Yaoundéens. Nous tenterons également de comprendre quels sont les enjeux pour ces villes d’être perçue ou non comme francophone.

Selon Claude Raffestin (1980) : « au même titre que la ville impose son mode d’échange économique, elle impose son mode d’échange linguistique ».

A ce titre il convient donc de se demander quels sont les modes d’échanges linguistiques dans ces villes-capitales ? Beyrouth et Yaoundé sont-elles des villes unilingues, bilingues ou multilingues ? Quels sont les espaces francophones, anglophones de ces villes ? Quelles sont les dynamiques provoquées par ces fragmentations linguistiques à l’intérieur de ces villes ?  

Et par ailleurs, en tant que capitale d’un État bilingue, Yaoundé ne doit-elle pas nécessairement montrer le chemin à suivre pour garantir l’usage du bilinguisme sur son territoire ?

D’un point de vue épistémologique, notre champ de questionnement relève de la géopolitique, qui caractérise les rapports de force, selon notre perspective, entre les langues et les cultures et s’attache à étudier les représentations, issues de perceptions des acteurs de la ville, tant les habitants que les responsables politiques. Car « si les langues sont des marqueurs culturels, elles sont également des marqueurs géopolitiques ; quand les territoires sur lesquels elles sont parlées deviennent des enjeux de pouvoirs » (Giblin, 2010).

Pour définir leurs statuts nous recourons à des enquêtes de terrain réalisées en 2009 et en 2010 basées sur plus d’une soixantaine d’entretiens (dont certains réalisés aux services urbains) et l'étude des paysages linguistiques de ces villes.

Notre propos se déploiera selon trois mouvements. Après avoir présenté les héritages historico-culturels relatifs à la présence du français et de l’anglais sur le territoire camerounais et le territoire libanais. Nous verrons en second lieu que Yaoundé est une ville multilingue où le français domine (selon les personnes interrogées) malgré le développement d’une langue hybride : le camfranglais (plus particulièrement utilisée par les jeunes). Ensuite nous verrons également que Beyrouth est une ville multilingue où l’arabe domine malgré une territorialisation de l’anglais et du français. A partir des échantillons étudiés nous proposerons une cartographie linguistique de Beyrouth. Enfin en partant de ces deux exemples, nous tenterons d’élargir nos propos en nous demandant quel est l'intérêt pour ces deux villes d'être perçues comme multilingue et francophone. 

 

 

I Les héritages historico-culturels relatifs à la présence du français et de l’anglais sur les territoires camerounais et libanais

 

La France et l'Angleterre ont constitué les deux grands empires coloniaux de la seconde vague de colonisation au XIXe siècle. La colonisation du Cameroun n'était à la base pas prévue, puisque c'est lors du Traité de Versailles, le 28 juin 1919 que le Cameroun sera légué à la Société Des Nations (SDN). Au sortir de la Première Guerre mondiale (1914-1918), le traité de Versailles régit le sort de l’Allemagne et de ses territoires. Il en est de même pour l’Empire Ottoman. L’Allemagne et l’Empire Ottoman sont amputés d’une partie de leurs territoires en Europe. En Afrique, l’Allemagne perd ses colonies comme le Cameroun (Kamerun), la Namibie, le Togo. Ces différentes colonies africaines ont été divisées entre les deux grands vainqueurs européens de la Triple Entente : la Grande-Bretagne a conservé une petite partie du Cameroun, la Namibie et la Tanzanie ; tandis que la France a conservé la majeure partie du Cameroun et le Togo. Les deux parties du territoire camerounais furent donc administrées différemment, la France conserve la spécificité du territoire camerounais et ne l'insère pas dans l'Afrique Équatoriale Française (AEF), alors que le Royaume-Uni intègre le Cameroun septentrional et le Cameroun méridional au Nigeria (comme l’illustre la figure 1).

 

L’Empire Ottoman perd également la majeure partie de ses territoires orientaux et africains. Les accords secrets de Sykes-Picot (1916) vont répartir les zones d’influences françaises et britanniques au Moyen-Orient. La France obtient un mandat sur la Grande Syrie. En 1920 en appliquant l’adage « diviser pour mieux régner », elle divise la Grande Syrie en plusieurs États, et crée notamment le Grand Liban dans l’optique de protéger les communautés chrétiennes maronites (voir la figure 2).

 

Le 22 novembre 1943, le Liban est indépendant. Dans ses constitutions de 1943 et de 1990, il est précisé dans l’article 11 que « l’arabe est la langue nationale officielle » et qu’une « loi déterminera le cas où il sera fait usage de la langue française ». Mais cette loi convoquée dès 1943, et reprise dans la version de 1990 qui fait suite aux accords de Taëf (du 22 octobre 1989) après une longue guerre civile (1975-1990), n’a jamais vu le jour. En ce qui concerne, la présence de la langue anglaise au Liban, même si cette langue est pratiquée depuis longtemps par les populations, celle-ci n’a pas fait l’objet de reconnaissance officielle avant 1997, où elle est institutionnalisée dans le système éducatif.

 

Le Cameroun français va lui être indépendant le 1er janvier 1960, et suite à un référendum (contesté par les anglophones) une partie du Cameroun britannique va rejoindre ce territoire le 1er octobre 1961[1]. Ce « nouveau Cameroun » va former un État fédéral jusqu’en 1972, date à laquelle le pays devient un État centralisé où les deux régions anglophones n’ont presque plus aucun pouvoir (le Southern Cameroon disparaît donc). Ceci a des conséquences géopolitiques sur les relations internes et externes du pays (problèmes indépendantistes avec le SCNC (Southern Cameroon National Council, Conseil National du Sud Cameroun) qui défend l’identité particulière des anglophones ; question de la presqu’île de Bakassi). Cependant dans la Constitution de 1972, révisée en 1996, il est stipulé que « La République du Cameroun adopte l’anglais et le français comme langues officielles d’égales valeurs. Elle garantit la promotion du bilinguisme sur toute l’étendue du territoire. Elle œuvre pour la protection et la promotion des langues nationales » (Article Ier alinéa 3).

Au-delà des divers problèmes internes et externes, ces deux langues européennes (français et anglais) sont bien intégrées par les populations. Au Cameroun, ces langues européennes sont notamment bien pratiquées dans leurs communautés respectives (même si le bilinguisme n'est pas effectif) car elles s'avèrent fédératrices et véhiculaires, en raison des 220 langues nationales présentes sur le territoire.

 

 

II Yaoundé et Beyrouth, fragmentations linguistiques et multilinguisme

 

            Avant de cerner les fragmentations linguistiques qui peuvent traverser ces deux capitales, il convient de s’intéresser aux représentations des langues en présence sur les territoires de Beyrouth et Yaoundé surtout que l’étude des représentations est centrale en géopolitique.

Nous allons notamment nous intéresser aux représentations sur le statut linguistique de ces villes-capitales, qui comme le soulignait Claude Raffestin (1980) font office de modèle pour le reste du pays.

Qu’il s’agisse de Beyrouth ou de Yaoundé, la majeure partie de l’échantillon de personnes interrogées s’accordent pour qualifier ces capitales de « villes multilingues ». En revanche, les schémas ci-dessous précisent la répartition de la dominance des langues en présence sur ces territoires urbains.

 

 

 

           

            Si à Beyrouth c’est l’arabe qui semble dominer par sa présence toutes les autres langues, à Yaoundé, c’est le français qui domine le paysage linguistique (face à l’anglais et aux langues régionales) selon les personnes interrogées.

 

            L’enquête a permis de se rendre compte que Beyrouth est une ville multilingue. Elle est perçue en tant que telle, et c'est une réalité visible à chaque coin de rues où le français, l'anglais et l'arabe ont toutes leurs places et se côtoient. L'arabe reste la langue véhiculaire même s'il est possible d'entendre le français dans les rues ou dans les cours d'écoles.

Lorsqu’on demande aux personnes interrogées de réaliser une carte mentale de la ville, ils pointent une forte territorialisation du français et de l'anglais au sein de la capitale libanaise comme le montre la carte ci-dessous qui résume les représentations sur Beyrouth.

L'Est de Beyrouth apparaît plus anglophone (notamment le quartier de Hamra) alors que l'Ouest est plus francophone (comme le quartier d'Achrafieh). Cette répartition linguistique rejoint la répartition religieuse de la ville (Est plus musulman et Ouest plus chrétien).

 

F

 

Ces représentations des Beyrouthins interrogés sont le reflet des réalités conflictuelles du Liban. Cette carte réalisée en 2011, nous prouve qu'il apparaît difficile de lutter contre des représentations fortement ancrées auprès des populations.

            Par ailleurs, il est à noter que l’anglais commence à prendre une certaine place dans la capitale libanaise, alors qu’auparavant il était absent. En observant le paysage linguistique de la ville on assiste à la naissance d’un trilinguisme arabe/français/anglais, certainement en raison de la mondialisation. Pour l’instant, la présence de l’anglais n’est pas excessive et cela laisse de la place au français. De plus, les usages des deux langues sont différents : le français étant plutôt cantonné au culturel, et l’anglais au festif. Certes, l’anglais était présent à Beyrouth mais pas dans la signalisation officielle où c’était uniquement l’arabe et le français que l’on utilisait. Hors depuis peu, un trilinguisme se met en place concernant cette signalétique officielle. C’est pourquoi l’OIF a requis dans le pacte linguistique qu’elle a signé avec le gouvernement libanais à Montreux en 2010, un engagement à la « généralisation de la signalisation et de l’information publique trilingues sur tous les supports (Internet, signalétique…) afin d’éviter à terme une disparition du français dans le paysage linguistique visuel de Beyrouth.

            En ce qui concerne Yaoundé, étonnamment son statut de « capitale d’État bilingue » ne l’oblige pas à garantir le bilinguisme sur son territoire. Lors d’un entretien avec un responsable de la Communauté Urbaine de Yaoundé (CUY), celui-ci a précisé que la Communauté Urbaine de Yaoundé (CUY) avait « d’autres chats à fouetter que le bilinguisme », puis il a rétorqué : « il faut être pragmatique, il y a d’autres urgences à traiter bien avant ces questions de bilinguisme, ne serait-ce que la voirie par exemple ». En 2009, la Communauté Urbaine de Yaoundé ne possédait pas de service de traduction afin d'offrir à tous ses habitants un service bilingue. Par ailleurs, il n’y a pas de quotas linguistiques instaurés dans le recrutement des collectivités au Cameroun.

C'est pourquoi, la ville-capitale regorge de panneaux de signalisation en français. Les ministères sont bilingues dans leur appellation (ce sont les rares bâtiments publics à mettre en avant le bilinguisme) car par exemple à l'hôpital central ce n'est pas le cas. Les publicités que l’on peut voir dans la ville sont en français. On peut également constater que les puissances étrangères reconnaissent le français.

Comme Yaoundé n’est pas la « capitale bilingue » qu’elle devrait être, particulièrement à cause du non-respect de la Constitution camerounaise (article Ier), cela a des conséquences géopolitiques à l’échelle nationale avec la persistance du « problème anglophone » qui a resurgit en 2016. C'est pourquoi dans les régions anglophones, afin de dénoncer la marginalisation de la langue anglaise, les populations ont organisé des journées villes-mortes.

 

 

III Enjeux géopolitiques autour des langues de la ville

            Il existe des enjeux géopolitiques autour des langues de la ville, surtout lorsque cette ville est capitale d’État.

Au-delà des potentiels conflits que peuvent générer les langues de la ville à l'échelle urbaine, cette troisième partie va se centrer sur les enjeux géopolitiques internationaux entre les grandes puissances qui souhaitent promouvoir leurs langues sur des territoires, et notamment dans les villes-capitales car « tout État prétendant à un rayonnement international entretient un réseau culturel de promotion de sa langue » (P. Gourdin, 2010). Outre les États, il existe également des « unions géoculturelles » (M. Guillou, 2005) dont l’objectif principal est de promouvoir une langue. Les deux plus fameuses sont le Commonwealth of Nations et l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) mais il existe également la Communauté des Pays de Langue Portugaise (CPLP). La carte ci-dessous présente les pays membres des deux principales « unions géoculturelles ».

 

L'Union géoculturelle la plus aboutie et la plus dynamique est l'OIF, peut-être car comme le souligne J. NYE dans son ouvrage Soft Power, the means to success in world politics, la portée internationale de la langue française et de sa culture est importante.

A travers ses quatre opérateurs directs, l'OIF agit dans des domaines diverses (l'éducation, les médias, la gouvernance locale) comme il est possible de le voir sur l'organigramme ci-dessous.

 

 

            Par exemple, l’OIF promeut la langue française dans les pays membres à travers ses quatre opérateurs directs et notamment dans les ville-capitales grâce à l'Association Internationale des Maires Francophones (AIMF). L'AIMF, créée en 1979, s'investit dans de nombreux projets portés sur les collectivités territoriales urbaines (dans des domaines aussi divers que l'eau, l'assainissement, l'éducation, le développement durable). 

 

            Si pour les unions géoculturelles, il est important d'agir sur les territoires urbains, il convient de préciser que pour certains pays membres, il est plus qu'appréciable d’appartenir à ces unions géoculturelles qui agissent sur leurs territoires. Les villes-capitales, en particulier celles des pays « du Sud », peuvent ainsi bénéficier de l’action d’opérateurs comme l’Association Internationale des Maires Francophones mais aussi d’un certain rayonnement mondial grâce à l’organisation d’événements internationaux (tel que le Sommet de la Francophonie, ou les Jeux de la Francophonie).

A ce titre Beyrouth, emblème de la francophonie au Moyen-Orient, a joué allégrement de cette appartenance pour bénéficier d'un rayonnement international. En effet grâce à son appartenance à l'OIF, Beyrouth a pu organiser deux événements internationaux : le Sommet de la Francophonie en 2002 et les Jeux de la Francophonie en 2010. Le fait d’appartenir à ce type d’organisation permet donc à ces villes-capitales des pays du « Sud » de s’internationaliser et de bénéficier d'un certain prestige mondial.

 

 

Conclusion

            Beyrouth est traversée par des fragmentations linguistiques internes. Alors qu’à Yaoundé, la faible présence de l’anglais engendre une « frontière » linguistique nationale (avec la question anglophone).

La géopolitique des langues apparaît nécessaire pour mieux cerner ces contextes plurilingues et multiculturels urbains. La question « des langues de la ville » constitue un enjeu géopolitique important pour des organisations/acteurs/groupes qui souhaitent y défendre la présence de certaines langues (Giblin, op. cit.).

            Par ailleurs, grâce à l’émergence d’organisations supranationales qui souhaitent promouvoir une langue (en particulier dans les grandes métropoles), les villes peuvent bénéficier de subventions si elles promeuvent certaines langues sur leurs territoires, voire d’une reconnaissance internationale grâce à l’organisation de manifestations d'envergure internationale.

 

Bibliographie

 

BOPDA Athanase, Yaoundé et le défi camerounais de l’intégration, A quoi sert une capitale d’Afrique tropicale ?, Paris, CNRS Editions, 2003, 424 pages.

BRETON Roland, Atlas des langues du monde, Paris, Autrement, 2003, 80 pages.

BRETON Roland, Géographie des Langues, Paris, Presse Universitaires de France, collection Que sais-je ?, 1976, 128 pages.

BRETON Roland, Horizons et frontières de l’esprit, comprendre le multiculturalisme, Marseille, le mot et le reste, 2006, 340 pages.

FAOUR Ghaleb, VELUT Sébastien, VERDEIL Eric, Atlas du Liban, IFPO/CNRS-Liban, Beyrouth, 2007, 224 pages.

FRANQUEVILLE André, Yaoundé construire une capitale, Paris, Etudes Urbaines Editions de l’ORSTOM, 1984, 192 pages.

GIBLIN, Béatrice, « Bruxelles : le nœud gordien de la Belgique » (208-211) in PAPIN, Delphine. (dir.), 50 fiches pour comprendre la géopolitique. Paris, Bréal, 2010.

Géopolitique de la langue française, Hérodote, Revue de géographie et de géopolitique, 3ème trimestre 2007, numéro 126, La découverte, 188 pages.

Géopolitique des langues, Géopolitique, Revue Internationale de Géopolitique, novembre, décembre 2007, janvier 2008, numéro 100, PUF, pages. 

GOURDIN Patrice, Géopolitiques. Manuel pratique, Paris, Choiseul, 2010, 736 pages.

GUILLOU Michel, Francophonie Puissance, Paris, Ellipses, 2005, 158 pages.

KHOURY Gérard, Une tutelle coloniale, Le mandat français en Syrie et au Liban, Paris, Belin, 2006, 535 pages.

LACOSTE Yves, Dictionnaire de Géopolitique, Paris, Flammarion, 1994, 1680 pages.

NYE Joseph. S., Soft Power, the means to success in world politics, publicaffairs, New York, 2004, 191 pages.

POISSONNIER Ariane et SOURNIA Gérard (2006), Atlas mondial de la francophonie, du culturel au politique, Paris, Autrement, 80 pages.

RAFFESTIN Claude (1980), Pour une géographie du pouvoir, Paris, Librairies techniques (LITEC), 248 pages.

 

[1]En février 1961, un référendum est organisé dans les régions sous tutelle britannique. Les populations doivent choisir entre réunification au Cameroun ou rattachement au Nigeria, pour ne point changer les frontières coloniales comme le réclamait l’ONU. Le Cameroun septentrional se prononce à 60% pour le rattachement au Nigeria qui a lieu le premier juin 1961 (décrété jour de deuil au Cameroun). Néanmoins, 70% des habitants du Cameroun méridional votent pour la réunification avec la partie anciennement française, qui a lieu le premier octobre 1961.

Nourrir la ville. Enjeu des plaines maraîchères d’Ile-de-France

Jean-Baptiste Noe, Historien -   Paris I 

 

 

 

ntroduction

Les plaines maraîchères d’Ile-de-France sont importantes tant pour l’alimentation des populations que pour leur cadre de vie. Mais elles posent aussi le défi de l’intégration de leurs activités dans le cadre urbain et surtout de leur pérennité, face aux différentes pressions foncières qui s’exercent sur les mairies et les propriétaires terriens.

À l’origine, le maraîchage désignait la mise en exploitation de marais situés à proximité des villes pour l’approvisionnement rapide en légumes frais. Aujourd’hui, le maraîchage recouvre la culture des légumes frais sous abris ou en plein champ. Ces productions sont des produits fragiles et consommables rapidement. Ce sont des légumes frais qui supportent peu le transport, d’où l’intérêt de les produire à proximité des villes. Cela suppose aussi l’existence de circuit court pour assurer leur distribution (magasins ou vente directe).

 

I/ Localisation des plaines maraîchères et évolution

En Ile-de-France, la répartition des sols est majoritairement naturelle : 575 000 hectares de cultures en 2008, soit 50 % de la surface de la région pour l’espace agricole et 284 000 hectares de bois et forêts, soient 23 % de la surface de la région. Les autres milieux naturels non boisés (pelouses, zones humides, friches, etc.) représentent 6 % de la surface de la région. 252 000 hectares sont urbanisés, ce qui représente 21 % de la surface de la région, dont environ 15,6 % d’espace bâti et 5,3 % d’espace urbain « ouvert ». L’habitat individuel est le premier poste de l’espace urbain dont il représente près de 46,3 %.

Nous allons ici étudier trois plaines maraichères, situées dans trois départements différents : la plaine de Montesson (Yvelines), celle d’Argenteuil (Val d’Oise) et la culture du cresson à Méréville (Essonne).

 

1/ Montesson

Située à moins de dix kilomètres de la Défense, la plaine maraîchère de Montesson est une des dernières du genre en région parisienne. Sur les 500 ha de plaine, environ 250 sont consacrés à l’activité maraîchère. Cette plaine témoigne d’une conflictualité entre la périurbanisation via l’étalement urbain et l’activité maraîchère. Le conflit porte sur l’usage de la terre : urbanisme ou agriculture, sachant que la terre agricole ne vaut pas le même prix que le terrain à bâtir et que l’État pousse à une urbanisation intense, en soumettant les communes récalcitrantes à des amendes et des préemptions de terrains (loi SRU).  

 

2/ Argenteuil

C’est la ville que les impressionnistes affectionnent pour y venir puiser l’inspiration sur les berges de la Seine et capter la lumière des champs et des fleurs. C’est là que Claude Monnet peignit sa Femme à l’ombrelle au milieu des fleurs des champs. Un paysage champêtre qui a bien changé aujourd'hui, de par l’urbanisation intensive imposée à partir des années 1960. Argenteuil est passée de 13 000 habitants en 1906 à près de 80 000 habitants en 1961 et 102 000 aujourd'hui. Argenteuil est déclaré zone à urbaniser en priorité (ZUP) en 1961. Les travaux de construction se déroulent de la fin des années 1960 aux débuts des années 1970. Apparaissent alors les grands ensembles, barres puis tours, au détriment des champs. En quelques années, la séculaire tradition rurale de la région disparaît. Ce bouleversement urbanistique est aussi agricole et culturel : c’est le visage de la région qui est complètement transformé. Les asperges d’Argenteuil disparaissent, pour ne demeurer que sur le blason de la ville. De même pour la vigne : alors que son vin, le bleu d’Argenteuil, alimenta la population parisienne tout au long du XIXe-XXe siècle, tout est arraché en quelques années.

En parallèle, l’ouverture du marché d’intérêt national (MIN) de Rungis rend moins nécessaire l’existence des plaines maraichères périurbaines, les produits frais fragiles pouvant être rapidement acheminés par avion. Le gain de temps de transport contribue à la transformation des paysages.

 

3/ Méréville

En Essonne, Méréville est la capitale du cresson. Cette culture s’est développée dans les berges de la Juine. La présence d’une eau pure et la proximité d’un grand bassin de consommation Essonne ont favorisé le développement de cette activité. Aujourd'hui, seuls 10 ha demeurent. Certes, le cresson de Méréville est très prisé des chefs étoilés parisiens, mais la survie de cette activité est menacée. Plusieurs opérations sont menées pour la poursuivre, notamment le classement de la zone en espace naturel sensible (ce qui empêche l’urbanisation) et le classement du site en « site remarquable du goût », ce qui lui assure une reconnaissance officielle.

 

 

II/ Le foncier et les transports : aménager ou préserver ?

 

1/ La menace de l’urbanisation

L’urbanisation s’effectue de façon concentrique ou radiale. Les plaines maraichères d’aujourd'hui se trouvent dans les lieux qui étaient jugés excentrés et difficilement aménageables : loin des axes de communication (autoroutes, gares de RER ou de train, aéroports…) ou zones humides. C’est leur éloignement ou leur insalubrité qui les ont sauvées. Ces espaces rejetés sont aujourd'hui prisés par les populations qui y cherchent le calme et le côté naturel. Pour l’État, ce sont des réserves foncières qui peuvent encore être bâties. Le regard change : ces espaces répulsifs sont devenus attractifs.

L’évolution du coût de la terre joue en faveur de l’urbanisation. Dans les Yvelines, le prix de la terre agricole se situe entre 0.8€ et 1.4€. Le terrain constructible se situe aux alentours de 372€/m². On comprend que les propriétaires terriens aient envie de vendre leurs terres aux promoteurs immobiliers. Il est rare que les maraichers soient eux-mêmes propriétaires de leurs terres. Des pressions peuvent s’exercer à l’encontre des conseils municipaux pour qu’ils modifient l’affectation dévolue par le PLU (Plan Local d’Urbanisme). Cela engendre des tensions et des risques de corruption.   

 

2/ Des incitations à bâtir

D’autant que l’État continu ses pressions pour imposer des constructions aux communes. La loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) a été renforcée. Les communes doivent désormais posséder 25% de logements sociaux. Celles qui ont des réserves foncières n’ont donc pas d’autre choix que de les urbaniser. Sinon, l’État leur imposer de lourdes pénalités financières et le préfet a désormais le droit de préempter des terres pour les bâtir. Les communes sont dépossédées de leurs prérogatives d’aménagement du territoire ; ce qui n’est pas sans poser des problèmes de démocratie locale, car ces constructions se font sans l’aval des citoyens.

Il y a donc une contradiction entre la volonté affichée de préserver les plaines maraîchères et l’obligation imposée de les bâtir.

 

3/ Trouver des repreneurs

Trouver des repreneurs viables aux exploitations agricoles est essentiel pour assurer la pérennité de ces activités. Les repreneurs les plus légitimes sont les enfants des maraîchers, qui baignent dans ce milieu. Dans l’ensemble, le renouvellement des générations se fait bien, ce qui montre une certaine confiance dans la pérennité de ce métier. Pour assurer l’avenir, différentes actions peuvent être menées : garantir l’accès à l’eau par la construction de pompes, faire signer des baux emphytéotiques de 9 ans entre les propriétaires et les maraîchers, associer la population urbaine à la connaissance de la plaine pour en faciliter la sauvegarde.

La question des débouchés est également essentielle. Les maraîchers vendent très souvent aux grandes surfaces, qui leur prennent une grande partie de leur production. Celles-ci peuvent alors indiquer la provenance locale des produits, pour informer les consommateurs et donner envie de les acheter.

Les maraichers peuvent aussi assurer de la vente directe. Si cela est plutôt bien vu chez les consommateurs, c’est une activité compliquée à mettre en place. Cela suppose du personnel pour assurer la vente, la maîtrise de la conservation des produits et des normes sanitaires, et la possession d’un local pour stocker le matériel de vente. Les maraîchers peuvent aussi posséder une cabane dans la plaine destinée à cet effet, ce qui suppose que le PLU le permette. Les maires sont parfois réticents à ce genre de chose, la cabane provisoire et démontable pouvant se transformer en magasin en dur et pérenne, bâti de façon illégale et sans payer d’impôt.

 

 

III/ La patrimonialisation : quand les habitants s’approprient leur territoire

 

1/ Problème de cohabitation agriculteur / urbains

Si les habitants sont favorables au maintien de la plaine maraichère, la cohabitation avec les agriculteurs n’est pas toujours aisée. Pour les derniers, la plaine est leur lieu de travail, où circulent des tracteurs et où sont entreposés leurs outils. Pour les citadins, c’est un lieu de promenade et de détente, au risque de se faire blesser par une machine ou de marcher sur les cultures plantées.

Les citadins connaissent peu de chose du travail agricole. Ils se plaignent souvent du risque de pollution des nappes phréatiques à cause des produits chimiques, du bruit des tracteurs, des odeurs dégagées par les activités et de la présence des plastiques qu’ils voient comme une pollution. Il s’agit donc de faire connaître le travail des exploitants maraîchers, par des visites ou des expositions, afin d’assurer une bonne cohabitation.

D’autre part, les maraîchers sont aussi confrontés à des vols de leur culture et à des dégradations. Les quads circulent souvent à vive allure, abîmant les champs, des personnes mal intentionnées dérobent les légumes ou déposent des ordures, transformant les plaines en dépotoirs. Les mairies n’ont que peu de moyens pour lutter contre cela. Il est rare que les dépôts sauvages d’ordures soient sanctionnés et l’amende est souvent moins chère que ce que couterait le traitement des ordures par les centres de traitement des déchets (cas des professionnels du bâtiment qui déposent leurs gravats et résidus de travaux dans les plaines). 

 

2/ Patrimonialisation : mettre en valeur les ressources agraires

Depuis une dizaine d’années, le phénomène de patrimonialisation devient de plus en plus prégnant. Les villes redécouvrent leurs activités maraîchères, qu’elles soient ou non encore en usage. Des fêtes locales sont remises à l’honneur pour célébrer les légumes oubliés : fête de la carotte à Croissy-sur-Seine, fête du chasselas à Thomery, fête de la salade nouvelle à Montesson.

Les villes de banlieues replantent de la vigne. La région de Paris fut la plus grande productrice de vin jusqu’au début du XXe siècle. Il ne reste désormais plus que des résidus de cette vigne. Courbevoie, Saint-Germain-en-Laye, Le Pecq, Argenteuil, Montmartre… Les vignes d’Ile-de-France sont désormais regroupées en association. Si le vin produit n’est pas bon (et interdit à la vente), l’aspect convivial prime sur les arômes.

 

La mise en place des Agendas 21 amène aussi à développer la mémoire des villes et à en défendre le patrimoine. Un travail important est fait sur la mémoire des lieux, avec notamment la restauration de bâtiments remarquables, le choix de nom de rue, des liens avec les écoles.  

 

3/ Une ressource anecdotique, mais utile

La production maraichère reste anecdotique et ne permet pas de nourrir toute la population d’Ile-de-France. Mais elle est utile parce qu’elle cela crée un lien entre les productions et la population, elle permet de rappeler l’origine des produits et de maintenir un lien conceptuel avec la terre.

Des labels et des agréments de reconnaissance et de protection existent pour protéger ces territoires. Les critiques gastronomiques et les restaurateurs peuvent faire connaître les produits et les mettre en valeur, afin de valoriser une production qui demeure fragile et incertaine. 

Contrairement à d’autres productions agricoles, les maraîchers ne reçoivent d’aides ni de l’État ni de l’Union européenne, ce qui montre aussi qu’ils se portent plutôt bien. Le risque est certes de transformer ces plaines en musées figés, mais pour l’instant l’économie est réelle et permet aux familles de vivre.

 

 

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Villes saharo-sahéliennes à l’épreuve des enjeux sécuritaires et des défis de développement

Ladji Karamoko OUATTARA 

(Université Catholique de Louvain)

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Introduction

La note vise à analyser la situation des villes transfrontalières saharo-sahéliennes du Nord-Mali et du Nord-Niger ainsi que les dynamiques internes à l’œuvre liées aux problèmes de développement, aux tensions socio-politiques et aux enjeux sécuritaires. En effet, ces villes se situent dans des espaces arides, où la survie dépend de l’organisation des mobilités, des systèmes d’échanges, et surtout de l’accès à certaines ressources stratégiques comme les points d’eau et les pâturages dont la localisation varie d’une année à l’autre (notamment pour l’activité agro-pastorale qui fait vivre près de 20 millions de personnes et occupe 80 % du territoire).

Au cours de l’histoire, les cités saharo-sahéliennes constituaient des espaces aménagés et exploités par diverses communautés qui y ont tissé par-delà les barrières, des réseaux de mobilité – où circulaient à la fois, les biens, les hommes et les idées – faisant difficilement l’objet d’appropriation politique. Des villes à la fois marchés, symboles religieux, carrefours culturels et intellectuels furent édifiées. Mais les frontières étatiques ont bouleversé ce modèle d’organisation traditionnelle et créer de nouvelles dynamiques d’échanges. Cependant les communautés, vivant de part et d’autre de ces frontières, ont maintenu des liens socio-économiques et culturels, quand ceux-ci ne sont pas tout simplement familiaux.

Aujourd’hui, la situation de ces localités périphériques situées au milieu d’immenses étendues désertiques et pour l’essentiel loin des capitales, engendre pour les pouvoirs centraux des difficultés de contrôle et de géopolitique interne. De ce fait, les Etats y exercent théoriquement leur souveraineté et peinent concrètement à y faire prévaloir leurs autorités, mais aussi à mettre en place des maillages territoriaux nécessaires à l’aménagement urbain en adéquation avec les enjeux locaux. Dès lors, l’absence d’Etat et de système économique planifié dans ces villes exposées aux pressions de la mondialisation, posent des problèmes de développement et d’intégration des minorités nationales qui y vivent. Les récentes évolutions liées à la diversité des flux qui les traversent et les crises (environnementales, sécuritaires et socio-politiques) mettent en question la situation des villes saharo-sahéliennes.

Ces crises multidimensionnelles mobilisent une myriade d’acteurs aux alliances complexes, et impliquent, bien au-delà des communautés locales, des acteurs étatiques et para-étatiques, tout en constituant de réelles menaces pour la stabilité internationale. Dans ce contexte, les villes transfrontalières saharo-sahéliennes, forment des lieux de tension où différentes approches se confrontent entre : d’une part des États qui voudraient y exercer leur pouvoir régalien et des groupes mafieux souhaitant renforcer leurs trafics, d’autre part, des populations locales désireuses de préserver leur mode de vie spécifique tout en participant à une économie de marché dont elles n’ont pas les moyens.  Ces dynamiques socio-politiques et sécuritaires sont nécessaires à analyser, puisque la situation de ces villes est le reflet des questions qui se posent aujourd’hui au Sahara et au Sahel.

Cette étude basée sur l’analyse de données collectées sur le terrain, sera consacrée à l’examen de la situation des villes saharo-sahéliennes des septentrions malien et nigérien. À travers une approche socio‐historique et géopolitique, tout en nous centrant sur le cas de Kidal, elle vise à appréhender l’évolution des dynamiques urbaines à l’œuvre, des tensions socio-politiques qui s’y cristallisent, et des enjeux sécuritaires et de développement qu’elles génèrent. Pour finir, nous examinerons les opportunités locales offertes et les défis pour une perspective de développement urbain durable à l’aune du contexte géopolitique actuel. 

 

1. Complexité de la situation des villes saharo-sahéliennes 

 

1.1 Villes à la périphérie des États et absence d’aménagements urbains

            Depuis une dizaine d’années, on assiste à un retour du Sahara et du Sahel dans l’actualité médiatique. Cette région traverse en effet une période agitée en raison du développement de trafics illicites en tous genres, de l’immigration clandestine, de l’installation de groupes terroristes menaçant la sécurité internationale et de la compétition engagée entre les grandes puissances pour l’appropriation des richesses minières et pétrolières (E. Grégoire, A. Bourgeot, 2011 : 3-11). Espace très convoité, le Sahara-Sahel est désormais morcelée en une série de territoires, de réseaux urbains et de routes contrôlés par des acteurs multiples et variés qui se jouent des villes transfrontalières.

Dans un contexte de crise du secteur agropastoral, de manque des services publiques de base et d’absence d’aménagements urbains, les villes transfrontalières saharo-sahéliennes sont aujourd’hui des espaces qui se tiennent à l’écart de tout contrôle. Dans ces marges territoriales qui échappent à l’emprise des États, tout ce qui relève normalement des services publics dépend finalement d’initiatives personnelles ou privées, notamment en matière de maintien de l’ordre, de santé, d’éducation et d’assainissement. De « véritables bandes de marginalité » sont apparues dans ces villes, donnant lieu aussi bien à des trafics illicites complexes qu’à des contestations territoriales de nature politique. C’est donc l’instabilité qui y prévaut si l’on tente une mise en perspective.

En effet, localisées pour l’essentiel loin des capitales, au milieu de vastes étendues arides, ces villes à dominance touarègue sont en situation de « villes périphériques » au sein des différents États. Comme ceux-ci n’y disposent pas de relais suffisamment importants, des groupes locaux, qui ont le sentiment d’être marginalisés et qui mettent en avant des raisons de survie et de justice sociale, se révoltent face aux pouvoirs centraux. Ainsi le nord du Mali et du Niger est confronté à plusieurs révoltes sociales dont celles des Touaregs. Dans ces pays le recensement des populations touarègues varie du simple au double selon les sources. Ces chiffres imprécis montrent que les États ne maitrisent pas les données basiques comme la démographie de ces villes. Ils y exercent théoriquement leur souveraineté et n’y disposent pas de maillage territorial assez fin, nécessaire à leur mise en valeur, en adéquation avec les enjeux locaux et les aspirations réelles des populations locales.

Les cultures locales des populations à majorité pasteur-nomade, nées d’un mode de production particulière, sont menacées autant par la mondialisation que par les politiques culturelles des États, qui les renvoient souvent au folklore. Ainsi, les politiques de gestion urbaine et d’intégration nationale de ces « périphéries » ont contribué à détruire leurs systèmes d’organisation traditionnelle et leur mode de vie particulier. Les politiques agraires systématiquement favorables à l’agriculture (donc à la sédentarisation) ont ruiné leur moyen de production dans un contexte d’appauvrissement consécutif aux sécheresses successives.

 

1.2 Dérèglement climatique, crise de l’agro-pastoralisme et bouleversement social

Dans des contextes de mondialisation accrue, les villes saharo-sahéliennes dont la réalité échappe souvent au contrôle des États et à toutes logiques urbaines, sont confrontées à un moment clé de leur histoire. En ce début de XXIe siècle, les populations, des septentrions malien et nigérien à dominance touarègue et arabe, évoluent dans des zones de non-droit constitutives des nouveaux enjeux qui s’y exercent. Des forces visant à recomposer les influences existantes s’y affrontent et les dramatiques sècheresses accentuées par le dérèglement climatique qu’elles connaissent se transforment déjà en famine.

Ces espaces arides où le pastoralisme fut érigé en mode de vie, sont marqués par les effets du dérèglement climatique, surtout des sécheresses cycliques. Dans une région où les activités pastorales occupent environ ¾ du territoire et font vivre près de 20 millions de personnes, les risques sont présents au quotidien. L’accroissement de la précarité atteste de la difficulté d’adaptation et de la vulnérabilité des populations saharo-sahéliennes face aux bouleversements climatiques et socio-économiques. Livrées aux réalités brutales de l’économie de marché dans un climat de capitalisme qui ne tient pas compte des réalités locales, l’insertion des villes transsahariennes dans les réseaux commerciaux nationaux, considérée comme une issue à la précarité, s’avère délicate.

Dans ces villes où l’économie est soutenue par le dynamisme du secteur agropastoral, les préoccupations de certaines autorités politiques restent éloignées de la question. Alors que les pasteurs nomades furent perçus pendant plusieurs décennies comme des populations au mode de vie dépassé, les spécialistes s’accordent à dire aujourd’hui que le pastoralisme permet de lutter contre la sécheresse et la désertification en zone aride. En effet, avec ses sabots, le bétail réalise un sarclage qui favorise l’éclosion des graines et par ses déplacements, il permet leur dissémination dans ces régions arides. Ses excréments fertilisent le sol, et les fruits de certains arbres (notamment les acacias) germent après leur passage dans le transit intestinal. En ce sens, l’élevage extensif peut être considéré comme un moyen de lutte contre la désertification et la mise en valeur de ces étendues arides inexploitées.  

Par ailleurs, pour les familles d’éleveurs pauvres, le bétail constitue à la fois un capital sur pied, une source pour d’alimentation et de survie, ainsi qu’une opportunité pour sortir de la précarité (productions carnées, laitières et de cuir). Aujourd’hui, alors que la population urbaine s’accroit, les faibles infrastructures de base existantes se dégradent et l’accès à la consommation, ainsi qu’aux marchés s’avère difficile pour les éleveurs. Les grandes distances qui les séparent des pôles commerciaux, la déficience du système de production, l’absence de débouchés, sont autant de problèmes qui vont en s’accentuant dans les agglomérations rurales et péri-urbaines saharo-sahéliennes. Dans un contexte de dérèglement climatique et de mondialisation, les contraintes poussent les éleveurs à transiter entre les villes, avec leurs troupeaux à la recherche d’eau, de pâturages, de denrées et de produits de contrebande. 

 

1.3 Villes au cœur de la mondialisation malgré une insertion difficile dans l’économie de marché

Les sécheresses qui ont atteint leurs paroxysmes dans les années 1970-80 et la détérioration du maigre couvert végétal ont abouti à la perte du capital des éleveurs et provoqué de vastes exodes. Dans ces zones aux conditions de vie fragiles, les nomades ne peuvent vivre en autarcie, leur économie a toujours été complémentaire de celle des régions voisines pour la vente d’animaux et l’achat de nombreux produit de subsistance. La vision nomade de l’espace – et surtout des villes et des frontières étatiques, au-delà desquelles se trouvent la tribu, le puits ou la région productrice de céréales ­– s’oppose à celle de l’administration cherchant à fixer les personnes et leur cadre territorial par décret, afin de les intégrer dans un système économique monétarisée, avec des contrôles douaniers renforcés. 

Pour les pouvoirs centraux, cette façon de procéder apparait comme un facteur d’intégration à la fois économique et politique des minorités transfrontalières nomades vivant dans les confins territoriaux arides. Alors que cette politique les oblige à participer à une économie de marché, dont elles n’ont pas les moyens. Mais, cette approche n’intègre pas le fait que ces espaces urbains sont aussi les lieux de vie de minorités nationales désireuses de préserver un mode de vie spécifique fait de mobilités et d’échanges avec des voisins plus ou moins proches. Ces politiques ont abouti à renforcer les exclusions et l’hostilité vis-à-vis des différents pouvoirs centraux. Les révoltes (touarègues) observées dans ces villes furent la réponse à une situation d’injustice perçue, à tort ou à raison, comme le résultat d’une politique délibérée d’exclusion destinée à les marginaliser.

Depuis les indépendances, les crises multiformes ­– sur fond de problème identitaires, de justice sociale, de développement, de décentralisation, de mauvaise gouvernance ­– affectent ces espaces aux enjeux stratégiques. Aujourd’hui, les touristes, les célèbres colonnes du rallye Paris-Dakar qui attiraient des occidentaux, les ONG, les administrations publiques ont déserté la zone à cause de la situation d’insécurité. Les investissements publics ou privés, ainsi que les actions de développement se raréfient, rendant toute activité légale difficile.

Dans un contexte de dérèglement climatique, de guerre en Libye et au Nord-Mali (faisant intervenir des forces internationales), de prolifération de groupes terroristes concurrents, il ne reste finalement, au-delà de l’élevage et des petits commerces, que les trafics de migrants ou de stupéfiants pour survivre. Aux flux migratoires « intra-sahariens traditionnels » se sont ajoutées une « migration transsaharienne à destination de l’Europe ». Ces circulations comportent des enjeux économiques à travers le développement des activités qu’elles impulsent en termes de transport, de consommation et de logement dans les villes de transit. Parallèlement, cet espace est devenu une aire de transit de stupéfiants (hachisch, cigarettes et cocaïne). À une économie entre licite et illicite s’est donc juxtaposée une économie criminelle qui constitue un mode d’insertion dans l’économie mondiale. Le groupe salafiste Al-Qaïda au Maghreb islamique est impliquée dans le transport de la précieuse marchandise et touche « une dîme » lors de son passage dans la zone qu’elle contrôle, ce qui n’est pas sans dangers pour la stabilité régionale.

Les années 1990 et 2010 marquent une nouvelle ère de profondes transformations, celles de la mondialisation et de l’insécurité qui, de résiduelle après les rébellions touarègues, devient structurelle. Le commerce saharien s’est diversifié et internationalisé, le Sahara étant désormais, pour partie, approvisionné depuis la Chine. Ce négoce est à l’origine de la fortune d’hommes d’affaires et de hautes personnalités politiques. Mais il est évident que le nouvel ordre économique mondial ne pourra se satisfaire longtemps de tous ces mouvements désordonnés qui, échappant à tout contrôle étatique, déversent sur les marchés locaux d’énormes quantités de produits de contrefaçon (notamment des médicaments périmés). En attendant, les populations à la croisée des frontières comme celles de Kidal, tentent de se soustraire ou de s’adapter aux interventions extérieures, et de faire prévaloir une réactivité locale sur des normes globales.

 

 

2. Kidal, une cité transfrontalière à la charnière du Mali, du Niger et de l’Algérie

 

2.1 Evolution d’une cité hors des Etats marquée par le poids du passé

Ville touarègue du Nord-Mali, Kidal recouvre principalement le massif de l'Adrar des Ifoghas. Dans les immenses territoires de désert et de steppe, les populations locales, essentiellement pasteurs nomades et agro-pasteurs, sont parvenus à « dompter » cet espace menaçant grâce à la mobilité à travers la parfaite maîtrise d’animaux adaptés comme le dromadaire. Jusqu’au XXe siècle, de grands axes commerciaux reliant l’Afrique subsaharienne à la Méditerranée et au Moyen-Orient la traversaient. Ainsi, des villes à la fois marchés, centres agricoles et carrefours intellectuels comme Kidal, Tombouctou, ou Agadez furent bâties. Jusqu’à la conquête coloniale, le contrôle de ces échanges transsahariens était d’une importance capitale dans l’économie et l’équilibre socio-politique de la région.

Depuis la colonisation, la fixation dans des cadres territoriaux figés, de communautés à l’origine flexible, pour lesquelles la souplesse dans les rapports avec les sociétés voisines et avec l’espace de vie, était synonyme d’une adaptation constante indispensable à la survie. Cependant la reconfiguration territoriale et les nouvelles frontières contribuent à la perte du peu de liberté de déplacement qu’il leur restait et au ruine des savoir-faire ancestraux transmis au fil des siècles.

Aujourd’hui, Kidal, à l’instar des autres villes de la région, se trouve en situation de « périphérie » car l’Etat ne dispose pas de relais suffisamment importants. Dès lors, des groupes locaux, qui ont le sentiment d’être marginalisés, mettent en avant des raisons de survie pour se révolter contre le pouvoir central. L'histoire de la région de Kidal est marquée par plusieurs rébellions touarègues. A la suite des accords de Tamanrasset du 6 janvier 1991 qui exigeaient des mesures de « décentralisation accrue », Kidal devint en 2012 la capitale de la huitième région administrative du Mali. Cette réforme donna une importance supplémentaire à la région de Kidal limitée à l'est par le Niger et au nord par l'Algérie. Au confluent de plusieurs « zones de crises », la localisation de Kidal lui donne une position stratégique qui influence les dynamiques urbaines à l’œuvre. Malgré son importance stratégique, elle se trouve dans un état d’enclavement total. Cette ville ne possède quasiment pas de routes bitumées et aucun fleuve ne la traverse.

 Du fait du manque de réponses appropriées face aux revendications ultérieures (décentralisation, développement urbain, et intégration nationale), des troubles plus sévères sont survenus dans ces régions, avec la création du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) à l’automne 2011. Après une campagne-éclair remportée grâce à une conjonction de facteurs (afflux de combattants revenus de Libye avec du matériel puissant et appoint déterminant des groupes terroristes), Kidal tombe le 30 mars 2012. Et le 6 avril, le MNLA proclame unilatéralement l’indépendance de l’Azawad. Dès lors, hors du contrôle de l’Etat malien, Kidal est soumise à de fortes pressions, puisque deux mois plus tard, le MNLA perdit le contrôle des villes occupées au profit de groupes liés au terrorisme international. Ces évolutions qui instaurent une insécurité endémique dans les villes de la région, furent un facteur d’internationalisation des tensions locales.

 

 
2.2 Absence d’État et internationalisation d’une menace locale

La situation des villes saharo-sahéliennes, tout comme les phénomènes qui les caractérisent depuis les indépendances, ont généralement été considérés comme des problématiques importantes, mais bien localisées et contenues au Sahel et Sahara. Cependant les évolutions actuelles caractérisées par les enjeux sécuritaires, socio-politiques et économiques, ont brutalement internationalisé l’intérêt qui lui est porté. Les bouleversements et les recompositions territoriales à l’œuvre dans ces villes au centre de géopolitiques régionales et mondiales, s’articulent autour de quatre thèmes : les circulations marchandes et humaines licites ou criminelles ; le faible contrôle des espaces transfrontaliers, favorable au développement de la fraude y compris aux prises d’otages ; la captation des rentes engendrées par l’exploitation des richesses minières par les multinationales et les élites politiques ; ainsi que l’émergence de nouveaux pouvoirs inhérent à la situation de désordre (groupes terroristes, trafiquants, immigration clandestine…).

Ces désordres ont entrainé l’absence d’État, la porosité des frontières et le manque de système économique planifié. Dès lors, ces régions sont devenues d’importantes zones de transit pour la cocaïne sud-américaine qui arrive en Afrique. Cette substance commença à remonter par les routes sahariennes au milieu des années 2000 à destination du Maghreb, de l’Europe ou du Moyen Orient, par le biais des « katibas ». Les retombées obtenues contribuent au financement et au renforcement des réseaux mafieux et des mouvements salafistes issus des Groupes islamiques armés (GIA) algériens. Dès 2003, ce groupe s’est implanté dans le nord du Mali comme Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), pour devenir Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) à partir de 2007. Les actions d’AQMI et d’autres mouvements terroristes rivaux ont définitivement placé les villes saharo-sahéliennes au cœur d’une « zone grise » du monde, au point qu’on l’intégra à « l’arc de crise », allant du grand désert africain à l’Afghanistan, en passant par l’Irak et en prolongeant ses ramifications en Amérique du Sud.

Ainsi, la menace sécuritaire que connaît la région, l’a brutalement placé dans un cadre géostratégique international aux acteurs multiples. La géopolitique de la région s’en trouve bouleversée, les cartes se redistribuent sans que l’on sache encore qui aura les meilleurs atouts dans son jeu. L’hégémonie française vieille de plus d’un siècle, est battue en brèche par les Etats-Unis d’Amérique dont le retour en force s’explique par des motifs sécuritaires (lutte contre le terrorisme international). Depuis 2007, celle-ci est également remise en cause par la Chine qui effectue une percée remarquée en Afrique.

 

 

3. « États faillis » et « villes sans États ». Quelles perspectives de sécurité et de développement urbain durable en Afrique saharo-sahélienne

 

3.1 « États faillis » et « villes sans États » au cœur des ondes de choc

La notion « d’État failli » renvoie à la situation d’État en déliquescence, défaillant ou déstructuré. Elle est proposée par le Fund for Peace qui a construit un indicateur composé de 12 variables pour tenter de caractériser un État qui ne parviendrait pas à assurer ses missions essentielles. Cette situation se caractérise par une diversité de symptômes découlant de l’absence d’autorité étatique, d’un manque de contrôle minimal de l’espace politique et économique, c'est-à-dire une incapacité relative à préserver l’ordre, à garantir la sécurité de la population et à normaliser ses relations sociales et politiques[1].

Cette notion est parfois utilisée pour légitimer une intervention de la communauté internationale, qui serait ainsi autorisée à « reconstruire » les États déficients ou en situation de crise profonde. Dans le cas de l’Afrique saharo-sahélienne, malgré l’intervention de plusieurs forces internationales, les facteurs de menaces sécuritaires persistent, de nouvelles villes sont touchées par des attaques terroristes. Ainsi, les villes saharo-sahéliennes sont en proie à de fortes pressions urbaines et socio-politiques hors de portée des États. Au cœur des ondes de choc, nous avons affaire dans cette région à des États en situation de déliquescence (Libye) ou partiellement-faillis (Nord-Mali) d’où le concept « villes sans États » (Ladji Ouattara, 2017). Il s’avère donc nécessaire de changer de paradigmes d’analyse de cette question complexe et de faire preuve d’une plus grande efficacité opérationnelle afin de relever les importants défis actuels.

 

3.2 Défis pour une perspective de sécurité et de développement urbain durable

Depuis les indépendances, les difficultés liées aux questions de développement, de décentralisation, d’intégration et de gestion des villes saharo-sahéliennes qui peinent à s’insérer dans les systèmes économiques, génèrent une permanence des tensions. Face aux tensions locales au sein de ces villes qui ont pris une dimension régionale puis internationale faisant intervenir une pléiade d’acteurs, une approche concertée entre les acteurs formels s’avère cruciale pour déterminer une stratégie pertinente. Surtout que la situation locale s’insère directement dans un jeu stratégique complexe, traversé par de grands enjeux géopolitiques mondiaux impliquant aussi bien les grandes puissances internationales que les plus dangereux réseaux mafieux et terroristes internationaux.

Il est dès lors important de faire preuve de coopération et de pragmatisme, dans la détermination de stratégies globales communes entre les principaux partenaires en vue d'éviter un chevauchement des actions dans la région. Ceci pour garantir une complémentarité sur le plan stratégique afin d’aboutir à une plus grande efficacité opérationnelle compte tenu de la complexité stratégique de la question. Il est donc crucial d’intégrer tous les niveaux (local et global), surtout en inscrivant pleinement les villes concernées au cœur des stratégies.

   Face à cette situation, il est impératif de changer d’approche, d’autant plus que les réponses antérieures n’ont pu empêcher l’avènement de menaces plus graves, qui éloignent toute perspective de stabilité et de développement à court terme dans les villes saharo-sahéliennes. Dès lors, le renforcement des institutions étatiques dans ces régions avec la mise en place de politiques effectives de décentralisation pour favoriser le désenclavement de ces confins arides aux systèmes de production fragile s’avèrent indispensable.

Dans cette perspective, le renforcement des programmes d’hydraulique rurale et urbaine qui avaient conduit à une augmentation de la productivité ainsi que des troupeaux devrait se poursuivre pour éviter les mouvements massifs vers les zones semi-arides sahéliennes qui sont sources de tensions communautaires récurrentes. Par ailleurs la professionnalisation des activités « agro-pastorale nomade » (qui constituent les principales sources d’emplois et de revenus) en vue de les rendre d’avantage compatible avec les systèmes économiques planifiés pourrait contribuer à la réduction des trafics tous azimuts dans les villes saharo-sahéliennes.

 

Conclusion

En ce début de XXIe siècle, les tensions persistantes dans les régions de l’Afrique saharo-sahélienne se sont davantage complexifiées. Les villes de la région se retrouvent entre diverses lignes de fronts au niveau desquelles interviennent plusieurs acteurs internationaux aux intérêts divergents. La résolution durable des défis auxquels les villes enclavées et « sans États » de l’Afrique saharo-sahélienne sont confrontées, exige un changement de paradigme afin de promouvoir un « développement intégré », en tenant compte des avancées et des échecs du passé.

 

Bibliographie

Christian BOUQUET, « L’artificialité des frontières en Afrique subsaharienne, Turbulences et fermentation sur les marges », Les Cahiers d’Outre-Mer, n°222 - Avril-Juin 2003.

Emmanuel Grégoire, André Bourgeot, « Désordre, pouvoirs et recompositions territoriales au Sahara », Hérodote 2011/3 (n° 142), pp. 3-11.

FOUCHER Michel, Frontières d’Afrique. Pour en finir avec un mythe, Editions CNRS, Paris, 2014.

SAINT-GIRONS Anne, Les Rébellions touarègues, Paris, Ibis Press, 2008.

BOILLEY PierreLes Touaregs Kel Adagh : dépendances et révoltes. Du Soudan français au Mali contemporain, Paris, Karthala, 1999.

 Raffray MERIADEC, Touaregs - La révolte des Hommes Bleus-(1857-2013), Paris, Economica, 2013.

 

[1]Le think tank étasunien "Fund for Peace" et le magazine "Foreign Policy" ont publié un indice annuel intitulé "Failed States Index" établissant un classement sur la base d’indicateurs (sociaux, économiques, politiques). http://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/etat-failli.html#tATgtr0yPQlQuZ26.99

Le gouvernement métropolitain du Grand Istanbul.

Une métropole téléguidée?

J.F. Pérouse, IFEA (Istanbul)

 

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Début mai 2017, il a été suggéré dans les hautes instances de son parti que l’actuel Premier ministre turc – dont la fonction est appelée à disparaître après la réforme de la Constitution approuvée par référendum le 16 avril 2017 -  pourrait être le candidat du parti AK à la mairie du Grand Istanbul aux prochaines élections locales programmées pour mars 2019. L’enjeu d’ores et déjà affiché serait de « reconquérir » Istanbul après les résultats médiocres du département au référendum (seulement 48,65% de « OUI[1] »). Cette perspective de reconversion locale d’une telle figure du gouvernement nous semble assez révélatrice du mode de gouvernement d’Istanbul dont la dynamique principale est d’ordre national. C’est ce mode de gouvernement que l’on se propose de caractériser ici. Avant cela, rappelons qu’Istanbul n’est plus capitale politique depuis octobre 1923, n’est plus non plus – avec ses 85 députés sur 550 à la Grande Assemblée Nationale[2] - une périphérie politique depuis novembre 2002 (date de l’arrivée du parti AK aux affaires à Ankara) et est de très loin la métropole la plus peuplée du pays (plus de 15 millions d’habitants début 2017, contre 5 millions pour Ankara). Ajoutons enfin que le contexte plus que trouble en Turquie depuis le coup d’Etat avorté du 15 juillet 2016 complique l’analyse de la gouvernance urbaine en obligeant, dans la mesure du possible, à faire le départ entre ce qui relève d’une conjoncture d’exception – qui tend cependant à se pérenniser – et des évolutions plus profondes.

 

I)Une métropole de plus en plus dépossédée de son destin?

Istanbul fait figure, tout spécialement depuis le début des années 1990, d’objet de prédilection du pouvoir central turc qui l’utilise comme la vitrine du pays. De facto Istanbul est positionné au cœur des relations de la Turquie avec le monde extérieur : en tant que scène des grands événements internationaux, que haut-lieu du tourisme international, que place de congrès et de foires et que cœur de l’économie culturelle turque. Dans cette perspective, les autorités turques ont l’ambition de faire d’Istanbul une métropole « post-industrielle », pôle sans égal  régional, de services à forte valeur ajoutée. Atout de premier ordre de la politique de rayonnement international du pays, Istanbul est de ce fait sous le contrôle permanent du centre. Face à cette pression constante et à ces injonctions à la performance émanant d’Ankara, les pouvoirs locaux semblent réduits à une fonction de relais et de facilitateur-exécutant in situ.

Cette mainmise du pouvoir central trouve son expression la plus flagrante à travers la politique des grands projets qui paraît s’être substituée à la planification urbaine. Ce sont les grands projets – événements internationaux[3], projets urbanistiques ou projets d’infrastructure de transport - qui désormais orientent le développement de la métropole. Par conséquent, ce sont des décisions prises par la Présidence de la République, par les services du Premier ministre ou par tel ou tel ministère qui informent le nouvel Istanbul. En d’autres termes, depuis mars 2003, c’est l’ancien maire d’Istanbul (en fonction entre 1994 et 1998) qui semble présider au sort de la mégapole, d’abord en tant que Premier ministre et, après son élection en août 2014, comme Président de la République. C’est lui qui annonce les grands projets urbains, inaugure leur chantier, suit les travaux et somme personnellement les maîtres d’œuvre d’accélérer ; c’est lui aussi qui dans ses campagnes électorales nationales n’a de cesse de se référer à Istanbul comme si la mesure du succès de la Turquie c’était principalement « sa » métropole chérie.

La politique de transformation urbaine, autre pilier des « politiques » urbaines conduites par les gouvernements AK Parti successifs, consiste en une recentralisation autoritaire des politiques du logement au nom de l’urgence et du risque, et au détriment des acteurs locaux. Initiés à partir de 2003 à Ankara puis à Istanbul, la transformation urbaine avait pour objectif de renouveler radicalement le tissu urbain, pour le rendre à la fois plus présentable et plus résistant face aux menaces de séisme. Même s’il existe une politique locale du renouvellement urbain, l’essentiel des territoires transformés actuellement le sont suite à des décisions prises en Conseil des ministres. Et les nouveaux territoires ouverts au développement dans le cadre de partenariats privé/public sont des territoires ouverts par le centre politique qui contrôle encore le jeu foncier par le biais de son riche portefeuille.

Par conséquent, l’étalement urbain est moins une cause de la crise du gouvernement urbain qu’un effet pervers d’un mode de développement très centralisé plus soucieux de dégager des revenus par la mise sur le marché du foncier public que d’assurer un développement territorial durable et équilibré.

 

II)Les acteurs locaux marginalisés voire court-circuités

Au sommet de la hiérarchie des pouvoirs locaux, la Municipalité Métropolitaine d’Istanbul (MMI), dont le territoire de compétence s’étend depuis 2004 à l’ensemble du territoire départemental (soit plus de 5 500 km2) et dont le budget est supérieur à celui de nombre d’Etats des Balkans pourrait être décrite comme un colosse aux pieds d’argile. Alors même que ses prérogatives et moyens ont considérablement été renforcés sur le papier ces dernières années, dans les faits, elle demeure sous tutelle. L’effacement étonnant du maire d’Istanbul lors de la « résistance de Gezi » en mai-juin 2013 - mobilisations déclenchées par l’opposition à un projet peu concerté de réaménagement d’un parc situé dans le centre de la métropole – peut être considéré comme une illustration de la minorisation des pouvoirs locaux. En effet, alors que des milliers de personnes qui mettaient en cause le mode de gouvernance urbaine occupaient le parc, le maire, fuyant, s’est contenté de relayer timidement les réactions du président de la République. Comme si le seul interlocuteur des habitants-usagers en colère était ce dernier. A ce titre on peut parler d’un décalage patent entre un discours officiel exaltant l’autonomie croissante des pouvoirs locaux – notamment à l’adresse de l’Union européenne ou dans les arènes et autres organisations internationales comme l’UCLG[4], dont le maire d’Istanbul a été président durant deux mandats – et la réalité des rapports de force.

Dans ce contexte, la situation des municipalités d’arrondissement – Istanbul en compte 39 en mai 2017 – se caractérise par une double minorisation : par rapport à la municipalité métropolitaine, d’une part, et par rapport au pouvoir central, d’autre part. Les maires d’arrondissement semblent même ne tirer leur force que d’une relation directe privilégiée au président de la République. Pourtant ces administrations locales ont aussi sur le papier vu leurs compétences s’accroître au milieu des années 2000. Les mairies d’arrondissement essaient à la marge de participer à l’ivresse de rayonnement international sans avoir leur mot à dire sur les grands projets imposés d’Ankara censés porter ce rayonnement. Des portions entières de leur territoire sont ainsi soustraites à leur souveraineté pour être dédiées à ces grands projets ou au développement touristique (en vertu de la loi 2634  sur le développement touristique de mars 1982).

L’échelon de base des pouvoirs locaux est constitué par les mairies de quartiers ou muhtarlık. Les muhtar sont élus tous les cinq ans en même temps que le maire de la MMI et que les maires d’arrondissement. Au nombre de 782, les maires ont essentiellement des fonctions d’état civil. Depuis quelques années, encore une fois dans une relation directe au président de la République, ils sont devenus des agents de surveillance et de renseignement de proximité au service du pouvoir central. Le chef de l’Etat en effet, court-circuitant les institutions intermédiaires, semble enclin à instaurer une relation privilégiée avec ces élus de base, qu’il a érigés en gardiens de l’ordre local, voire en délateurs officiels[5].

Quant à ce que l’on dénomme en Turquie la « société civile » - expression dotée d’une signification confuse compte tenu des liens longtemps consubstantiels entre l’Etat et l’armée[6] et des sollicitations normatives de l’Union européenne[7] -, elle rassemble des acteurs aux rationalités et logiques très différentes. Pour résumer, on peut dire que soit on a affaire à des associations et fondations phagocytées et manipulées par le pouvoir, soit à des acteurs suspectés et tenus à l’écart (et depuis le coup d’Etat du juillet 2016 cette tendance à la criminalisation systématiques des voix dissonantes s’est passablement accrue). Cette mise à l’écart est particulièrement nette pour les chambres professionnelles dont certaines – celle des architectes, celle des planificateurs urbains ou celle des ingénieurs en construction – se montrent vigilantes et critiques face aux projets urbains imposés par le pouvoir central. Donc même si officiellement – et surtout depuis les lois de 2005 sur les municipalités - la société civile est reconnue comme une composante de la gouvernance urbaine locale, à travers les Conseils de Ville (Kent Konseyi) institués par la loi 5393 de juillet 2005[8]-, dans les faits elle ne dispose d’aucune autonomie d’action. De ce fait, même si « participation » et « consultation » font partie depuis une dizaine d’années des termes les plus récurrents du discours politique local, la conduite autoritaire – que l’état d’urgence en vigueur depuis juillet 2016 n’a fait que durcir - des grands projets comme celle de la transformation urbaine démentent au quotidien ces bons principes.

En outre, les puissantes logiques de parti et de réseaux (réseaux de commune provenance géographique, réseaux religieux, réseaux d’affaires… ) ont pour effet de brouiller le jeu local en imposant leurs propres règles. L’influence d’Ankara s’exerce ainsi à travers le fonctionnement pyramidal du parti – l’élu local étant en permanence en situation de redevabilité et comme à la merci permanente du centre – qui redouble l’intrusion du centre décisionnel dans les affaires métropolitaines. A l’échelle régionale – sachant que les régions administratives n’existent pas en Turquie – on assiste à une manière de reproduction des rapports de domination, les territoires extra-métropolitains étant au service du développement et de la promotion de la métropole-centre.

 

III)Le gouvernement du court terme, du ponctuel et du sectoriel ou la crise du public

Dans ce cadre, il est possible de caractériser le mode de gouvernement d’Istanbul par ces trois qualités. « Court terme », en ce sens que l’absence de prospective et de souci de la durabilité est frappante. Règne donc une forme d’opportunisme au jour le jour, sans souci de la continuité et de la cohérence de l’action publique locale. La métropole se développe ainsi de facto par « coups », qui sont autant de coups de force et de faits accomplis imposés aux citoyens/citadins. La meilleure illustration de ce premier trait réside sans doute dans la gestion inconsidérée des terrains publics – encore assez abondants – qui sont bradés par la « puissance publique » en vue d’assurer des recettes. Les partenariats public/privé qui se sont multipliés ces dernières années sont le moteur de cette liquidation, l’Etat lâchant son foncier à des développeurs proches des hautes instances du parti, contre des m2 construits à louer ou vendre.

En conséquence, le gouvernement d’Istanbul est un gouvernement du ponctuel et non pas un gouvernement du territoire conçu de façon systémique. Le déclin de la planification urbaine au bénéfice du design urbain et de la transformation urbaine – opérant sur des zones ciblées - est sans doute le signe le plus clair de cette évolution. Les institutions nationales ou locales de la planification ont perdu en prestige et en influence, tant elles sont court-circuitées par des acteurs qui n’ont pas de perspective générale ni intégrée de la métropole. En d’autres termes, le sectoriel est le mode opératoire principal au détriment du transversal. Le développement des transports urbains est programmé indépendamment du développement urbain et l’environnement n’est abordé que par « secteurs » cloisonnés et étanches les uns des autres (eau, air, sol… ), comme s’il n’existait aucune interaction entre toutes ces dimensions[9]. L’approche ponctuelle et morcelée du territoire permet une dépolitisation de celui-ci et, en définitive, ouvre la possibilité d’une déresponsabilisation des acteurs locaux. Aussi, troisième caractéristique, ce mode de gouvernement révèle une crise de la définition du bien public, de l’intérêt public et de l’action publique. Le souci de la justice socio-spatiale n’a pas lieu d’être pas plus que celui de la continuité de l’action publique ou de l’accountability. Dès lors prévalent l’arbitraire, le favoritisme et l’opacité, dont se nourrit la recherche d’une multiplication et d’une maximisation des rentes[10]. L’ouverture récente de nombreux nouveaux fronts de la rente par le biais des grands projets urbanistiques ou infrastructurels (à l’instar du nouvel aéroport international d’Istanbul aménagé au nord-ouest de l’aire urbaine) est sans conteste le produit de ce mode de gouvernement urbain.

 

En conclusion il nous faut revenir sur les difficultés à prendre ses distances vis-à-vis de l’actualité tendue en Turquie depuis l’échec du coup d’Etat de juillet 2016. Cependant, avant même le coup, certaines évolutions centralisatrices étaient perceptibles, qui perturbaient voire faussaient le jeu de la gouvernance métropolitaine. En ce sens il n’y a une qu’une accélération et un durcissement. La situation apparaît dès lors d’autant plus paradoxale qu’Istanbul possède un « potentiel citoyen » considérable – en termes d’expériences, de compétences et de pouvoir d’initiatives et d’autonomie -, qui se trouve dans la conjoncture actuelle refoulé voire malmené. A ce stade, espérons simplement que ce potentiel puisse au plus vite retrouver des voies d’expression et de réalisation au bénéfice d’une démocratie locale.

 

[1] A ce propos voir notre note : https://ovipot.hypotheses.org/14830

[2] Ce nombre sera porté à 600 aux prochaines législatives (c’était un des points de la réforme constitutionnelle récemment approuvée).

[3] L’objectif de l’organisation des Jeux Olympiques d’été à Istanbul a été officiellement formulé en 1992.

[5] Fin avril 2017 – signe de ce rapport privilégié instauré par le président Erdoğan -, un geste a été fait en faveur de ces élus – c’est l’Etat qui désormais paiera leur retraite -, aux termes d’un décret-loi édicté le cadre de l’état d’urgence en vigueur depuis la fin juillet 2016.

[6] Conduisant à définir comme « civil » ce qui ne relevait pas de l’aire d’influence hégémonique de l’armée.

[7] Un exemple : le mouvement étudiant “Jeunes Civils” (2000), qui fut un des fers de lance du parti AK dans la « société civile » en phase avec les attendus européens durant la “période libérale” de ce parti, soit entre 2003 et 2010 – a été démantelé avec le raidissement du pouvoir de ces dernières années.

[8] Pour son décret d’application, voir : http://www.resmigazete.gov.tr/eskiler/2006/10/20061008-5.htm

[9] A ce propos voir: « L’impératif du développement durable à Istanbul : une domestication contrariée, partielle et opportuniste », in : P.-A. Barthel & L. Zaki (éd.), Expérimenter la ‘ville durable’ au sud de la Méditerranée. Chercheurs et professionnels en dialogue, Paris : l’aube, coll. « villes et territoires », 2011, pp. 55-83.

[10] Voir à ce sujet : Gouverner par les rentes (Beyrouth, Le Caire, Alger, Istanbul), Sous la direction de Dominique Lorrain, à paraître aux Presses de Sciences Po (juin 2017).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Récipro-cités : des flux du pouvoir au pouvoir des flux

Benoît PARENT,  directeur général, et Frédéric PONTOIRE, Responsable stratégies
Agence d’urbanisme de la région grenobloise

 

 

 

  1. L’agence d’urbanisme au cœur de la géopolitique locale

Dans un contexte où les situations territoriales deviennent complexes, avec de plus en plus de zones de frottement, d’interférences, il devient nécessaire d’appréhender différemment les modèles de développement territorial et les moteurs de ce développement.

Un territoire ne peut plus être défini seulement par ses limites administratives et institutionnelles : pour caractériser son attractivité et son rayonnement, comprendre les évolutions, les interdépendances territoriales et les choix qui peuvent en découler, il faut l’appréhender à plusieurs échelles.

Il faut également faire face à l’émergence de nouveaux modes d’administration territoriale et de gouvernance dans un contexte en mouvement perpétuel, aux horizons incertains (institutions, modes de vie, contrainte budgétaire…).

Forte de connaissances et d’expertises à la fois très locales et globales, l’agence d’urbanisme a un rôle d’interface ou de médiateur à jouer, à la croisée des stratégies, pour aider à faire dialoguer l’ensemble des acteurs qui font la ville et les territoires, à analyser et mieux comprendre les dynamiques en jeu sur leurs aires d’intervention.

 

  1. Demain sera urbain et métropolitain

Le processus de transformation spatiale se double de changements massifs des modes de vie, pour la majorité des personnes, dans la plupart des sociétés mondiales : il produit l’émergence d’une nouvelle « condition urbaine », faite d’hyper-mobilité, de multiplication des réseaux sur fond de révolution numérique, de développement des situations de précarités et de flexibilité… Le fonctionnement des sociétés s’en trouve bouleversé.

Les « organisations urbaines » prennent le pas sur les « villes » : les urbains n’étaient encore que 12 % de la population en 1900, ils sont aujourd’hui 57 %, et ils seront environ 10 milliards, soit 70 %, en 2050 ! (Source AFD).

Les processus spatiaux de construction / concentration, mais aussi d’étalement / diffusion, qui caractérisent ce « fait métropolitain » en pleine expansion font de l’urbanisation un enjeu majeur du XXI° siècle. L’urbain concentre à la fois les ressources et les solutions, les opportunités et les solidarités, mais aussi toute une gamme de difficultés qui exacerbe les inégalités, les logiques d’entre-soi…

Selon le géographe Philippe Estèbe (L’égalité des territoires, une passion françaises – puf) notre organisation républicaine française se trouve depuis plusieurs décennies confrontées à des « plissements », à des « séismes » qui voient s’affirmer les grandes villes, circuler les personnes, les biens et les informations ; les visages de la ruralité se transforment en profondeur. Et pourtant, malgré cela, la France se distingue des autres pays européens par le poids de son espace rural, qui reste surreprésenté politiquement et administrativement.

 

Ville / Métropole : de quoi parle-t-on ? Autre géographe, Martin Vannier (Demain les territoires, capitalisme réticulaire et espace politique – Hermann), nous l’explique.

La ville est une concentration de population qui se définit selon deux entrées. Une entrée morphologique, soit une zone de bâti continu, sans coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions, qui compte au moins 2 000 habitants. Et une entrée fonctionnelle (pôle urbain, aire urbaine).

Il révèle que, dans une France largement sous influence urbaine, les écarts d’identité, d’urbanité, de pratiques sociales sont plus importants au sein-même de ce « monde urbain » qu’avec l’espace rural.

Cela accroit la complexité de la question urbaine qui cumule multiplicité des objectifs (ville durable), flottement des concepts, contextualisation plus forte, foisonnement des solutions et des acteurs, dilatation des échelles…

 

La métropolisation est souvent appréhendée par la capacité des villes à concentrer des populations et des activités. Elle s’estime également par la nature et la qualité des fonctions en présence, la capacité de rayonnement et de commandement (administratif, économique et financier par exemple) et surtout, une offre d’emplois très qualifiés, liée aux services avancés aux entreprises.

Mais ces phénomènes ne sont aujourd’hui plus suffisants pour caractériser les métropoles. Elles sont aussi le lieu où s’échangent facilement les idées, où les réseaux et les coopérations se forment, et où le hasard des rencontres favorise l’émergence des projets économiques, des innovations et la création de richesses.

En effet, les dix dernières années ont montré que les situations métropolitaines étaient beaucoup plus contrastées qu’il pouvait y paraître (effets de niches pouvant contribuer à donner à des villes de taille moyenne une visibilité à l’international), et combien la capacité d’insertion et d’animation de réseaux sont, de plus en plus, des atouts déterminants.

La métropolisation ne se réduit donc pas aux questions institutionnelles. C’est un processus dynamique qui peut être caractérisé par six principaux indicateurs : les ressources institutionnelles, les ressources économiques, le leadership politique, le système d’acteurs politiques et socioéconomiques, le récit territorial nourri du vécu des habitants, les échelles de territoires et les interactions entre elles.

 

Nouveaux systèmes territoriaux : les flux redessinent la géographie…

Fruit de la décentralisation, l’échelle intercommunale structure le paysage institutionnel. Mais tout ne s’y joue pas et l’élaboration des politiques publiques, pour mieux répondre aux réalités vécues, doit changer de lunettes et apprendre à déchiffrer les flux qui tissent une toile de systèmes territoriaux multifacettes.

La vie (les vies) du (des) cœur(s) métropolitain(s) et des territoires viennent s’entrelacer pour former un espace vécu et fonctionnel aux formes mouvantes.

Satisfaire les besoins et améliorer les fonctionnements impliquent de concevoir des outils de coopération souples et à géométrie variable, soutenus par des accords inscrits dans la durée.

C’est ainsi que depuis 15 ans, les enjeux métropolitains constituent une préoccupation croissante, objet d’un appel à projets métropolitains de la DATAR, des rapports Perben et Balladur… puis de la création du statut de métropole comme nouvel EPCI.

Quant à la Loi NOTRE, qui redéfinit le redécoupage région / métropole, elle cherche à la fois à accentuer les retombées positives de la métropolisation (croissance, création de richesse) et à en atténuer les effets négatifs (inégalités socio-territoriales…) au sein d’un modèle socio-territorial redistributif et intégratif.

 

Les flux et les réseaux

En 2012, la DATAR a proposé une nouvelle lecture de la structuration du territoire fondée sur les flux de personnes et de biens entre les aires urbaines et non plus sur la géographie de l’urbanisation et la concentration des fonctions socio-économiques, comme c’est habituellement le cas.

Pour identifier ces systèmes urbains, sept types de liens ont été sélectionnés et pris en compte simultanément : les mobilités domicile-travail, les mobilités de loisirs à travers les résidences secondaires, les migrations résidentielles, les liens de la société de la connaissance via les partenariats scientifiques, ceux de l’économie à travers les liens entre sièges et établissements d’entreprises et la grande vitesse avec un indice mixte train-avion.

26 systèmes urbains de proximité, hors aire urbaine de Paris, ont été identifiés. Le plus petit système regroupe cinq aires urbaines (système d’Auxerre, avec 200 000 habitants), le plus grand 30 (système Lyon-Grenoble).

Le système urbain Lyon-Grenoble- Saint-Etienne regroupe plus de 4 millions d’habitants et constitue l’espace français, après l’Ile de France, le plus métropolisé.

On peut donc imaginer demain de nouvelles formes de coopération pour le développement local associant toutes les collectivités, ou leurs établissements de coopération intercommunale, membres d’un même système urbain.

Source Du MONTEIL J., Blog, Billet du 02 mai 2012 

 

… et guident les stratégies territoriales

À nouveau selon Philippe Estèbe, les politiques territoriales ne doivent plus être tournées entièrement vers l’administration des stocks (de population, d’activités, d’équipements) mais prendre plus en compte l’animation des flux (de mobilité, d’information, de biens et de services).

Ce gouvernement des réseaux et des flux ne peut se résoudre par une extension des périmètres administratifs et politiques. Il nous oblige à faire le deuil du périmètre pertinent et à construire des territoires consistants, capables de conclure entre eux des accords stratégiques.

A la grande échelle, cela nécessite de donner à voir et à comprendre les différents systèmes territoriaux dans lesquels s’intègrent les composantes territoriales, d’aller vers des diagnostics systémiques montrant les échanges réels et les réciprocités potentielles entre les territoires.

Plus localement, cela révèle que les politiques publiques locales ne peuvent être qu’interterritoriales. Habitat, mobilité, économie, écologie… les politiques territoriales doivent impérativement s’extraire de la localité dans laquelle elles se trouvent enfermées pour aller vers plus de coopération.

Pour cela, les territoires doivent opérer au moins deux mutations :

  • être des opérateurs de mobilités pour les individus qui les habitent ou les fréquentent de façon que ceux-ci puissent se construire des itinéraires de vie positifs,
  • et pour ce faire, s’inscrire dans des systèmes territoriaux où ils doivent prendre leur place et comprendre quel rôle ils peuvent jouer.

 

 

  1. Les flux racontent nos territoires : écoutons-les

L’analyse des flux est primordiale pour mieux appréhender les dynamiques d’un territoire. Quelques exemples en cartes.

 

3.1 Dynamiques d’évolution de l’emploi

Les cartes suivantes montrent la dissociation croissante entre lieux de résidence et lieux de travail depuis 1975 en France.

L’emploi se concentre dans les pôles urbains tandis que la population se desserre en périphérie. L’accroissement généralisé des trajets domicile – travail (qui s’allongent en direction des pôles urbains), est la conséquence de l’éloignement entre les emplois et les lieux d’habitation des actifs.

Source : CGET



 

3.2 Flux domicile – travail vers les villes / métropoles

Les navettes domicile - travail représentent environ un quart des déplacements. Elles sont structurantes car elles influencent d’autres comportements (activités complémentaires, achats, loisirs, services) et elles restent très concentrées dans la journée (les fameuses heures de pointe du matin et du soir) avec les conséquences que l’on connaît aux entrées / sorties d’agglomération.

 

Sur la carte ci-contre, les communes les plus foncées présentent un excédent d’emploi par rapport à leur population active. Les plus claires sont en déficit : leurs actifs travaillent sur une autre commune.

Les tracés rouges représentent les flux (supérieurs à 100 actifs), c’est-à-dire le nombre de personnes actives ayant un emploi, effectuant les navettes entre la commune de résidence et celle de travail. Les « oursins » ainsi formés indiquent de fortes polarisations.

 Même carte à l’échelle régionale, mais avec les navettes journalières de plus de 200 personnes entre EPCI de résidence et EPCI de travail.

Chaque fois que plus de 200 personnes d’un EPCI travaillent dans un autre, une relation est établie, voire une double relation quand cela se joue dans les deux sens.

 

 

 

 

3.3  Flux domicile – travail et revenus des actifs

Cette carte met en avant les écarts de salaires entre les actifs navetteurs et ceux habitant et travaillant dans le même bassin de vie. À proximité des pôles, les actifs mobiles perçoivent des rémunérations supérieures, tandis que dans les bassins de vie plus éloignés, les salaires entre navetteurs et actifs locaux diffèrent peu. Ceci s’explique par le fait que les actifs qui sortent de leur bassin de vie pour aller travailler ailleurs sont généralement plus qualifiés, et mieux payés que ceux qui restent sur place. Ils occupent notamment les emplois de cadres à forte valeur ajoutée proposés dans les pôles d’emploi, alors que les actifs locaux occupent plus souvent des emplois destinés à satisfaire les besoins de la population présente.

Bien que leurs déplacements soient plus coûteux, ils constituent néanmoins une ressource importante qui peut être injectée dans l’économie du territoire. La richesse des agglomérations, au lieu de stagner, est ainsi redistribuée dans les espaces voisins, les espaces périurbains, avec une diversité de conséquences bénéfiques, sur le logement par exemple.

 

  1. Quelques mots de conclusion

Notre société française, historiquement rurale et peuplée de sédentaires, ne résiste pas à la montée des métropoles (qui ne sont pas à modèle unique), à la mobilité des habitants, aux diverses mutations numériques, collaboratives, qui se jouent des limites géographiques et institutionnelles. Le monde est mouvement.

La mobilité des personnes semble donc constituer le principal facteur d’ébranlement du dispositif d’égalité des territoires conçu initialement pour des populations rurales et sédentaires. Les territoires sont des espaces traversés par des usagers « consomm’acteurs » qui les mettent en concurrence pour l’habitat, les services, l’emploi, les loisirs… Cela vaut pour les trajets quotidiens ou hebdomadaires en voiture et, plus largement, pour la mobilité résidentielle, les parcours de vie qui conduisent les personnes et les ménages d’un territoire à l’autre. Une liberté de mouvement qui bouscule les ordres territoriaux établis, déconstruit l’armature urbaine, déstabilise les facteurs de production… et se traduit inéluctablement par une perte d’autonomie des villes moyennes et communes rurales. La maille territoriale se retricote au profit de celles qui tirent les fils : les métropoles, qui tissent leurs réseaux et leurs alliances, captent les populations les plus mobiles et les plus « désirables », concentrent et redistribuent la richesse produite…

C’est toute une gamme de réseaux « métropolisés », alimentés par des flux de personnes, d’information, d’échanges de biens et services… qui vient mettre à mal l’ordre territorial établi et le met définitivement hors-jeu. Il n’y a plus de territoire pertinent. Il n’y a que des espaces immatériels de réseaux et de flux, qui imposent de se défaire des politiques territoriales fondées sur une administration des stocks (de population, d’équipements, d’activités) pour inventer de nouvelles gouvernances, souples, stratégiques, négociées, aptes à sortir des cheminements routiniers et protecteurs, à ouvrir des solidarités nouvelles, à mettre en place des projets de développement pour le futur. Une chance à saisir pour nos territoires ?

DYNAMIQUES  URBAINES AFRICAINES. ENTRE PEURS ET ESPOIRS

Roland POURTIER , Professeur émérite 
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

 

 

 

Voir la conférence

L’Afrique subsaharienne est le théâtre de dynamiques urbaines sans précédent que les États ne parviennent pas à  maîtriser : les villes font peur avec leurs bidonvilles réputés dangereux, leur jeunesse sans emploi prête à toutes les aventures, une insécurité qui se lit dans l’habitat sécuritaire des quartiers riches. Depuis les indépendances, de nombreuses capitales ont été l’objectif ou l’épicentre de guerres civiles : Mogadiscio, Brazzaville, Monrovia, Bangui. Plus récemment, des attentats liés aux mouvements islamistes ont frappé des symboles de l’occidentalisation, grands hôtels, centres commerciaux : Nairobi, Grand Bassam, Bamako, Ouagadougou.

Cette image des villes africaines n’en reflète que le côté négatif. Au positif, elles sont les lieux du progrès, de l’arrimage à la mondialisation, et le pivot du développement. A l’aune du temps long l’Afrique est entrée, tardivement, dans la transition urbaine. Celle-ci est brutale. Elle se traduit par de formidables contrastes socio-spatiaux, par une fragmentation et une ségrégation très fortes. D’un côté la ville équipée, à l’architecture « internationale », de l’autre les quartiers sous-intégrés où se concentre la pauvreté.

Ces contrastes caractérisent l’ensemble de ce qu’on nommait encore il y a peu le Tiers monde, mais l’Afrique se distingue par l’intensité de l’ « explosion urbaine ». En Afrique de l’Ouest, la population a été multipliée par 4 depuis 1960, la population urbaine par 10. L’urbanisation de l’Afrique subsaharienne présente trois spécificités : elle est récente ; elle ne s’accompagne pas d’une réduction de la population rurale ; elle s’effectue sans industrialisation.

 

I. Une croissance inédite

La très grande majorité des villes d’Afrique subsaharienne est d’origine coloniale ou, pour quelques-unes, postcoloniale. Avant la colonisation, les seuls espaces urbanisées au sud du Sahara se limitaient aux royaumes et empires ouest-africains, à leurs capitales, aux relais commerciaux du Sahel, et au réseau des villes Yoruba de l’actuel Nigeria. Les sociétés sans État d’Afrique centrale et australe ont vu la création ex nihilo et simultanée des territoires d’État et des villes.

Quelques capitales ont une origine récente. Nouakchott est sorti des sables en 1957 avec la constitution de la république de Mauritanie. De nouvelles capitales sont nées après les indépendances pour rompre avec l’extraversion héritée de la colonisation : Abuja au Nigéria Yamoussoukro en Côte d’Ivoire ou Dodoma en Tanzanie.

A peine urbanisée au début du XXème siècle l’Afrique subsaharienne compte 14% d’urbains en 1950, 40% en 2015, avec une prévision de 56% pour 2050. En valeur absolue, la population des villes est passée de 32 millions en 1950 à 455 millions en 2014 et devrait dépasser le milliard en 2050. En valeur relative, elle représentait 4% de la population urbaine mondiale en1950, 12% en 2014, pour 21% attendus en 2050.

L’Afrique subsaharienne n’avait aucune ville millionnaire en 1950. Elle en totalise 50 en 2016. Lagos compterait 12 millions d’habitants, Kinshasa 10. L’urbanisation ne se réduit pas aux seules grandes villes. La base de données Africapolis souligne l’importance de l’urbanisation par le bas, la prolifération des petites agglomérations de plus de 10 000 habitants.

La vague irrésistible de l’urbanisation s’est accompagnée d’une  « bidonvillisation » qui affecte, sous des formes diverses, toutes les grandes villes et fait le terreau des marginalisations sociales et de l’insécurité. Ces immenses quartiers d’habitat populaire s’étalent sur des distances considérables – 40 km d’Est en Ouest à Kinshasa – rendant cruciale la question du transport. Villes éclatées, villes fragmentées, elles ne ressemblent plus au schéma colonial d’une ville duale partageant l’espace entre ville blanche et quartiers noirs.

 

II Une urbanisation sans réduction de la population rurale

Depuis 1950 le nombre d’urbains en Afrique subsaharienne s’est accru de 420 millions. Celui de ruraux de 490 millions. Cette évolution va à l’encontre du reste du monde où la population rurale a partout diminué. Elle touche tous les pays d’Afrique tropicale. Au Rwanda, entre 1950 et 2015, le nombre d’urbains est passé de 46 000 à 3,6 millions, augmentation tout à fait remarquable, mais dans le même temps la population rurale est passée de 2 à 9 millions. Les densité rurales, de 340 hab/km2 en 2015 pourraient atteindre 460 en 2050.

Autrement dit, l’urbanisation n’allège pas le poids des campagnes. Elle ne suffit pas à elle seule à répondre au défi démographique de l’Afrique subsaharienne.

 

III Une urbanisation sans industrialisation,

Les villes africaines souffrent d’un grave déficit d’activités industrielles. Elles se différencient en cela des villes d’Asie de l’Est et du Sud-Est, villes-ateliers dont le dynamisme repose sur l’industrie. En Afrique subsaharienne, le secteur manufacturier stagne depuis 1970 autour de 8 à 9% du PIB. Le seul pays à posséder une industrie de transformation diversifiée est l’Afrique du Sud, seul pays émergent du continent, seul pays où, globalement,  les villes produisent plus qu’elles ne consomment.

La nature des activités et la gravité du sous-emploi dépendent de la taille des agglomérations. Dans les villes petites et moyennes, l’agriculture reste le premier secteur d’activité. La fonction publique injecte, via les salaires des fonctionnaires, les intrants monétaires nécessaires au fonctionnement de l’économie locale. Dans les grandes villes, l’agriculture intra et péri-urbaine occupe encore une place non négligeable. Les cultures maraîchères, les arbres fruitiers, les « jardins de case » contribuent à l’alimentation citadine et à la résilience des populations  en période de crise : à Kinshasa dans les années 1990-2000 les bas-côtés des rues, des espaces non bâtis et des jardins d’agrément se transformèrent en potagers et parcelles de manioc et de maïs. L’agriculture urbaine comme d’autres activités de survie ne constituent qu’un palliatif, pas une réponse durable aux attentes des jeunes.

Selon la Banque africaine de Développement (BAD), il faudrait créer 300 millions d’emplois  d’ici 2050 pour faire face à la croissance démographique urbaine. Or la plupart des économies africaines restent dominées par les modèles rentiers fondés sur l’exportation de produits primaires et la redistribution de la rente sans diversification du système productif, ce qui crée des situations de grande dépendance aux cours mondiaux, de vulnérabilité économique et sociale. La crise des villes africaines s’articule avec la « malédiction des matières premières ». Les « émeutes de la faim » qui ont affecté plusieurs villes africaines en 2008 et 2010, notamment au Cameroun, étaient la conséquence indirecte de la crise des économies rentières. Depuis des décennies, les discours exhortent à « préparer l’après-pétrole », à diversifier les activités économiques en faveur d’industries de main-d’œuvre  et à réduire la dépendance alimentaire. Mais les actes ont rarement suivi les paroles. Les guerres de Brazzaville furent ainsi étroitement corrélées au « contre-choc » pétrolier du milieu des années 1980. La baisse des cours du pétrole depuis 2015 génère de fortes tensions dans les villes des pays producteurs de pétrole.

Les zones franches destinées à favoriser les activités industrielles n’ont pas connu le succès escompté (le cas particulier de Maurice mis à part). Les nouvelles ZES, Zones économiques spéciales sur le modèle chinois, auront peut-être plus de réussite. Un nombre croissant de pays misent sur le développement des entreprises de main-d’œuvre : Éthiopie, Nigéria, Ghana, Kenya etc. Une nouvelle classe d’entrepreneurs est en train d’émerger, avec ses managers devenus milliardaires comme le Nigérian Aliko Dangote dont la fortune, construite sur la production de ciment est évaluée à plus de 15 milliards de $. 

Ces initiatives prometteuses ne suffisent cependant pas à résorber un chômage urbain qui touche massivement les jeunes adultes contraints à des activités précaires dans le « secteur informel », ce fourre-tout difficile à saisir statistiquement  mais qui forme le quotidien des classes populaires, de la micro-entreprise à une « débrouille » aux marges de la légalité.

IV La ville attractive et l’émergence des classes moyennes

Contrairement aux images misérabilistes souvent véhiculées par les médias, la ville africaine jouit d’une représentation positive auprès des populations. L’exode rural s’explique d’abord  par l’attractivité urbaine. La ville est perçue comme le lieu de la modernité, le lieu « où l’on vit », où l’on bénéficie de meilleures conditions de santé et d’éducation que dans des campagnes sans avenir.

Parmi les changements positifs accompagnant l’urbanisation, l’émergence des classes moyennes est sans doute le plus significatif. La définition de la « classe moyenne » relève certes  de la quadrature du cercle. Selon les critères de la BAD (entre 2 et 20 dollars de ressource par personne et par jour) elle totaliserait 300 millions de personnes. Avec une définition plus restrictive, la Banque mondiale ramène ce chiffre à 35 millions… Seule certitude, on assiste à une croissance continue de la population solvable, celle qui est en mesure de dépenser plus que la couverture des besoins vitaux (nourriture, habitation), celle qui accède à la « petite prospérité » ou xiaokang des Chinois.

Les espoirs de développement reposent en grande partie sur cette classe moyenne, éduquée, connectée, entreprenante. Elle est entrée de plain-pied dans l’ère des TIC. L’usage généralisé du téléphone mobile et l’accès à Internet l’arriment aux diasporas, relais de leur ouverture sur le monde. L’émergence de ces nouveaux acteurs ne résout certes pas la question de la pauvreté du grand nombre ni celle des bidonvilles, mais elle participe d’une diversification des activités productives et d’une amélioration de la condition citadine. Les aspirations des classes moyennes se heurtent cependant à des blocages politiques, au népotisme des détenteurs du pouvoir, à un clientélisme l’emportant souvent sur la compétence. Le chômage des diplômés touche des jeunes dépourvus de « relations », faisant potentiellement le lit de la violence.

Les classes moyennes urbaines constituent le fer de lance de la révolution démographique indispensable pour que l’Afrique puisse bénéficier du « dividende démographique » qui pourrait dans les décennies à venir soutenir sa croissance économique. A condition que soient mises en œuvre des politiques de population s’adressant à toutes les catégories sociales, faute de quoi le nombre de laissés pour compte augmenterait dangereusement. L’histoire contemporaine des conflits et des guerres qui meurtrissent le continent, montre combien il est tentant pour ces derniers de se tourner vers des activités criminelles comme les trafics de drogue, ou de se laisser entraîner dans des milices, des bandes armées, ou des groupes se revendiquant du terrorisme islamique.

La question des villes se trouve ainsi enchâssée dans le défi majeur de l’Afrique, l’explosion démographique. C’est ce défi qu’il lui faut relever pour éloigner le spectre de la « bombe urbaine ».

 

 

 

GRENOBLE, VILLE GÉOPOLITIQUE ?

Ilyasse RASSOULI, Sciences po Grenoble et membre de l’association Mundeo) et  Jeffrey BUNDUKI, Sciences po Grenoble

                                                                                                                                                                                          

« Au bout de chaque rue, une montagne ». Ainsi décrivait Stendhal sa ville de Grenoble. La montagne est le relief caractéristique de Grenoble. Il joue un rôle des plus importants dans l’étude de Grenoble comme ville géopolitique. Replacée dans le cadre plus large de la métropole et du département isérois, Grenoble est dotée d’une dimension géopolitique. On entend par là son influence au-delà des frontières de la ville, son pouvoir d’image, d’attraction, la représentation que l’on s’en fait, ce qui fait qu’elle est connue et reconnue ailleurs, ses performances. En un mot, par « géopolitique de Grenoble », on entend son pouvoir. Grenoble a-t-elle du pouvoir ? Et si tel est le cas, d’où vient ce pouvoir, quels en sont ses vecteurs, mais aussi ses limites ?

 

1. Les Alpes, l’aire géopolitique de Grenoble

À Grenoble, la Bastille domine la ville. Cet ancien fort militaire en est l’emblème. Édifié entre 1823 et 1848, le dispositif de fortifications a été conçu pour parer une attaque de Grenoble, « capitale du Dauphiné », par le Dûché de Savoie, depuis la Chartreuse où s'érigeait alors la frontière entre la France et le Piémont. Le site témoigne ainsi de la dimension militaire stratégique de Grenoble à cette époque. De capitale du Dauphiné sous l’Ancien Régime, Grenoble est devenue au XXème siècle la « capitale des Alpes ». Les Alpes sont l’espace géographique dans lequel s’inscrit volontiers Grenoble, comme en témoigne ce titre symbolique de « capitale des Alpes »[1]. Cette identité alpine remonte à 1919, lorsque le ministre Etienne Clémentel avait pour projet de créer une grande région des Alpes et lui donner Grenoble comme capitale. Cette identité alpine, circonscrite à la France donc, est restée vivante jusqu’à aujourd’hui, et on peut s’interroger sur sa pertinence en dehors des frontières françaises, en l’étendant à l’ensemble du territoire alpin couvrant plusieurs pays européens. Définir l’identité de la ville au sein de cet espace transnational n’est pas dénué de tout sens. Il suffit de se rendre dans quelques villes alpines pour s’en rendre compte.

 

La ville d’Innsbruck en Autriche présente de nombreuses similitudes avec Grenoble. Peuplée de 121.000 habitants, c’est une ville universitaire et qui vit du tourisme hivernal. Ville hôte des JO d'hiver de 1964, les deux villes se sont rapprochées lorsque Grenoble organisa les JO d’hiver 1968 et sont aujourd’hui jumelées. L’avenue d’Innsbruck à Échirolles[2] rappelle cette coopération. En Italie, la ville de Bolzano présente elle aussi de nombreux points communs. Peuplée de 100.000 habitants, elle est entourée de trois massifs et un téléphérique urbain relie l’un de ses massifs et le centre ville, de même que dans la capitale des Alpes. Une ville plate, elle fait aussi le bonheur des cyclistes. Ces deux exemples, qui pourraient être étendus à d’autres villes alpines, démontrent que les Alpes accueillent des villes de taille moyenne, que le relief alpin confère une activité touristique hivernale importante  et des enjeux d’aménagement du territoire montagneux similaires. Et surtout, ils donnent à voir des similitudes dans le visuel des villes[3] et dans la pratique des habitants. Aussi, parler d’identité alpine transnationale et d’un espace géopolitique alpin fait sens.

 

Par ailleurs, les Alpes sont le support de la diplomatie touristique iséroise, notamment grâce aux nombreuses stations de ski. La plupart des hôtels du département se situent dans les massifs[4]. L’hiver, la clientèle étrangère vient principalement du Royaume-Uni (42% du total des touristes étrangers). L’été, elle vient principalement des Pays-Bas (35% du total). La clientèle française vient principalement de l’ancienne région Rhône-Alpes (32%), Ile-de-France puis PACA. Il n’est donc pas étonnant que le trafic de l’aéroport Grenoble-Isère se concentre essentiellement l’hiver[5]. La gare routière joue quant à elle le rôle de vecteur du tourisme, reliée par les aéroports de Grenoble et Lyon, de nombreux cars permettent d’accéder aux stations. Le département a lancé en janvier 2017 un slogan marketing ALPES IS (H)ERE afin de s’inscrire dans la concurrence liée au tourisme. La région alpine, espace d’appartenance de Grenoble, haut-lieu de la diplomatie touristique iséroise, n’est cependant pas un support de son influence politique.

 

Grenoble est membre depuis 2007 de l’Eurorégion Alpes-Méditerranée, qui regroupe la région Auvergne-Rhône-Alpes, Provence Alpes Côte d’Azur et en Italie le Piémont, la Vallée d’Aoste et la Ligurie. Cette coopération permet aux régions de travailler ensemble sur des thématiques communes comme l’innovation et la recherche, le tourisme, la culture ou l’environnement. Toutefois, certaines régions européennes transfrontalières sont allées plus loin et ont adopté un outil juridique créé ad hoc par le Parlement européen pour favoriser une coopération plus intégrée et plus ambitieuse entre les régions frontalières, avec le Groupement européen de coopération territoriale (GECT). Grenoble n’est pas membre de l’un des 37 GECT existants à l’échelle de l’UE. Cela ne favorise pas l’intégration politique des différentes villes de l’espace alpin et limite de fait le rôle géopolitique de Grenoble. 

 

2. Les infrastructures de transports, relais de l’influence géopolitique grenobloise

L’aéroport de Grenoble-Isère sert au trafic commercial de passager. Il est construit en 1967 dans le cadre des JO d’hiver. Il est aujourd’hui desservi par dix compagnies et offre une carte de 19 destinations, presque exclusivement sur l’Europe du Nord[6]. Grenoble-Isère a pour projet de relier de nouvelles destinations, comme le Maroc, la Grèce, la Turquie, la Sardaigne ou encore les Baléares, et devrait donc de gagner en importance. Les chiffres publiés par l’Union des aéroports français nous montrent que Grenoble se classe au 35ème rang national et est le troisième aéroport de la région Auvergne-Rhône Alpes après Lyon Saint-Exupéry et Clermont-Ferrand Auvergne[7]. Lyon Saint-Exupéry a accueilli en 2015-2016 près de 8.700.000 passagers. Avec 303.000 voyageurs en 2015-2016, l’aéroport grenoblois ne lui fait pas réellement de concurrence. Toutefois, il serait limité d’adopter ici uniquement une logique de compétition, car c’est plutôt une logique de complémentarité qui est à l’œuvre, la même entreprise[8] gérant ces aéroports.

 

Il en va de même pour la gare ferroviaire de Grenoble. Construite à l’occasion des JO d’hiver elle aussi, elle a accueilli sept millions de passagers en 2015. Les chiffres de la SNCF nous permettent de voir, sans surprise là encore, que la fréquentation est moindre que chez sa consoeur de Lyon Part-Dieu (trente deux millions de passagers en 2015) mais qu’elle fait mieux que Lyon Perrache (six millions de passagers), Chambéry et Clermont (quatre millions), St Etienne et Valence-TGV (trois millions et demi), Annecy et Valence-ville (deux millions). La gare de Grenoble constitue un important nœud ferroviaire régional plutôt que national. La dimension géopolitique en est de fait limitée. Au niveau architectural également, l’aéroport de Lyon Saint-Exupéry ou la gare de Valence-TGV sont des œuvres architecturales remarquables. Il n’en va pas de même pour l’aéroport et la gare de Grenoble, ce qui est une faiblesse pour son image de marque.

 

Symbole de Grenoble, le fleuve Isère s’étend de la frontière italienne à l’est, passe par Grenoble et se prolonge à l’ouest jusqu’aux portes de Valence, avant de se jeter dans le Rhône. Long de 286 kilomètres, il est inexploité par le transport fluvial[9]. Paradoxalement, c’est pourtant l’Isère qui a permis l’établissement humain sur la terre de Cularo. Étant donnée la faculté pour une ville de développer son commerce à travers le transport fluvial, c’est un atout inexploité pour Grenoble. Cette situation trouve une raison juridique : l’Isère a été radié de la liste des rivières navigables de France le 27 juillet 1957, en raison de sa dangerosité à la navigation. À ce titre, la pire catastrophe de l’histoire de Grenoble fut l’inondation de la ville liée aux débordements de l’Isère en 1219.

 

Le fonctionnement des transports internes à Grenoble est assez remarquable. Ville « la plus plate de France », dotée de 400 kilomètres de pistes cyclables et d’un réseau de bus et tramways denses[10], ville reconnue mondialement pour son accessibilité aux personnes handicapées, c’est un modèle pour ce qui concerne les mobilités internes au territoire grenoblois et cela confère un certain prestige à la ville, un savoir-faire reconnu à l’international, comme l’illustre la réalisation du tramway Lightrail à Phoenix (Arizona) sur le modèle grenoblois. On peut également évoquer le transport aérien, avec le téléphérique de la Bastille reliant le centre ville au massif de la Chartreuse. C’est le troisième à avoir été construit dans le monde[11]. La ville de Voreppe, à quelques kilomètres de Grenoble, est le siège de la société POMA, entreprise iséroise spécialisée dans la fabrication de systèmes de transports par câbles, qui a réalisé le téléphérique grenoblois, mais aussi les fameuses télécabines à Medellin et bien d’autres ouvrages. Il y a donc un savoir-faire isérois en matière de transports internes qui s’exporte à l’international.

 

3. Un soft power à la grenobloise : les cas du sport, de la culture et de la recherche

Le terme de soft power a été pensé et décrit par Joseph Nye dans son ouvrage Bound to Lead, paru en 1990. Cet ouvrage est apparu dans un contexte de déclin de ce que l’auteur définissait comme le hard power, c’est à dire l’affrontement direct entre Etats par le biais de la violence. Le soft power marque le passage à un affrontement plus « doux » avec l’usage d’autres formes de pouvoir davantage basées sur l’influence. À l’échelle de la ville, le soft power correspond à la capacité d’influence et d’attractivité et s’appuie sur différents éléments qui peuvent être doux au sens propre comme la réputation véhiculée par la recherche universitaire, la culture ou le sport.

 

En 1968, Grenoble accueillait les JO d’hiver. Dans le même temps, Lyon n’était pas choisi pour organiser les JO d’été de 1968. Si sa réputation n’est pas à faire concernant les sports d’hiver et de montagne, pour ce qui concerne les sports collectifs masculins plus « populaires », Grenoble n’est pas forcément sur le devant de la scène nationale. La ville dispose d’un club professionnel de rugby et de hockey qui jouent parmi l’élite et disputent des compétitions européennes, mais uniquement semi-professionnel pour le football. Cela entache son rayonnement, surtout quand l’on connaît l’importance du football pour le soft power de certaines villes qui en ont fait de véritables outils de diplomatie et d’attractivité[12]. Par ailleurs, Grenoble a aussi été laissée de côté pour l’organisation de l’EURO 2016 de football. À cela s’ajoute sa candidature non choisie pour représenter la France dans l’organisation des JO d’hiver 2018, au profit d’Annecy. Les échecs de l’EURO 2016 et des JO d’hiver 2018 ont ainsi marqué deux occasions manquées de bénéficier de retombées économiques et médiatiques.

 

Historiquement, Grenoble est reconnu à l’échelle nationale comme une ville de culture. Cela s’explique par l’importance que le maire Hubert Dubedout lui accordait, et se caractérisera au cours de ses mandats par la création d’une maison de la culture et la volonté de démocratisation de la culture[13]. Grenoble va devenir un modèle national de l’innovation culturelle, et le musée de Grenoble est aujourd’hui le symbole de l’attractivité culturelle grenobloise. Sous l'action d'Andry-Farcy, son conservateur de 1919 à 1949, il va devenir le premier musée d'art moderne et fait entrer dans ses collections les grands artistes de son temps, de Matisse à Picasso, de Bonnard à Léger. Cela permet à la ville de développer son soft power, qui s’est illustré notamment à travers des expositions ayant attiré de nombreux visiteurs, à l’image de ‘Chagall et l'avant-garde russe’ ou plus récemment ‘Kandinsky, la période parisienne’.

 

Aujourd’hui, Grenoble est mondialement reconnue pour la qualité de sa recherche[14] et ses universités[15]. La synergie entre centres de recherche, industries et universités vaut à la ville d’être régulièrement citée dans les classements internationaux comme l’une des villes les plus innovantes d’Europe et du monde. Moins connues sont les prémisses de cette excellence dans l’innovation. Il faut remonter à 1925 pour cela. La région grenobloise, grâce à ses montagnes, est particulièrement bien disposée pour créer des chutes d'eau artificielles et utiliser l'énergie hydraulique. C’est ce qui firent ainsi les industriels et ingénieurs hydrauliques, parmi lesquelles Aristide Bergès, Felix Viallet ou Joseph Bouchayer. Aussi, en 1925, Grenoble tiendra l’Exposition internationale de la Houille blanche et du tourisme pendant cinq mois pour exposer son savoir-faire hydraulique à la France et au monde entier. On parle désormais de Grenoble comme « capitale de la houille blanche », comme une ville des plus modernes, grâce à la montagne, qui révèle une nouvelle fois sa dimension stratégique. Avant cela, au XIXème siècle, Grenoble était spécialisée dans la ganterie.

 

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages

  • BLOCH Daniel (dir.), Grenoble, cité internationale, cité des innovations - Rêves et réalités, Presses Universitaires de Grenoble, 2011
  • BLOCH Daniel (sous la direction de), Réinventer la ville, regards croisés sur Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2013
  • BLOCH Daniel, LAJARGE Romain, Grenoble, le pari de la métropole, Presses universitaires de Grenoble, 2016
  • COGNE Olivier, DUCLOS Jean-Claude, IHL Olivier, LOISEAU Jacques, Grenoble en résistance (1939-1945) - Parcours urbains, Éditions Le Dauphiné Libéré, 2015
  • FAVIER René (sous la direction de), Grenoble : histoire d'une ville, Éditions Glénat, Grenoble, 2010
  • DUC Lucile, Musée de Grenoble, un itinéraire de passion, Éditions Artes-Publialp, 1994, Grenoble
  • PEISSEL Gilles, Grenoble, métamorphose d'une ville, Éditions Glénat, Grenoble, 2011
  • SOUTIF Michel, Grenoble. Carrefour des sciences et de l’industrie, Éditions Le Dauphiné Libéré, 2005.

 

Articles universitaires

  • PRADEILLES Jean-Claude. Géopolitique des transports urbains grenoblois. Mise en scène d'un quart de siècle (1973-1998) / The litics of Grenoble urban transport. In: Revue de géographie alpine, tome 85, n°4, 1997. pp. 97-112.
  • GUERREAU-JALABERT Anita. Histoire de Grenoble, publiée sous la direction de Vital Chomel. Toulouse, Privat, 1976. In-8°, 466 pages, 24 planches, 26 illustrations. (Univers de la France et des pays francophones, série Histoire des villes, 36.). In: Bibliothèque de l'école des chartes. 1977, tome 135, livraison 2. pp. 396-398.

 

Sites internet

Union des aéroports français

http://www.aeroport.fr

 

SNCF Open Data – Fréquentation en gares

https://ressources.data.sncf.com/explore/dataset/frequentation-gares/?sort=nombre_personnes

 

Isère tourisme

http://www.isere-tourisme.com

 

Grenoble-Alpes Métropole

http://www.lametro.fr

 

INSEE – Statistiques sur Grenoble

https://www.insee.fr/fr/statistiques/1285839

 

Office de tourisme de Grenoble-Alpes Métropole

http://www.grenoble-tourisme.com/fr/

 

 

 

[1] Mais aussi comme en témoignent les nombreuses utilisations du mot Alpes à Grenoble : le nom de la métropole Grenoble-Alpes, le nom de l’Université Université Grenoble Alpes, l’enceinte de foot et de rugby du Stade des Alpes, le centre d’exposition Alpexpo, la nouvelle stratégie marketing du département qui se décline avec le slogan « Alpes is Here ».

[2] La ville d’Échirolles est située au sud de Grenoble.

[3] Il suffit de comparer des photos de ces villes pour s’en rendre compte !

[4] Il y a 310.000 lits touristiques en Isère dont 216.000 dans les massifs selon l’Observatoire du tourisme.

[5] En hiver, on recense près de 50 vols le samedi et 25 le dimanche, contre 3 vols en semaine l’été.

[6] La seule liaison hors Europe est Tel-Aviv.

[7] En termes de destinations offertes et de fréquentation.

[8] Il s’agit de Vinci Airports.

[9] Que ce transport soit de marchandises ou de tourisme.

[10] Grenoble est la quatrième ville de France en nombre de tramways.

[11] Après celui de Rio de Janeiro au Brésil et de Cape Town en Afrique du Sud.

[12] On peut évoquer Paris avec le PSG, Barcelone, Real Madrid, Monaco, et plus proche de Grenoble, l’Olympique Lyonnais, Saint-Etienne avec « les Verts » ou encore la Juventus de Turin).

[13] On observe par exemple le développement d’un important réseau de bibliothèques.

[14] Grenoble abrite 13 centres de recherche nationaux et internationaux.

[15] Il y a près de 65.000 étudiants à Grenoble, de plus de cent nationalités différentes.

Géopolitique et développement urbain en Russie

 Pr. Claude Rochet
http://claude-rochet.fr
Présentation complète http://claude-rochet.fr/geopolitique-developpement-urbain-russie/

 

Voir la conférence 

  1. L’enjeu du développement urbain dans le contexte de la troisième révolution industrielle

​Le contexte démographique et géopolitique de la croissance urbaine : La population urbaine va franchir la barre des 60% de la population totale dans un horizon proche. Cette croissance va surtout toucher les pays émergents et l’Asie. Cette croissance ne pourra se faire selon le mode développement passé des villes en Occident :

  1. La consommation d’énergie fossile et le lien entre consommation de pétrole et instabilité géopolitique mondiale (Cf Mathieu Auzaneau « Or noir ») n’est pas soutenable.

     
  2. Le développement urbain en tache d’huile tel que le connaissent les émergents est source d’explosions sociale et d’instabilité politique.

     
  3. Le contexte technologique de la III° révolution industrielle (l’iconomie) offre les possibilités d’envisager un autre mode de croissance urbaine basé sur l’intégration des technologies de l’information et de nouvelles sources d’énergies renouvelables.
    1. Il s’agit d’un marché considérable évalué à 1,5 trillion de USD à l’horizon 2020 pour les seuls secteurs des technologies numériques. Mais il faut avoir en tête qu’il ne s’agit que de marchés marginaux car une ville reste constituée principalement de béton, de fer et de verre.

       
    2. Dans l’Occident industrialisé, il s’agit principalement de reconception des tissus urbains existants e d’additions à la marge de nouvelles technologies. Chez les émergents, l’accent est mis sur la conception d’ensemble de la ville, donc une approche plus systémique qu’incrémentale.

 

  1. Le miroir aux alouettes des smart cities :

La conception occidentale (promue par l’UE) est une approche incrémentale en « collection de smarties ». Elle est promue par les grands acteurs du monde de l’économie numérique qui ont voulu, au début des années 2000, étendre le marché du numérique au-delà de celui des entreprises. Voir Adam Greenfield Against the Smart City (2014).

  1. L’intelligence ne vient pas de l’addition de systèmes de communication qui ne nous mène qu’à « réunir le séparé en tant que séparé « (Guy Debord) ou à « vivre ensemble sans autrui » (J.P Lebrun) mais des interactions productrices de lien social et d’apprentissage.

     
  2. L’approche techno-centrée est dangereuse, car :
    1. Elle ne prend pas en compte des utilisateurs – ou se réfère à un utilisateur type d’homme connecté en apesanteur culturelle et territoriale –alors qu’elle est le gage de la fiabilité de la conception des systèmes techniques (Gilbert Simondon, Erich Von Hippel…)

       
    2. Ne prend pas en compte la question de l’enracinement dans le territoire, dans le capital social et dans l’histoire.

       
    3. Création d’une dépendance du client envers le fournisseur en l’absence de transfert de technologies.

 

  1. Ville intelligente : de quoi parlons-nous ?

La physique de la ville : les apports récents de la science des systèmes à la compréhension du développement urbain :

  1. Une ville non pilotée comme système intelligent s’étend inexorablement et tend vers l’auto destruction

     
  2. La ville doit être conçue comme un « système de systèmes » : l’enjeu est la maîtrise de la conception de systèmes à terme capables d’autorégulation et de piloter la complexité.

     
  3. La ville est avant tout un enjeu politique qui doit prévaloir sur l’enjeu technologique : il faut piloter la complexité et non être piloté par elle. L’exemple de l’effondrement des civilisations anciennes.

     
  4. Pour développer les capacités autorégulatrices et la résilience du système urbain, il doit être conçu « bottom-up » à partir des habitants : démocratie directe, circuits courts, innovation endogène…  => Christchurch

     
  5. Une référence : Singapour => présentation du cas

 

 

  1. Le problème urbain russe : les monovilles

 

  1. Origine des monovilles : un poids qui pèse sur le développement de la Russie

  2. Les monovilles sont porteuses du paradigme de la II° révolution industrielle et d’une approche purement fonctionnaliste de la ville qui bloque la transition de l’économie russe vers l’iconomie. Elles sont une impasse économique et sociale.

     
  3. La culture urbaine russe diverge de la culture occidentale et n’est pas un levier de modernisation :
    1. Le développement urbain a été tardif vers la II° moitié du XX° siècle. Il n’y a pas eu association, comme en Europe de l’Ouest, entre croissance urbaine et développement d’une classe moyenne et urbaine porteuse d’une culture civique.

       
    2. L’urbanisation soviétique n’a été qu’un instrument, un sous-produit de l’industrialisation qui avait besoin de « machines à habiter », et non comme un levier du développement économique et politique.

       
    3. L’urbanisation soviétique a été conservatrice : crainte de l’effet émancipateur de la ville - « Stadt Luft mach frei » -, et débouche sur la faubourgisation de la ville et sa ruralisation. La ville soviétique est très faiblement diversifiée, donc insuffisamment complexe, or « la stabilité et la démocratie sont incompatibles tant que la société sera faiblement diversifiée, qu’il n’y a pas de contrepoids sociaux intérieurs, de centre stable petit bourgeois, de couches moyennes, qui, prudentes, préférerons se tenir à l’extrémité du spectre social et politique » (Anatoli Vichnevski, p. 154).

       
  4. La culture urbaine russe reste marquée par le fonctionnalisme « à la Le Corbusier » qui a présidé à la construction massive de logements des années et malgré 1950 et 60 (les kroutchovka et les brejenevka) : « Pour la première fois dans l’histoire du pays l’appartement individuel est devenu le type principal de logement urbain (…) il semblerait que, d’après tous les critères la société soviétique des années 80 soit devenu une société urbaine. Mais la réalité était beaucoup plus compliquée » ( A. V 132)

 

  1. La transformation des monovilles comme levier de transition de l’économie et de la société russe.

  1. Sortir du dilemme « de la faucille et du rouble » : conjuguer la sobornostl’homme pour… - ou la culture du nous, avec une culture du je - … pour l’homme, ou l’équilibre entre la tradition slavophile et les occidentalistes

    1. Retrouver les racines de la culture auto régulatrice russe :
      1. Le веце (Veche), la Russie est la mère de la démocratie directe (Veliki Novgorod)

         
      2. Le  Мир (Mir), l’auto administration des communes rurales. Analyse d’Anatole Leroy Beaulieu :

 

  1. L’opinion russe ne perçoit pas aujourd’hui l’intérêt de se lancer dans l’aventure des villes intelligentes – ce qui est une protection contre l’approche techno-centrée – mais qui souligne la nécessité de russifier l’approche du développement urbain. Etude HSE :

 

  1. Ne pas imiter ni l’Occident ni les Chinois des années 1980, mais trouver une voie de développement endogène.
    1. Une tendance forte à imiter les occidentaux (comme le firent les Chinois pour leur croissance urbaine) : Rémanence de l’approche top-down. Exemple de Skolkovo= tentative de répliquer la silicon valley en oubliant le principe de croissance organique. Kazan smart cities : une approche instrumentale, pas de vie. => S’ancrer dans le capital social pour le développer.

       
    2. La question du financement : soit un financement purement national, soit un appel à l’investissement étranger. Dans les deux cas, il s’agira d’intégrer la technologie occidentale, et plus encore dans le cas de PPP.

      Quel que soit le mode de gestion des projets, une dynamique d’apprentissage endogène est critique. La Russie est à un moment critique avec les choix d’investissement à faire pour utiliser les dividendes de la croissance et développer l’effet positif des sanctions.

 

  1. Conclusion :

La croissance urbaine et la conception de nouvelles villes, la reconversion des villes anciennes vers des villes intelligentes conçues comme des écosystèmes urbains durable, sont de nature à redistribuer les cartes de puissance au niveau mondial :

  • Un développement urbain raté mène vers le sous-développement (ex : vision chinoise)

     
  • Il y a une compétition dans le domaine de la conception des villes intelligentes comme systèmes de systèmes : qui en maitrisera les règles et les outils maîtrisera les appels d’offre subséquents et les nouveaux marchés.

     
  • La conception des villes intelligentes est un levier d’innovation et de croissance endogène de nature à créer des effets de rattrapage « à la Gerschenkron » et de redistribuer les cartes de puissance technologique

  • En mettant l’accent sur les approches ascendantes (bottom-up) la modélisation des villes intelligentes est une approche plus adaptée pour les pays émergents que les approches descendantes et techno-centrées des occidentaux : valorisation des ressources, locales, développement du capital social, ancrage dans le territoire, indépendance technologique et financière….

 

 

Bibliographie

  • Boykova M., Ilina I., Salazkin M. (2016) The Smart City Approach as a Response to Emerging Challenges for Urban Development. Foresight and STI Governance, vol. 10, no 3, pp. 65–75. 
  • Gerschenkron, Alexander, Economic backwardness in historical perspective
  • Leroy Beaulieu Anatole, “L’empire des Tsars et les russes”, Paris 1893
  • Vichnevski Anatoli , La faucille et le rouble, Gallimard 2001
  • Simondon, Gilbert, « Du mode d’existence des objets techniques » 1958
  • Auzaneau Mathieu, « Or noir », La Découverte 2016

LE PORT, VILLE DE L’OUVERTURE AU MONDE

Par le capitaine de vaisseau (R) Frédéric Sanoner – Marine Nationale

 

Voir la conférence

Les ports, civils comme militaires, sont des villes différentes des autres et manifestent une ouverture au monde toute particulière.

 

Données géographiques concernant les ports

Maritimisation

Les pays, les nations et sociétés vivent dans un monde globalisé. Or la mondialisation est extrêmement tributaire de la mer, de telle façon qu’on a trouvé ce néologisme de "maritimisation" pour désigner la dimension maritime de la mondialisation.

S’agissant des ressources, minérales ou vivantes, la mer est un gisement considérable, tant pour les hydrocarbures que les ressources alimentaires ou pharmaceutiques.

Les transports maritimes concernent bien sûr les matières premières, mais aussi les biens manufacturés transportés sous les modes rouliers ou conteneurisés, et les transports de personnes, que ce soient pour les croisières ou pour des lignes de point-à-point par des ferries. Ce qui fait de la maritimisation une dimension incontournable de la mondialisation, ce sont les proportions considérables : 80% du commerce mondial en valeur et même 90% en volume sont réalisés par voie de mer ! Le trafic maritime mondial est non seulement énorme mais en plus sa tendance est nettement à la hausse avec une croissance moyenne de 7% par an sur les trente dernières années.

Troisième volet de la mondialisation, les échanges immatériels : 98% des échanges intercontinentaux par Internet ou par téléphone passent par câbles sous-marins. Un réseau énorme de fibres optiques, dépassant le million de kilomètres, tapisse le fond des océans, l’équivalent de trois fois la distance de la Terre à la Lune !

Autrement dit, « pas de mondialisation sans la mer » !

 

Géographie maritime

Il y a deux catégories de pays, ceux qui ont un littoral et ceux qui sont enclavés. Les pays maritimes ont tous développé un ou plusieurs ports. Même des pays continentaux quasi-enclavés, comme la Slovénie ou la République Démocratique du Congo, disposent d’un port, et c’est d’ailleurs un critère essentiel qui a conduit à l’établissement de frontières leur laissant un accès maritime.

 

La géographie peut déterminer le format des ports :

- Les ports en eaux profondes, pouvant accueillir des navires à fort tirant-d’eau, essentiellement pour le commerce.

- Des ports plus restreints par l’hydrographie, aux navires à faible tirant-d’eau, très souvent spécialisés (pêche, plaisance…).

 

Autre critère, la finalité d’un port :

  • Point d’accès aux ressources maritimes (halieutiques, hydrocarbures…),
  • Lieu d’échanges de matières et de biens (import – export),
  • Lieu de services de transport de personnes et véhicules (ferries…),
  • Site de loisirs (plaisance, croisières),
  • Site industriel naval,
  • Base militaire.

Toutes ces finalités sont bien distinctes les unes des autres, mais il est fréquent qu’elles soient mêlées.

Dans ces environnements où de nombreuses activités différentes se combinent, chacune ayant ses finalités et priorités propres, ses enjeux de sécurité, la coordination est un défi quotidien.

 

Façades maritimes

Dans les ensembles continentaux, la notion de "façades maritimes" recouvre des zones littorales où existent plusieurs ports, parfois dans des pays différents. Elles sont particulièrement développées dans la Triade : Europe, Amérique du Nord, Asie de l’Est. En particulier, pour ce qui concerne l’Europe, la principale est la façade Nord-Europe, de Hambourg au Havre et articulée autour de son pôle central de Rotterdam. En Amérique du Nord, les façades des côtes Est et Ouest sont complétées par une façade qui pénètre profondément dans le continent, du Saint Laurent aux grands lacs. En Asie de l’Est, les façades sont extrêmement actives et généralement considérées par pays : Chine, Japon, Corée, Malaisie-Singapour.

 

 

Dimension stratégique des ports

Les ports sont tout à fait stratégiques pour les nations.

 

Valeur stratégique

Disposer d’un port c’est avoir un atout considérable dans les rapports entre nations :

  • Moyen d’exporter ses productions
  • Moyen d’importer des produits pour :
  • Bénéficier de ressources naturelles et les injecter dans les circuits économiques
  • Réaliser de la transformation industrielle (raffinage, sidérurgie, plasturgie...)
  • Améliorer le niveau de vie de sa population (denrées, biens de consommation...)
  • Réaliser du commerce international (redistribution)
  • Proposer des services à haute valeur ajoutée (tourisme…)
  • Disposer d’outils militaires à haute valeur stratégique.

 

Zones d’influence

Les ports exercent naturellement une influence sur des zones dont les étendues sont vastes et les caractéristiques complexes vers deux directions : la mer et la terre.

  • En mer, on distingue pour un port ses approches maritimes et son Foreland.
  • À terre, la notion d’Hinterland rend compte de l’influence d’un port.

 

Zone d’influence d’un port en mer

La géographie maritime, en mer, se dessine avec des zones et des routes. Par la définition superposée de zones d’action au large des ports et des routes qui y mènent, on délimite une zone d’influence maritime pour chaque port. Dans cette zone d’influence, qu’on qualifie aussi d’approches maritimes, l’activité est plus ou moins dense, plus ou moins tendue, mais toujours marquée, d’une façon ou d’une autre, par le port. Cette zone d’influence maritime fait donc partie de la "carte d’identité" du port.

Au-delà des approches maritimes intervient la notion de "Foreland" (le pays de l’avant). Le Foreland est l’ensemble des zones, ports et pays du monde avec lesquels un port est relié par des lignes régulières.

Zone d’influence d’un port à terre

Un port est une interface. Naturellement, il exerce une influence dans un espace terrestre bien au-delà de ses limites proches. C’est la notion d’Hinterland (le pays de l’arrière), qui recouvre deux réalités se combinant :

  • Un espace socio-économique d’où proviennent les personnes et les marchandises ayant vocation à rejoindre le port ;
  • Un réseau de communications facilitant ces échanges de personnes ou de biens matériels. Ce réseau de communications peut se constituer par :
  • Des infrastructures routières et autoroutières
  • Des voies ferrées universelles ou dédiées à un type de transport (fret)
  • Des fleuves et canaux
  • Des canalisations (oléoducs, gazoducs) pour les matières fluides.

Une notion importante pour un port est l’intermodalité, c’est-à-dire la capacité à interconnecter de manière efficiente et efficace les différents réseaux de transports. Les grands ports de commerce doivent disposer des quatre types de réseaux pour être attractifs dans la concurrence internationale.

 

La cohérence géo-économique du territoire est également un enjeu pour un port. L’Hinterland n’est pas un espace figé, monolithique ou intemporel. Hormis les cas insulaires simples, les Hinterlands des ports varient en fonction de plusieurs faisceaux de paramètres :

  • La géographie des réseaux de communication ;
  • Les bassins socio-économiques et leurs tropismes dans les échanges et les zones du monde avec lesquelles ils importent ou exportent.
  • Les Forelands considérés car il y a un lien entre Hinterland et Foreland : pour Le Havre, par exemple, l’Hinterland lié aux échanges avec l’Amérique du Nord est plus étendu que celui lié aux échanges avec l’Asie de l’Est.
  • Enfin, la concurrence d’autres ports, et donc leurs Hinterlands respectifs. S’il n’y a pas de véritable "frontière" entre les Hinterlands de deux ports d’un même continent, ceux-ci sont au contact l’un de l’autre voire se recouvrent autour de leur ligne de contact.

 

Vulnérabilités

L’avantage stratégique apporté à une nation par un port peut être vulnérable à toute une série de facteurs, qui peuvent avoir pour effet de le rendre inopérant, parfois durablement. La vulnérabilité des ports peut se caractériser par les aléas naturels, les risques techniques ou sociaux, les menaces d’actions malveillantes ou belliqueuses.

 

Aléas

Ouverts sur le large, les ports peuvent subir les effets des tsunamis ou coups de mer, et faire l’objet de destructions d’infrastructure ou d’avaries des navires. Ces phénomènes sont généralement rares, car précisément tous les ports ont des infrastructures importantes pour protéger les zones d’accès et de chargement/déchargement.

La nature peut également affecter un port par l’importation non contrôlée d’agents pathogènes. Les ports étant des zones d’échange avec des navires qui proviennent parfois de contrées lointaines où sévissent des virus et des insectes-vecteurs, ils peuvent être des foyers de propagation de maladies graves. Les épisodes infectieux récents n’ont pas épargné les ports : SRAS, Zika, Ebola, Chikungunya…

 

Risques

Un port peut également être vulnérable aux risques d’une dégradation technique ou sociale de l’outil de travail qu’il représente.

S’agissant de zones techniques où des matériels très spécialisés sont utilisés pour la manœuvre des navires et la manutention portuaire, tout risque accidentel est susceptible d’avoir de graves conséquences. Que deviendrait Cherbourg si une écluse était bloquée ? Ou Bordeaux si le pont Chaban-Delmas ne pouvait pas se relever ?

Par ailleurs, la dégradation du climat social est un risque important pour un port. Les grandes grèves de Marseille, au début des années 2010, ont eu un impact négatif très important sur le port et sur l’économie d’un bassin socio-économique gigantesque.

De plus, les conséquences de tels événements se font ressentir sur le long terme, tant il est vrai que la concurrence entre les ports est exacerbée et qu’il est beaucoup plus facile et rapide de perdre des places dans le classement du commerce international, que d’en gagner.

 

Menaces

Le port est une cible privilégiée pour quiconque veut nuire aux intérêts d’un État.

Il en va bien évidemment ainsi dans les guerres, et des modes d’action stratégiques ont été utilisés dans tous les conflits :

  • embargo, blocus, ou minage offensif pour empêcher les navires au port de prendre la mer. On se souvient de la façon dont la Royal Navy a bloqué au port la flotte argentine pendant la guerre des Malouines.
  • opérations de destructions d’infrastructures portuaires. On se remémorera l’Opération "Chariot" exécutée en 1942 à Saint Nazaire pour détruire la seule forme de radoub de l’Atlantique pouvant accueillir le Tirpitz.

Et bien évidemment, un port peut être l’objet d’une attaque terroriste, dont les effets pourraient être dévastateurs, surtout sur les pays qui sont dépendants d’un port unique.

 

 

Le port et la ville

Les ports sont des espaces publics ou privés qui font partie d’une ville, en étant dans certains cas la première source d’activité économique de celle-ci. Il est donc intéressant de regarder les relations que peuvent entretenir le port et la ville à laquelle il s’adosse. Je m’appuie sur un exemple particulier : le cas de Marseille-Fos.

 

« Une ville dans la ville » ?

 

En propre, l’entité "Grand Port Maritime de Marseille" ne compte qu’un millier d’actifs, mais au total, dans la zone portuaire, ce sont 46.000 personnes qui y travaillent, sans compter les dizaines de milliers de passagers ! L’administration du port est confiée à un établissement public administratif, mais les différentes activités concrètes réalisées dans la zone portuaire sont l’œuvre d’une cinquantaine d’exploitants privés, chacun disposant d’une amodiation ou autorisation d’occupation temporaire. Pour autant, la zone portuaire n’est pas une ville à proprement parler. D’un point de vue administratif, politique, social, juridique, sécuritaire, le port est un espace placé sous l’autorité des mêmes responsables que la ville : maire, préfet, services publics qu’ils soient étatiques ou municipaux. La police nationale, les pompiers, le SAMU etc. interviennent dans les zones portuaires comme ils le font en ville. Ainsi, les personnes qui travaillent ou passent par le port sont sous la responsabilité, respectivement, de leurs employeurs ou des armateurs des navires à passagers.

La subtilité du cas de Marseille-Fos, qui n’est pas unique, est qu’une même entité portuaire s’étend sur deux villes bien dissociées (Marseille et Fos-sur-Mer), même si elles appartiennent dorénavant à la même Métropole.

 

Fertilisation croisée

Même lorsque la ville ne fonctionne pas seulement autour de son port et dispose d’autres secteurs d’activités importants, l’un et l’autre se fécondent.

Le port, évidemment, génère une activité économique considérable, non seulement pour tous les emplois liés à la manœuvre des navires et à la manutention portuaire, mais aussi pour tous les services qui lui sont nécessaires. En termes d’emplois comme de richesse humaine et économique, le port apporte énormément à la ville qui l’abrite. Cette importance se traduit naturellement par un soutien – et de l’investissement – de la ville pour le développement de son port.

Réciproquement, la ville est le bassin humain naturel d’où proviennent la majorité des travailleurs portuaires.

Mais au-delà, l’attractivité de la ville est la motivation des voyages réalisés par les personnes arrivant par navires et produisant au port une activité importante. Dans le cas de Marseille, c’est bien la cité Phocéenne que les paquebots des compagnies de croisières veulent visiter, en apportant ainsi au port un segment très dynamique dans sa palette.

 

 

Divergence d’intérêts

Pour autant, la ville et le port ont des logiques de fonctionnement, et des intérêts propres, pas toujours convergents.  Le port est, on l’a vu, un espace stratégique qui peut faire l’objet de vulnérabilités, et qui a besoin de rester clos et sécurisé. Cet impératif de sécurisation est d’autant plus renforcé que, depuis les attentats du 11 septembre 2001, l’organisation maritime internationale (OMI) a mis en place un système de sécurité globale nommé ISPS (International Ship and Port facility Security). Dans le cadre ISPS, le port a des engagements de niveaux de sécurité et des responsabilités en la matière qui ne permettent pas d’impasse. La sûreté d’un navire étant contrôlée par le port d’où il part, on voit bien que, si un port veut conserver sa position dans la concurrence internationale, il doit veiller au sérieux dans l’application des mesures de protection et de sûreté du code ISPS.

De l’autre côté, la ville est généralement un espace de vie où l’important est la fluidité dans les relations humaines, qu’elles soient physiques, sociétales ou culturelles, dans un environnement que la collectivité doit préserver. La ville peut légitimement souhaiter que les citoyens puissent accéder facilement au littoral et profiter du bord de mer.

On voit bien que, dans le cas d’un espace portuaire, les impératifs de sûreté et les volontés de fluidité s’opposent. De nouvelles formes de répartition de l’espace public sont parfois à réinventer.

Une solution originale peut consister à organiser la coexistence d’activités aux contraintes opposées, en privilégiant le partage vertical de l’espace. Ainsi, par exemple, le port et la ville de Marseille ont développé des infrastructures innovantes en zone d’interface. Des réalisations grand public, d’intérêt commercial, touristique ou culturel, ont vu le jour dans un partenariat gagnant-gagnant, dans les parties supérieures de hangars et bâtiments d’entreposage, le port n’en conservant l’usage qu’au niveau de la surface.

 

 

L’ouverture du port sur le monde

Aspect structurel

Hormis dans de rares cas, l’espace portuaire est ouvert à la mer et au large, on peut y entrer et en sortir sans franchir de barrière. Cela ne veut pas dire que le port n’a pas de délimitation claire mais celles-ci, sauf exception, n’ont pas de réalité physique. Un navire entrant au port peut circuler sans être entravé. De la même façon, en quittant le port les navires ont un accès direct à l’ensemble des espaces maritimes internationaux, que ce soient les eaux territoriales d’états ou la haute mer.

 

Un espace international

L’ouverture au monde se retrouve naturellement dans les escales de navires immatriculés dans le monde entier. Regarder, dans les ports de commerce, les pavillons et ports d’attaches des navires accostés permet de se sentir connecté au monde entier. Même les ports de plaisance démontrent une grande ouverture à la mondialisation du fait des ports d’immatriculation des navires qui y séjournent. Les navires militaires contribuent aussi à cette dimension d’ouverture au monde, car ils viennent fréquemment en escales dans les ports, militaires ou civils, de pays étrangers.

 

Présence humaine cosmopolite

L’ouverture au monde se voit, dans une ville portuaire, par une présence humaine cosmopolite. Les navires, civils ou militaires, qui font escale dans les ports contribuent à la présence dans les villes portuaires de ressortissants de pays très diversifiés.

Des infrastructures d’accueil dédiées aux marins des équipages de navires de commerce existent dans la plupart des grands ports et sont des lieux d’échanges entre personnes de cultures et de modes de vies différents.

De plus, il est notable que la plupart des villes portuaires sont elles-mêmes jumelées avec d’autres villes portuaires du monde.

Tous ces paramètres sont autant de marques visibles d’une ouverture au monde, parfois vers des régions très éloignées (on rejoint là, d’ailleurs, la notion de Foreland liée au port).

 

Il est donc patent que les ports sont des villes toutes particulières, que les villes portuaires sont différentes des villes de l’intérieur, et que leurs ports les configurent ontologiquement à l’ouverture au monde. Regarder une ville comme ceci, c’est d’une certaine façon procéder à un changement de perspective, ce à quoi nous incite la véritable démarche de géopolitique, et c’est là tout le mérite du festival de Grenoble.

Les agendas 21 dans le monde : utopie ou réalité controversée

Oliver SORIA, Enseignant-chercheur -   KEDGE Bordeaux

 

La ville peut être aussi envisagée comme le théâtre d’une lutte entre pouvoir régalien et pouvoir citadin[1]. Le processus d’émancipation des citadins prend de l’ampleur dès le moyen Age dans toute l’Europe, notamment, en Italie mais aussi dans le sud de la France avec la création des villes franches. Dans le nord, les ghildes ou guildes, associations de marchands, furent « le principal ressort de la révolution communale ». Les villes qui s'émancipèrent se trouvaient en général le long du courant commercial qui allait de la Méditerranée à la mer du Nord par le Rhin et la Flandre. Le mouvement communal ne fut nulle part aussi fort que dans les vallées de l'Oise, de l'Aisne, de la Somme, de la Lys et de l'Escaut, ou se trouvaient les villes les plus actives et les plus riches de toute l'Europe du nord. Aujourd’hui cette revendication à la liberté se manifeste par la mise en place dans les pays occidentaux de loi de décentralisation plus ou moins poussée selon les pays. Cependant il faut attendre  le sommet de la Terre de Rio en 1992 pour voir émerger concrètement un nouveau mouvement prenant en compte effectivement la volonté des citoyens de se réapproprier les lieux de décision par une démocratie directe et participative. Ce seront les Agendas 21.

L’Agenda 21 c’est la façon  transversale et participative  dont ce "programme d'action pour le XXIe siècle" est discuté dans les communes. C’est une véritable révolution des mentalités qui s’opère, notamment sur le contenu de la démocratie et de son vécu au quotidien, mais aussi sur la façon de concevoir le développement économique et social. Créé lors du sommet de la Terre de Rio en 1992 pour mettre sur des rails le développement durable dans ses trois piliers indissociables : l'économique, le social, et la préservation de l'environnement, l'Agenda 21, en donnant la parole aux citoyens, se révèle ni plus ni moins l'occasion de repenser la démocratie. Ces Agendas 21 ne sont que la concrétisation de l’émergence du concept d’éco-urbanisme très bien développé par Jean Haëntjens, Stéphanie Lemoine dans leur livre[2] « Éco-urbanisme, Défis planétaires, solutions urbaines».

Penser mondialement, soit localement serait-il autre chose qu'un slogan ? Les Agendas 21 dans le monde sont très diversifiés. Cela va de la construction d'un éco-quartier en passant par la création de venelle sans voitures, des maisons qui économisent l'énergie, des chauffages solaires et de récupération des eaux de pluie, jusqu’à la construction de logements sociaux certifiés haute performance énergétique. Mais derrière ces réalisations concrètes, existe-t-il des enjeux plus profonds, notamment, des enjeux de pouvoir, puisque nous nous trouvons essentiellement dans des plans d’actions élaborés dans les villes ?

La question est de savoir aussi si les Agendas 21 ont non seulement  modifié les rapports de pouvoir entre population et pouvoirs locaux mais aussi entre population et pouvoir central, voir entre pouvoirs locaux et pouvoir central ? La démarche méthodologique originale que nous présentons est de partir de l’existence ou non d’Agenda 21 pour en déduire la transformation des pouvoirs centraux et locaux par un approfondissement de la  démocratie et non comme nous sommes sensé logiquement procéder par l’étude politique d’un pays pour voir ensuite si la démocratie s’est renforcée. A contrario, l’inexistence des Agendas 21 dans un pays peut être un marqueur par lequel il existe des problèmes de démocratie.

Nous n’allons pas présenter tous les Agendas, il y en a plus de 10 000 dans le monde, mais ceux qui nous ont paru les plus emblématiques des transformations vis-à-vis des pouvoirs entre la ville et les pouvoirs centraux, mais aussi entre la ville et sa population. Même si nous présentons ces agendas en fonction de leur pays, nous pouvons retrouver des similitudes entre des agendas sur des continents différents, c’est le cas par exemple entre la Russie et l’Argentine, car ces deux pays ont connu un effondrement de leur économie qui s’est accompagné d’un affaiblissement du pouvoir central, propice à l’émergence des Agendas 21. Nous verrons que ces Agendas existent  sur tous les continents et que leur différence réside davantage dans la complexité et l’étendue des plans d’action mais aussi dans le degré d’autonomie des populations. En effet, les Agendas sont plus sommaires en Afrique ou en Asie, alors qu’en Europe, ils touchent tous les aspects de la gestion communale.

Après avoir étudié plusieurs Agendas dans des pays différents, nous avons remarqué de nombreuses similitudes, malgré le fait que le contexte politique et social était pourtant différent. Nous avons pu établir un lien entre décentralisation et Agenda 21, mais aussi constater que leur contenu est d’autant plus complexe qu’il varie en fonction de l’étendue des pouvoirs décentralisés et en fonction du temps où des pratiques participative ont été installées. Nous avons pu constater que les mobilisations écologistes occupent un double terrain, celui de l’opposition aux autorités, d’une part, et d’autre part,  de prise en charge des problèmes environnementaux et sociaux par les citoyens eux-mêmes. La ville est un réceptacle tout naturel pour ces mouvements citoyens, dans la mesure où elle concentre à la fois les pollutions et les problèmes sociaux mais elle est par tradition lieu de résistance et de contrepouvoir. C’est donc un bon lieu d’observation du processus de construction d’une  société civile, dans la mesure où elle favorise le passage de l’intérêt privé à l’intérêt collectif, ainsi qu’un aller-retour entre local et global. Mais l’environnement c’est aussi un facteur d’émancipation démocratique et de repolitisation subreptice de la sphère politique traditionnelle. L’exemple Russe est très parlant sur ce point, nous pouvons dire que cette prise de pouvoir par les populations peut venir, certes, des carences de l’Etat national rendant obligatoire la reprise en main des intérêts collectifs par la population, mais ce que montre l’exemple de l’Allemagne et de la Russie c’est qu’il faut aussi une longue tradition d’auto-organisation pour que ce transfert de pouvoir devienne une réalité. En même temps, il est nécessaire qu’au niveau national il existe une réelle décentralisation mais aussi qu’au niveau local, les pouvoirs ne soient pas répressifs laissant ainsi un espace d’autonomie permettant un réel transfert de pouvoir. Dès lors, les mouvements d’appropriation de la gestion politique de la société se font en même temps dans les deux sens, à la fois au niveau global et local.

 

Bibliographie

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  • Rosiere, S., Dictionnaire de l’espace politique, Paris, Armand Colin, 2008
  • Terco Mario L., « ¿Cómo cambiar de una vez por todas el ya agitado (y además confuso) Código de planeamiento Urbano de Buenos Aires » ? ZIRMA, Desarrollos Urbanos y Ambiente sostenible, Revista digital, año 5, número 47, septiembre 2006.
  • Theys Jacques, « Quand inégalités sociales et inégalités écologiques se cumulent » in Développement durable, villes et territoires, innover et décloisonner pour anticiper les ruptures, DRAST-MELT, 2000.
 

[1] RONCAYOLO, M., La ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 1990

[2] Jean Haëntjens, Stéphanie Lemoine, Éco-urbanisme, Défis planétaires, solutions urbaines, éd. écosociété, 2015.

La Crise israélo palestinienne et ses répercussions dans les villes de France

Antoine Spire, Journaliste vice président de la Licra -   Licra 

 

 

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1)La situation du moyen orient

Le moyen orient suscite les passions.

Polémiques à coup d’idées reçues : « Israël et le lobby juif dictent la politique des USA au moyen orient » « Israel est la seule démocratie  au moyen Orient » « Israël pratique l’apartheid » , « Tsahal est l’armée du peuple » « Israel est un état théocratique »

A force de combattre les préjugés ,le débat est devenu impossible

Existent des faits contestés

14 mai 1948  Naissance de l’Etat   décision de l’ONU(29 nov 1947) restauration après 2000ans de disparition.+Etat arabe. Rejet de la résolution par Etats arabes et palestiniens Israel gagne la guerre (26%de territoires supplémentaires par rapport au plan de partage et contrôle de 81% de laPalestine de 1947)Ligne verte (armistice de 1949)Pour les palestiniens c’est la Nakba(la catastrophe) De nov 47 à la fin de 1949 ,plus de 700 000arabes palestiniens sont devenus des réfugiés .Près de 400 villages se retrouvent vidés de leur population arabe et selon l’historien palestinien Naseer Aruri 92% d’entre eux auraient été complètement ou partiellement détruits Tom Seguev détaille ce qu’il appelle le partage du butin :45000logements, 7000 boutiques, 500 ateliers , 1500 entrepots , 200000hectares expropriés  ce qui permit l’installation de nouveaux immigrants juifs :entre 140000 et160 000 purent s’établir dans les foyers abandonnés ,dont 45000à Jaffa, 40000à Haïfa 5000à Akko 8000à Ramlé, 8000à Lydda  D’où la revendication du droit au retour

  Israël Etat comme les autres ? (légitimité de la revendication sioniste ,pas état parfait …..Sens du mot sioniste :mouvement national(Herzl  l’Etat des juifs(1896) Déclaration Balfour 1917 . Pouvoir de Mohamed Amin Al Husseini allié de Hitler,  Etat puis en 1975 une résolution de l’Onu identifie le sionisme à un racisme Texte abrogé en 1991 après négociations directes  Israël-Etats arabes à Madrid  Ibrahim Souss membre du comité exécutif de l’OLP écrit(De la paix en général et des Palestiens en particulier)que le sionisme n’est pas une idéologie raciste

Après la conquête arabe et ottomane , la Sion antique était devenue  « falastin » pour la collectivité arabophone musulmane ou chrétienne Nationalisme arabe encore hésitant  sur la forme de son projet étatique  

aujourd’hui le sionisme a changé de sens  Il est mouvement de solidarité avec l’Etat, Reconnaissance du droit à l’existence de l’Etat

 

5 guerres de 1948 à 1973 (choc pétrolier et guerre du Kippour)et près de 10 opérations militaires d’envergure depuis 1974

2 traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie et le 3eme,la déclaration de principe d’Oslo reste suspendue faute d’une négociation conclusive avec l’OLP Etat de guerre permanent

 

 

2) Ignorances et polémiques

Israël est une conséquence de la Shoah , la Nakba aussi

  • Chez les juifs :La vie contre la mort

Chez les Netourei Karta :La Shoah chatiment divin contre le sionisme et l’infidélité des ashkenazes à la loi(Ovadia Yossef) En fait la Shoah catalyseur de la naissance d’Israël mais de 1933 à 1939, 50000 juifs d’Allemagne arrivent en Palestine  Dans la réalité le vote  solution pour 250000rescapés Les juifs se sentent puissants contre ceux qui n’ont pas accepté le partage de Nov 47

 

  • chez les partisans de la Palestine :

présence juive inacceptable On paie les pots cassés par les nazis :  faux ce fut une guerre suite au partage .Elle fut perdue pas évident  L’appel aux armes a introduit la sanction par la violence dans  l’affrontement judéopalestinien.La violence est un  risque .Panique et incertitude des populations civiles :les palestiniens fuient vers un arrière que n’ont pas les juifs . Les juifs refusent le retour des Palestiniens et agrandissent leur territoire Au terme d’une guerre de 15 mois  la population palestinienne,majoritaire est devenue  minorité en son pays .Les juifs ne prennent pas la mesure de cette catastrophe là  Frustration :après la Shoah Israël est né , après la Nakba l’Etat palestinien attend encore . Les palestiniens ont perdu leur foyer natal mais ont du se réfugier dans les Etats arabes voisins  Des pays frères mais pas le leur 17 septembre 1970 (septembre noir massacre de palestiniens) L’échec de la Conf de Lausanne (avril à septembre 49)pas de traité de paix et exode durable des palestiniens

 

3) Israël dernière puissance coloniale ?

400 000 juifs dans plus de 140 points de peuplement disséminés au delà de lignes de cessez le feu du 4juin 1967. Pour les Palestiniens c’est le cœur de la Palestine .Pour les partisans du grand Israël ce sont la Judée et la Samarie dont ils réclament l’annexion définitive  .Territoires occupés ou libérés ? En Europe  pour des raisons qui ont trait à la  mémoire collective ,le statut privilégié  de la population juive de Cisjordanie est comparé aux discriminations dont pâtissent les Palestiniens

Violence de l’opposition :Colons et colonialisme heurtent les israéliens et nombre de juifs :charge péjorative et infamante  avec une image  déformante associée à l’histoire coloniale Les passés qui ne passent pas renforcent la montée aux extrêmes

En dénonçant l’Etat d’Israël comme colonial ou la cause palestinienne comme terroriste on confère aux moyens  la dignité d’une fin en soi

  1. Le colonialisme n’étant pas de toute éternité, a-t-il commencé à partir de la guerre des six jours ?Ou avant ?

     
  2.  le sionisme n’est pas un colonialisme si on reconnaît au peuple juif le droit de disposer d’un Etat et d’une terre .

     
  3.  un imaginaire colonial a pu nourrir  l’argumentaire de Théodore Herzl, mais ne faut il pas distiguer colonisation avec l’achat de terres, de colonialisme comme idéologie  dont le sionisme est indemne . Le sionisme est d’abord un mouvement de libération nationale désireux de créer un foyer national pour rassembler la population juive dispersée, peuple paria sinon prolétaire . Les israéliens ne sont les pieds noirs de personne

     
  4. un peuple  ne peut être dit colonisateur  lorsqu’en fouillant le sol dont il est censé être l’occupant  surgissent des traces de son antique présence

     
  5. le terme renvoie à l’Algérie française dont il a fallu finir .Finir avec les conquêtes de 67 ou avec Israël comme réalité politique et humaine ?

     
  6. mais le sionisme a remplacé des autochtones par des émigrés  venus d’Europe et du reste du monde . Comme cela date de 67 ne faut il pas remplacer colonialisme par conquête ?

Cette lecture modérée du processus guerrier d’expansion impossible pour beaucoup  du fait

  • De l’antijudaïsme chrétien
  • De l’antisémitisme classique(fin XIX eme )
  • De l’antisionisme

 

4) Israël pratique t –il l’apartheid ? Piège manichéen

L’apartheid a duré 46 ans en Afrique du sud

  1. séparation systématisée entre noirs et blancs ? Comparaison impossible  Coexistence entre les communautés en Israël

  2. Les arabes sont électeurs, ont liberté d’expression et d’association . L’un des juges(15) de la Cour suprême est arabe

  3.  contrôle plus dur dans aéroports pour arabes. Il existe des inégalités structurelles

     
  4. Routes distinctes pour les uns et les autres en Cisjordanie :objectif :éviter les attentats mais atteinte à la liberté de mouvement des palestiniens comme pour le mur

     
  5. A la différence de l’Afrique du Sud , ces mesures ségrégatives graves ne sont affaire  ni de conviction , ni d’idéologie. Même problèmes  à Chypre, au Kosovo au Sri Lanka

    Les palestiniens guère mieux traités dans les pays arabes où ils se sont réfugiés depuis 1948

     
  6. bantoustans palestiniens en Cisjordanie ?Non la population arabe désigne son président et ses députés ou l’autorité palestinienne est elle un gouvernement de bantoustan . Présenter les choses de cette façon c’est attiser les passions. Situation anti démocratique et anti libertaire ! dans la passion identificatrice se glisse la résurrection d’une haine antisémite multiséculaire revêtue de nouveaux habits. Pas de racisme d’Etat acté dans la loi .

 

 

5) Le boycott BDS : Boycott,Désinvestissement Sanction



On lit dans les textes de cette asso : »Notre réponse à l’apartheid, la colonisation,et l’occupation israélienne ; boycott économique,syndical, institutionnel,universitaire , culturel et sportif  

Au départ ce fut boycott des produits venus des territoires occupés depuis 67, avant d’être étendu à tous les produits israéliens  puis aux échanges culturels et sportifs avec Israël et enfin aux produits casher en général  . Ce boycott des personnes touche évidemment  le foyer de la société israélienne qui est le plus enclin à critiquer la politique du gouvernement

Pas une manifestation, fût-elle gastronomique, comme celle impliquant des chefs cuisiniers de divers pays invités pour un cook-in du 6 au 26 novembre 2016 à Tel-Aviv, qui ne soit aux yeux de BDS automatiquement disqualifiée, renommée « Tables rondes de l’apartheid », « offensive gastro-diplomatique » au motif notamment que du vin produit sur le plateau du Golan – un « haut-lieu de l’occupation israélienne » au détriment de la Syrie y serait servi…

La virulence de BDS envers tout événement impliquant des citoyens israéliens, fussent-ils de gauche et engagés dans les processus de paix est pour le moins préoccupante. Ainsi en est-il des chercheurs et des universités au motif du fait que « nombre d’entre elles ont des liens très forts avec le pouvoir militaire. C’est là, quand on lit la littérature qui fait le fond du site de BDS France qu’on est saisi par la radicalité de leur condamnation sans aucune nuance : tout ce qui est israélien est suspect par définition de connivence et de complicité avec le gouvernement toujours qualifié de « colonial » et «de pratiquant l’apartheid » donc par définition « raciste » .

Comment concilier une action qui s’annonce non-violente, non-discriminatoire avec cet acharnement anti-israélien que l’on retrouve à toutes les pages de ce site ? A plusieurs reprises, des plaintes ont été formulées contre BDS . La Licra, SOS-Racisme, la LDH et le MRAP se sont même  retrouvées côte-à-côte pour dénoncer ce qui n’est pas de l’action non-violente et du simple boycott mais bel et bien une tentative de faire de l’Etat d’Israël le seul agresseur de tout le Moyen-Orient. Le seul Etat d’Israël est dénoncé comme Etat raciste, colonial, non-démocratique. Les militants de BDS feignent de croire que cet antisionisme radical ne relève pas de l’antisémitisme. Difficile à entendre ! Quel pouvoir en effet ce tout petit pays et ce tout petit peuple n’a-t-il pas sur le reste de la planète et sur tous les peuples pour avoir une telle influence et attirer ainsi une telle haine  ?

Cette volonté délibérée de faire passer l’Etat d’Israël pour un Etat pratiquant l’apartheid pose non seulement la question de la légitimité du combat du BDS, mais aussi celle de son efficacité. Si on appliquait l’appel au boycott culturel promu par BDS, on se serait privé de la possibilité de voir le film d’Amos Gitaï – Le dernier jour d’Yitzhak Rabin – et de discuter avec son auteur, pourtant violemment opposé à la politique menée par M. Benyamin Netanyahou.

 

6) La mécanique immuable de la violence Transposé chez nous, le conflit se traduit par la violence de quartiers entiers contre « les juifs » confondus avec Israël

Tout commence par des mots. On ne le dira jamais assez. Chaque passage à l’acte est préparé par des criminels de papier qui portent la responsabilité morale de la violence.

Au premier mot, au premier mensonge, à la première excuse, la réponse doit jaillir, ferme et implacable, pour enrayer la mécanique immuable de la violence et redonner aux Hommes la conscience de leur humanité. 

Après les affaires Merah, Kouachi, Coulibaly, on a vu ressurgir la culture de l’excuse qui tente d’imputer le passage à l’acte terroriste à une adolescence éreintée par une banlieue invivable, une intégration rendue impossible par la ghettoïsation. Quand ce n’est pas la situation des Palestiniens. Peu à peu, les circonstances atténuantes deviennent des indulgences qui permettent de conscientiser le « racisme d’Etat », « l’islamophobie » et la domination coloniale. Voici les bourreaux retournés en victimes. Mais à force de cultiver les excuses, on récolte des bombes humaines délestées de leur conscience et qu’absolument plus rien ne retient de passer à l’acte.

En même temps cette prise de parti est une prise de conscience identitaire pour de nombreux jeunes des quartiers à qui on fait croire que l’israélien et bientôt le juif est celui qui les empeche d’accéder à la pleine citoyenneté  De la confusion entre juif et israélien  Israël seul lieu de conflit dont l’impact est si puissant en France

Une atmosphère antiisraélienne fortement répandue dans certains quartiers qui au nom de l’antisionisme manifestent un antisémitisme préoccupant . A la faveur du conflit israélopalestinien l’antisémitisme  s’est à nouveau largement déployé  sous la dénomination de l’antisionisme .Bernanos avait pourtant  affirmé en 1944 « Antisémite : ce mot me fait de plus en plus horreur. Hitler l'a déshonoré à jamais. Tous les mots, d'ailleurs, qui commencent par “anti” sont malfaisants et stupides »

Il faut reconnaitree que sous cette dénomination qui renvoie au sionisme ce sont bien les juifs et les juifs partout qui sont visés Et l’antisionisme n’est en profondeur que l’expression contemporaine  de l’antisémitisme c’est à dire de la haine des juifs

D’où les attentats atroces qui surviennent dans tous les pays occidentaux et particulièrement en France où l’amalgame « juif egale sioniste »nourrit la haine antisémite qu’exploitent les leaders djihadistes aujourd’hui pour recruter,, pour former de jeunes musulmans égarés par cette propagande pour les amener à l’action terroriste. Et cette action frappe aveuglément les populations civiles des grandes villes d’Occident mais surtout et de façon privilégiée les juifs. Il suffit à cet égard , de prendre la liste des victimes des crimes commis depuis un certain nombre d’années

Comment oublier cet homme poursuivant dans un lycée juif  des enfants juifs et empoignant par les cheveux une petite fille qui s’enfuit avant de l’abattre à bout portant ? Qu’est ce que ce crime sinon la réplique du geste des SS ? Des einsatzgruppen lâchés dans les ghettos d’Europe orientale ? Les français juifs  qui représentent moins de 1% de la population continuent de subir une part importante des agressions physiques racistes(49% du total en 2015 selon le ministère de l’intérieur) Dans certains quartiers où une minorité d’islamistes fascinés par Merah tente d’imposer son intolérance au plus grand nombre , la fréquence des actes et des menaces  est telle que certains décident de partir  pour Israël, mais aussi et de plus en plus vers des communes voisines .Des familles quittent l’école publique pour des écoles confessionnelles juives ou même chrétiennes . 60 000des 350000juifs d’Ile de France ont déménagé depuis 10ans . Des villes de la Seine Saint Denis ,jadis très fréquentées par les familles juives se sont petit à petit vidées au profit des XIIeme, XVIeme et XVIIeme  arrondissement de Paris  mais aussi de Saint Mandé, Vincennes,Boulogne ,Neuilly . Dans le 93 on peine dans certaines synagogues à atteindre le minian

JOUR DE COLÈRE le 26 janvier 2014 - Soixante-neuf ans presque jour pour jour après la libération du camp d'Auschwitz, presque 80 ans après le 6 février 1934 qui avait vu défiler les ligues extrémistes contre la République, certaines images interpellent par leur violence.Référence explicite est faite au conflit du Moyen Orient. « Juifs la France n’est pas à toi » Leurs slogans sont sans équivoque : « Juif, la France n’est pas à toi », « Europe pédo-criminelle sioniste satanique », « Hollande ou le Crif, qui dirige qui ? », « Les sionistes ne sont pas des nazis. Ils sont pires que les nazis ! »Le 20 juillet 2014, en marge d’une manifestation _ interdite _ en faveur de Gaza, 200 casseurs ont ravagé le quartier juif  de Sarcelles. Retour sur des violences antisémites, qui, sur le fond, remettent en cause la politique communautariste pratiquée par la mairie. Les liens se sont distendus. Juifs et musulmans _ aussi nombreux qu’eux _  coexistent.  Au mieux ! Certes, leurs  rapports sont loin d’en être  au stade haineux des exactions du 20 juillet 2014 où après avoir saccagé  les Flanades, les casseurs s’en sont pris à la synagogue de l’avenue Paul-Valery.  Mais,  aujourd’hui, au sein de la communauté musulmane, l’indifférence vis-à-vis des juifs prédomine.  La méfiance face à une communauté sépharade puissante, influente  et  très organisée, voire la jalousie travaillent aussi  la pâte.

 Qu'y a-t-il de commun entre la manifestation "jour de colère" de l'extrême droite de janvier 2014 et certaines manifestations pro-palestiniennes de l'extrême gauche du mois de juillet ? Les cris de "mort aux  juifs". Le "rapport sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme » rédigé en 2004 par Jean Christophe Rufin notait l'augmentation de la responsabilité "d'une frange de la jeunesse issue de l'immigration" dans les violences antisémites. Dix ans plus tard, une étude de la Fondation pour l'Innovation Politique (FONDAPOL) confirme que les préjugés antisémites sont plus marqués chez les sympathisant FN ... et les musulmans. Foin de généralisation, mais il serait absurde et irresponsable de ne pas voir la réalité du mal et de ne pas le combattre avec la même détermination, quels qu'en soient les auteurs. L'antisémitisme n'est pas plus acceptable et pas moins dangereux quand il est le fait de ceux qui sont eux-mêmes victimes de racisme. Cela peut contribuer à expliquer le phénomène, pas à le justifier.

 

7) Internet le lieu géométrique de la haine

Peur de la condamnation oblige, c’est sur Internet, qu’on les rencontre. Ils s’y déversent, mélange de haine, d’ignorance crasse et de bêtise. Occulte, Internaute prolifique prévient : « L’impunité sur Internet tient à l’anonymat. Notre dernier refuge. Internet est paradoxalement une société secrète où tout le monde peut savoir ce qui s’y chuchote, en toute liberté. » le fiel se distille. Pascal : « Aux Juifs désireux de posséder une terre bien à eux, je peux vous aider. J’ai ma cabane au fond du jardin où j’ai remis un rouleau de PQ que j’offre bien sûr ». Le ton est donné. Pierre : « Un Juif sioniste, c’est un élément d’Israël de Sion, c’est un enfant de la lumière qui atteste qu’il existe bien un jihadisme juif qui usurpe Sion et égare les Musulmans tout en criminalisant les Occidentaux ». Délires ineptes qui envahissent la toile. Pascal à Pierre : « Le mondialisme destructeur c’est Israël. Les privilèges des sionistes. » Idriss s’invite. « J’ai personnellement plus de facilités à parler avec un juif sioniste qu’avec un non juif sioniste. Parce que j’ai plus de considération pour le patriotisme que pour la traîtrise. Sans nos traîtres, pas de sionisme. » comprenne qui pourra. Le modérateur intervient mollement : « Laissons la caricature à nos ennemis. » Un anonyme pourtant radié du site sur le thème du « on nous ment » : « Les médias aux ordres du Crif, de la LICRA, de l’UEJF… racontent n’importe quoi. Le Figaro appartient à Dassault. Il y a dans ce journal des dizaines de « sayanim » (agents dormants au service d’Israël) qui brouillent toute thématique. Je revendique mon antisémitisme sans sourciller ! » Pamfli revient d’une manifestation pro palestinienne : « Bedos, Krivine, Besancenot et les autres trotskistes, les indigènes indigents, le front de gauche et autres progressistes hystériques sont en représentation théâtrale : dès que Valls ou Hollande, aux ordres du Crif, de BHL et de Finkielkraut siffleront la fin de la récréation, ce petit monde de cyniques, de pseudo antiracistes, très actifs dans l’islamophobie, rentrera directement dans le rang après avoir détourné cette colère plus que légitime. » Et Mohammed d’ajouter : « Israël, c’est un pacte entre un démon et le diable, une convergence d’intérêt entre les élites juives pharisiennes et bancaires et les élites impérialistes anglo-saxonnes. »  Laurent enfonce le clou : « Vous avez été cachés et sauvés une fois déjà. Il n’y aura pas de seconde chance. »

Des propos aux kilomètres mal écrits et aux effets douteux. « Israël » devient « IsraHELL » ou « iSSraël ». Que dire des membres de « Gaza Firm » ou du « collectif Cheikh Yacine » qui apparaissent à visage découverts et qui disent n’avoir qu’une raison de vivre, la cause palestinienne ? Ces jeunes aux origines diverses n’hésitent pas à se montrer vêtus de T-Shirts estampillés « Goy », « non juif », « Gaza Firm » ayant été rebaptisé par A. Soral, « Ligue de Défense Goy ». D’autres arborent des signes « Anti-SS » pour « Anti-Suceurs de Sionistes ». Ils viennent de la « K-soce Team » et des « Microbes », groupes d’ultras du Parc des Princes. Politiquement perdus, ils parlent indifféremment de « Juifs », de « sionistes » et d’Israéliens ». Chez « Cheikh Yassine », Mêmes sons de cloches : « Au point où en sont les Palestiniens, il ne faut pas avoir d’état d’âme. Il faut soutenir toute initiative et ce, quelle que soit l’idéologie qu’elle véhicule. » Dirigé par un islamiste radical, le collectif s’affiche ouvertement antisémite. Les modérateurs sensés veiller, certainement abrutis par le ronronnement de la haine, semblent s’être définitivement endormis.

 

8) Les effets sur les juifs (Pas communauté )

  • Communautarisation  Les enfants renvoyés vers l’école privée s’enferment plus facilement dans ghettos
  • Alignement inconditionnel sur la politique du gouvernement israélien
  • Droitisation et mobilisation religieuse croissante
  • Utilisation de la bombe stigmatisante antisémite

Le 10 octobre 2015, invité à débattre avec le politologue, Patrick Weil, dans l’émission d’Alain Finkielkraut, Répliques, l’historien Georges Bensoussan avait tenu des propos qui font aujourd’hui l’objet de poursuites. Il avait cité de mémoire un sociologue, Smaïn Laacher, pour étayer son propos : « aujourd'hui nous sommes en présence d'un autre peuple qui se constitue au sein de la nation française, qui fait régresser un certain nombre de valeurs démocratiques qui nous ont portés. (...). Il n'y aura pas d'intégration tant qu'on ne se sera pas débarrassé de cet antisémitisme atavique qui est tu, comme un secret. Il se trouve qu’un sociologue algérien, Smaïn Laacher, d’un très grand courage, vient de dire dans le film qui passera sur France 3 : « C’est une honte que de maintenir ce tabou, à savoir que dans les familles arabes, en France, et tout le monde le sait mais personne ne veut le dire, l’antisémitisme, on le tète avec le lait de la mère. » ».Dés que ces propos furent tenus, à l’antenne Patrick Weil et Alain Finkielkraut ,lui même, réagirent fermement. Professeur de sociologie à l’université de Strasbourg, Smaïn Laacher* a récusé cette façon de le citer qu’il a jugé fallacieuse ;il a demandé prestement un droit de réponse, qu’il a obtenu ;Il a finalement retiré sa plainte et n’a pas donné suite.  Le CSA s’est saisi de la question en s’inquiétant auprès de radio France d’une telle assertion.La justice s’est emparé de ce litige et la Procureure de la République a décidé de porter l’affaire devant le tribunal correctionnel. Le CCIF, le MRAP, SOS Racisme et la LDH se  sont alors portées parties civiles.

La manipulation du thème du « Grand Remplacement » est aujourd’hui devenue le mantra de l’extrême-droite identitaire et le mécanisme de généralisation contre un groupe, ethnique ou religieux, est le carburant de ceux qui défendent le racisme. Dire que dans « les familles arabes », on tète l’antisémitisme « avec le lait de la mère », c’est produire, en plus du mensonge, de l’exclusion et du rejet. Non, il n’existe pas « d’antisémites de naissance ».

Dénoncer et combattre l’enracinement de la haine des Juifs dans le monde arabe n’est évidemment pas un tabou. Mais pour mener à bien ce combat, rien ne serait pire que de nous transformer en fauteurs d’injustice en assignant tous les arabes à une identité fondée sur l’antisémitisme. Le faire, ce serait manquer gravement à la vérité et donner du crédit à une extrême-droite qui a fait de l’essentialisation une marque déposée La seule question qui était posée au Tribunal était de savoir si Georges Bensoussan avait « franchi la ligne jaune » en tenant les propos globalisant qui lui valaient sa citation à comparaître. L’avocate de la Licra n’a évidemment pas manqué de faire observer que le CCIF avait dévoilé son vrai visage, celui d’une association baignant dans le déni effroyable de l’antisémitisme, à l’instar de cette sociologue, qu’il a fait citer à la barre, et qui a expliqué que la haine des juifs qui sévit dans certains quartiers relevait du simple « ressentiment. »

Nous savons mieux que quiconque, les dangers du fléau de l’antisémitisme qui ne gangrène pas seulement les banlieues. Nos militants qui interviennent chaque jour devant des élèves en savent quelque chose. Les pouvoirs publics ont trop longtemps sous-estimé ce phénomène qui sert de terreau à la radicalisation et à l’islam politique. Mais ramener « toutes les familles arabes » à cette réalité est aussi injuste que mensonger et conduit à aggraver les tensions et les divisions de notre pays en faisant le lit de collectifs victimaires et communautaristes hostiles à nos valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce n’est pas ainsi que la République retrouvera les territoires qu’elle a malheureusement perdus depuis longtemps.

 

 

 

 

 

 

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SINGAPOUR

Modèle (presque) parfait de la cité-état moderne

Jean-François SUSBIELLE
Enseignant -   GEM 

 

 

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L’internationalisation des territoires et de ses acteurs : le cas de Grenoble

Gabriel VOISIN-FRADIN
Chargé coopération éco. internationale -   Grenoble-Alpes Métropole 

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La mondialisation économique mais également des phénomènes sociétaux, environnementaux ou sécuritaires se traduisent tous les jours au niveau local sous diverses formes plus pou moins souhaitables, appelant les acteurs privés et public à prendre en compte l’environnement mondial dans la définition de leurs actions et réactions.

Par ailleurs la réforme territoriale accompagne la métropolisation et vise à positionner sur la scène institutionnelle, économique et internationale les Métropoles bien au dela des actions de coopération décentralisée traditionnellement portées par les collectivités ; de même les réformes universitaires successives ont visé à positionner l’organisation universitaire dans un milieu concurrentiel globalisé, appelant ces dernières à faire de l’international un axe majeur de développement.

L’intervention de Elisa Glangeaud, directrice des relations Internationales de la COMUE Université Grenoble Alpes et Gabriel Voisin-Fradin, chargé de coopération économique internationale à Grenoble-Alpes Métropole, visait à présenter l’état de l’internationalisation du territoire grenoblois et de ses acteurs, et à montrer les points de convergences entre actions universitaires et métropolitaines.

L’étude qui a servi de base à l’intervention a regroupé des acteurs d’horizons divers, de la solidarité internationale à la promotion économique et à l’export, en passant par le tourisme ou la mobilité étudiante. C’est ainsi une intervention en trois temps qui a été proposée, afin de couvrir les aspects les plus divers de l’internationalisation territoriale :

  • Société (démographie, culture, associatif)
  • Attractivité (économie, enseignement supérieur et recherche)
  • Institutions (partenariats, jumelages,  réseaux)

Ainsi la mondialisation est aujourd’hui un phénomène global, qui impacte directement les territoires. Sur le territoire grenoblois l’internationalisation est transverse et s’observe effectivement des les domaines de la démographie (immigration), la culture, la vie associative, l’économie, l’enseignement supérieur, ou la recherche, appelant les institutions à prolonger leur action dans ce champ.

 

I Un fort brassage de populations et de culture

Au niveau sociétale, le territoire grenoblois est tout d’abord marqué par une immigration ancienne relativement importante, principalement d’origine italienne, maghrébine et ibérique, avec des particularités dans certaines tranches d’âge (russes, chinois et anglo-saxonne, en raison de la présence de nombreux familles de scientifiques expatriés) ainsi qu’en terme d’activité (plutôt scientifique), de chômage (plus marqué, notamment dans les quartiers prioritaires) et d’âges (plus âgée).

C’est également la multiplicité des dispositifs d’enseignement des langues étrangères, des équipements culturels (dont la bibliothèque internationale) et du français langue étrangère (avec l’un des premiers centres universitaires dédiés), mais également des niches de spécialités culturelles à rayonnement international, qui caractérisent la société grenobloise.

C’est aussi un tissu associatif foisonnant à l’international (plus de 200 associations), en écho aux communautés de migrants, aux intérêts de chacun ou à l’engament militants historique sur ce territoire (accueil de réfugiés, …).

 

II Economie, université, recherche à l’heure du monde

Le rayonnement international de Grenoble est d’abord celui de l’innovation et la montagne, depuis l’exposition universelle de 1925 sur la houille blanche aux Jeux Olympiques de 1968, qui se retrouve aujourd’hui dans l’excellence scientifique et les grands traits de l’industrie locale.

Grenoble se trouve ainsi classé 5ème ville la plus innovante au monde (Forbes, 2014) tandis que les universités grenobloises se classent parmi les 100 premières du classement  Shanghai 2016 dans les sciences environnemental, des matériaux, et 200 dans l’électricité, l’électronique et l’ingénierie  chimique, et bénéficie de la présence de Grands instruments internationaux de recherche (ESRF, ILL, EMBL…)

De même l’université constitue un pôle d’enseignement supérieur d’envergure internationale, avec notamment de très nombreux partenariats internationaux, 8000 étudiants étrangers avec plus de 180 nationalités présentes sur le campus, une équipe dédiée à  l’accueil international, et un axe fort du projet constitutif de l’IDEX.

Enfin sur le plan économique, le territoire grenoblois se caractérise par une importante présence des capitaux étrangers dans l’industrie, notamment américains et allemands, mais également britanniques, des exportations conséquentes, principalement avec les pays voisins, et un tourisme saisonnier, européen et américains, distinct entre les conventions d’affaires (urbaines) et le tourisme des sports d’hiver et de montagne.

 

III –Villes et universités, acteurs mondiaux

Un troisième temps d’intervention visait à présenter en miroir l’actions des villes et universités à l’internationales, bien distinctes mais souvent convergentes, dans le cadre d’un positionnement d’acteurs bien complexe.

Ainsi la métropole porte ou accompagne une politique de promotion économique et de marketing territoriale qui se doit de s’appuyer sur les acteurs de son territoire, en collaboration étroite avec l’université, pour délivrer un message cohérent et efficace à l’international, dans l’objectif d’attirer des investisseurs, visiteurs, chercheurs, étudiants, … Ce champs d’action s’appuie sur des partenaires tels que les pôles de compétitivité ou les agences de l’Etat, CampusFrance, AtoutsFrance, BusinessFrance. A l’identique l’université représente le territoire lors de ses contacts échanges et partenariats à l’étranger, ou de salons universitaires.

Parallèlement a été tentée une synthèse des différents partenaires territoriaux des 49 communes membres et du département, en écho aux partenariats stratégiques constitutifs de la candidature universitaire IDEX. Coté territorial, les pays voisins (Italie, allemegne) ressortent le plus souvent, ainsi que les pays d’origine des migrants, quelques zones restant très peu couvertes, telle l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine ou l’Asie notamment du sud (Inde) la stratégie universitaire est plus étendue, avec des points de similaire autour de certains pays (voisins, francophones).

Enfin l’action internationale des villes et des universités prend aussi la forme de participation dans le cadre de réseaux. Pour la métropole, c’est la participation à des réseauxs thématiques, tel l’AFFRE, Cités Unies France, Eurocities, ou Maires pour la Paix, mais également Energicité, qui permettent l’échange d’expérience sur des thématiques particulières, ou des actions de lobby (notamment européen). Pour l’université, on retiendra les réseaux CLUSTER, AURORA, ou RESCIF, facilitant les échanges et la coopération scientifique, ou encore la participation aux réseaux d’acteurs type « frenchtec in the alps » ou KIC-EIT sur des approches spécifiques

 

ECHANGES

Les échanges ont notamment porté sur les politiques publiques dans le domaine international, l’organisation institutionnelle territoriale, mais aussi sur certaines questions d’actualités telle que la réponse apportée à la crise des refugiés.

Géopolitique de Tel Aviv



​Frédéric Encel, maître de conférences à Sciences Po Paris







 

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Inaugurer un festival est toujours un exercice particulier. Devant la forte affluence de l’auditorium, enthousiasmée à l’approche de l’ouverture des hostilités, le conférencier se voit confier la délicate tache de donner le « la » des échanges futurs. A ce titre le choix de Frédéric Encel apparait comme une décision de raison, tant sa capacité à emporter l’auditoire est connue. Sans faire mentir sa réputation, Frédéric Encel a donc assuré une présentation de 40 minutes très dynamique et agréable sur la géopolitique de Tel Aviv et l’intérêt géopolitique qu’elle présente.

I, Les origines

Les origines de Tel Aviv (littéralement « colline du printemps ») sont extrêmement bien datées : la fondation remonte à 1909 (2ème jour de Pessa’h). Les ambitions sionistes de Hertzl d’un « foyer national » juif président à la fondation de la ville. Bâtie sur les bords de la mer ex nihilo, Tel Aviv est littéralement la 1ère ville sioniste.

Tel Aviv se pense dès le départ comme l’antithèse de Jérusalem. Les sionistes sont très clairement laïcs voire anti-cléricaux, rejetant la pratique religieuse. Hertzl gardera de son voyage en terre palestinienne en 1898 une très mauvaise image : hygiène déplorable, épidémies, pratiques religieuses qui tiennent pour lui de la superstition etc. Tel Aviv est donc pensée comme l’antithèse de Jérusalem et comme lieu central d’un futur Etat-Nation, sur le modèle européen.

Techniquement, les dizaines de familles qui ont participé à l’achat des dunes de Tel Aviv au nord de Jaffa tirent au sort les lots qu’ils habiteront. De même surface, ces lots sont ordonnées de manière géométrique et des espaces réservées aux structures publiques (comme les réserves d’eau) sont préservés. A quelques km seulement, à Jaffa, la population arabe perçoit cette arrivée comme un greffon européen, qui se distingue en tout des traditions locales (occupation des sols, architectures etc.). A ce titre Tel Aviv n’est pas Jaffa et se construit même en opposition à elle. Jaffa est alors une petite ville maritime qui commerce avec les terres arabes voisines. C’est alors un des seuls accès aux terres palestiniennes. Doutant du bon accueil des populations locales, les dirigeants sionistes prévoient de bâtir un second port juif à proximité de Jaffa, Tel Aviv, pour s’assurer un approvisionnement et un moyen efficace d’assurer le rapatriement de tous les juifs du monde. Il faut donc pas ignorer que la cité est pensée aussi pour s’assurer une indépendance vis à vis des arabes.

 

 

 

La centralité de Tel Aviv, effective jusque dans les années 1970, s’explique de plusieurs manières.

  • Tout d’abord Tel Aviv prend une place centrale dans le proto-Etat qui se développe dans les années 1920. En effet, les 4 premières vagues d’immigration (avant 1918) juives sont composées d’individus aspirant à retourner à la terre et à tirer leurs subsistances de k’agriculture, en rupture nette et franche avec les ancêtres européens. C’est la génération des premiers kibboutz, de David ben Gourion et Golda Meir. La 5ème vague migratoire, venant de Pologne puis d’Allemagne et d’Autriche, souhaite être au contraire s’implanter en ville, c’est à fire à Tel Aviv.

  • Cette centralité va encore s’accentuer avec les premières rixes entre sionistes et arabes. Les populations juives sont durement frappées dans les zones reculées de la région (montagne, petits villages) mais aussi à Jérusalem, où la présence israélite est récente et très minoritaire numériquement.

  • Durant la guerre de 1947 Tel Aviv se retrouve éloignée du front. Les généraux, les ministres et la population se replient et se concentrent alors sur le littoral. Il n’est donc pas étonnant que la création de l’Etat d’Israel soit proclamée depuis Tel Aviv en 1948

  • Après la guerre, dans les années 1950-1960, Tel Aviv devient un lieu de villégiature prisé des populations israéliennes, travaillant à Jérusalem l’orthodoxe et gagnant, le week end arrivé, les côtes pour profiter des plages et des lieux de divertissement, très rares alors enIsraël. La population passe le week end sur la place de Tel Aviv pour décompresser de la semaine. Cette primauté sociale perdurera jusque dans les années 1970.

II, Le déclin :

Néanmoins cette centralité demeure faible et va disparaitre. Pour plusieurs raisons :

  • Sur le plan technique, scientifique et industriel Haifa va prendre le pas sur Tel Aviv. Cela peut paraitre étonnant étant donné les ambitions sionistes pour cette ville. Mais le rôle ancien que Haifa tenait sous la domination anglaise ne fut pas rattrapé par la ville nouvelle. La ville demeure toujours aujourd’hui le poumon économique du pays.

  • Sur le plan politique et institutionnel Tel Aviv est largement surpassé par Jérusalem dès le début. Jamais Tel Aviv n’a compté plus que le Ministère de la Défense (pour une raison évidente, c’est la ville la plus éloignée de la ligne verte de 1967). Toutes les institutions se trouvent depuis 1949 à Jérusalem. c’est la volonté originelle de Ben Gourion. Pas pour des raisons religieuses (certains des compagnons de ben Gourion sont athées) ; mais Jérusalem est LA ville de la religion nationale. Jérusalem offre la légitimité des siècles pour l’Etat encore largement contesté.

Conclusion :

Il y a en Israël une vraie polarisation, qui remonte au moins aux années 1990 : ultra-orthodoxes/laïcs. Elle se retrouve à la Knesset et sur le plan géographique : les uns supportent de moins en moins de vivre avec les autres. Ainsi Jérusalem est devenu un foyer orthodoxe, alors que Tel Aviv est désormais peuplée par des migrants internes fuyant la pression orthodoxe de Jérusalem et non pas les européens faisant leur alya.

Tel Aviv est donc devenu la vitrine géopolitique de l’Etat d’Israël. Quand le pays se fait tancer par les autres Etats pour sa politique, le pouvoir ressort le cas de Tel Aviv, véritable vitrine culturelle.

L’engagement et l’énergie que Frédéric Encel met dans ses interventions a su emporter l’assistance une fois de plus. Si l’on peut regretter néanmoins l’absence de cartes permettant aux spectateurs de localiser les lieux en question et percevoir les enjeux qu’ils portent cette conférence ouvre d’une très bonne manière les échanges qui vont nous occuper les 4 jours durants.

Par Geoffrey Maréchal



Le compte-rendu de cette conférence est gracieusement offert par Les Clionautes

www.clionautes.org

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L’expérience grenobloise du pouvoir en démocratie participative



Jean-Marc Huissoud, Directeur du CEGG, Enseignant - Chercheur Grenoble Ecole de Management

François Bonnaz, Doctorant en science politique Laboratoire PACTE

 

 

Première conférence du Festival de Géopolitique hors les murs. Pour la deuxième année consécutive les Clionautes organisent, dans le cadre du partenariat avec le GEM, une rencontre au café des arts autour des questions de pouvoir en démocratie participative. C’est donc autour d’un Perrier (ou d’une bière selon les personnes), que nous nous attablons pour écouter les interventions du chercheur François Bonnaz et de Jean-Michel Crosnier, camarade clionaute initiateur de la rencontre.

Jean-Michel est le premier à prendre la parole, pour nous apporter un regard de praticiens d’histoire et de géographie sur la question. Nous nous permettons ici de reprendre le verbatim de son intervention introductive.

« Je me propose en tant qu’enseignant d’histoire-géographie à Grenoble et membre du Comité Editorial des Clionautes de vous faire part de 3 éclairages (quand je parle de Grenoble, il s’agit ici pour des raisons de commodité de l’aire urbaine au sens de l’Insee ; sinon je précise en disant "ville") :

1 - Quelle échelle de territoire serait la plus adéquate pour l’exercice de la démocratie représentative grenobloise ?

"Le sous-titre de votre conférence "la ville sur le terrain de la métropole" m’évoque au premier abord un rapport de force imposé par la ville - c’est à dire la municipalité ou la représentation politique la plus forte après celle de Président de la République - à la métropole dont les contours spatiaux et les compétences politiques restent flous au citoyen de base. Pourtant il me semble bien que c’est l’agglomération grenobloise qui définit le mieux Grenoble. Parlons chiffres comme l’Insee : la ville c’est administrativement 170 000 hab par rapport aux 450 000 hab de la Métro ; Parlons échelles comme les géographes ou les randonneurs : il suffit de gravir un GR que ce soit en Chartreuse, sur le Vercors ou en direction de Belledonne pour appréhender les contours du "Y" grenoblois dont la ville n’est qu’au mieux son centre.

- > Dans ces conditions parler de démocratie participative grenobloise englobe quel périmètre ? Celui de la ville ? De son agglomération à travers la Métro ? Et quid des relations avec les espaces ruraux-montagnards qui l’entourent ?

2- Mais peut-on parler de tradition démocratique ancienne pour Grenoble ?

Si la capitale du Dauphiné bénéficie de fonctions régaliennes liées à son nom, justifie-t-elle son statut de "capitale de province" que Fernand Braudel prend en ex. dans son ouvrage "Civilisation matérielle et capitalisme, XVe-XVIIIe siècles" ? Tissu très majoritairement rural-montagnard du Dauphiné, manque d’attractivité économique vis à vis des capitales proches (Lyon, Genève, Turin, Marseille), contraintes naturelles fortes liées à la géographie, Grenoble est au 27e rang des villes françaises à temps des effervescences révolutionnaires de 1788 qui braquent alors le projecteur de la France absolutiste et royale sur ce qui se présente comme une répétition de 1789.

- > Il faut vraisemblablement chercher ici la cause lointaine des difficultés pour la ville à entrainer ce vaste espace auquel je faisais allusion dans le 1er point sur la question du périmètre, et la résistance des différentes composantes du dit périmètre, mais aussi une tradition contestataire, matrice des développements démocratiques originaux à venir.

3- Quels seraient alors les étapes qui ont fait de Grenoble un laboratoire de démocratie locale ?

L’adhésion des populations au vote républicain (dans une ville de garnison) puis socialiste dès le début du XXe siècle avec Paul Mistral, maire élu en mars 1919 (la chambre des députés élue au sortir de la 1ère GM est dite "bleu-horizon") et réélu jusqu’à sa mort en 1932.

La forte identité résistante de Grenoble, de l’armée des Alpes ayant tenu victorieusement en 1940 aux martyrs et aux résistants des maquis de 43-44, soit 2 des 5 communes françaises avec Vassieux-en-Vercors à avoir reçu en 1944 des mains du Gal de Gaulle la croix de la Libération (avec l’île de Sein, Nantes et Paris).

La victoire de l’ingénieur et ancien de l’école navale, le socialiste et nouveau Grenoblois Hubert Dubedout aux élections municipales de 1965 face au héros de la Résistance Albert Michalon instaure une ère nouvelle caractérisée par l’alliance entre les socialistes, les ingénieurs et industriels et le mouvement citoyen. Lors de la "vague rose" des municipales de 77 de jeunes élus socialistes de villes importantes comme Rennes ou Nantes s’inspirent de l’expérience grenobloise. A noter que 2 des maires suivants sur 3, Michel Destot, socialiste, issu de la filière atomique et Eric Piolle, écologiste, issu de celle du génie industriel symbolisent par leurs parcours personnels l’importance de la technologie locale et la montée en puissance des mobilités humaines liées à l’attraction des territoires (ici l’innovation au sens large).

L’arrivée de la gauche écologiste et citoyenne au pouvoir municipal depuis les élections de 2014 relance dans les intentions affichées, sinon dans les actes, le caractère de laboratoire démocratique national de la ville et braque les projecteurs sur ce que serait à l’échelle "locale" une politique de transition verte, qui a amené les différentes collectivités (ville, Métro, communautés de commune) à mettre en place des plans de prévention.

- > Cette histoire peut-elle être revivifiée par la nouvelle équipe ou est-elle vouée à l’échec, faute de structures territoriales adéquates à la construction d’une politique cohérente ville-Métro voire à l’échelle pôle urbain / espaces ruraux-montagnards ?

Annexe (pour le cours du débat) : A une échelle plus grande, la question des rapports entre les habitants des territoires urbains et ceux des territoires ruraux-montagnards (dont certains font partie de la Métro comme les balcons de la Chartreuse) :

Les mobilités toujours plus importantes des humains (du rural vers l’urbain et inversement) posent des questions cruciales aux institutions territoriales : peut-on concilier la recherche d’égalité entre les territoires ("Une passion française" selon la formule du géographe Philippe Estèbe) et la concurrence inhérente à la recherche d’attractivité de ces mêmes territoires ? La loi en favorisant l’attractivité des métropoles dans un contexte de concurrence internationale ne favorise-t-elle pas les fonctions de commandement de ces mêmes métropoles avec pour risque d’agrandir l’incompréhension entre pôle urbain et territoires ruraux-montagnards voisins ? C’est ce que souligne Pierre Rosanvallon quand il propose le concept d’"égalité-relation" ou comment (re)construire du lien dans la démocratie locale... Vaste programme ! »

A la suite de notre camarade, François Bonnaz prend la parole

François Bonnaz est doctorant sur la question des initiatives populaires dans le cadre suisse. C’est au titre de son expertise que qu’il a débuté une évaluation des politiques de démocratie participative mises en oeuvre dans le cadre de la métropole grenobloise [1] . Ce travail a duré un an et s’est focalisé essentiellement sur l’impact du processus plus que sur l’efficience et les résultats et c’est une partie des fruits de cette réflexion que je souhaiterais vous présenter ce soir.

Le terme « ville » est un terme polysémique. Ce mot revêt d’abord une notion administrative et politique évidente (définitions INSEE). Mais ce mot revêt aussi une notion urbaine, qui rentre en contradiction avec la délimitation politique : continuité urbaine du bâti entre en effet en contradiction avec la discontinuité politique. L’enjeu est donc de tenter une reconstruction du territoire politique, pour le mettre en adéquation avec la réalité physique, urbaine et économique, ce qui n’est pas sans induire des tensions, même dans le cadre de la démocratie participative.

Quant au terme « pouvoir » nous pouvons le définir en rapport avec la notion de puissance et de force (mise en branle de l’effectuation de la puissance). Le pouvoir est donc traduire en acte une potentialité de puissance. A ce titre la notion de pouvoir induit nécessairement la domination qui produit une violence que l’on légitime dans le cadre politique : on parle d’autorité. Pouvoir et ville se lient dans l’effectuation de la puissance des villes.

L’intérêt de cette présentation est donc de comprendre comment la ville se situe dans la situation de domination. Elle peut se poser comme dominante vis à vis de ses administrés mais peut se trouver dans un statut de dominé vis à vis d’un échelon politique supérieur ou envers d’autres acteurs, ce qui créent une situation complexe et variable selon le contexte.

C’est dans ce contexte que la démocratie participative bénéficie de la crise de légitimité de la démocratie représentative, pensée comme une modalité aristocratique (Rousseau) et donc critiquable. Cette démocratie participative puise ses racines dans la démocratie délibérative (Habermas).

Cette solution présente cependant des failles : les délibérations débouchent régulièrement sur des consensus mou, des rapports de domination se récréant dans ses espaces. Face à ces contradictions la démocratie participative doit se renouveler et se reconstruire pour dépasser ses problématiques et éviter l’écueil sur la pertinence d’une telle démarche.

Afin de dépasser ces critiques, plusieurs solutions sont envisagées notamment sur le champs de la quantité : par la masse remplacer la qualité des interventions. De démocratie participative, nous passons à une démocratie semi-directe. Quel intérêt pour les villes ?

  • Renforcer la légitimité des politiques publiques, issues d’une consultation

  • Désamorcer les conflits latents ou à venir.

  • Renforcement de l’image à l’échelle nationale : Grenoble est perçue comme un labo. de démocratie locale.

A l’issue de ce travail, 10 questions et enjeux sont à soulever :

  • Pourquoi la démocratie participative a t-elle besoin d’être représentative ?

  • Comment se faire écouter des décideurs ?

  • Comment le temps peut-il être un ami en démocratie participative ?

  • Comment rendre la démocratie participative plus inclusive

  • Comment organiser la gestion du temps ?

  • Quelle place pour l’information en démocratie participative ?

  • Quels types de contribution peut-on attendre et doit-on rendre compte aux décideurs politiques ?

  • Comment parvenir à faire monter la participation dans la décision métropolitaine ?

  • Quels types de contribution peut-on attendre en démocratie participative ?

  • Quelle place pour les émotions politiques dans la participation citoyenne ?

Voici quelques pistes de réflexion. Le conférencier conclut en rappelant qu’au delà de la multitude des dispositifs qui existent l’apparente opacité du dispositif n’est que le reflet de la complexité et même de la conflictualité inhérente à la réalité. Pour rendre un phénomène intelligible au citoyen, afin de fournir une réponse plus juste car prenant en compte cette complexité et ne tombant pas dans l’essentialisme (le peuple vs l’élite).

Une intervention pertinente mais qui demeure trop technique pour permettre une réelle compréhension des enjeux du sujet des personnes non initiées aux rouages de ce nouveau paradigme. De plus, pour une conférence traitant de questions participatives, cela manquait très nettement d’interactions.

Par Geoffrey Maréchal, Marc de velder

[1] Le rapport est entièrement disponible au lien suivant



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LA VILLE, LIEU DE CONFLITS 

BÉATRICE GIBLIN, Directrice de la revue Hérodote, Institut Français de Géopolitique
PHILIPPE SUBRA, Professeur des Universités, Institut Français de Géopolitique
HERVÉ THÉRY, Directeur de recherche émérite, CNRS
FRÉDÉRIC ENCEL, Maître de conférences, Sciences Po Paris 
 

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C’est un auditorium bondé qui a accueilli les intervenants de ce débat qui ont pendant 12 minutes chacun présenté les différents aspects conflictuels des villes dans le monde, de la violence extrême comme dans les Favelas de Rio avec une intervention des forces armées à la réflexion sur les micro-territoires du Grand Paris en allant jusqu’à la vielle ville de Jérusalem .

Béatrice Giblin a présenté les grands traits de l’analyse géopolitique en mettant en avant, au delà de ce qui est appelé la « grande géopolitique », les micro-territoires urbains. Les villes sont des espaces complexes, et même au niveau des quartiers des micro-territoires, qui voient des enjeux de pouvoir s’affronter. Ce sont ces enjeux de pouvoirs qui ont été évoqués par Philippe Subra, spécialiste de l’analyse géopolitique du Grand Paris. Pour Philippe Subra ces questions sont essentielles pour ce qui concerne les aménagements par exemple. La ville de Levallois-Perret a été, à partir de 1983, sous l’impulsion de Patrick Balkany, transfigurée avec une intention politique, celle de modifier la sociologie électorale des quartiers de la ville, à proximité de Neuilly faut-il le préciser. Béatrice Giblin a rappelé les éléments clés de la méthode à suivre en géopolitique, qui n’est pas une science, mais qui utilise des méthodes scientifiques ce compréhension des territoires et des confrontations qui s’y déroulent. 

A propos de confrontations Hervé Théry a montré à partir de l’exemple de Rio de Janeiro et la « reconquête » des favelas par les forces armées utilisant des moyens militaires lourds dans ces quartiers livrés aux trafiquants. 

Dans cette Cité de 10 millions d’âmes, qui n’est pas la plus violente du Brésil en utilisant le calcul du nombre d’homicides poiur 100000 habitants, près de 25 % de la population vit dans ces quartiers à flanc de montagne, souvent sous le contrôle des organisations criminelles liées au trafic de drogue.

Si à Rio les acteurs locaux, l’Etat mais aussi les narcos se disputent par les armes et parfois aussi par des compromis, des territoires, il en va de même, avec des moyens moins létaux heureusement à propos des rapports de force dans les différentes collectivités territoriales du Grand Paris. Philippe Subra a montré comment les méthodes de la géopolitique s’appliquaient également aux micro-territoires, en opposant les stratégies des acteurs comme les Présidents de Région, les Maires et les métropoles, ce label convoité, notamment en termes de prérogatives pour l’aménagement et les mobilités dans les espaces urbains. 

Les acteurs se disputent une gouvernance territoriale sans que forcément les habitants en aient conscience. Aux acteurs politiques il faut ajouter les agents économiques qui contribuent également à la vie locale et qui font aussi valoir leurs revendications.

Frédéric Encel a très opportunément rappelé, à propos de Jérusalem, le glissement intervenu, en 1996, de la revendication politique et territoriale à propos de la vieille ville à un conflit de représentation autour de la question des lieux saints des 3 monothéismes. Cette démarche a été largement illustrée par les politiques urbaines conduites par les autorités politiques mais surtout par les juifs orthodoxes qui ont entrepris une véritable conquête des points élevés qui ceinturent la vieille ville. Des positions sont d’ailleurs « durcies » avec une fonction défensive dans le cadre d’un possible conflit généralisé. 

Le point commun des interventions des quatre conférencier était bien celui de l’analyse multiscalaire, du territoire étendu d’une ville millionnaire ou d’une région métropolitaine à un espace de 1,1 km² comme la vieille ville de Jérusalem qui concentre tous les enjeux du conflit et qui voit intervenir des acteurs éloignés comme les pays de la Conférence islamique ou les « sionistes chrétiens », les évangélistes d’outre-atlantique qui voient dans la victoire des juifs l’annonce du retour du Christ. 

Quels que soient les territoires et sous toutes les latitudes, les villes détentrices des pouvoirs sur les espaces de leurs périphéries sont bien des « lieux de conflits », de haute ou de basse intensité sans doute mais toujours présents.

Par Bruno Modica

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HONG KONG, VILLE MONDIALE, VILLE DE CINÉMA 

NASHIDIL ROUIAÏ, Docteure en géographie -   ATER. 

 

 



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Si l’essentiel des conférences proposées cette année dans le cadre du festival de géopolitique de Grenoble se proposant de traiter du pouvoir des villes sous l’angle politique ou économique, c’est à dire sous l’angle du hard power, il n’en reste pas moins que le terme même de pouvoir demeure polysémique et de ce fait invite à l’aborder de diverses manières.

De ce fait, à la lecture de l’intitulé du sujet, notre goût pour le cinéma fut piqué au vif. En A303, dans une salle agréablement remplie, Nashidil Rouiaï nous invite à aborder le temps d’une heure la cité de Hong Kong sous l’angle de la ciné-géographie : quels impacts les créations cinématographiques hongkongaises ont sur les stratégies d’influence étatique chinoises ?

Commençons tout d’abord en situant Hong Kong. Il s’agit d’une place à statut particulier (Région Administrative Spéciale) dans l’ensemble chinois. Longtemps disputé par la Chine et la Grande Bretagne depuis la guerre de l’opium et le traité de Nankin (1842) Hong-Kong est définitivement rétrocédée à la République Populaire de Chine en 1997.


De part son statut de Région Administrative Spéciale Hong Kong bénéficie de nombreux avantages sur les autres territoires de la République Populaire de Chine : monnaie propre, pluralité politique, la liberté d’expression mais dépendance sur les questions diplomatiques et militaires. C’est une des trois étoiles du capitalisme asiatique avec Tokyo et Shanghai. La ville a très longtemps tourné le dos à la Chine continentale. Ce n’est qu’à la suite des réformes chinoises en 1979 que Hong Kong a développé ses relations, notamment économiques, avec la République Populaire de Chine (province de Shenzhen notamment).

Pour autant nous ne pouvons ignorer l’importance culturelle de Hong Kong, via son cinéma. Bien longtemps les européens ont découvert la Chine et sa culture via les productions cinématographiques de la cité et encore aujourd’hui ce cinéma reste une porte d’entrée majeure. Ses grands réalisateurs et acteurs sont régulièrement récompensés à l’international. Cela a une importance à deux égards :

Ce casting fort joue sur la capacité d’exportation des productions. Or il est notable que la plupart des stars chinoises viennent de Hong Kong (John Wu, Jackie Chan, Bruce Lee etc.). Le star system joue donc un rôle clé. Par ses productions les spectateurs se familiarisent avec la Chine et notamment aux territoires chinois et les représentations qu’ils véhiculent.

De la sorte arrêtons-nous sur quelques exemples de cinéastes ou de réalisations abordant, d’origine exogène ou endogène, prenant comme lieu d’action Hong Kong.

Echelle endogène  : Citons le réalisateur Wong Kar Wai, actuellement le réalisateur de Hong Kong le plus connu à l’international. Pour autant la ville n’apparait que trois fois dans ses productions. Depuis 1997 Hong Kong n’est plus présente car "Hong Kong n’est plus Hong Kong" depuis la rétrocession selon lui (une de ses productions s’intitule d’ailleurs 2046, référence à la dernière année du statut de Région Administrative Spéciale pour Hong Kong avant le retour plein et entier à la Chine). Observons la scène d’ouverture de Chung King Express  : les Chung King sont des espaces intérieurs de passage, des no man’s land, sortes d’intercices urbains dans lesquels des foules affluent de toute part affluent ou des corps se bousculent. En dehors de quelques toits, aucune image de la cité ne ressort. Le flou est un élément important durant tout le film (image saccadée, gros plans, caméra épaule) sans jamais saisir la cité dans son ensemble. La ville est la place du film, mais Wong Kar Mai refuse d’en saisir une vision simpliste. En ce sens Wong Kar Wai sert avant tout la République Populaire de Chine en lui offrant un élément pour son soft power.

https://www.youtube.com/watch?v=MH38QAN80vs

Autres grandes oeuvres du cinéma de Hong Kong : les polars. La ville y est représentée verticale. Les grattes ciels, lorsqu’ils apparaissent, sont associés à des instances du pouvoir (Infernal Affairs ou Confession of Pain). Ce n’est pas étonnant car Hong Kong est la ville la plus verticale (l’indice de verticalité est de 128 000, énorme en comparaison à celui de New York City qui est à 40 000). L’importance symbolique de ces bâtiments est un élément crucial pour saisir la course au ciel que se lancent les métropoles, et forger de la sorte la réputation d’une ville. Ces bâtiments créent donc une image d’Epinal pour Hong Kong.

Pour autant, si Hong Kong est présenté comme ville globale, Hong Kong est aussi dessinée comme une ville familière, pour permettre aux spectateurs de s’identifier aux personnages. De nombreuses scènes saisissent les intérieurs des logements, des scènes de la vie de personnages souvent largement occidentalisées (dégustation de vin, Noël).

Echelle exogène : Les images diffusées par Hollywood ne sont pas en reste et importent largement les représentations que nous nous faisons de HK. Plusieurs approches :

1)La synecdoque (Lara Croft 2003 et The Dark Knight 2008)

Lara Croft : La 1ère image du film présente la Victoria Harbour dessinant la modernité de la cité. De la ville nous ne garderons que cette image de richesse via la skyline.

The Dark Knight : Pour la 1ère fois Batman quitte Gotham pour rejoindre Hong Kong, et la Hong Kong de la finance. Les images nous permettent de saisir en plongée la « forêt de buildings » du centre de HK. A travers ces deux exemples, et pour le dire schématiquement, HK se réduit au quartier économique. Ce procédé de synecdoque crée un lieu singulier et fort différent de la diversité urbaine. Cette manière de procédé représente HK sans le représenter réellement, à travers une image qui la modifie.

2) Juxtaposition et lieux incompatibles (Battleship et Transformers)

Extrait 1 du film Transformers. Par la magie du cinéma l’on parvient à relier par l’image deux lieux extrêmement différents et éloignés. Les personnages parviennent dans la ville par le quartier d’affaire et traversent en une fraction de secondes le Victoria Harbour. Tout ceci pour mettre en exergue deux éléments marquants de la géographie de la ville.


Extrait 2 de Battleship. L’arrivée de la météorite sur Hong Kong se fait près d’un symbole de l’orientalisme : un Bouddha géant, avant de tomber sur le quartier d’affaire. Or si le Bouddha géant existe, il se trouve à 20 km de la cité. Juxtaposer le Bouddha avec la ville en arrière plan est géographiquement impossible. Cette association crée de nouveaux lieux, avec un fort effet symbolique : la modernité de Hong Kong se conjugue à l’orientalisme asiatique : une cité économiquement occidentale et culturellement orientale.

3) La création de lieux (Pacific Rim)

Le quartier de Bone Slums présenté dans le film n’existe pas. Pour autant, en multipliant les symboles orientaux forts (néons puissants, idéogrammes chinois, étroitesse des rues etc.) le film crée un espace symboliquement fort mais qui revient à adopter une vision exotique de l’altérité et de l’orientalisme.

Terminons en élargissant le débat : pourquoi ces images d’un Hong Kong magnifié ne traite jamais réellement du nouveau Hong Kong, celui des cités dortoirs dans le nord du territoire ? Soyons cyniques : les revenus du box office chinois explosent. La République Populaire de Chine est un marché incroyable mais des quotas à l’importation sont imposés : seuls 44 films étrangers peuvent y être diffusés chaque année. C’est donc une guerre pour passer l’organe de censure chinois. Les acteurs de la production cinématographique ont tout intérêt à mettre en scène une image magnifiée du territoire, ou développer les co-productions avec la Chine qui imposent des lieux et des personnages chinois. Ainsi ces productions deviennent de véritables vecteurs de transmission d’une certaine idée de la Chine.

Crédits :Carto© n°21 et n°27

 

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LA GUERRE DES TOURS

 

CLARISSE DIDELON-LOISEAU, Professeur de géographie -   Université Paris 1 Panthéon Sorbonne 



THIBAULT RENARD, Responsable Intelligence Economique -   CCI France 



INGRID TAILLANDIERArchitecte - Gérante ITAR architectures -   ITAR architectures
 

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Thibaut Renard : On aura remarqué que partout dans ce festival consacré au pouvoir des villes une ombre symbolique et pas seulement symbolique plane sur l’imaginaire de la ville, celle des tours, et que derrière ces tours une guerre elle aussi symbolique mais pas seulement est sous-tendue. C’est ce que l’on va aborder ensemble.

Qu’est-ce qu’une tour ?

On va se concentrer aujourd’hui sur 2 de ses multiples aspects : d’abord la fascination, évidente dans le cinéma d’anticipation - comme dans La guerre des étoiles de George Luckas ou Le 5ème élément de Luc Besson - mais aussi dans les publicités sur Dubaï, mais aussi l’effroi dans la fiction King Kong, rattrapée par la réalité avec le 9/11. Les intentions sont parfois aussi révélateurs de visions culturelles différentes voire antagonistes : ainsi le projet de tour de l’unité africaine au Maroc avec toutes les langues du continent inscrites dessus ressemblant pour la planète web à la tour de Sauron du Seigneur de l’anneau...

Qu’est-ce qui est sous-tendu derrière l’idée de "guerre des tours" ?

C’est d’abord la course à la hauteur, une lutte intemporelle, commencée il y a plus de 4000 ans avec les pyramides d’Egypte et la tour de Babel de la Bible, les cathédrales gothiques à partir du XIIe siècle [1], et parachevée par l’érection de la tour Eiffel et ses 330 mètres à l’exposition universelle de 1889 à Paris.



Si la plus haute tour actuelle fait plus de 800 m, c’est qu’à eu lieu au XXe siècle un basculement important, car jusqu’à la fin du XIXe siècle, les constructions les plus hautes depuis les pyramides avaient été des monuments hormis l’exemple étonnant de la petite ville toscane de San Geminiano qui avec ses quelques 70 tours surplombant les palais particuliers des bourgeois de la ville illustre pour la première fois sous le Quattrocento italien dans un espace urbain la concrétisation verticale de cette "guerre" symbolique [2]. En effet et ce depuis les années 30 aux Etats-Unis, pays de la modernité triomphante sur l’Europe, les tours d’habitation - les gratte-ciel remplacent les monuments dans une course qui s’accélère depuis les années 90 et l’émergence de nouvelles puissances : ainsi les tours Petronas qui avaient doublé l’Empire State Building resté plus de 30 ans le plus haut du monde, disparaissent du top 10 en moins de 10 ans...

En résumé, pour définir ce qu’est une tour, on est passé d’édifices aux fonctions diverses au cours de l’histoire à des tours fonctionnelles comme celle de la Radio diffusion de Tokyo pour arriver à des tours dites d’habitation comme Burj Dubai mais qui mêlent en réalité diverses fonctions d’ordinaire étalées sur l’espace "horizontal" dans un espace "vertical" : sièges sociaux qui lui donnent son nom, mais aussi centre commerciaux ou de loisirs, hôtels et appartements de standing et enfin lieu de contemplation symbolique de la ville comme lieu de pouvoir.

Comment comprendre cette "guerre des tours" ?

1- Une guerre entre villes :

Clarisse Didelon-Loiseau : la mère des batailles, c’est Chicago vs New York.

Le contexte historique : on est post-guerre de secession, en pleine croissance économique. Si New-York est déjà la ville-centre de la côte Est, Chicago qui connait une croissance démographique exponentielle est devenue le point-relais des réseaux continentaux pour la conquête du territoire vers l’Ouest et le centre d’activités agro-industrielles avec le lieu de convergence des troupeaux. S’étendant avec des maisons en bois, elle est ravagée par l’incendie de 1871 et doit se réinventer en combinant l’espace à construire qui est cher et les progrès techniques : les 2 villes étant situées au bord de l’eau, pour construire il faut creuser avec des caissons et aussi il faut s’élever en hauteur : la pierre est lourde avec des murs de plus de 1,80m de profondeur.



Les ingénieurs américains ramènent de France la construction en acier et l’ingénieur Otis invente un système de freinage - blocage pour les ascenseurs qui n’étaient au départ que des monte-charge dans les hôtels.

Alors que le New-York Tribune Building est construit en 1875, c’est le Home Insurance Building, haut de 42 m qui est déclaré officiellement comme le 1er gratte-ciel jamais construit en 1885 car utilisant les structures en fer.

Les réglements municipaux tempèrent la compétition à cause des critiques des habitants riverains, et bloquent la hauteur à moins de 50 m. A New-York c’est la méfiance des autorités envers les structures en fer qui freine la course à la hauteur.



Les skylines actuelles sont le dernier avatar de cette bataille de tours. Si celle de Hong-Kong est considérée comme la plus belle au monde gràce à sa baie, les 2 américaines se partagent les suffrages des internautes...

Ingrid Taillandier : "L’invention de la tour européenne".

Il s’agit d’une exposition qu’elle a organisé en 2009 sur le site du pavillon de l’Arsenal de Paris [3] pour montrer aux Parisiens que les tours qu’ils connaissaient, celles des tours d’habitation des années 70 n’étaient pas les seules mais que d’autres existaient déjà indépendamment de Paris dans 8 autres métropoles ouest-européennes, choisies pour des raisons économiques mais aussi parce qu’elles avaient été détruites par la guerre comme Francfort, Rotterdam ou Londres. Ces villes aux côtés de centres historiques préservés ou reconstruits pour tout ou partie, donnaient à voir des constructions nouvelles inspirées du modèle nord-américain. Francfort dont le caractère de place financière avait été ainsi affirmé dès les années 20, reconstruit de plus belle après la guerre ; Rotterdam s’est reconstruite de façon audacieuse après la destruction totale de son centre en mai 40. Mais elles ont montré aussi une spécificité : Ainsi l’ancien maire de Londres, Ken Livingstone, avait imposé des règles favorables au grand public au pied et au sommet des tours comme la Shard ou Swiss RE dans la perspective de la candidature de Londres au JO. Paris a relancé cette dynamique après l’échec de sa candidature face à Londres, alors que la limitation des étages à 37m datait de 1974 avec l’élection de VGE en réaction avec le "modernisme" de Georges Pompidou.

IT : il y a eu aller-retours entre les 2 rives : similitudes (photos) ; le concours du Chicago Tribune montre les différence stylistiques : Néo-gothique à Chicago en 22 et néo-classique à Stuttgart en 1928 : une solution pour décongestionner les villes.

Du fer au béton : l’acclamation des techniques se fait avec Europe l’idée d’ordonner de façon rationnelle le tissu urbain et son "hygiène". Après-guerre des quartiers logements sont rapidement construits. Depuis l’Europe se distingue avec une réflexion sur le sens urbanistique des tours et abandonne la compétition en hauteur, surtout dans les villes à dimension patrimoniale forte.

2- Une "guerre" à l’échelle mondiale :

CDL : La croissance en hauteur des tours dépend de la conjoncture économique, les tours symbolisant un symbole capitaliste avec le refus de l’Urss. Malgré tout, les palais du peuple des capitales des démocraties populaires sont bien les symboles de la victoire annoncée de l’homo sovieticus sur son adversaire capitaliste.

Séoul après la guerre de Corée construit une skyline qui se veut le symbole architectural d’un pays qui n’est pas encore un tigre asiatique...

Ce sont les économies les plus dynamiques en pointe dans la compétition.

Cette compétition médiatique cache le fait que la plupart des tours ne sont pas concernées par la course à la hauteur mais par des questions de densité urbaine : les métropoles des pays sud-américains et européens connaissent plutôt la croissance des immeubles dits "tours de grande hauteur" (entre 35 et 100 m).

3- Une "guerre" dans la ville :

TR : Une guerre urbaine ?

IT : Parmi les thèmes revient la contestation des tours énergivores au bilan-carbone déplorables.



Ce sont les Allemands qui dès les années 70 mettent en avant les "ingénieurs environnementaux" comme Klaus Daniels ont développé des formes de ventilation naturelle, des jardins d’hiver sur plusieurs étages, ainsi La Commerzbank de Francfort, construite par Norman Foster inaugure ce nouveau type de tour répondant aux critiques urbaines avec des jardins d’hiver sur les étages intermédiaires.



D’autres batiments sont construits avec transfert d’énergie notamment concernant la climatisation, mais aussi l’accueil du public comme la Swiss RE, le "cornichon" de Londres.

TR : Une guerre de clochers ?

CDL : La 1ère question qui se pose en ville est : "Faut-il habiter dans les tours ?" Les habitants des Etats-Unis y voient un statut social de réussite pour les entreprises les commanditant et pour ceux qui ont les moyens d’y habiter ; en Europe c’est toujours vu comme un statut locatif et architectural dégradé dû à des constructions rapides et laides... Pourtant, dans les nouvelles tours, habiter haut est toutefois recherché partout en fonction de la qualité de la vue que l’on peut avoir.

Les tours parisiennes des années Pompidou malgré leur architecture relativement standard sont comparées par leurs habitants : guerre de clochers...

Conclusion : Que serait une tour du XXIe siècle ?

IT : En Europe, pas de course à la hauteur, la recherche d’une valorisation des communs, de la mixité sociale, de l’intégration à la rue, en évitant les tours sur dalle. Bref prime la qualité environnementale, l’innovation technologique, la volonté d’émulation architecturale - ce qu’on appelle des "générateurs urbains" pour aller vers une ville durable et néanmoins verticale générant une qualité de vie extrêment intéressante.

TR : la KingDom Tower à Jeddah dépassera les 1000 m qui devrait accueillir 1M de pélerins en 2018. Dubaï prévoir de la dépasser pour l’expo universelle mais le projet le plus fou actuel serait la Sky Miles Tower de Tokyo sur la mer prévue pour les alentours de 2045 et culminant à plus de 1500 m...

CDL : Et encore plus loin,



pour montrer que les tours et gratte-ciel font partie de l’imaginaire des dystopies de la société que la science-fiction présente généralement comme l’expression des déviances de l’hubris humaine qui ne peuvent qu’être dans les fins détruites...

De très nombreuses questions du public...

1- Paris s’est-il exclu de la compétition comme l’Urss en son temps ?

IT : Rien de construit au-delà de 37 m depuis Giscard. On a hérité des erreurs du passé, toutes les tours ayant été construites sur dalle ce qui induit un rejet non seulement des tours mais aussi des quartiers dans lesquelles elles ont été construites. D’où l’importance de l’intégration dans la rue pour les projets actuels. CDL : L’attachement patrimonial reste fort dans les vieilles métropoles européennes : Paris, la tour Eiffel : les tours de l’Ermitage qui seront les plus hautes tours de la Défense ne la dépasseront pas. Même chose à Londres avec la cathèdrale St Paul dont la vue des quartiers de Londres ne doit être obstruée par aucune nouvelle construction en hauteur...

2- Les tours, faites par des hommes, objets phallocratiques ?

Zaha Hadid... Ingrid Taillandier...

3- Et la végétalisation face à la minéralité des matériaux ?

Il en existe une à Milan qui est entièrement plantée d’arbres et la tendance des jardins suspendus est forte...

4- Toutes les entreprises construisent-elles des tours ? La verticalité peut être pénible pour ceux qui y travaillent quant on doit passer 20’ dans les ascenseurs !

IT : Le moindre m2 perdu coute cher, mais la verticalité a effectivement ses désavantages en termes de qualité de vie, malgré les progrès techniques en matière de déplacement et les améliorations de la qualité de vie par l’aménagement de communs en hauteur.

CDL : Michelin n’a pas de tour...

TR : Une réponse est le campus : Google, Apple, Dassault Systems.

5- Les tours de Dubaî retourneront-elles au sable du désert ?

CDL : Au vu de la taille des fondations, pas tout de suite.

TR : Une anecdote ; quand l’Empire State Building a été construit, il a été moqué par les habitants et a fini par être le plus emblématique des EU. C’est la même chose pour l’expo universelle de 89 et de la Tour Eiffel. On ne peut préjuger de l’avenir et la SF n’a pas forcément raison...

6- Comment fait-on pour évacuer un immeuble de 830 m de haut ?

CDL : j’enseigne à Tolbiac où il faut monter à l’heure en cours plus de 40 000 étudiants...

IT : Revenir à l’horizontal est effectivement censé quant à la qualité de vie, cf. les campus, mais vu que le foncier en ville est rare, cela a un coût. Il faudra l’accepter.

7- Quel impact social entre les habitants des tours et les autres ?

IT : ma construction aux Batignolles contient pour moitié du locatif et du foncier. J’avais prévu que la disposition devait être mixte avec étages alternés et espaces communs partagés, studios à louer pour la famille en visite, barbecue. On voulait tout mélanger mais le bailleur social a refusé car il ne voulait pas gérer un étage sur 2... L’occasion de sortir de la différentiation socio-spatiale (étages du haut vs étages du bas) a été manquée alors qu’on était à 14 000 € du m2...

8- Que faire des déchets générés par les habitants des tours géantes ?

TR : Dubaï devrait résoudre la question avant l’expo universelle, en les escamotant... On l’a vu pour Rio (catastrophique) et pour Pékin (beaucoup plus discret).

IT : La densification urbaine ne peut se justifier sans transports et flux urbains à la hauteur.

9- le prestige d’une tour c’est mandater un architecte-star ?

TR : Ingrid Taillandier est-elle mandatée ?

IT : C’est comme les musées actuels et les premiers gratte-ciel qui ont eu leurs architectes-star qui étaient par contre très peu nombreux.



Chaque ville veut tel ou tel et si tous les architectes développaient des tours comme Norman Foster ou Renzo Piano, nos métropoles seraient plus intéressantes à contempler... et à vivre dans l’intérêt de tous.

NB : Un de nos rédacteurs, très concentré, s’est glissé dans la dernière image...

Par Jean-Michel Crosnier

[1] la plus haute étant la cathédrale de Ulm en Allemagne, haute de 160m

[2] Les amateurs de jeux vidéo la connaissent à travers l’épisode "Renaissance" de la série Assassin’s creed

[3http://www.pavillon-arsenal.com/fr/expositions/9795-linvention-de-la-tour-europeenne.html

 

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Quand les camps deviennent des villes

 

Rony Brauman, Ancien président de Médecins sans frontières et professeur associé à Sciences Po Paris 

 

 

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Rony Brauman, était déjà intervenu dans ce même lieu il y a 2 ans sur le thème des frontières. Invité par Christophe Ayad, journaliste chef du service international du Monde, partenaire du festival de géopolitique, il se propose de resituer la problématique des camps de réfugiés dans le temps long de l’histoire du XXe siècle et de s’interroger sur la pérennisation d’installations provisoires devenues de véritables villes.

Initialement programmé dans une salle de conférence très vite complète, l’ancien président-fondateur de Médecins Sans Frontières, actuellement professeur associé à Sciences-Po Paris a l’honneur du grand auditorium du GEM. Dans le large public présent, des lycéens et leurs professeurs sont venus en nombre ; parmi eux, la classe de 1ère L de Mme Magne venue du lycée voisin du Grésivaudan pour compléter leur cours sur les réfugiés, et que j’accompagne...

Christophe Ayad commence par un chiffre [1] : 60 M de "réfugiés" et "déplacés" en 2016, soit le nombre le plus élevé depuis la fin de la 2nde Guerre mondiale.

D’abord clarifier les 2 termes selon la convention de 1951 du Haut Commissariat aux Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) [2]

"Déplacé" désigne des populations ayant quitté lieu d’habitation et famille pour s’installer plus loin mais dans le pays. C’est le cas actuellement de 2,5M de Syriens. "Réfugié" signifie que la personne a dû quitter son pays ; c’est le cas de 4,5M de Syriens.

Ensuite comprendre quels pays sont touchés par ces migrations de grande ampleur :

Sur ces 60M, 22M sont de réfugiés, la plupart du temps dans les pays voisins mais aussi dans des pays beaucoup plus éloignés, c’est ce qui se passe aujourd’hui avec l’Europe. Or cette réalité, massive et ancienne dans les pays du Proche-Orient, a atteint l’Europe.

Enfin, les camps, ces lieux de vie de nombreux réfugiés, qui s’installent dans la durée et dont le terme même renvoie à un passé douloureux...

CA : Quand le camp devient-il un lieu de protection pour les réfugiés ?

Rony Brauman : vraisemblablement après la 2GM [3], avec les déplacés de 45 qui ne veulent ou ne peuvent retourner chez eux (populations allemandes chassées de territoires annexés par l’Armée Rouge comme la Prusse Orientale ; Juifs polonais fuyant le lieu central des camps de mise à mort nazis...) et création de camps de transit pour des populations qui allèrent en Europe occidentale et du nord, aux Etats-Unis, en Australie et pour certains Juifs, en Palestine. Ces camps sont donc des "camps de transit" qui ne peuvent donc être que provisoires.

C’est en fait avec les conflits de la Guerre froide dans le tiers monde que l’on va voir se multiplier les camps avec les masses de réfugiés fuyant les conflits entre groupes de combattants armés soit par les EU, soit par l’Urss, notamment dans les nouveaux pays indépendants d’Afrique.

CA : Les premiers réfugiés de l’époque contemporaine ne sont-ils pas les Palestiniens ?

RB : Le 1er cas d’après-guerre matrice de la question des réfugiés est le partage de la Palestine en 48 et sa conquête par Israël qui déplace 800 000 Palestiniens de la partie mandataire qui leur était attribuée par l’ONU et qui vient d’être conquises par les troupes israéliennes. (ex. Haifa). Purification ethnique ou appel des pays arabes à partir pour mieux revenir dans les semaines suivantes ? Personne ne pense à une situation qui durera : ainsi les premières pressions américaines du président Truman, la 1ère agence de l’ONU dite UNRWA (United Nations Relief and Work Organization) dévolue aux Palestiniens et qui ne parle donc pas de réfugiés mais "d’aide et de travail"... On sait ce qu’il en a été : les 800 000 sont devenus 5 millions avec leurs descendants, curieusement non compatibilisés depuis la création du HCR en 1951 : donc 22 M + 5 M ; d’ailleurs la question des descendants n’est pas tranchée juridiquement : sont-ils toujours des réfugiés 70 ans après ? C’est aussi le cas des Somaliens du Kenya et de la génération née dans les camps ; s’intégreront-ils à dans leur pays d’accueil ?

Quant au chiffre des déplacés, 40 M, il est aussi problématique : l’exemple de la Colombie où les conflits qui ont généré des déplacements de populations à l’intérieur du pays - dont certains ont aussi 70 ans - pose beaucoup de questions : est-t-on déplacé quand on émigre vers la banlieue d’une grande ville ? Du fait de la fermeture des frontières voisines, les populations fuyant les zones de conflit se retrouvent confinées à l’intérieur de leur propre pays au lieu d’obtenir de l’autre côté le statut de réfugié : il y a 2 fois plus de Syriens déplacés que réfugiés dans les pays voisins !

Les chiffres apparaissent comme catastrophiques, mais n’oublions pas qu’entre-temps, la population mondiale a aussi triplé...

CA : le cas palestinien est emblématique des camps devenus des villes ; qu’en est-il par exemple de Balata, camp de "déplacés" installé en 1950 dans la banlieue de Naplouse en Cisjordanie palestinienne ?

RB : Ces camps comme Balata sont devenus des quartiers urbanisés qui se distinguent à peine de la ville proche mais que l’on indique comme camp avec affiches et dont les habitants de Naplouse mettent en garde les visiteurs d’aller dans le camp... A l’intérieur, la police est faite par des combattants, anciens des prisons israéliennes et l’autorité du camp échappe au maire de Naplouse, tout en étant entre Palestiniens, ce qui rend la situation des gens du camp plus favorable que celle des gens des camps au Liban ou en Jordanie où les Palestiniens n’ont pas le droit de travailler.

CA : Dans le camp, on est pas propriétaire de son terrain ou de sa maison ; l’éducation y est par contre souvent meilleure qu’en ville avec des enseignants formés et payés par l’UNWRA ; réultat, on y trouve des ingénieurs, des enseignants et des médecins ; on vit dans le camp et on n’en déménage pas même si on a économiquement réussi, toutes choses qui ne se distinguent finalement de la ville qu’avec un oeil averti.

CA : Quels sont les avantages ou les inconvénients de ces camps pour les humanitaires ?

RB : En tant qu’humanitaire à Médecins Sans Frontières [4], j’ai visité et travaillé dans de nombreux camps. Les humanitaires apprécient d’avoir un regroupement de population relativement homogène qui permette les soins, la nourriture, l’éducation.

- Qu’en pensent les réfugiés eux-mêmes ? Les camps, conçus de façon très impersonnelle, permettent d’abord une zone de sécurité que les gens se réapproprient. Réconfort de reproduire la vie d’avant, car le déplacement est d’abord vécu comme une immense douleur. Ensuite le lieu devient un lieu d’enfermement qui pèse aux populations.

Image à la une : Le jardin et la tente : « habiter » un camp de réfugiés (Katsikas, Grèce).

 [5]

CA : Allons maintenant au plus grand camp du monde au Kenya :

Copyright Tony Karumba/AFP/Getty Images

Dadaab, 400 000 hab, créé en 1993 il y a 25 ans après la guerre civile en Somalie, qui est devenu une ville, voire le plus grand centre économique du nord du Kenya.

Le gouvernement kenyan aimerait fermer le camp au prétexte de la présence de Shebabs [6] qui recrutent dans le camp des jeunes de la 2e génération qui ne se voient pas d’avenir : ni retour au pays, ni intégration au Kenya.

Est-ce que de telles structures, ce "provisoire qui dure", peuvent réellement disparaître ?

RB : Est-ce une question de nombre d’habitants ? Il y a eu des camps encore plus importants comme les camps de réfugiés mozambicains au Malawi, qui n’ont duré que quelques mois avec le retour de la paix au Mozambique et qui se sont littéralement vidés. Ce n’est pas le cas à Dalaab. Les Shebabs sont effectivement présents et ont enlevés 2 infirmières de MSF pendant 2 ans ; ce n’est pas une ville mais une grande agglomération qui vit de l’aide économique et culturelle dans une région très désertique, les seuls activités économiques étant avec la frontière somalienne tout proche. Ce qui est sûr par contre, c’est que de nombreux jeunes sont nés à Dalaab, y ont bénéficié malgré tout d’une vie urbaine avec sa modernité (cinéma, école, internet) et ils ne retourneront pas dans leur campagne somalienne d’origine.

Les questions du public :

Q1 : Quelle sécurité dans les camps de la région des Grands Lacs, après le génocide au Rwanda de mai à juillet 1994 ?

CA : Comment les camps peuvent devenir un lieu de conflit reproduisant celui qui a été quitté par les populations ?

Au Rwanda, le FPR avec à sa tête Paul Kagamé met fin au génocide Tutsi et prend le pouvoir ; des millions de Hutus s’enfuient alors du pays après juillet 94 et "militarisent" les camps du Congo voisin afin de s’en servir pour attaquer les Tutsis du Rwanda. 2 ans plus tard, le FPR intervient pour liquider ces camps tout en massacrant des centaines de milliers de populations non génocidaires. La politique de départ n’est jamais éloignée du camp, le conflit se transporte avec eux.



Photo V-P-RW-D-00002-03, 25/02/1993, Wendy Stone, Photo publique sans restrictions)

RB : Le président Kagamé qui fait l’objet d’honneurs de la communauté internationale arrive en 2e commme "tueur de masse" derrière le président Omar El Béchir du Soudan qui lui est considéré comme un criminel par les Nations Unies. Or si l’Afrique ne brille pas par sa démocratie, les massacres de masse ne sont pas du tout la règle !

Le modèle décrit par Christophe Ayad est vrai : il s’agit de sanctuaires politiques dans lesquels s’abritent des chefs, des milices prêtes à reprendre le combat de l’autre côté de la frontière, en général toute proche. On ne comprend pas ce que sont les camps de réfugiés si on a une vision "bisounours" de femmes et d’enfants persécutés et que les humanitaires prendraient en charge.

Autre exemple, le mouvement des Taliban est né dans les camps de réfugiés afghans au Pakistan et ces jeunes ont eu très vite comme objectif de reconquérir leur pays d’origine. Le camp de réfugiés est un sanctuaire humanitaire ET politique.

Q2 : Quelle intégration possible dans un territoire inconnu pour les réfugiés ?

CA : le camp est souvent proche soit du point de départ, soit du lieu d’arrivée souhaité. Les gens s’installent là où c’est le plus pratique pour eux, donc près de la frontière, c’est le cas de Calais pour les migrants voulant passer en Angleterre ; ou bien ce sont les autorités qui désignent un lieu disponible : Balata était à l’écart de Naplouse d’1km et Naplouse s’est étendue. Balata est devenue un faubourg. Quant à l’intégration, elle se passe et ne se passe pas : l’identité reste très forte dans la tête des habitants des camps, même quand ceux-ci sont là depuis longtemps.

RB : Pour conclure, le camp permet l’insertion plus ou moins pacifique dans une autre société mais empêche l’intégration au sens français du terme. On peut d’ailleurs faire une comparaison avec certains quartiers des agglomérations françaises...

CA : Merci à tous, vous pouvez également consulter l’article de Rony Brauman dans AlterEco de mars 2017sur le même sujet [7] (consultable dans votre CDI).

Un grand merci pour leur présence active et leur ressenti aux élèves de 1ère L de la classe de Mme Magne : Maya Boux, Emeline Bertogay, Lisa Colquoun, Kilian Cusin, Virgile Fornatieri, Rosalie Guéguen, Tessa Hamani, Julie Lechat, Nubia Lechat, Manon Mazonier, Juliette Meyers, Elisa Pépin et Léa Reymond.

Par Jean-Michel Crosnier

[1http://www.unhcr.org/fr/news/stories/2016/6/57641727a/deplacements-populations-precedent-travers-monde.html

[2https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Convention_relative_au_statut_des_réfugiés

[3] Question non clarifiée : y a t-il eu des camps avec la réorganisation des frontières européennes après 14-18 ? Cf. "le passeport Nansen" : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Passeport_Nansen

[4] cf. l’actionde MSF en Palestine : http://www.msf.fr/pays/territoires-palestiniens

[5] Publié le 15/03/2017 dans Géoconfluences

Auteur(s) : Louise Schreyers, agrégée de géographie, ENS de Lyon

http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/a-la-une/image-a-la-une/katsikas-jardin

[6] Groupes djihasistes venant de la Somalie voisine : http://afrique.lepoint.fr/actualites/afrique-dadaab-dans-le-plus-grand-camp-de-refugies-du-monde-18-09-2015-1965878_2365.php

[7http://www.alternatives-economiques.fr/camps-deviennent-villes/00078043

 

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COMMENT PARIS EST DEVENU PARIS 

 

FRÉDÉRIC MUNIER, Professeur, Prépas ECS, Lycée Louis le Grand, Paris

 

 

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Après les présentations habituelles, Frédéric Munier commence de façon originale sa conférence par une archive sonore sur Paris, de l’ensemble polyphonique C. Janequin.

http://www.mheu.org/fr/chronologie/clement-janequin.htm

F. Munier poursuit sur des citations de grands écrivains V. Hugo, E. Hemingway ou Baudelaire. Selon lui, Paris est un « truisme », mais les français sont les rois de la déprime, c’est bien connu.

Or Paris est une ville-monde, une grande métropole européenne, la capitale française… Elle est aussi une ville anciennement puissante. Milan, Londres, Tokyo il y a 1000 ans n’existaient pas. Paris, si. Bibliothèque Ste Geneviève (reste sous le Lycée Henri IV actuel), siège du pouvoir royal, ville commerciale, religieuse de premier plan, avant de devenir la capitale de la Monarchie au XVIème siècle, cœur de la Révolution française, puis de l’Empire de la IIIème république, des révoltes de 1830, 1848, 1871…. Elle est bien issue du passé ancrée dans le présent t tournée vers l’avenir !

Notre conférencier termine son introduction par une dernière citation de V. Hugo :

« Paris est une ville pivot…. Quelle ascension lente, mais quelle sortie des ténèbres ! ».

Trois temps dans cet exposé :

I) Paris ville capitale, mégapole, européenne et mondiale

II) Les secrets de sa puissance

III) Etre et avoir été les défis de Paris

Voilà qui est clair, structuré, complet, un plan adapté pour le public estudiantin très nombreux, ce vendredi matin dans l’auditorium.

F. Munier commence par le chiffre actuel de la population de Paris, soit 2,25 millions d’habitants. Elle est la ville la plus dense d‘Europe, mais la moins verte. Superficie petite, 105km2, elle est deux fois moi,s étendue que Londres ! elle marque par une macrocéphalie à l’échelle de la France, est le siège des pouvoirs politique, économique, de l’innovation, de l’enseignement supérieur, culturel ; on peut voir à Dresde en Allemagne de très grandes toiles des plus grands peintres allemands, hollandais, alors que c’est difficile de trouver l’équivalent en France.

Paris c’est aussi avec ses 3 départements limitrophes 6,7 millions d’habitants ! la métropole du Gd Paris existe depuis 2016 ! La population de l’Ile-de-France c’est 12 millions d’habitants. C’est le 1/3 de la richesse nationale, la région la plus riche d’Europe devant Londres ! elle est devenue le siège du Conseil des Communes et des Régions d’Europe depuis peu. Le/la président(e) de la région préside « Métropolis » qui a des compétences en terme de Développement durable.

Elle est selon la terminologie de S. Sassen dans « The global City » et fait partie des 5/6 plus grandes villes du Monde en 1994. Les villes globales produisent des services sophistiqués. Ainsi Apple a 40% de marge sur l’Iphone aux Etats-Unis, en Chine dans les usines de montage c’est 7% . Ces villes-mondes produisent des informations qui contrôlent aussi le monde.

Avec un peu plus de 12 millions d’habitants, Paris est au 31ème rang mondial, Tokyo restant au 1er rang avec 37 millions d’habitants. Si on détachait l’Ile-de-France de la métropole, elle serait le 17ème état de la planète !

La Défense c’est 3,5 millions de m2 de bureaux, 14 des 20 plus grandes entreprises françaises, 60.000 salariés, la plus grande concentration de cadres en France ! elle concentre aussi de très grandes écoles, H.E.C, Polytechnique. Enfin l’Ile-de-France est la 1ère région industrielle de France et possède avec Roissy, le 2 ème hub européen.

Dans de nombreux classements mondiaux Paris arrive au 4ème, 5ème ou même 3ème rang. Sur dix indicateurs, seuls deux la font redescendre de son 1er rang : le prix du m2, et les transports longs et parfois datés. Idem pour le tourisme : elle draine 30 Millions de touristes (40 si l’on prend en compte l’Ile-de France). Elle brille de mille feux et l’énormité de son patrimoine n’est plus à prouver. Reste un point noir : la qualité de l’accueil, mauvaise, et la cherté de la capitale. Elle est multifonctionnelle, permettant de passer des dernières Start Up françaises aux thermes de Cluny du IIIème siècle ap. J.C. ! Oui, une très grande diversité. Tous ces chiffres ne doivent rien au hasard : le rayonnement de Paris s’explique facilement par un passé très long, un passé

Paris un lieu du pouvoir et de sa puissance dans l’Histoire : un constat : la capitale du Japon était Kyoto avant qu’elle soit Tokyo, en Italie, ce fut Turin, pis Florence avant que ce ne soit Rome. Au Brésil ce fut Rio avant d’être Brasilia ! or Paris est capitale depuis 1500 ans ! Philippe Auguste (1180/1223) fut le premier roi à être appelé « Rex Franciae », le 1er roi à enclore Paris d’une enceinte fortifiée (Il reste un bout de cette fortification dans le quartier du marais). La rive droite est le site des ports/ du port de commerce de Paris depuis 800 ans (1er port fluvial français).

C’est aussi le palais royal, le Louvre, Notre-Dame, une vraie densification du pouvoir ; Paris est la ville la plus peuplée d’Europe jusqu’en 1700 (200.000 habitants). Le français s’impose comme langue nationale au XVI ème siècle, et Paris est la « Chine d’Europe » d’après notre conférencier ;

Elle a été le lieu des révolutions bien sûr, 1789, 1830, 1848, 1871. Tocqueville nous dit que "c’est à Paris que le pouvoir se prend". La puissance de l’histoire se mesure avec ses révolutions.

Lors de l’exposition universelle de 1889, la tour Eiffel marque l’innovation et la puissance technique et industrielle de Paris et la France. La puissance de l’époque républicaine avec la colonne de la place de la Bastille consacrée aux « Trois Glorieuses », la place de la République, la palais Bourbon, devenant la chambre des députés, puis l’Assemblée Nationale. Paris est une « ville pivot »

Quels lieux de la puissance ? Aux Etats-Unis les lieux sont éclatés. En effet, Washington est la capitale politique, New York, capitale économique, Boston un très grand centre universitaire. A Paris, tout est concentré. Mëme le méridien de Paris s’y trouvait avant que celui de Greenwich soit adopté. Des urbanistes des politiques ont voulu construire ces lieux de pouvoir. Exemples les grands travaux conduits par presque tous les présidents de la Vème République.. L’auteur nous montre l’abbaye Ste Geneviève au XVII ème siècle, qui a été détruite. Ferait-on cela aujourd’hui ?

De même le Louvre médiéval a été détruit, puisque le palais actuel (Grand musée) date des XVI et XVII ème siècles. Haussmann a actualisé Paris mais en détruisant des pans entiers de son patrimoine. Il n’était que le bras constructeur de la volonté impériale qui voulait certes, actualiser sa capitale, mais la « tenir » et la « gérer » lui-même.

Paris, selon Frédéric Munier, est la synthèse royale, monarchique, impériale et républicaine. Montaigne au pied de la Sorbonne écrit : « je ne suis français que par cette grande cité »… Beaucoup plus récemment, D. Roche écrivait qu’un tiers des français à Paris venaient de l’extérieur, et JP Rioux parle de Paris comme une « pompe aspirante de la France et de l’Europe ».

Une capitale affaiblie, un « risque muséal » ? Il faut mettre à part les attentats récents de Paris. En 1920 se situe l’ apogée de Paris en terme de population : 2,9 millions d’habitants. Puis tournant en 1975, recul de la population parisienne jusqu’en 2001 où elle atteint 2,1 millions d’habitants. Quelles tendances ? (Selon GF Dumont dans « Population et Avenir ») 80% des cadres parisiens veulent partir de Paris ! Pourquoi ? Temps de transport, prix des loyers et du m2, et la pollution pour les enfants (et les adultes). Selon l’étude les cadres accepteraient des baisses de salaires pour partir en province ! prix moyen du m2 : 8500€/m2. Ainsi 1 studio dans le 5ème arrondissement se loue 1000€/mois mais un air b and b rapporte 10 fois plus dans le Marais pour la même période. Et le nombre de logements loués pour deux jours ou une semaine dépasse les 20.000 à Paris. C’est un vrai problème !

Un horizon de modernité ? Désormais, Paris intra-muros est une commune urbaine. Rappelons que Paris n’avait pas de maire entre 1871 et 1977 !

Le Gd Paris ? Objectifs est de relier les grands aéroports à tous les centres de Paris et Saclay, considéré comme un plateau du type « Silicon Valley ». Les JO de 2024, une chance pour Paris ? Notre conférencier en doute.

Les oppositions existent, selon C. Guilluy, entre petite et moyenne villes et la 2 ème opposition existe entre les classes aisées et les classes populaires « sorties de Paris ». F. Munier évoque aussi les classes »créatives » qui réunissent les talents, les tolérances et les projets dans les quartiers gentrifiés. « On vit entre soi » selon lui. Citant B. Attali dans un article des Echos il constate que ces « mondes urbains »vivent entre eux, avec leurs codes, leurs lieux, leurs modes de vie, de consommation. Attali distingue » les " insiders" des "outsiders" ; ce qui est angoissant pour la démocratie par les temps qui courent... Fin de l’exposé.

Q1 (votre serviteur) : le Gd Paris c’est quel coût ? Part du public et du privé ?

Rép : 32 milliards. Financement 1€ public pour 2€ privé !

Q2 : Comment lutter contre les appartements « air b and b » ? Faut-il prévoir des quota ?

Rep : pas évident, car si le problème existe il est à parier que la nouvelle règlementation risque de faire perdre aux anciens propriétaires une partie de la valeur de leur logement(perte de capital –sic !-

Au total un bel exposé, dynamique, structuré, riche, actualisé mais avec des références parfois connotées et une partie critique –et prospective- un peu succinte.

Par Pierre Jego

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DE MUMBAI À BANGALORE 

CHACKO PHILIP, Enseignant Vacataire/ Doctorant GEM/ CEFIR Universite de Liege

 

 

 

 

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INTRODUCTION

l’Inde a un PIB de 2074 milliards de dollars ; un taux de croissance de 7.6% et un PIB par habitant de 1582 $ par habitant. Sa consommation intérieure représente 50% de son économie et les services 56.4% de l’économie.

Le but du gouvernement BJP est d’améliorer la compétence des travailleurs indiens, d’approfondir les innovations et les exportations, et de créer un hub entre le canal de Suez et le détroit de Malacca. Il faut d’urgence remettre à niveau les infrastructures de transport, car on peut passer une heure à faire 3 ou 4 kilomètres en ville.

I - La LIBERALISATION de l’économie en 1991 et la MONDIALISATION

Depuis 1991, à 2 chaînes de télévision publiques ont succédé toutes les chaines satellites.

De plus, l’informatique a déferlé car 250 millions d’Indiens parlent anglais et les 121/15 heures de décalage horaire avec les Etats-Unis ont permis une délocalisation qui permet aux multinationales californiennes de travailler 24 heures sur 24, avec des call-centers.

Les Communications ont été aussi bouleversées, le téléphone portable compte en 2015 981 millions d’utilisateurs, deuxième du monde derrière la Chine (pour 886 millions en 2003).

Une minute de communication coûtait 15 roupies en 2000, c’est 1 roupie en 2017, avec des services gratuits de 23heures à 5 heures du matin.

On trouve un portable à 7 euros et une connexion internet à 35$.

Internet est passé de 137 millions en janvier 2012 à 462 millions en janvier 2016. Plus précisément, les Smartphones sont passés de 48 millions en janvier 2012 à 370 millions en janvier 2016.

II - LE DEFI DEMOGRAPHIQUE

En Inde, la population atteint 1.31 milliards, la population urbaine est à 32% et la croissance démographique atteint 2.5% ; l’Inde va doubler la Chine. En 2030 est prévu 1.5 milliard et en 2050 1.7 milliard.

Delhi, avec 25.7 millions est la deuxième ville mondiale derrière Tokyo 38 millions ; et Mumbai est la 5ème ville mondiale avec 21.04 millions juste derrière Sao Paulo (21.07 millions).

6 villes dominent : Delhi ; Mumbai ; Calcutta ; Bangalore ; Hyderabad et Chennai.

9 villes ont plus de 5 Millions d’habitants ; 13 villes entre 2 et 5 millions et 41 villes entre 1 et 2 millions. Il y a donc 63 mégapoles, villes supérieures à 1 million d’habitants.

2 régions du Nord sont répulsives : l’Uttar Pradesh et ses 170 millions d’habitants et le Bihar et ses 80 millions d’habitants.

Les flux internes en Inde atteignent 325 millions de déplacements.

3 raisons aux migrations internes : le mariage, le travail et la fonction publique, dont armée et police.

III - ETUDE DE CAS de MUMBAI.

Mumbai représente 6% du PIB indien et 70% de son commerce maritime. Sa densité est de 30.000 habitants au km2.

Bollywood, l’industrie du cinéma indien a connu 2 films essentiels sur Mumbai : Salaam Bombay et Slumdog Millionnaire.

1) Les religions

Il y a 60.7% d’hindous, 25.1% de musulmans, 5.4% de jains ; 4.4% de bouddhistes et enfin 2.7% de chrétiens.

2) La situation sociale et politique.

En 1992/93, il y a des émeutes contre les musulmans et le parti de Mumbai finit par s’allier au BJP (parti nationaliste hindou aujourd’hui au pouvoir en Inde). De 1995 à 1999, Bombay change de nom et devient Mumbai. En 2008, il y a des violences contre les ouvriers migrants venus du Bihar et de l’Uttar Pradesh.

 

CONCLUSION

Mumbai est aussi une ville tenue par les mafias de la drogue et de la prostitution, il y a le problème sanitaire des latrines, les violences communautaires et ethniques ; les violences religieuses et les slums.

Le futur de cette ville est encore à écrire !

Cette conférence était vivante, claire et dynamique. Dans les réponses aux questions le conférencier est relativement pessimiste et souligne la différence entre le rêve de Mumbai et le monde réel !

Par Bruno Modica, Marc de velder

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QUAND LES CARTOGRAPHES RACONTENT LA VILLE 

 
FLAVIE HOLZINGER, Cartographe -   Le Monde
FRANCESCA FATTORI, Journaliste-cartographe -   Le Monde

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Les deux cartographes ont tout d’abord détaillé les moyens techniques et humains de la cartographie du journal, les choix du quotidien et notamment le rendez-vous de 4 pages chaque week-end dont une page entière de cartes mais aussi les contraintes spécifiques pour une carte éditée dans un quotidien (la place, le temps de réalisation, le choix des figurés) et les ambitions du service cartographique : produire des cartes de raisonnement et analyse qui complètent un texte, aller au-delà des chiffres, une cartographie dynamique.

Elles ont ensuite présenté différents exemples pour mettre en valeur la spécificité des cartes de villes.

La carte de la bataille de damas en 2013



En quelques mots : le difficile accès aux sources, dans ce cas le travail avec un correspondant sur place, l’utilisation des fonds google à croiser avec le témoignage.

Comment cartographier les tensions politiques Istanbul 16 fev 2017 ?



Nécessaire croisement avec la carte du 13 juin 2013 pour observer les aménagements urbains du pouvoir d’Erdogan. Les cartes montrent le face à face pouvoir/opposition. Dans ce cas le travail des cartographes intègre outre la discussion avec les journalistes, les correspondants sur place des apports de la recherche.

Rio Du rêve olympique à la réalité



La cartographie permet de montrer l’aménagement du territoire, les inégalités économiques à partir du choix des éléments retenus : qualification des quartiers, infrastructures notamment de transport, prix des loyers et son évolution et explique ainsi la contestation sociale [1].

le 4ème exemple présenté concerne les migrants : Calais (avril 2015) et Grande Synthe (mars 2016). La carte rend plus lisible les tensions migratoires dans ce cas les cartographes sont allées sur le terrain.

Par Christiane Peyronnard

[1] en complément sur ce sujet

 

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LA VILLE SYRIENNE, THÉÂTRE DE GUERRE 

FRÉDÉRIC PICHON, Professeur en CPGE, Université Tours

 

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INTRODUCTION :

Frédéric Pichon a pu voyager 9 fois en Syrie de 2014 à 2017. Il en a ramené des super photos et une véritable expérience de terrain.

Depuis le soulèvement syrien dans la ville de Deraa au sud de la Syrie près de la frontière jordanienne, en mars 2011, on parle de "peuple syrien" et de "révolution" ; il faut se méfier de ces notions.

I/Les ÉVOLUTIONS URBAINES de la Syrie entre 2000 et 2011.

Depuis l’arrivée de Bachar el Assad au pouvoir en 2000, l’espace syrien est en voie de métropolisation et l’essentiel des efforts du pouvoir se concentre sur quelques grandes villes comme Damas et Alep. Les autres espaces urbains sont délaissés et sont les "laissés pour compte" de l’ouverture économique du nouveau régime.

Ce soulèvement n’est donc pas une conséquence directe du Printemps arabe en Tunisie, Egypte et Libye ; mais a ses propres causes bien distinctes. L’Etat syrien se retire des coopératives agricoles, le FMI le félicite de sa modernisation et de son programme d’ajustement structurel, il apure sa dette mais les inégalités se creusent et la corruption règne.

Par exemple à Alep on assiste à une vraie guerre des classes et on s’aperçoit que l’Ouest est composé de quartiers aisés alors que l’Est correspond à des quartiers populaires, de l’habitat illégal. Il y a un fossé entre des "urbains civilisés" et des "bédouins ruraux".Sur des photos, on voit un quartier intact à l’Ouest et des destructions par bombardement à l’Est.

Deuxième exemple, la ville de Lattaquié dans le « réduit alaouite » ; la révolte est née dans le quartier le plus pauvre au Sud-Est et correspond à des néo-urbains et des ruraux. Par contre, la bourgeoisie sunnite n’est pas concernée.

II/LA VILLE SYRIENNE comme un enjeu GUERRIER.

1) Etat des lieux.

Le régime syrien contrôle 25% du territoire mais 68% de lapopulation ; ce qu’on appelle la « Syrie Utile ». Il veut surtout l’axe de transport Alep/Homs/Damas.

L’Etat Islamique a 43% du territoire ; mais surtout du désert ; pour seulement 9.5% de la population.

Les « Rebelles » ont 15% du territoire pour 9.5% de la population.

Enfin les Kurdes ont 17% du territoire et 13% de la population.

2) La Ville comme « ultime champ de bataille » .

Nous avons des forces assymétriques car le gouvernement a son aviation, plus celle des russes ; alors que les rebelles n’ont que de l’infanterie.

Bacher el Assad a sciemment pris une stratégie d’abandon des territoires steppiques et désertiques non tenables. En reprenant Alep et en s’alliant à la Turquie, le gouvernement est en position de force.

Conclusion : La Syrie urbaine, littorale et mondialisée est tenue par un pouvoir affaibli, qui a vu le PIB syrien divisé par 10. Il y a des milices d’autodéfense loyalistes. Les Kurdes risquent d’être encore sacrifiés sur « l’autel de la Réalpolitik ». Enfin la position syrienne d’un nationalisme centralisé se herte à la position pro-fédéraliste russe et la position pro-parlementaire iranienne.

Par Bruno Modica, Marc de velder

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DAKAR, ACTEUR DE GÉOPOLITIQUE INTERNE ET EXTERNE AU SÉNÉGAL

SEYDOU KANTÉ, Administrateur -   Institut Africain de Géopolitique 

 

Seydou Kanté est docteur en géographie politique et géopolitique de l’Université Paris IV-Sorbonne et fondateur du site geopolitico.info.

Natif de Tambacounda, au Sud-Est du Sénégal, la presse locale le présente comme un modèle de réussite pour la jeunesse.

Fondateur de l’Institut Africain de Géopolitique et d’analyse stratégique (IAG)il développe un projet de cartographique fine des résultats électoraux du Sénégal depuis 1960.

Il a publié en 2012 avec le professeur Gérard François Dumont un article sur le Diploweb : géopolitique du Sénégal, une exception en Afrique puis en 2014 chez l’Harmattan un ouvrage sur : La géopolitique de l’émigration sénégalaise en France et aux Etats-Unis et en juillet-Août 2015 un article sur Dakar : Géopolitique d’une capitale africaine : Dakar, une agglomération fragmentée dans la revue en ligne géopolitico.

Un exposé court mais bien structuré et qui a permis une discussion riche du fait de la participation de nombreux auditeurs africains.

Dans son introduction le conférencier présente la situation du Sénégal, un pays peu peuplé [1]mais important dans la sous-région, politiquement stable depuis l’Indépendance. La population y est très inégalement répartie pour des raisons physiques, historiques [2], politique.

Au niveau national

Dakar est la principale ville de la sous-région. C’est une situation de macrocéphalie 22% de la population sur 0,3% du territoire, un poids économique énorme (80% des services, 70% des industries, 60 à 70 % des établissements d’enseignement supérieur malgré l’ouverture récente des universités de Bambey, Thiès et Ziguinchor), la majorité des hôpitaux.

La ville attire les migrants et sur un espace restreint la densité urbaine est très forte avec une occupation irrégulière des zones basses, inondables à la saison des pluies qui génère insécurité et criminalité.

C’est la capitale politique qui symbolise à elle seule le pays : quand en 2009 le parti au pouvoir perd la mairie de Dakar sa chute est inévitable. Aujourd’hui la situation est tendue, le maire actuel Khalifa Sall est depuis trois jours en prison pour détournement de fonds publics, nous sommes en période pré-électorale pour les législatives [3]. Le contrôle de Dakar est fondamental pour le pouvoir national [4].

Au niveau international

D’autre part la situation géographique de Dakar est un avantage : une entrée sur le continent africain, un hub à 6h de Paris et 8 de New-York. Les trois derniers présidents américains y sont allés. Elle accueille chaque année plusieurs rencontres internationales.

C’est une position géostratégique dans la lutte contre le terrorisme au sahel mais aussi pour l’exploitation du pétrole du golfe de Guinée.

C’est aussi une ville refuge, elle a accueilli le président Ahmadou Ahidjo en exil depuis 1984 et plus récemment l’ancien président du Mali Amadou Toumani Touré, on peut ajouté un épisode très récent quand Adama Barrow a prêté serment comme président de la Gambie depuis le Sénégal [5].

Cette ville dynamique qui attire au plan national, international est obligée de sortir de son site propre pour désengorger la ville comme le montre les travaux d’un nouvel aéroport International Blaise Diagne engagés sous le président Abdoulaye Wade, du nouveau pôle territorial de Diamniadio et son Centre international de conférence Abdou Diouf inauguré lors du sommet de la Francophonie en novembre 2014 .

Mais il y a nécessité d’aller au-delà, de favoriser le développement des centres de province, par exemple développer un port sec à Tambacounada pour les relations avec le Mali, transférer les sièges sociaux de sociétés vers leur zone d’activité comme la SOCOTEX qui pourrait s’installer vers la production de coton.

Mais existe-t-il une réelle volonté politique d’aménagement du territoire ?

Les questions de la salle ont permis d’évoquer le rôle historique de capitale de l’AOF, la présence de la seule université d’Afrique de l’Ouest en 1960, les espoirs et limites de l’acte 3 de la décentralisation, les atouts des richesses minières et pétrolière que l’on vient de découvrir dans le pays.

Le rôle régulateur des pouvoirs religieux et de leur dialogue avec le pouvoir politique est mentionné même si leur poids semble un peu en déclin notamment chez les jeunes et amène à revenir sur la place d’incubateur des mouvements sociaux traités jeudi dans la conférence de Christiane Bouquet.

Par Christiane Peyronnard

[1] 15 M d’habitants, estimation pour 2035 20 M

[2] mise en valeur coloniale et post-coloniale

[3] il est un dissident de la majorité au pouvoir et probable candidat à la présidentielle sénégalaise de 2019

[4] la population des HLM de la ville comptent plus d’électeurs potentiels qu’une grande ville du Sud comme Tambacounda

[5] une question de la salle a permis de compléter : Après de longues années d’exil au Sénégal le tribunal spécial africain de Dakar a tranché. Après dix mois de procès, l’ancien président du Tchad, Hissène Habré, a été condamné lundi 30 mai à la réclusion criminelle à perpétuité par une juridiction africaine extraordinaire qui l’a reconnu coupable de crimes contre l’humanité, de torture et de viols lors de la répression menée lorsqu’il était à la tête de son pays entre 1982 et 1990

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LES VILLES AFRICAINES, LIEUX D'INCUBATION DES MOUVEMENTS CITOYENS 

CHRISTIAN BOUQUET, Professeur émérite de géographie politique -   Sciences Po. Paris

 

 

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Dans les villes africaines, la jeunesse se mobilise pour dénoncer les injustices. Elle est souvent plus instruite et mieux connectée. Mais les électeurs des campagnes sont encore majoritaires. Quelle est alors la légitimité de cette « ruecratie » ?

Le conférencier rappelle que ces mouvements citoyens ont été reconnus internationalement en 2016 par le prix Ambassador of Conscience d’Amnesty International.

Il va dans un premier temps les définir : : des mouvements de jeunes urbains instruits et connectés dans une Afrique subsaharienne encore majoritairement rurale (62% de la population) d’autant que la notion même de ville reste floue dans ces pays. Il y a environ 40 villes de plus de 2 M d’habitants et pourtant les jeunes urbains sont plus nombreux que les jeunes ruraux, mieux scolarisés par exemple au Sénégal les analphabètes représentent 82% dans les populations rurales et seulement 52% en ville où la culture démocratique a plus de chance de se développer. Par contre le taux de chômage est plus élevé en ville. On peut parler de bidonvilisation et de misère urbaine.

Le mécontentement de tous ces jeunes scolarisés, conscients de la démocratie et qui côtoient la misère s’explique facilement et se trouve renforcé par la révolution numérique.

La croissance de l’accès à la téléphonie mobile s’accompagne du développement des réseaux sociaux, en Afrique on compte 126 000 abonnés à facebook.

Au Sénégal le premier mouvement naît en 2011 : « Y-en-a-marre » se mobilise contre les coupures d’eau et d’électricité et explique le vote protestataire en contre le président Wade. Ce mouvement trouve une reconnaissance sur la scène internationale grâce à sa rencontre avec Obama [1].

Au Burkina Faso c’est le « balai citoyen » qui joue un rôle majeur dans la révolution d’octobre 2014 qui chasse le président Compaoré.

On peut aussi citer : les mouvements « Lucha » et « Filimbi » en RDC hostiles au président Kabila, « Ça suffit comme ça ! » au Gabon, « Tournons la page »au Burundi, « les Sofas de la République » au Mali.

Un point commun : une base artistique forte (Rap, slam, musiques urbaines)

La ville africaine se prête bien aux revendications d’autant que les espaces publiques et privés se mélangent, les animations de rue (musiques, théâtre action) ont permis à ces mouvements de se faire connaître, reconnaître (solidarités panafricaines).

Est-ce que la « ruecratie », selon une expression burkinabè n’a pas de limites par exemple quand le « balai citoyen a refusé la proposition du pouvoir d’un référendum conscient que la campagne n’est pas touchée et reste conservatrice, légitimiste et légaliste ?

Au Burkina la rue a pu imposer quelques choix par ex aux élections locales.

Les cartes électorales en 2016 du Niger, du Benin, de la Côte d’Ivoire montrent une opposition plus forte et plus organisée en ville. Le décalage rural/urbain est aussi à mettre en relation avec une moindre connexion à la campagne.

Ces mouvements africains correspondent-ils à la tradition africaine en matière de gouvernance ?

En Afrique la tradition est la « fatracie » (fa en Bambara = père), le gouvernement par les aînés. Une gérontocratie écoutée dans les campagnes comme le montre la « chambre des rois et chefs traditionnels » instaurée en Côte d’Ivoire qui a une réelle influence même si dans les textes son pouvoir est faible. On peut aussi remarquer qu’en Afrique, à l’image de Mugabé, 31 chefs d’Etat ont plus de 70 ans.



Le conférencier pose aussi la question du financement de ces mouvements qui peut leur nuire. La place dans ce financement du milliardaire Soros entraîne des suspicions [2].

.

En conclusion le conférencier propose de réfléchir sur une citation de Frantz Fanon : « il n’y a pas de destin forclos ; il n’y a que des responsabilités désertées ».

Par Christiane Peyronnard

[1] le 27 juin 2013 -http://www.seneweb.com/news/Societe/senegal-pour-fadel-barro-du-mouvement-y-rsquo-en-a-marre-laquo-obama-est-un-president-sympa-et-attentif-raquo_n_99307.html

[2http://oeildafrique.com/yen-a-marre-filimbi-balai-citoyen-une-jeunesse-africaine-recuperee-par-le-milliardaire-americain-george-soros/ et

http://xibaaru.com/exclusivites/la-verite-eclate-voici-le-milliardaire-qui-est-derriere-yen-a-marre-il-est-repute-pour-tuer-les-regimes-en-afrique/

 

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CRIMINALITÉ ET TERRORISME, LE CÔTÉ SOMBRE DES VILLES 

NABIL ADEL, Directeur de l'IRGG ESCA -   ESCA 
REZRAZI EL MOSTAFA, Professeur distingué  Université Sapporo Gakuin (Japon)

 

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Avec l’actualité que l’on sait un tel sujet de conférence a permis de remplir largement la salle initialement prévue et même un amphi annexe. Cela nous permettra de souligner la remarquable efficacité des services du GEM, l’école de management qui organise l’événement qui monte en puissance d’année en année.

Les deux intervenants étaient Nabil Adel et le professeur Rezrazi El Mostafa, chercheur associé à un laboratoire sur le terrorisme et l’extrémisme au Maroc.

Nabil Adel a largement introduit le sujet en évoquant les villes à la fois comme foyer émetteur et cible des terroristes. Parmi les facteurs explicatifs de ce développement du terrorismeurbain les deux intervenants ont rappelé les facteurs socio-économiques qui ont contribué à la radicalisation. Le Professeur Rezrazi a tenu à préciser, après les enquêtes de terrains menées auprès de terroristes repentis que le facteur religieux n’était pas déterminant, du moins au départ. Son collègue a d’ailleurs précisé que le facteur explicatif principal était lié à la remise en cause des Etats, du fait des interventions étrangères, que ce soit en Irak, en Libye ou en Syrie. On se permettra d’émettre quelques réserves à ce propos. Il est d’ailleurs assez paradoxal que ces deux chercheurs n’aient pas clairement abordé la question de l’islam politique, qui représente tout de même une porte d’entrée de la radicalisation.

Les questions qui ont été évoquées traitaient davantage des problématiques de destabilisation psychologique avec une destruction du lien social expliquant la vulnérabilité des jeunes gens tentés par le djihadisme.

La présentation du professeur Rezrazi a d’ailleurs largement insisté sur les facteurs socio-affectifs dans les motivations des djihadistes prêts à passer à l’acte. Les défaits cognitifs sur les échantillons présentés ne concernent que 7 % des cas, tandis que ce qui concerne les questions affectives et les défauts de lien social concernent respectivement 29 et 39 % de l’effectif.

Le terrorisme urbain relève clairement d’une volonté de créer le chaos et de développer un sentiment permanent d’anxiété. Il serait à opposer à la guerilla urbaine qui cherche à territorialiser la menace.

On restera tout de même assez circonspect sur cette présentation, sans doute un peu trop théorique. Si la réflexion de chercheurs en sciences sociales peut se révéler intéressante encore faut-il qu’elle soit reliée à des exemples précis et que la totalité du spectre soit abordée. L’absence du facteur religieux pose tout de même problème et pourrait prêter à polémique.

Par Bruno Modica, Marc de velder

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ACCUEILLIR LE MONDE DANS LA VILLE : LES EXPOSITIONS UNIVERSELLES 

 

FLORENCE PINOT DE VILLECHENON, professeur-chercheur à l’ESCP Europe et membre fondateur du comité "Expo-France2025"

Voir la vidéo de la conférence

Que recouvre l’expression "expo universelle" ?

On pourra d’abord dire que les expos universelles laissent des traces durables dans les villes sans être durables. Pas de patrimonialisation pérenne, même si des exemples fameux ont pu faire figure d’exceptions, la Tour Eiffel de l’expo de 1889, l’Atomium de Bruxelles, 1958, mais l’exposition des talents dans une 2e moitié de ce XIXe siècle bouillonnant d’inventions et de foi au progrès technique.

Quelles critères retenir pour en définir le contenu et les intentions ?

1- "Les olympiades du progrès" (nouveautés, course aux records, les récompenses) : on retrouve là l’esprit du XIXe d’innovation tous azimuts : le classement des crus de Bordeaux furent par exemple créés à l’initiative de Napoléon III pour l’expo de 1855 à Paris.

2- La mission pédagogique qui va avec les innovations (j’instruis le visiteur qui va à l’école et qui ira voter).

3- L’accentuation de la dimension festive avec l’avénement de l’électricité : le pavillon argentin illumine Paris en 1889.

4- L’expo comme cité éphémère par définition sinon c’est un musée, même si, on l’a vu des exceptions célèbres demeurent...

5- L’expo comme vitrine nationale, et qui invite les autres nations à partager sa gloire.

6- Les "joutes de la paix" signifient l’organisation de compétitions pacifiques.

De Londres à Milan, une chronologie de 164 ans :

Marqués jusqu’en 1931, date de l’installation du BIE (Bureau International des Expositions) par le "match" franco-britannique, auquel se mêlent les Etats-Unis et la Belgique, celui-ci propose un cadre réglementaire privilégiant les Etats, mais cette vision portée par la France est refusée par les EU qui préfèrent une démarche privée mettant en avant une ville et ses entrepreneurs. Le BIE distingue les expos universelles de celles dites "reconnues" par lui mais ne satisfaisant pas au protocole de 1931 et alors qualifiées d’internationales. L’expo de 37 celle du face à face au Trocadéro des pavillons allemands et soviétiques est une "internationale", non une universelle. De même que celle de Grenoble en 1925 dont il subsiste la tour Mistral, oeuvre d’Augustin Perret.

Après la 2nde Guerre Mondiale, l’expo universelle s’ouvre au monde : Montréal pour le Canada francophone en 1967 ; Osaka, en 1970, consacre le retour du Japon sur la scène internationale après les Jeux Olympiques de Tokyo de 68 ; Séville en 92, fête le cincentenaire de l’arrivée de Christophe Colomb en même temps que les JO de Barcelone ; Hanovre, elle choisit de célébrer très discrètement la nouvelle Allemagne réunifiée ; si Shanghai-2010 est le symbole de l’émergence triomphale de la Chine sur la scène mondiale après Pékin 2008, elle ouvre aussi l’ère des expos thématiques modernes ("la ville durable") avec Milan-2015 ("Nourrir la planète, énergie pour la vie"). La prochaine, celle de Dubaï aura lieu en 2020 avec le thème "Connecter les esprits, construire le futur".

Musée vs Futuropolis ?

Les expos universelles montrent un visage à la Janus : à la fois témoin de son temps et volonté d’anticiper. Paris 1900, ce sont le Grand et le Petit Palais mais aussi des équipements structurants comme le pont Alexandre III, la gare d’Orsay, les bateaux mouche, le métro, pensés pour le confort et le transport dess visiteurs des expos.

Quelle continuité pour l’influence française ?

La 2e moitié du XIXe est le lieu de la compétition franco-britannique et de la plus forte influence française : l’expo de 1889, année du centenaire de la Révolution française, est boudée par les monarchies européennes mais soutenues par les républiques sud-américaines.

La création et l’établissement du BIE ont lieu à Paris durant l’entre-deux-guerre ; avec la fin du XXe siècle et l’arrivée de nombreux nouveaux pays dans le BIE, l’influence françaises se dilue.

Selon la typologie de Joseph Nye "Soft power / hard power" (1990), complétée par la notion de smart power (Ernest Wilson, 2008) mobilisée par Hillary Clinton comme secrétaire d’Etat, le MAEDI (Ministère des Affaires Etrangères et du Développement industriel) doit combiner la gestion à l’intérieur (plutôt consensuelle) et extérieure (plus compliquée, et qui passe par une diplomatie active) et se comporter comme une plateforme de communication qui s’adresse aux pays qui viennent. Déjà on travaille plutôt sur les valeurs : droits de l’Homme, liberté et architecture se mêlent à l’expo de Séville avec un pavillon français présente le plus grand toit ouvert jamais construit à l’époque.

Faire face à des batailles d’influence (comparables à celles des JO et des Coupes du Monde de football) :

Au BIE, chaque pays a une voix ! En 2007, 42 pays l’ont rejoint qui passe de 98 à 140 pays, soit l’arrivée d’une quinzaine de pays d’Asie et d’une vingtaine d’Afrique. Le rapport de force se déplace hors d’Europe ; mais les pays candidats faisant campagne dans leur région d’influence, le vote étant secret, la France reste donc en lice sans adversaire déclaré (Toronto, Osaka, Manchester, Bakou ?) jusqu’au mois de mai, et s’est mobilisée très tôt avec le député-maire de Neuilly Jean-Christophe Fromantin, le parlement, les entreprises - les fonds sont issus exclusivement du privé - le président de la République ; enfin le soutien d’un groupe intérêt public (GIP) pour la gestion du projet et un concours étudiant visant à trouver les meilleurs ambassadeurs dans la jeunesse.

-> Les expos universelles ont une dimension culturelle et de grand projet type JO et coupe du monde.

Questions du public :

Q1- Quelles faces sombres ?

- La corruption, le vote secret n’empêchant pas le lobbying...

- L’impact environnemental : à l’instar de la nouvelle charte des JO, la France fait le pari d’une expo polycentrique en région parisienne ?

- Le coût économique : projet de 3MM (les JO à Paris seraient de 6MM) avec retombées de 23 MM (les JO 11MM).

Q2- Quid des pays périphériques ?

L’Afrique a toutes ses chances...

Q3- Paris 2024 le meilleur ennemi de Paris 2025 ?

Pas de cannibalisme : ce ne sont pas les mêmes messages ni les mêmes votes. Le projet à l’interne est consensuel, mais quid de l’Extérieur ? Sera-t-il sensible à la continuité ou au grand chelem des candidatures françaises ?

Les infrastructures 2024 serviront pour 2025.

NB : Plusieurs questions nous incitent à la prudence quant à la réussite de la candidature de Paris : que serait le projet fédérateur de la France comme l’Espagne, la Chine ou le Brésil qui avaient fait coup double ? Le thème retenu de "l’hospitalité" est-il apte à mobiliser une dynamique autour de la candidature française ? Le pari du polycentrisme pour l’expo entre Paris et les villes françaises n’est-il pas en contradiction avec la culture des expos universelles ?

Des questions qui devraient bientôt trouver réponses...

Par Jean-Michel Crosnier

 

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LES PÔLES TERRITORIAUX DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUE FRANÇAIS : PERSPECTIVES PUBLIQUES

MYRIAM MATTRAY, Docteur en sciences économiques -   CNRS 

 

 

Le soleil est revenu sur le Festival de Géopolitique de Grenoble en ce jeudi matin, et c’est avec intérêt que nous nous présentons en salle A302, fortement remplie pour l’occasion, pour assister à la conférence animée par Myriam Matray sur la pertinence et le rôle accru des pôles territoriaux de coopération économique ou PTCE dans l’aménagement du territoire.

La communication de Myriam Matray prend pour base les conclusions du rapport France Habitat III, de la conférence ONU 2016 en Equateur en charge de définir l’agenda de la ville durable pour la France. Ce rapport insiste fortement sur le renforcement des capacités institutionnelles en charge d’accompagner le processus de décentralisation. A ce titre les pôles territoriaux de coopération économique présentent une grande pertinence pour répondre aux mieux aux nouvelles formulations de la ville durable.

Débutons par une définition des termes et une présentation des enjeux. Les PTCE s’inscrivent dans le champs de l’ESS (Economie Sociale et Solidaire). Issue du mouvement de l’économie sociale allemand du XIXème qui mettait l’accent sur la coopération dans le cadre du marche pour gagner en compétitivité, l’ESS vise à favoriser la participation des employés pour rendre le système économique plus efficace, en plaçant l’homme en son centre. En France l’ESS représente ainsi plus de 10% des salariés et 10% du PIB, notamment dans la finance, les services sociaux et le domaine de la culture. C’est 5 fois plus d’emplois que dans l’automobile et 2 fois plus que dans l’agriculture.

Les acteurs de l’ESS allient trois logiques de régulation économique :

  • La logique marchande de l’entreprise
  • La participation de la société civile
  • La logique redistributive

La loi de 2014 sur l’ESS reconnait pour la première fois le rôle de clusters sociaux dans le développement économique local, dans le cadre des logiques de durabilité. Ainsi la loi de l’ESS définit le PTCE comme le « le regroupement, sur un même territoire, d’entreprises de l’économie sociale et solidaire, au sens de l’article 1er de la présente loi, qui s’associent à des entreprises, en lien avec des collectivités locales et leurs groupements, des centres de recherche, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, des organismes de formation ou toute autre personne physique ou morale, pour mettre en œuvre une stratégie commune et continue de mutualisation, de coopération ou de partenariat au service de projets économiques et sociaux innovants, socialement ou technologiquement, et porteurs d’un développement local durable »

Les PTCE se développe donc sur une co-construction locale et institutionnelle pour répondre à 3 objectifs bien précis :

  • Répondre aux besoins sociaux
  • Favoriser le développement durable
  • Innover sur le plan social

Les PTCE étant financés sur la base d’un appel à projet par l’Etat ce sont au total 37 PTCE qui sont actuellement financés, à hauteur de 5.7 millions €.

Quels liens entre PTCE et gouvernance mondiale ? La promotion de l’ESS se fait à l’échelle mondiale via le GPIESS (Groupe Pilote International sur l’ESS) qui agit dans 4 domaines :

  • La promotion de l’ESS,
  • Les financements de l’ESS,
  • Les indicateurs de l’ESS
  • L’enseignement de l’ESS.

Problématique : Quel est le rôle des PTCE pour relever le défi des politiques et stratégies d’aménagement des territoires en France ?

I) Les objectifs de la conférence Habitat III pour la France : interrelation avec les PTCE

Le rapport Habitat III de 2016 met bien en avant la nécessité de renforcer la capacité institutionnelle et technique des autorités locales : « La stratégie en matière de gouvernance locale démocratique…soutien au processus de décentralisation et déconcentration, une nouvelle stratégie d’accompagnement de la gouvernance territoriale par une vision spécifique centrée sur le rôle stratégique des autorités locales, acteurs légitimes et pertinents pour construire des réponses innovantes au plus proche des besoins des populations, cette gouvernance territoriale a pour objectif d’accompagner les acteurs concernés pour les aider à relever les défis de l’urbanisation, à concevoir et à mettre en œuvre des politiques et stratégies d’aménagement et de développement urbain durable et de lutte contre la pauvreté ». On retrouve donc dans les orientations politiques prises des engagements sociaux de gouvernance participative.

Concrètement comment cela s’est mis en place au niveau des PTCE ? Par l’incitation des acteurs à adopter des démarches ascendantes. Dans ce sens fut rédigée une charte des PTCE en 2014, signée par les laboratoires ESS, le Ministère de l’Economie et des Finances, les réseaux fondateurs de l’ESS et les 39 PTCE et clusters sociaux. A ceci s’ajoutent le rapport Magnen et Fourel de 2015 sur les outils d’innovation sociale et la loi le NOTRe de 2015 dans laquelle les PTCE s’inscrivent (acteur de la recomposition du territoire).

Les politiques publiques ont donc deux lignes directrices :

  • Le développement économique durable par l’innovation technologique : par exemple la politique industrielle des pôles de compétitivité lancée lors du Comité Interministériel d’Aménagement et de Compétitivité des Territoires (CIACT) du 14 septembre 2004
  • Le développement socio-économique solidaire par l’innovation sociale (ESS) : exemple des PTCE développant des projets transversaux de territoire en fonction des ressources territoriales et pour les besoins locaux.

Ainsi, alors que la loi NOTRe a dépossédé les départements de la mission de développement économique, rapatriée à l’échelle régionale, les PTCE permettent de maintenir à une échelle plus grande l’objectif de croissance économique, à travers les intercommunalités notamment. C’est ainsi un véritable outil en faveur de la décentralisation des stratégies territoriales.

II) Les PTCE répondent aux nouvelles stratégies d’organisation territoriale

Les PTCE jouent un rôle prépondérant dans les nouvelles stratégies territoriales car :

  1. La participation des PTCE à l’autonomie financière de la République est réelle en ciblant les allocations budgétaire sur des thématiques horizontales à leurs territoires et éviter ainsi le « saupoudrage » des aides.
  2. Comme l’indique le livre blanc de l’ESS l’économie sociale n’est pas subventionnée, ce qui pose le défi de l’auto-financement.

Les PTCE pose en outre la question de la résilience des territoires. Le traitement des données depuis 2013 a mis en évidence l’intérêt d’être un PTCE pour accompagner un changement d’échelle des structures. Trois perspectives se dessinent dans ce domaine :

  • Le changement d’échelle pour la résilience du territoire (PTCE Pôle Sud Archer 2007 Drôme pour la valorisation du passé industriel de la chaussure pour relocaliser l’activité sur place)
  • Perspective de changement d’échelle pour dépasser les frontières du territoire d’implantation (PTCE Matières et Couleurs dans le Vaucluse en 2015 créé pour sauvegarder le massif ocrier du Roussillon et élargissant son rayonnement autour de la question de la sauvegarde de la ressource)
  • Perspective de changement d’échelle pour répondre à l’augmentation de l’activité (PTCE Solivers favorisant la filière locavore agro-alimentaire dans les 200 km. C’est le résultat de l’articulation de la SCIC Solivers et le PTCE pour l’intégration de nouveaux membres à valeurs similaires afin de changer d’échelle quantitative).

Dans ces démarches les pôles d’infrastructures collaboratives sont soutenues par les collectivités qui les inscrivent dans les politiques d’aménagement du territoire et notamment en les finançant. Car les PTCE, par leurs activités, créent des lieux propices à la vie sociale de la communauté qui prennent diverses formes :

  • Un espace lieu commun pour les adhérents (open space)
  • Un espace lieu commun aux adhérents (co-working comme les FabLab)
  • Un espace lieu commun aux adhérents et citoyens (favoriser les échanges et l’émulation)

Conclusion

Nous pouvons dire qu’il existe une diversité d’institutions impliquées et sollicitées au sein des PTCE. Du fait de cette diversité, le PTCE est réellement intégré aux politiques territoriales. Il a réellement un rôle pour renforcer les capacités institutionnelles et techniques des autorités locales par l’intégration systématique des partenariats publics-privés. En coordonnant et hiérarchisant les acteurs locaux de l’ESS existant et des nouvelles structures, les PTCE créent une cohérence des actions ESS sur le territoire.


Ainsi les collectivités positionnent leurs interventions suivant trois axes majeurs :

  • Rendre le territoire durable pour qu’il devienne attractif en réponse au rapport Habitat III
  • Favoriser l’émergence des clusters pour attirer et maintenir les entreprises sur le territoire
  • Favoriser une puissance publique locale socialement responsable

D’où l’enjeu des PTCE qui concilient ces aspects et sont propices à l’attractivité des territoires. Ainsi ce sont un vrai enjeu pour Habitat III et la gouvernance mondiale dans la perspective d’intégrer une réflexion par cluster.

Questions de la salle :

Q1 : Pourquoi parler tant d’ESS aujourd’hui alors que cette pratique existe depuis si longtemps ?

Myriam Matray : Ce mot remonte au XIXème effectivement. Si on en parle tant aujourd’hui, c’est à mettre en lien avec le dvp de la notion de durabilité et la primauté de la question écologique dans les réflexions actuelles.

Q2 : Question de la monnaie locale : exemple et modalités d’application ? 


Myriam Matray : Exemple de la monnaie locale lyonnaise Gonette : échange d’euros en gonettes utilisables uniquement chez les marchands locaux. Limites de la taille critique nécessaire (300-400 personnes minimum). Enjeu clair du dvp économique local.

Q3 : Importance des acteurs non-marchands dans les PTCE ?

Myriam Matray : Au niveau des PTCE l’on retrouve des entreprises, des collectivités mais aussi des associations. Il existe des PTCE avec ressourcerie, avec de forts liens avec les universités locales aussi. Quand bien même elles ne dégagent pas de profits, elles participent à la dynamique du PTCE (exemple des cafés culturels). Exemple du Pôle ULISS de Grenoble, en lien avec Schneider Electric et l’Université pour la fabrication de boitiers permettant de suivre et contrôler sa consommation électrique et de bénéficier, si besoin, de rénovations énergétiques de l’habitat au sein du PTCE. Il s’agit ici de mettre en place une chaine de valeurs qui va du consommateur (on pourrait même dire consom - acteur) aux agents économiques.

En sortant de la salle à l’issue de la conférence, nous ressentons le rare plaisir d’avoir pu assister à une communication à la fois très pertinente et d’une grande clarté, permettant de saisir tous les enjeux de cet outil majeur des politiques d’aménagement en devenir et d’exploiter les apports de la conférence de Madame Myriam Matray dans la production de nos contenus pédagogiques à destination du public scolaire (lycée dans ce cadre-ci). Ainsi Myriam Matray est une jeune chercheuse que nous avons eu plaisir à écouter, et dont nous espérons lire ou entendre de nouveau prochainement.

Document

  • Powerpoint 493.4 ko

Par Geoffrey Maréchal

[1] Vous pouvez retrouvez sa fiche [https://fr.linkedin.com/in/myriam-matray-a151b788



 

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LE POUVOIR DES VILLES EN DÉBAT SUR RFI 

MARIE-FRANCE CHATAIN, Journaliste -   RFI 

 

L’émission était consacrée au thème central de ce festival qui était le pouvoir des villes, et invitait Cynthia Ghorra-Gobin, auteure du dictionnaire critique de la mondialisation, Roland Pourtier, auteur d’Afriques noires et Pascal Gauchon, le directeur de la revue Conflits.

Cynthia Ghorra-Gobin a rappelé l’évolution de la recherche sur les villes, rappelant le changement de perception des villes, avec une présentation des différences entre les villes mondiales et les villes globales. Les villes mondiales sont connues dans le monde entier en raison de leur patrimoine et le meilleur exemple serait Venise, tandis que les villes globales qui peuvent être aussi mondiales, concentrent des fonctions de commandement. La question qui est posée est celle de la prise de distance des villes et de leurs maires, comme aux Etats-Unis à l’égard du pouvoir fédéral. Les économistes ont démontré que l’économie globale est rentrée dans les villes et cela a permis la constitution de cet archipel métropolitain mondial évoqué par le géographe Dolfuss.

Pascal Gauchon a rappelé, très opportunément le décalage entre les grandes villes, les métropoles et les villes moyennes qui ne se situent dans le même champ. Les métropoles réunissent des populations très diverses, les « classes créatrices », mais s’appuient aussi sur une domesticité largement défavorisée et en situation marginale, y compris en termes de ségrégation spatiale.

Roland Pourtier a évoqué les villes africaines, des espaces en fort développement qui sont encoe loin de prendre leurs distances avec l’Etat nation. Les personnels politiques sont, surtout en Afrique sub-saharienne, largement interchangeables et fonctionnent dans le cadre d’une captation de la rente par les classes dirigeantes. A l’exception des métropoles d’Afrique du Sud, la création de richesse joue un rôle marginal dans les villes du continent.

Pour autant les métropoles d’Afrique explosent au point d’évoquer selon Roland Pourtier une bombe humaine. En 1950, 14 % de la population du continent vivait en ville, 40 % aujourd’hui. Cela pose d’énormes problèmes évidemment. En 2050 avec une population de 2 milliards d’habitants ce sera 1 milliard d’urbains à qui il faudra trouver un emploi, loger, nourrir, hydrater, transporter dans des espaces urbais qui peuvent parfois échapper à tout contrôle .

Cynthia Ghorra-Gobin a rappelé que le processus en cours était celui de la « reterritorialisation ». un aménagement des territoires à l’intérieur des états est en cours et s’intégre dans la mondialisation. La question des petites villes et des villes moyennes est à prendre en compte sous l’angle des zones d’influence des métropoles auxquelles les agglomérations de plus petite taille peuvent se rattacher.

Marie-France Chatin a relancé ses invités sur les pouvoirs des villes en se demandant si, dans un processus de mondialisation celles-ci n’étaient pas mieux placées que les Etats, pour répondre aux problématiques induites.

Pour Pascal Gauchon, l’exemple qui est actuellement emblématique est celui de Londres et de cette population qui supporte assez mal le comportement électoral des délaissés de la mondialisation et qui vote pour le Brexit. Cela signifie que ces populations peuvent vouloir s’émanciper des contraintes, opportunément appelées « dysfonctionnements de la démocratie ». Les limites du modèle se situent dans les principes ou les limites de la démocratie.

Roland Pourtier a montré, encore une fois, la différenciation avec les villes africaines. Lieux de contestation, parfois lieux de guerre comme à Bangui en Centrafrique dernièrement, les métropoles d’afrique subsaharienne sont encore instables et dépendent d’une politique de la rente, souvent captée par les élites plus ou moins corrompues. Ces quelques notes prises à la volée ne sauraient remplacer la richesse des échanges. L’émission sera diffusée samedi et dimanche aux heures habituelles et podcastable sur le site de l’émission.

Cette émission que les Clionautes entendent bien soutenir, tant, dans nos pratiques de passeurs de savoirs, nous souhaitons pouvoir faire connaître le travail des journalistes qui nous accompagnent dans cette mission.

Par Bruno Modica

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2038, LES FUTURS DU MONDE

VIRGINIE RAISSON-VICTOR, Directrice -   Lépac

 

 

 

J’ai l’immense honneur de vous présenter, au nom de l’école de management, des Clionautes, mais aussi et surtout au nom de la communauté des professeurs d’histoire et de géographie, et en votre nom à tous, Virginie Raisson, l’une des fondatrices de l’EPAC, le laboratoire de recherche appliquée en géopolitique et prospective créé en 1992. À ses côtés, il y avait Jean-Christophe Victor, dont vous avez partagé la vie jusqu’à son départ, trop précoce, il y a peu.

Votre approche était commune, celle de donner à comprendre et à savoir, celle d’anticiper l’avenir, et cette démarche est essentielle, et s’inscrit parfaitement dans ce qui nous réunit, de plus en plus nombreux pour ce festival de géopolitique.

« 2038, les futurs du monde », c’est l’ouvrage que vous publiez chez Robert Laffont.

2038 ? Pourquoi cette date ? Vous nous le direz évidemment. Mais c’est à propos de ce titre « les futurs du monde » que nous attendons de vous, en attendant de lire votre ouvrage, des réponses. Des réponses définitives certainement pas, car ce que vous nous donnez à voir c’est toujours ce « dessous des cartes », celui qui permet de mesurer les signaux, parfois ténus, souvent contradictoires des mutations en cours.

Au fil des épisodes de cette émission éponyme, à laquelle vous avez été évidemment associée, beaucoup ici vous le savez, c’était toujours cette même exigence, celle de donner à voir et à comprendre. Comment d’un signal à peine perceptible, perdu dans le tourbillon des chaînes d’informations en continu parfois, de ces fils de dépêches d’agences, dans des rapports d’organisations internationales parfois difficiles d’accès, vous saviez trouver les lignes de force de formidables mutations.

Ces changements majeurs, ils sont en cours, ils ne sont pas devant nous, mais ils nous accompagnent. Dans la démarche prospective qui est la vôtre, celle que nous attendions au rythme hebdomadaire des programmes d’Arte, et que nous souhaitons voir perdurer, vous nous permettez, avec vos collègues de l’EPAC de préparer un avenir en toute lucidité.

Ces thématiques comme le vieillissement de la population, les mobilités, les monnaies, la pêche, les les big data, le tourisme, vous allez nous en parler avec cette capacité unique, renforcée au fil des ans, de nous montrer, sans mise en scène, sans artifices, avec cet extraordinaire outil qu’est la carte les mouvements du monde. La carte, cette vue de dessus dont vous nous montrez les dessous, est bien cet outil qui fut et qui est toujours parfois un instrument de pouvoir.

Avec Jean-Christophe Victor, ce pouvoir de comprendre et de prévoir vous l’avez partagé avec des millions de téléspectateurs.

Vous comprendrez pourquoi, avant de vous laisser la parole, je lancerai cet appel que nous avons déjà relayé, en y mettant tout notre enthousiasme et notre savoir faire. Cet appel est simple, résolu et déterminé. « Le dessous des cartes DOIT continuer », et dans ce combat, Virginie, nous serons en permanence à vos côtés.

Virginie Raisson -Victor

Je me suis rendu compte de la distance qui me sépare de mes enfants sur le plan technologique quand mon fils de 10 ans m’a parlé de Minecraft. Ceci me rappelle à quel point les bonds technologiques depuis 20 ans sont prodigieux et annoncent une véritable révolution à venir, si celle-ci n’est déjà pas en marche.Le futur devient dès lors un champ de recherche et de prospective foisonnant :


Que peut-on savoir du futur ? Par notion rien mais l’on peut noter des évolutions :

  • Nous entrons dans une ère de résilience ou l’adaptation est nécessaire
  • Le futur ne se passera pas comme nous l’imaginons : personne n’imaginait que les énergies renouvelables seraient compétitives il y a 5 ans.
  • Nous arrivons dans une ère du savoir, de la connaissance. D’où l’importance cruciale de la pédagogie : doit-on transmettre des savoirs ou autre chose ? C’est une donnée politique aussi : les défis posés aujourd’hui préparent les problèmes futurs (exemple des migrations actuelles qui préparent les revanches futures).

Pour prédire l’avenir il faut alors regarder le présent et se pencher sur les signaux faibles (dans ce domaine renvoyons à l’ouvrage de Stephen Sweizs : Un monde d’hier 1943). Quels sont les signaux faibles aujourd’hui ?

  • Le rejet
  • Le raidissement
  • La peur

Le présent est peu enviable. Jamais les européens n’ont eu aussi peur depuis les années 1980 : peur du déclassement, d’être envahi, de tout perdre. Les populations jeunes sont tentées de céder aux sirènes de la peur face aux affaires judiciaires et politiques qui ne cessent de s’accumuler. Nous sommes tentés de croire au pire face aux stigmatisations qui s’accroissent par endroit, sans parler des rengaines qui passent pour évidentes (nous sommes trop nombreux sur la planète, la mondialisation est irréversible, l’action individuelle ne sert à rien). Nous voilà donc tous devant l’histoire et un choix : la sécurité plutôt que l’ouverture, la sécurité. Difficile aussi de tenir un tel discours dans un monde où le bonheur est d’avoir, dans un paradigme qui crée des frustrés en puissance.

Comment passer de ce stade de désillusion pour construire l’avenir ? En essayant de prendre le temps de comprendre et de tirer les fils, afin de se retrouver comme acteur. Et l’ouvrage « 2038, les futurs du monde » est rédigé dans ce sens. Plusieurs pistes dans le livre pour le futur :

  • Le vieillissement : en retirant la population actuelle à la population envisagée en 2050, nous arrivons devant le tsunami du vieillissement de la population. On ne réfléchit cependant pas assez aux bouleversements : d’ici 2050 la classe d’âge la plus dynamique d’aujourd’hui, celle qui aurait plus de 80 ans alors, devraient tripler. Les pays développés sont plus préparés avec leurs amortisseurs sociaux mais il n’empêche que cette situation n’est pas éternelle : quid du poids croissant des solidarités inter-générationnelles ? Les changements politiques qui arrivent sont donc cruciaux. Nous avons peut-être besoin de penser à un nouveau système politique.
  • La croissance de la population mondiale : on constate que la croissance démographique ne cesse de ralentir, mais la masse totale démographique ne cesse d’augmenter. Nous devrions être, selon les démographes, autour de 10 milliards. Nombre de mouvements prêchent dès lors le ralentissement démographique. C’est pourtant une question très délicate car la démographie ne relève pas de facteurs absolus et scientifiques. Ceci explique les plus grandes difficultés pour prévoir les évolutions à venir. Cette croissance démographique s’accompagne d’un basculement de la répartition des populations sur la planètes (du nord vers le sud et de l’ouest vers l’est) et des ratios totalement bouleversés. Mais pourquoi, après tout, cette obsession du nombre ? L’enjeu n’est pas la population mondiale mais celui des ressources et du partage : dans un monde fini les ressources ne peuvent être infinies.
  • La pauvreté dans le monde : depuis 1990 la part des personnes vivant avec moins de 2 $/jour ne cesse de diminuer en part et en nombre. Ceci indique donc l’augmentation de la part de la classe moyenne dans le monde, De plus en plus nous sommes nombreux à consommer beaucoup, d’où le problème du partage. Voilà ainsi qui se répand le mythe de la prospérité, de l’abondance. Cette mondialisation, qui s’accompagne de la mondialisation des régimes alimentaires et l’uniformisation des besoins engendre une grande pression sur les ressources. Plus que la prospérité promise, c’est une ère d’inégalités qui s’installe, comme jamais auparavant. Si elles entre pays diminuent, elle explosent depuis 1990 à l’échelle intra-étatique. La prospérité devient paradoxalement un phénomène de rareté (ressources notamment) mais aussi de privilège (devenir plus riche que son voisin, jouir des statuts VIP etc.). Deux-trois exemples de cette rareté des ressources : le niveau d’extraction des ressources a doublé entre 1990 et 2010. Or 1/5 de ces prélèvements seulement sont renouvelables. Les 3/4 des minéraux ne se renouvelleront pas (l’or devrait ainsi disparaitre vers 2033, le nickel vers 2050). De même chose pour le sable : on estime que 60 à 70% des plages pourraient disparaitre d’ici la fin du siècle. Autre raréfaction : les ressources de poissons : 90% des stocks de poissons communs ont déjà disparus.

A partir de là…que fait-on ? On fait déjà beaucoup avec des jardins communs, des micro-crédits, la perma-culture, les monnaies locales, les nouvelles pédagogies du comprendre plutôt que le savoir etc. Et tout cela sans l’impulsion étatique, ce qui induit l’importance de plus en plus grande de l’individu seul dans ces processus et ces prises de conscience.

Prochain défi : arriver à en faire un système. En attendant le futur se cherche donc, s’invente en direct par ses propres acteurs, c’est à dire nous.

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Par Bruno Modica, Geoffrey Maréchal